Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La mondialisation, stade suprême de l'expansion du capitalisme (texte de 2014) 2/4

Les règles de conduite du capitalisme financier

Mais il ne faut pas se tromper sur le sens de cette évolution. Les mesures de dérégulation et de libéralisation financière des années 1970 et 1980 correspondent aussi à une époque où l'érosion des taux de rentabilité du capital a ouvert une crise structurelle du capitalisme, que celui-ci ne pouvait surmonter qu'en remettant en cause les acquis sociaux au sein des pays développés et en intégrant les pays tiers dans une nouvelle division internationale du travail. L'avènement du capitalisme financier coïncide avec le moment historique où, à partir des niveaux de productivité et de rentabilité irréversibles qu'il a lui-même engendrés, il ne lui était plus possible de procéder en termes d'économie réelle à l'expansion de la valorisation du travail vivant, d'où une suraccumulation structurelle du capital mondial qui se traduit notamment par un chômage structurel de masse, la fermeture de nombreux sites industriels et la fuite du capital-argent dans des bulles financières. La mondialisation, de ce point de vue, n'est rien d'autre que la réorganisation planétaire des processus productifs de la valeur et des processus de distribution de celle-ci pour sortir d'une crise structurelle de rendements marginaux décroissants.

Le capitalisme financier n'a pas seulement surclassé le capitalisme industriel, il lui a aussi dicté de nouvelles règles de conduite, notamment en imposant la formation de « firmes-réseaux ». Les entreprises transnationales sont en effet les principaux agents et les premiers bénéficiaires de l'intégration des marchés. Pour la plupart originaires de la Triade (les États-Unis, le Japon et les pays européens), elles sont aujourd'hui parties prenantes aux deux tiers des échanges internationaux de biens et services. Ce sont elles qui localisent leurs activités en fonction des avantages comparatifs de chaque pays et qui opèrent entre elles des alliances ou des fusions pour mieux maîtriser leurs marchés commerciaux et offrir aux marchés financiers, dont elles dépendent pour leur valeur boursière et leur financement hors fonds propres et emprunts, les rendements financiers qu'ils attendent. Aujourd'hui, on dénombre plus de 50 000 de ces firmes « globales » qui réalisent à elles seules plus du tiers des exportations mondiales. Les 500 plus grandes contrôlent plus de 70 % du commerce mondial et 80 % des investissements étrangers dans le monde. 51 % des plus grandes entités économiques mondiales sont des firmes transnationales. Dans la grande distribution, la plus importante est Wal-Mart, avec 2,1 millions d'employés et 469 milliards de dollars de revenus annuels (l'équivalent du PNB de la Suisse). Aujourd'hui, un salarié français sur deux (64 % des salariés de l'industrie) travaille pour le compte d'une multinationale...

La pulsion fondatrice du système

Qui sont les grands perdants de la mondialisation ? Ce sont évidemment les gouvernements et les États. La question reste ouverte, cependant, de savoir si c'est la mondialisation qui a entraîné l'affaiblissement des États, ou si c'est l'affaiblissement des États (et la désintégration des croyances collectives qui structuraient auparavant le corps social) qui a permis la mondialisation. Il y a de bonnes raisons d'adhérer à la seconde hypothèse. Quoi qu'il en soit, le résultat final n'est pas douteux. Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, l'espace international se structurait encore en États-nations indépendants. Ces États nationaux constituaient le cadre de gestion politique et sociale des entreprises capitalistes, et la polarisation centre-périphérie relevait encore d'un contraste presque absolu. Aujourd'hui, l'interpénétration des capitaux à l'échelle de l'ensemble du monde a fait éclater les systèmes productifs nationaux et amorcé leur recomposition comme segments d'un système mondialisé qui n'est plus « centré » que sur lui-même.

Comme l'avait bien vu Marx, la pulsion fondatrice du système capitaliste étant d'accroître de façon continue la productivité, d'accumuler toujours plus de capital, de transformer les sociétés en systèmes marchands, tout ce qui fait obstacle à l'expansion du marché, à commencer par les frontières nationales, doit être supprimé. C'est ce que réalise la mondialisation.

Il y a encore un demi-siècle, la souveraineté politique des États reposait sur trois piliers, la souveraineté économique, militaire et culturelle. Ces piliers se sont aujourd'hui effondrés. La mondialisation ayant redéfini la frontière entre le secteur marchand et le secteur non marchand au bénéfice du premier, les États ne peuvent ni contrôler ni réguler le fonctionnement des marchés qui créent et échangent les outils de crédit à l'échelle de la planète, pas plus qu'ils ne peuvent enrayer la montée en puissance d'une nouvelle classe transnationale qui s'affirme au détriment des laissés-pour-compte et des exclus(8). Leur marge de manœuvre est sapée par les innovations technologiques intervenues dans le domaine des transactions financières et par la mobilité quasi-instantanée des capitaux. Ils savent en outre que des mesures allant à contre-courant provoqueraient la fuite des investisseurs, qui se transporteraient immédiatement sous des cieux plus favorables, les soumettant ainsi à une pression économique et financière insupportable qui rendrait encore plus difficile la gestion de leur dette publique. Les frontières, en d'autres termes, n'arrêtent quasiment plus rien. La maîtrise des flux (financiers et informationnels) compte désormais plus que celle de l'espace géographique, la souplesse des transactions et des échanges supposant à la rigidité des cadres traditionnels de gouvernement. L'impuissance croissante des États marque donc la fin du système westphalien, qui faisait résider l'autorité politique dans le pouvoir étatique en lui attribuant le monopole de la violence légitime à l'intérieur de ses frontières. La forme territoriale de conquête et de domination est devenue obsolète.

L’État, simple exécutant de la gestion répressive de la crise

On constate en même temps que l'ingérence dans les affaires intérieures des États tend à se généraliser sous des prétextes avancés en référence à l'idéologie des droits de l'homme (« opérations de police internationale », « interventions humanitaires », etc.), et que la dépendance des États par rapport aux instances ou juridictions supranationales ne cesse de s'accentuer.

À suivre

Les commentaires sont fermés.