La France révèle avec une évidence accrue de jour en jour une fracture entre sa caste dirigeante et la nation. Le centralisme parisien, la place excessive de la haute fonction publique, formée dans le même moule et protégée durant une vie entière des aléas auxquels sont exposés la plupart des Français, expliquent cette situation que les luttes idéologiques et la concurrence pour s’emparer du pouvoir rendent plus dangereuse encore pour le pays. Avec le temps, le bilan s’assombrit. La France est mal gouvernée et court d’échec en échec notamment depuis 1981. Sa chute dans le classement des puissances économiques, l’effondrement de son école, le désastre sanitaire récent en portent témoignage. Les manifestations de 2018 lorsque les Gilets Jaunes n’étaient pas infestés par l’extrême-gauche traduisaient ce désaveu d’un pouvoir inopérant et injuste par un peuple indigné. Mais, de manière plus sourde, la montée de l’abstention est un autre signe du retrait de la Plèbe, cette sécession par laquelle à Rome les plébéiens manifestaient leur réprobation à l’encontre des patriciens en se retirant de la Cité. Or, ce qui frappe le plus dans le fossé qui se creuse entre l’oligarchie et la nation, c’est que la première ne se contente pas d’une mauvaise gouvernance, elle peut être accusée de trahison. Certes, cela s’est déjà produit lorsque la France était occupée, mais elle ne l’est plus, à moins qu’il faille donner raison aux thèses de Renaud Camus sur le remplacement de population, l’occupation par les immigrés, et la colonisation inversée qui en découle….
La démocratie repose sur la notion de souveraineté du peuple. Elle suppose donc qu’il y ait un peuple et que la majorité de celui-ci décide de son avenir soit directement, soit à travers des représentants qu’elle élit et qui appliquent ses volontés. Non seulement on sait notamment depuis le contournement du « non » au référendum de 2005 par le Traité de Lisbonne que tel n’est pas le cas, mais on peut aujourd’hui se demander si l’obsession de nos gouvernements n’est pas de faire systématiquement triompher les préférences minoritaires, voire la préférence étrangère, tandis que la préférence nationale si légitime qui consiste à préférer un citoyen français à un étranger dans l’application du principe de solidarité serait considérée comme un crime. Les prétendues avancées en faveur de la minorité « d’orientation sexuelle », le caractère unilatéral de l’antiracisme qui tourne à une racialisation de la vie sociale au détriment de la majorité sont des signaux alarmants qui marquent une entreprise de destruction du Démos, sans lequel il n’y a ni nation, ni démocratie. Peut-être ceux qui rêvent de noyer la France dans la Grande Europe puis de placer cette dernière sous un gouvernement mondial ont-ils emprunté volontairement ce chemin ? Peut-être cette évolution n’est-elle que le produit suicidaire de mesures à court terme ? Dans les deux cas, il s’agit bien de trahison.
Un domaine illustre particulièrement cette dérive : l’histoire. Le président Macron a reçu Benjamin Stora le vendredi 24 juillet 2020 et lui a confié une mission sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie », en vue de favoriser « la réconciliation entre les peuples français et algérien ». Le locataire à titre gratuit de l’Elysée récidive : il avait déjà fait sienne la doctrine de l’Etat algérien sur la colonisation comme crime contre l’humanité. Le voilà qui confie à un historien engagé à gauche une mission qui aurait pour but de réconcilier les peuples algérien et français ! Instituée en 2010, la Fondation pour mémoire de la guerre d’Algérie, des combats du Maroc et de Tunisie a déjà pour objet d’expliquer ces événements et d’en transmettre la mémoire. C’est évidemment à elle que devait être confié ce travail. Mais créée sous la présidence Sarkozy, elle est donc suspecte. Elle a d’ailleurs failli subir le même sort que la Maison de l’Histoire de France supprimée sous Hollande. La repentance coloniale, oui, la fierté nationale, non ! Et ce ne serait pas de la trahison ? L’Etat algérien exige des excuses de la France, les Français d’aujourd’hui ont oublié une guerre que pour la plupart, ils n’ont pas connue. En revanche, est entretenue dans la minorité immigrée une vision négative de la colonisation qui justifie une soif de revanche camouflée en désir de justice, un excellent prétexte pour ne pas s’assimiler et multiplier au contraire les agissements nuisibles, des incivilités jusqu’au terrorisme. Que peut-on attendre d’une mission confiée à un historien partisan dans une situation aussi déséquilibrée ?
On pouvait croire que Macron qui se vante d’avoir travaillé auprès de Paul Ricoeur ait davantage bénéficié de son enseignement. Dans Histoire et Vérité, le philosophe avait souligné les obstacles qui se dressent devant l’objectivité en histoire. Celle-ci n’est pas une science exacte, et elle l’est moins encore que d’autres sciences humaines. D’abord, parce qu’elle est « diachronique », dans le temps, qu’elle ne connaît du passé que ce que celui-ci a bien voulu transmettre, et qu’elle est soumise aux passions du présent quand elle étudie un passé proche. De plus, l’historien n’est pas un agent neutre, mais un citoyen qui est dans une position de « spectateur engagé » comme disait Raymond Aron. Le passé de Stora, membre du groupe trotkiste Alliance des jeunes pour le socialisme, l’organisation de jeunesse de l’OCI dirigée par Pierre Lambert ne plaide pas en sa faveur. Il est incroyable de voir le rôle que jouent les gauchistes de 1968 dans l’orientation des idées de la France d’aujourd’hui ! Quelle que soit l’importance des travaux de Stora, ils ne sont pas neutres et le poids qu’il a acquis est lié à sa position politique. Le 1er août 2014, Benjamin Stora a été nommé président du Conseil d’orientation de l’Établissement public du Palais de la Porte dorée qui inclut la Cité nationale de l’immigration par décret du Premier ministre Manuel Valls. Le paradoxe français d’une élite qui trahit son peuple va atteindre un sommet quand l’histoire officielle de notre pays aura pour but non de créer une mémoire commune et donc une conscience collective, mais de satisfaire les exigences d’un Etat étranger et les pulsions qui agitent des minorités. (à suivre)