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En marche vers une dérive autoritaire (février 2019)

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Les instruction sont claires elles résultats à l’avenant : face aux Gilets jaunes, le pouvoir durcit encore la répression. Les blessés graves se multiplient, mais loin de briser le mouvement, les violences policières le galvanisent. M Macron sait-il ce qu’il fait ?

La stabilité d'un pays doit s'obtenir « dans le respect des libertés », sermonne Macron, en visite au Caire le 28 janvier. Il enfonce le clou en affirmant que « l'expression d'une société dynamique était le meilleur rempart face à l'extrémisme ». Un peu comme le dynamisme de la société civile française en Gilet jaune ? « Je salue le courage des centaines de milliers de Vénézuéliens qui marchent pour leur liberté » Là aussi, ce tweet de Macron du 24 janvier dernier se retourne comme un gant.

Certes, la France n'est ni l'Egypte ni le Venezuela. Certes, souligne Macron au Caire, « 11 de nos concitoyens français ont perdu la vie durant cette crise […], mais aucun d'entre eux n'a été la victime des forces de l'ordre ». Aucun… si l'on exclut la vieille dame tuée accidentellement par le jet d'une grenade lacrymogène à Marseille, le 1er décembre dernier. Le nombre de blessés graves durant les manifs ne cesse, lui, de grimper. À tel point que les médias, plus prompts pourtant à filmer les feux de poubelles que les tirs tendus de LBD40, successeurs survitaminés des flashballs, ont fini par s'y intéresser.

Il faut dire qu'il devenait difficile de cacher les milliers de vidéos et de photos de mutilés circulant sur les réseaux sociaux. Durant l'acte IX, à Bordeaux, Olivier Béziade, un Gilet jaune pompier volontaire et père de 3 enfants, a été tiré de dos au LBD40 et à la grenade. Son pronostic vital engagé, il a été plongé dans le coma, dont il est sorti une semaine plus tard.

18 éborgnés, un homme dans le coma, sans raison

Mais c'est l'agression - comment l'appeler autrement ? - de Jérôme Rodrigues, figure du mouvement, que l'on retiendra peut-être comme celle de trop. Place de la Bastille, pour l'acte XI, le 26 janvier, Rodrigues est en train de filmer la manifestation quand il est frappé, affirme-t-il, par une grenade à ses pieds et un instant plus tard, un tir de LBD40 à la tête. Nous ne savons pas à l'heure où nous écrivons ces lignes si les médecins pourront sauver son œil.

Bien sûr, Laurent Nunez dément « Je n'ai aucun élément qui me permette de dire qu'il y a eu un usage d'un LBD qui aurait touché monsieur Rodrigues », affirmait le secrétaire d'État à l'Intérieur le lendemain. Un écho aux propos de son patron, Christophe Castaner, quand il déclarait le 15 janvier dernier « Moi, je ne connais aucun policier, aucun gendarme, qui ait attaqué des Gilets jaunes. Par contre, je connais des policiers et des gendarmes qui utilisent des moyens de défense, de défense de la République, de l'ordre public ».

Au-delà des contre-vérités flagrantes, habituelles à ce gouvernement, les propos des premiers flics de France interrogent. Les tirs tendus au flashball sont-ils le seul moyen « de défense de la République », avant l'arme de poing ou le fusil d'assaut, dont de plus en plus d'unités de maintien de l'ordre sont dotées en manifestation ? Il en est du maintien de l'ordre à la française comme du système de soins ou du Mammouth de l'Éducation nationale on nous explique que le monde entier nous l'envie alors que le monde entier fait mieux que nous.

Ainsi, aucun pays européen n'a-t-il poussé si loin la militarisation de ses forces de l'ordre (FDO). Les grenades GLI-F4 (25 g de TNT) sont une spécificité française, tout comme les barrières mobiles fixées sur véhicule. Le LBD40 n'est utilisé qu'en Catalogne, avec des résultats tragiquement comparables. Même les grenades lacrymogènes ne sont utilisées chez nos voisins qu'en Belgique, Espagne et Italie. Hormis la France, les canons à eau ne sont en dotation qu'en Italie et en Allemagne. Les FDO de ce dernier pays ne peuvent par ailleurs compter que sur des matraques et des sprays au poivre pour maintenir l'ordre, avec pourtant certaines manifestations musclées. En Grande-Bretagne, les Bobbies n'ont que des gourdins.

Est-ce à dire que l'ordre public cher à Castaner n'est pas assuré dans ces pays où les FDO sont aussi chichement dotées ? Bien sûr que non. Il leur arrive parfois d'user de violence, mais ils privilégient le dialogue et la désescalade pour gérer les manifestations, une pratique de plus en plus abandonnée en France au profit de la confrontation violente entre manifestants et policiers.

La police doit briser le mouvement

Il est toutefois vrai que la tendance est à l'augmentation générale de la violence policière en Europe. La répression des manifs lors du référendum sur l'indépendance de la Catalogne a été particulièrement brutale, avec 541 blessés pour la seule journée du 1er octobre 2017. L Allemagne connaît aussi un durcissement des rapports entre manifestants et FDO et la Bavière devrait équiper des unités antiémeutes de LBD. Mais rien de comparable de près ou de loin avec la situation française.

Castaner a d'ailleurs reconnu à demi-mot le problème en annonçant équiper les forces de l'ordre de caméras piéton, qu'elles sont supposées actionner avant tout tir de LBD40, sauf situation d'urgence. Bref, cet effort de transparence est soumis au bon vouloir des policiers. Pas de bol, celles qui équipaient les policiers en action lors de la blessure de Jérôme Rodrigues ne fonctionnaient pas. Le Conseil d'État se saisit d'ailleurs du problème des LBD40. Même Éric Morvan, le directeur de la police nationale, a dû rappeler le 15 janvier à ses troupes les règles d'utilisation des LBD et appeler les agents au « respect très strict des dispositions contenues dans ce message ». Des modalités d'emploi qui stipulent que le tir à moins de 10 m ou à la tête sont interdits. Les FDO qui font usage de flashball doivent s'assurer de la santé de la personne visée et le prendre médicalement en charge au besoin.

Il n'a visiblement pas été écouté, ce qui n'est guère étonnant puisque selon plusieurs témoignages concordants d'officiers de police, les FDO ont reçu comme instruction de casser physiquement le mouvement ou du moins de se lâcher. Ceci explique - au 18 janvier - les 109 blessés graves, dont 78 par des tirs de LBD, parmi les quelque 2 000 manifestants blessés depuis le début du mouvement. Parmi eux, 18 ont perdu un oeil, selon le méticuleux journaliste indépendant David Dufesne, le ministère de l'Intérieur ne reconnaissant que 4 éborgnés et 1 000 blessés.

Répression française

Une stratégie efficace ? En plus de jouer avec la vie des Français, le pouvoir joue avec le feu. Les nombreuses études sur la répression de contestations sociales et politiques le montrent pour briser un mouvement, il faut le réprimer en continu et en amont, l'empêchant de naître ou de croître, comme l'ont fait par exemple la Tunisie ou le Maroc face aux militants islamistes. Autre option, si la contestation est déjà dynamique, une répression vraiment brutale peut séparer les groupes les plus radicaux de leur soutien populaire. C'est ce qui s'est passé en Italie dans les années 70 avec les gauchistes les plus radicaux ont versé dans le terrorisme, tandis que la pression policière et judiciaire faisait rentrer les plus tièdes dans le rang.

Mais l'entre-deux dans lequel la France se situe est la zone de tous les dangers. Le pouvoir est dans une posture semi-répressive (on ne tire pas encore sur la foule à balles réelles), qui est celle qui génère le plus de brutalité. La contestation étant déjà dynamique, la violence d'État ne fait que la stimuler. La révolte du vinaigre au Brésil en 2013 fournit un parallèle frappant avec les Gilets jaunes lancée sur les réseaux sociaux contre des augmentations de prix des transports publics, elle s'étend aux dépenses pharaoniques liées à l'organisation de la Coupe du Monde de foot, puis gagne encore en ampleur, la colère des contestataires étant alimentée par les nombreux blessés, notamment par balles en caoutchouc. Si elle finit par se tasser, d'autres mouvements similaires en Amérique latine ont dérivé vers la lutte armée.

Nous n'en sommes heureusement pas là en France, mais l'acte XII du 2 février, en hommage aux victimes de la répression, est organisé par trois figures des Gilets jaunes Priscillia Ludosky Maxime Nicolle et Éric Drouet, auparavant brouillés. Tout un symbole, tout comme le préavis de grève générale déposé pour le 5 février.

monde&vie 8 février 2019

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