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Pouvoir de la mafia, mafia du pouvoir...

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J'aime les découvertes, les surprises que permet le confinement.

Après avoir vu l'admirable film qu'était "Le Traître" de Marco Bellocchio (mon billet du 3 novembre 2019), j'ai encore plus été passionné par le juge Giovanni Falcone (GF) et par sa lutte exemplaire et courageuse contre Cosa Nostra. A laquelle celle-ci a cru mettre fin en l'assassinant le 23 mai 1992, parce que directeur des Affaires pénales au ministère de la Justice depuis le 13 mars 1991, GF avait l'intention de créer une brigade antimafia. Cosa Nostra n'avait pas oublié non plus l'absolue et spectaculaire réussite, dont GF avait été le principal artisan, du Maxi-Procès de Palerme, terminé en 1987.

Le hasard a fait que dans cette période obligatoire de repli, j'ai lu deux livres sur Giovanni Falcone, "Giovanni Falcone, un seigneur de Sicile", une belle biographie sensible écrite par David Brunat. Et le livre résultant des entretiens de Marcelle Padovani avec GF, où cette grande journaliste spécialiste de tout ce qui se rapporte à l'Italie le fait parler à la première personne : "Cosa Nostra".

Au fil de cet ouvrage où Falcone rend compte de son expérience, analyse les structures de Cosa Nostra, sa hiérarchie, son insensibilité criminelle, sa mainmise sur la Sicile, je n'ai pas pu m'empêcher de faire un sort à ce passage précis au début du chapitre "Messages et Messagers" : "L'interprétation des signes, des gestes, des messages et des silences est l'une des principales activités de l'homme d'honneur. Et donc du magistrat..."

Les hommes d'honneur, c'est ainsi que sont qualifiés, quand ils respectent scrupuleusement les ordres et les interdictions des chefs de Cosa Nostra, tous ceux qui sont à son service et sous son emprise.

Pourquoi cet extrait m'a-t-il immédiatement alerté ? La mafia est évidemment un univers de pouvoir ritualisé, fondé sur la crainte et la révérence et, comme le souligne Falcone, sur le danger de ne pas savoir comprendre l'implicite, le non-dit, l'allusif et l'ambigu.

J'ai toujours détesté, malgré l'immoralité de certains - rares - politiques, la comparaison offensante de ce monde avec la mafia, même si, selon Falcone, on peut avoir un comportement mafieux sans qu'il soit criminel. Mais comment aurais-je pu passer à côté de la description qu'il fait et qui, pour le coup, renvoie irrésistiblement à l'univers de la politique au plus haut niveau et pour parler net, au sommet présidentiel ?

On a tellement écrit sur certaines personnalités élues par le peuple français et qui ont mis leur entourage immédiat au supplice, conseillers, Premier ministre et ministres, parce qu'en permanence il convenait de déchiffrer, de saisir les expressions du visage, les moues ou les soupirs, d'interpréter les actes les plus simples et les phrases les plus anodines, chargés de sens pour ceux qui gravitaient dans l'espace du pouvoir suprême.

Ce que je décris était évidemment vrai pour les présidents Giscard d'Estaing et Hollande, encore davantage pour François Mitterrand qui n'était pas pour rien surnommé le Sphinx. Il était un véritable rébus pour ceux qui étaient sous ses ordres. Pour obéir et se diriger dans la bonne direction, il fallait d'abord comprendre.

Le président Macron, paraît-il, est un adepte, malgré quelques accès d'énervement, de ce mystère en mouvement et de cette interrogation sans cesse formulée à l'autre : devinez donc ce que je pense !

Je suis persuadé que tout pouvoir présidentiel peut cependant connaître sur ce plan des ratés.

Il arrive que l'explicite surgisse. Ainsi Jacques Chaban-Delmas n'a pas pu ignorer longtemps qu'il agaçait le président Pompidou qui l'avait pourtant choisi mais ne se doutait pas que les lubies de la Nouvelle société allaient advenir. Michel Rocard Premier ministre aurait manqué de lucidité s'il n'avait pas compris tout de suite que François Mitterrand ne le portait pas en haute estime et qu'il l'avait enfin nommé mais pour le voir échouer.

Je me demande ce qu'il en était avec Nicolas Sarkozy. Certes il était capable d'être secret, de ne pas tout dire de ses desseins, de ne pas tout montrer de ses projets et de laisser l'autre dans l'incertitude mais il me semble que son tempérament extraverti, sincère voire brutal devait mal s'accommoder de cet univers de signes et de messages subtils et que les sous-entendus étaient moins son genre que les transparences explosives.

On pourrait tourner en dérision cette comédie où un double mouvement s'affronte. D'un côté l'ambition, la courtisanerie et et le président tel un inconnu permanent qui ne vous laisse jamais en repos parce que son silence comme son langage sont un défi, une épreuve. De l'autre, une forme de sadisme qui jouit du mystère et plonge les subordonnés dans d'insondables affres.

Au risque de frôler à nouveau l'assimilation entre le pouvoir de la mafia et la mafia du pouvoir, je voudrais surtout en tirer la conclusion certes banale mais déprimante que tout pouvoir, qu'il s'exerce pour le meilleur ou pour le pire, qu'il soit criminel ou démocratique, se fonde de manière élémentaire mais constante au fil des siècles sur quelques données de base et d'abord celle-ci : être et demeurer une menace et une espérance, pour inspirer la peur et flatter l'ambition.

Philippe Bilger

https://www.philippebilger.com/blog/2020/04/pouvoir-de-la-maffia-maffia-du-pouvoir.html

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