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Géographie du chaos

Numériser.jpegChristophe Guilluy est le véritable inventeur de l'analyse antilibérale que pratiquent avec allégresse, à longueur d'émissions télévisées un Zemmour ou un Villiers. C'est le théoricien de la bande. On peut dire qu’il a vu venir les Gilets jaunes et qu’il n'est pas étonné par leur programme.

Tout le monde désormais connaît les travaux du géographe Christophe Guilluy. C'est le 1er octobre 2003, dans le journal Libération, qu'il a employé pour la première fois l'expression de « France périphérique » qui résume à l'avance les travaux qu'il poursuit sur la nouvelle géographie de la France nouvelle géographie dont il étend désormais les principes d'analyse aux autres pays occidentaux, en Europe ou en Amérique du nord.

Pessimisme social

Pour lui, la lutte des classes n'existe plus que comme une donnée territoriale il y a la France du progrès et du progressisme qui est celle des grandes métropoles (à commencer par Paris et sa région) cette France rayonne et il y a la France rurale, la France moyenne, la France provinciale, celle-là s'essouffle. Elle se paupérise. Non seulement ce concept de « France périphérique » [par rapport aux grandes métropoles] s'oppose à la grille marxiste ordinaire, qui prévalait hier. Mais il s'oppose frontalement à la bonne conscience libérale d'aujourd'hui, à cette idée qui flotte dans l'atmosphère et qui a fait l'élection de Macron, selon laquelle enrichir les riches, c'est enrichir les pauvres par un phénomène que l'on nomme joliment le ruissellement. Le président Macron parlait des « premiers de cordées. » Comme c'est touchant ! On s'aperçoit de plus en plus communément aujourd'hui qu'il y a certes des premiers dans la France de Macron, mais qu'il n'y a pas de cordée car personne n'a pensé à la corde.

Dans ce contexte, on assiste à l'irrésistible ascension de la superclasse mondiale, dont parle aussi Michel Geoffroy (dont nous évoquions l'ouvrage il y a quelques semaines). Mais ce flux financier qui monte tout en se concentrant sur une très petite minorité, ce tsunami ce raz-de-marée, cette révolution libérale que l'on doit craindre a une faiblesse énorme, d'après Christophe Guilluy : il est incapable de « faire société ». No society.

Le géographe emprunte son titre à Margareth Thatcher, premier ministre britannique qui avait déclaré de manière affreusement prophétique « There is no such a thing as society ». Il n'y a plus de société, parce que les classes moyennes qui constituaient la société ont été marginalisées sous la pression d'une double insécurité : celle qui est issue de la fracture sociale (il y a de moins en moins d'emplois non qualifiés : les pauvres deviennent très pauvres) et celle que l'on nomme l'insécurité culturelle (qui n'est que le produit de l'actuel chaos migratoire).

Mais les nouvelles classes populaires (issues de la désintégration de la classe moyenne) ont vécu leur désintégration sociale comme un traumatisme silencieux. Elles sont fortement averties sur la réalité de la société néo-libérale et, culturellement, si l'on en croit tous les indicateurs, elles sont massivement entrées en résistance « Le populisme n’est pas une poussée de fièvre irrationnelle, mais l'expression politique d'un processus économique, social et culturel de fond ». « Ce mouvement réel [qui est celui des sociétés occidentales] ne relève d'aucune manipulation, d'aucune fake news. Il traduit simplement la volonté des plus modestes [ceux que François Hollande appelait élégamment les "sans dents"] de préserver l'essentiel, leur capital social et culturel ».

Optimisme politique

Combat perdu d'avance, diront les déclinistes et autres partisans du suicide français. Le géographe, dans la troisième partie de son ouvrage, a ses arguments pour développer une position qui - une fois n'est pas coutume - se présente comme résolument optimiste sur l'avenir. Il cerne - à travers les prises de position politiques - un vrai mouvement culturel hostile à la mondialisation des personnes et des biens « Cette visibilité [électorale d'abord] des aspirations populaires ne modifie pas encore) la feuille de route des classes dirigeantes, mais elle contribue à rendre visible l'essentiel, la permanence d'un môle populaire attaché au bien commun ».

Que pèse cette nouvelle conscience d'un bien commun ? L'un des points forts du livre de Guilluy est d'expliquer comment elle est vraiment mondiale. Pour lui, il va de soi que le Brexit, l'élection de Trump et celle d'Emmanuel Macron, contribuent, chacune à leur manière, à induire une véritable révolution politique, un dégagisme des sortants, un renouvellement de la classe politique qui prend acte de nouveaux équilibres à saisir.

La logique destructrice du néolibéralisme trouve ainsi forcément sa limite. Certes à cet égard, la classe dominante est dans le déni. Mais elle ne peut pas continuer à ignorer ce diagnostic que tout le monde a formulé no society. Il n'y a pas de modèle social néo-libéral. Les tenants du nouveau système ne pourront plus cacher longtemps la faille profonde de leur programme. Il est radical sans doute. Mais il est fêlé au plus profond il est incapable - ce beau programme néolibéral - de réaliser les équilibres sociaux pourtant nécessaires.

Joël Prieur monde&vie 6 décembre 2018

Christophe Guilluy, No society, la fin de la classe moyenne occidentale, éd. Flammarion

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