Les chiffres d’une crise nationale
Il est ainsi fait que la gravité d’une crise est proportionnelle à sa capacité à révéler les maux d’un système aux yeux du plus grand nombre. Alors que les cris du personnel qui le fait vivre au quotidien ne semblaient suffire à alerter sur la lente agonie de l’hôpital public français, la pandémie actuelle inverse les tendances. Il est donc d’intérêt général de s’intéresser aux raisons de ce déclin, que l’on peut résumer sous le terme général de guerre des finances.
Posons le diagnostic et surtout, veillons à ne pas retomber dans la passivité une fois la crise passée ; car « Les pires lieux des enfers sont réservés aux indécis qui restent neutres en temps de crise morale » .
En France, sur plus de 3 000 établissements de santé, 1 376 sont des hôpitaux publics. Ils ne représentent que 45% des établissements mais offrent encore plus de 61% des lits en hospitalisation complète et 55% des lits en hospitalisation courte [5]. “Encore” car, depuis plusieurs décennies, nos précieux hôpitaux publics sont soumis à des pressions économiques dantesques, qui influent aussi bien sur la qualité des soins que sur la pénibilité du travail hospitalier.
En 2002, les hôpitaux publics disposaient de 314 000 places en hospitalisation longue. En 2018, il n’en restait que 243 000. Soit 71 000 lits en moins, un tiers du total [1]. Les hospitalisations courtes – soit moins de 24 heures – ont bien vu leur nombre de place augmenter, de 12 000 lits. Passant de 31 000 à 43 000 [5]. Si l’un ne compense pas l’autre d’un point de vue numérique, l’un ne remplace pas l’autre de manière générale. Car les places en hospitalisation longue assurent un stock de lits vides, qui permettent de parer aux imprévus : une épidémie de virus respiratoire, exemple au hasard parmi une liste non exhaustive. Mais comment expliquer cette double évolution? L’explication, c’est le virage ambulatoire de l’hôpital public, la volonté de rentabiliser les soins, de gérer le système de santé à la manière d’une entreprise comme les autres.
Les différents programmes régulant nos hôpitaux
En 1982, Jack Ralite, ministre de la Santé et membre du Parti Communiste, confie la direction des hôpitaux à Jean de Kervasdoué. Cet ingénieur des Eaux et Forêts visite l’université américaine de Cornell et y découvre les Diagnosis Related Groups. Une ingénieuse façon de classer les malades hospitalisés avec pour but d’identifier précisément le coût de chaque séjour. En 1982, naît donc le PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information). Son objectif : mesurer la “production” de soins dans chaque unité médicale. Il reste peu utilisé jusqu’en 1996. [9]
De 1995 à 1997, Alain Juppé, alors Premier Ministre et membre de l’UMP (actuels Républicains), lance son plan pour contenir les dépenses de la Sécurité Sociale, « boucher le trou de la Sécu » en somme. Parmi les mesure notamment : création de l’Ondam (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie) qui doit aider à réduire les dépenses de santé. L’Ondam est une limite budgétaire annuelle votée par le parlement [2]. Mais l’Ondam n’est pas la seule mesure, on utilise pour première fois le PMSI dans le calcul des budgets alloués aux hôpitaux. Ou comment injecter dans les habitudes la notion de “rentabilité” d’un séjour hospitalier.
En 2002 le plan “Hôpital 2007” propose une nouvelle méthode de financement : la T2A, (Tarification À l’Activité). Désormais, chaque hôpital doit classer sa “patientèle” dans l’un des 800 GHM (Groupe Homogène de Malades). La Sécurité Sociale paie ensuite l’hôpital pour chaque acte médical selon les barèmes de la T2A, qui est révisée chaque année. Certaines pratiques sont donc favorisées car plus rentables, et on commence à gérer les hôpitaux en bons chefs d’entreprise : « il faut faire 50 hernies/semaine pour se permettre un pontage » . En 2005, les directeurs d’hôpitaux sont autorisés à contracter des emprunts sans attendre l’aval du directoire de l’établissement (notons au demeurant que la loi « Hôpital, Patients, Santé et Territoires » du 21 juillet 2009 modifie légèrement ce statuât, ces décisions sont désormais remises au directeur de l’ARS (Agence Régionale de Santé) considéré comme plus qualifié pour prendre ces décisions). En somme, si les subventions de l’État ne suffisent pas, il est facilité d’accumuler les dettes grâce aux banques, l’hôpital publique se privatise par l’emprunt. Et les subventions de l’État ne suffisent pas : entre 2002 et 2013, l’endettement des hôpitaux publics est passé de 9 à 30 milliards. [3]
Tous les éléments pour une décrépitude accélérée d’un système de santé naguère parmi les meilleurs au monde sont en place :
D’un côté, l’Ondam maintient la pression en définissant un budget inférieur aux besoins prévus. En 2019 l’Ondam est augmenté de 2,4%, là ou la commission des comptes de la Sécurité Sociale estimait l’augmentation des besoins à 4,4 % [8].
De l’autre, la T2A est là pour repérer les opérations les plus rentables et optimiser au mieux le management de « l’entreprise Hôpital ».
De nombreux établissements se retrouvent donc au bord de l’asphyxie budgétaire, mais aucun respirateur vraiment efficace n’est disponible. La plus grosse variable d’ajustement, pansement appliqué sur une plaie béante, sera le personnel. Entre 2010 et 2017, la productivité dans les hôpitaux publics a bondi de près de 15%, les effectifs de 2%. [1]. De quoi briser plus d’un soignant, augmentant notamment la charge de travail des étudiants infirmiers, externes et internes. Les arrêts maladies sont d’ailleurs plus importants dans le secteur hospitalier que dans tous les autres secteurs (10,2 jours/an contre 7,9 jours/an) [1]. Enfin les paies du personnel des hôpitaux sont inférieures de 10% au salaire moyen dans l’hexagone, classant la France 28e sur 32 au sein de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique). [7]
Note d’espoir royaliste
Le libéralisme s’affairant à construire son nid partout, il a réussi à insuffler le productivisme et la rentabilité au sein de l’hôpital public français. Le PMSI, la T2A, l’Ondam, les ARS et l’ensemble des institutions compétentes ont tenté de faire appliquer ces principes économiques et ont fini par faire accepter au plus grand nombre que si l’hôpital est déficitaire, c’est de sa faute. Mais la règle première de l’empirisme scientifique qui définit la notion de diagnostique est la prise en compte du contexte extérieur. Il est nécessaire alors de s’interroger sur le rôle du vieillissement de la population ou de l’augmentation du prix des appareils médicaux, plus performants. [4]. Mais l’espoir n’est pas permis de disparaître, les solutions existent et sont nombreuses : « La condition essentielle est de revenir à la valeur fondamentale de la médecine qui est le résultat clinique obtenu par les soins prodigués au malade. Cela oblige à passer du volume d’activité au résultat, du quantitatif au qualitatif, des procédures au résultat, car, contrairement au monde industriel, les études portant sur la santé ont montré l’absence de corrélation entre procédures et résultat. Cela légitime de passer d’une vision managériale à une vision médicale.« [6]. Il faudra au demeurant retrouver une société où la prise de décision soit réellement orientée vers le bien commun. Et pour que vive la France, vive le Roi !
Références
- [1] A. Bergonzoni, B. Boisguérin, N. Boussaïd, H. Chaput, A. Dahmouh, A. Delaporte, G. Gateaud, C. Legris, S. Morin, A. Pla, et al. Les établissements de santé : édition 2019. Technical report, Drees, 2019.
- [2] P.-L. Bras. L’ondam et la situation des hôpitaux publics depuis 2009. Les Tribunes de la sante, (1) :109–117, 2019.
- [3] C. des Comptes. La dette des établissements publics de santé. shorturl.at/yBIUV, 2014. (Accessed on 04/26/2020).
- [4] B. Dormont and H. Huber. Vieillissement de la population et croissance des dépenses de santé. 2012.
- [5] E. Y. Ingrid Lefevre-Hoang. État des lieux des pratiques de chirurgie ambulatoire en 2016. Technical report, Drees, 2019.
- [6] F. Michot, B. Launois, D. Bertrand, J. Bringer, L. Degos, J.-P. Olie, C. Thuillez, et al. Rapport 19-02. l’hopital public en crise : origines et propositions. Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, 203(3-4) :109–121, 2019.
- [7] OECD. Health at a glance 2019 : Oecd indicators. shorturl.at/dmqw2, 2019. (Accessed on 04/26/2020).
- [8] D. L. Pierre-Yves BOCQUET. Fusions et regroupements hospitaliers : quel bilan pour les 15 dernières années ? Technical report, Inspection générale des affaires sociales, 2012.
- [9] Sénat. Séance du 20 février 1997. shorturl.at/bimu3, 1997. (Accessed on 04/26/2020).
Source : https://urbvm.fr/