La 13e édition de la marche parisienne pour la vie s'est distinguée cette année par la jeunesse de ses participants et une nouvelle liberté bienvenue, lors des prises de parole officielles l'indicible a été dit : l’avortement tue.
Avec ses 50 000 participants revendiqués, relégués par la préfecture dans les avenues tranquilles, reliant la porte Dauphine à la place du Trocadéro, la Marche pour la vie a pourtant enfin percé l'omerta médiatique. Du sujet sur LCI en passant par la dépêche somme toute honnête de l'AFP au « papier » du Point (illustré, il est vrai, par une image de la Marche 2018 !) l'éventail était large. L'avortement est de nouveau un sujet. C'est peut-être là le premier le plus grand succès de cette Marche elle rend témoignage à la vérité - ce qui est un bien et une exigence en soi - en rappelant à une culture qui l'a largement occultée que cette vérité existe.
Comme me l'a confié Cécile Edel, présidente de « Choisir la vie » et fondatrice de l'événement, l'autre succès est l'évident renouvellement des générations provie. « C'est vraiment encourageant de voir tant de jeunes - des jeunes qui, il y a 15 ans étaient à peine nés. La flamme du respect de la vie a été transmise ! » Selon les organisateurs, 90 % des participants avaient moins de 35 ans, et une proportion importante de ceux-ci étaient visiblement des adolescents ou de jeunes étudiants.
Mais que dire de l'aggravation inexorable de la situation en France ? « Pourquoi sommes-nous là ? Parce que la France est le seul pays où le taux d'avortement augmente », lance un animateur depuis un camion sonorisé. Et les nouvelles lois bioéthiques veulent l'entraîner encore plus bas. N'y a-t-il pas de quoi se décourager ? Réponse de Cécile Edel : « Du point de vue humain, le découragement peut accompagner l'idée que tout ceci ne porte pas de fruit. Mais j'ai toujours pensé que nous ne raisonnons pas en termes de succès. Nous sommes ici pour faire notre devoir pour porter témoignage du respect dû à toute vie humaine. »
Pour porter cette parole, peu de politiques - alors que le problème est, précisément, politique. On peut manifester contre n'importe quel crime ou délit avec la certitude, hélas, qu'il y a aura toujours des assassins, des voleurs, des escrocs. Autant défiler contre le temps qu'il fait. L'important est de savoir que la loi désigne le bien et punit le mal, et c'est là que le bât blesse : depuis 45 ans en France, la loi tolère, autorise, justifie, fait rembourser et désormais promeut l'avortement comme un droit de l'homme. Car oui, c'est tout nouveau, les hommes aussi peuvent et doivent avorter, c'est l'Organisation mondiale de la santé qui vient de l'affirmer, assurant qu'il faut le dire parce que des femmes qui se pensent hommes tombent enceintes à l'occasion, et recourent à l’IVG.
Avorter étant un droit promu par un nombre considérable de gouvernements et par les plus hautes et plus puissantes organisations internationales, sans compter les ONG les mieux dotées, rappeler que l'avortement tue est devenu un passeport quasi sans retour pour l'inexistence politique. Quand ce n'est pas la persécution.
Trois grains d'encens devant l'idole anthropophage
En France, il est devenu pour ainsi dire impossible d'affirmer qu'il faut revenir sur les lois libéralisant l'avortement - non seulement les lois plus récentes, mais aussi la loi Giscard-Chirac-Veil qui a ouvert les vannes de l'horreur - si l'on veut avoir un brillant avenir en politique. C'est le ticket d'entrée, ce sont les trois grains d'encens qu'il faut brûler devant l'idole anthropophage de la culture de mort. La preuve, c'est que les politiques qui osent un vrai bémol sont bientôt marginalisés. Et ceux qui veulent « arriver » s'inclinent, de la « droite » à la gauche de Marine Le Pen qui affirme le droit à l’IVG à Jean-Luc (Mélenchon) qui veut le graver dans le marbre de la Constitution. On se pique même de leur donner raison, puisqu'il faudrait ne brusquer ni l'électeur ni la culture ambiante, et ménager ses chances de succès.
À la Marche pour la vie 2019, une absence notable a illustré le propos. François-Xavier Bellamy, catholique affirmé, participant naguère, n'y était pas et il a tenu à le faire savoir à l'orée de sa désignation comme tête de liste LR à l'élection européenne. Et il a répété ici et là qu'il n'était pas question de revenir sur la loi Veil. Le président des Républicains à l'Assemblée, Christian Jacob, a dit les choses clairement à propos du jeune philosophe, « conservateur », mais pas trop : « Il y a une ligne rouge, pour moi, c'est la défense de la loi Veil sur l’IVG. »
Aussi Bellamy parle-t-il volontiers, pour les déplorer, des 210 000 - ou plus - avortements par an en France, mais en évoquant la souffrance des femmes et elle seule. Victimes, elles le sont souvent, de corps et d'âme mais pourquoi ce voile de silence sur les tout-petits qui eux, y laissent la vie ? Indicible, on vous le dit.
En un sens, la Marche pour la vie confirme cet indicible par son caractère festif, sa musique joyeuse, ces jeunes qui sautillent au rythme des basses. L'accent reste mis sur le « côté positif ». Aimer la vie, c'est bien.
Mais comme le suggère de l'autre côté de l’Atlantique une tribune publiée dans First Things par John Waters : Irlandais pro-vie il est un peu heurté par les sourires et la bonne humeur de la Marche de Washington à la veille de celle de Paris : « Il faudrait pour être clairs que ces rassemblements disent cet indicible en signalant l'ampleur sans précédent de la tragédie. Pourquoi pas, écrivait-il, en figeant les défilés à la manière des "Sentinelles" ne serait-ce que le temps d'une lecture ? » Silence mortel pour un massacre… Où ne rien dire parlerait enfin.
Jeanne Smits monde&vie 8 février 2019 n°966