Cinq années après l’attentat de Charlie Hebdo, la menace djihadiste a-t-elle reculé? Rien n’est moins sûr.
Si les opérations commando se sont faites moins nombreuses, la fréquence d’attaques isolées, souvent menées par des «déséquilibrés», témoigne d’une tension, mais aussi d’un «écosystème islamiste» grandissant.
Était-elle folle, dangereuse, ou les deux à la fois? Dans la salle d’attente de la Gare d’Austerlitz à Paris, la jeune femme était intégralement voilée, y compris le visage, malgré la loi interdisant de se masquer dans l’espace public. Marchant de long en large, parlant seule, à haute voix et l’index en l’air, elle ne regardait aucun panneau d’affichage.
Après quarante minutes, un jeune homme, témoin de la scène, s’est décidé à rapporter la situation au poste de police. Obtempérant, la jeune femme affirma ne vouloir faire de mal à personne. Mais les agents trouveront dans son sac un couteau doté d’une lame de 15 cm, et un exemplaire du Coran. Les policiers découvriront par ailleurs que cette femme de 37 ans avait fugué de son domicile.
Une arme blanche, une fragilité psychologique et des signes immanquables de radicalité: de quoi faire craindre le pire, d’autant plus après les attentats des jours précédents. À Villejuif le 3 janvier, Nathan C. converti en 2017, âgé de 22 ans et atteint de troubles psychiatriques depuis l’âge de cinq ans, a épargné un homme de confession musulmane récitant une prière, avant de faire quatre victimes, dont un homme qui avait protégé sa femme d’un coup de couteau.
À Metz le surlendemain, coup de chance: un individu criant «Allahu akbar» a, cette fois, été neutralisé par des tirs aux jambes par les forces de l’ordre après avoir menacé des passants de son couteau. Depuis, il a été décrit comme «psychologiquement fragile» par les habitants.
Un tiers de déséquilibrés parmi les radicalisés
Mais il faut bien dire, l’accumulation depuis les attentats de Charlie Hebdo a de quoi surprendre. Mickaël Harpon, le terroriste de la préfecture, mais aussi Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, celui qui a tué 86 personnes à Nice le 14 juillet 2016 et qui aurait été sujet à des crises psychotiques, ou plus récemment Kobili Traoré, le meurtrier de Sarah Halimi, dont le discernement aurait été aboli au moment des faits: les dérangés sont nombreux.
Selon Europol en 2015, 35% des auteurs d’attaques terroristes depuis 2000 souffraient de déséquilibres mentaux. Un chiffre identique à celui avancé par Gérard Collomb, alors ministre de l’Intérieur, en juillet 2017: selon l’ex-premier flic de France, à peu près un tiers des personnes figurant dans le fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation présenteraient des troubles psychologiques.
Dans le débat public, l’affirmation de trouble psychiatrique est explosive: les médias n’ont eu de cesse de souligner les «déséquilibres», tandis que la droite vilipendait là un refus de dénoncer l’islamisme. Pourtant, islamisme et déséquilibre psychologique sont loin de s’annuler l’un l’autre, au contraire.
«Ils n’ont pas de stratégie, il n’y a plus que des dingues», s’est exclamé le criminologue Xavier Raufer, avec qui nous nous sommes entretenus. Celui-ci refuse l’idée d’une stratégie délibérée des djihadistes de l’organisation État islamique*:
«La caractéristique d’un fou, d’un malade mental, c’est de ne pas pouvoir s’associer avec quiconque», nous dit-il avant d’ajouter: «il ne peut pas y avoir une armée de paranos, il est tout simplement impossible de convaincre un malade mental de quoi que ce soit.»
«L’époque marque les gens, mais ce n’est pas délibéré», conclut Raufer, avant de renvoyer le problème à la psychiatrie. Impossible donc d’ordonner à des malades commettre des attentats plus ou moins suicides. Mais l’incitation existe, selon certains psychiatres.
Cité par La Croix, le psychiatre Serge Hefez estimait qu’il faut «s’attendre à ce que ce profil soit de plus en plus représenté parmi les auteurs d’attentat». Le Dr Hafez, qui reçoit depuis 2015 des jeunes radicalisés à la Pitié Salpêtrière, témoigne que «beaucoup de jeunes en quête de sens n’étaient pas délirants, mais le sont devenus au contact de l’idéologie de Daech».
Celle-ci «exacerbe une vision complotiste d’un monde divisé entre les bons, qui seraient persécutés, et les méchants, qu’il faudrait combattre». Une vision aussi simpliste que manichéenne, donc.
Aussi le Dr Sabine Riss, psychologue pénitentiaire, avance-t-elle que le déséquilibre psychologique est consubstantiel du terrorisme de Daech. En sept années de pratique en quartiers de haute sécurité, celle-ci a vu une évolution, à la suite de Mohammed Merah.
Ainsi distingue-t-elle dans ses travaux les «terroristes classiques», ceux d’Al-Qaida* ou du Groupe islamique armé (GIA) algérien, à la pensée très structurée, et les «fascinés de Daech», qui relèvent «plutôt du champ de la psychose».
Leurs personnalités seraient ainsi «ravagées, agoniques», dit-elle dans la revue Causette avant de préciser qu’ils «se situent entre la vie et la mort», comme leur héros Mohammed Merah, qui avait affirmé aux négociateurs du RAID «aimer la mort autant que vous aimez la vie».
Source: Sputnik
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