Le gouvernement l’a dit, les médias le répètent : le projet de loi contre « les séparatismes », « confortant les principes républicains », vise à lutter contre « l’islamisme radical ».
On sait déjà, à la simple lecture de cette phrase, que c’est plié, raté, voué à l’échec. D’abord parce qu’elle suppose qu’il existe un islamisme non radical. Intéressant. Sachant que le Larousse définit l’islamisme comme « un courant politique de l’islam faisant de la charia la source unique du droit et du fonctionnement de la société dans l’objectif d’instaurer un État musulman régi par les religieux », on est curieux de savoir à quoi peut bien ressembler cet islamisme modéré, qui veut installer la charia dans notre pays, mais doucement, à dose filée et à petites gorgées, et s’il est bien raisonnable de ne pas lutter aussi contre lui…
Ensuite, parce que si le cœur du sujet est l’islamisme, pourquoi l’appeler autrement ?
Si les islamistes n’étaient que « séparatistes », ce ne serait pas très grave. On pourrait même convenir de leur ficher une paix royale. Après tout, chacun est encore libre de ne pas vivre collé-serré avec son voisin – ce serait le comble de le contester en cette période de « distanciation sociale ». La vérité est que le vivre ensemble est, au contraire, au centre de leur combat… mais le vivre ensemble comme eux. Si le sujet n’était que « le renforcement des principes républicains », ce ne serait pas un drame, attendu que personne ne sait de quoi il s’agit. On connaît à la rigueur les symboles républicains, en France, tous ne sont pas riants, il en est même un, sanglant sur un pic, que semblent s’être appropriés assez vite les islamistes, et ce n’est pas forcément une bonne nouvelle. Tout ce qui est estampillé républicain n’est pas gage de vertu. Les libertés sont-elles mieux traitées au Pakistan républicain qu’en Angleterre monarchiste ?
Pour ne pas faire de peine aux islamistes, pour ne pas s’attirer les foudres de ceux qui les soutiennent, les redoutent ou les courtisent, on tourne autour par des circonlocutions larges et floues. On prétend les cibler sans les désigner, au risque d’englober tout et n’importe quoi.
Ainsi deux députés, Aurore Bergé et Jean-Baptiste Moreau, ont-ils imaginé (sans succès, d’ailleurs : il a été déclaré irrecevable) un amendement visant à interdire le port, par des mineurs, de « signes ou tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse ». Jean-Baptiste Moreau a obligeamment précisé que « cela s’appliquerait aux kippas, à des croix très visibles (sic), il n’y a pas de raison de faire de distinction ».
Bien sûr que si, il y a une raison : l’objet de cette loi, pardi ! Quel rapport entre « les kippas et les croix très visibles » et l’islamisme ? Connaît-on un seul salafiste ayant fait d’une kippa ou d’une croix son étendard ?
Dans l’émission « Dimanche en politique », sur France 3, le député communiste du Nord Fabien Roussel a annoncé déposer un amendement « pour l’interdiction des écoles hors contrat car on sait pas ce qu’il se passe derrière les murs de ces établissements », évoquant des enseignements « en langue étrangère », « et même des écoles où il n’y a que des garçons ou que des filles, ça c’est honteux ! » En quoi interdire à un enseignant américain de parler sa langue maternelle dans une école Montessori, fermer une école juive ou catholique non mixte réglera-t-il, même un petit peu, le problème de l’islamisme dans ce pays ? Qu’y a-t-il de « honteux » dans ces établissements ?
La vérité est qu’on aura dressé, in fine, tout un inventaire à la Prévert d’interdictions, l’école à la maison, l’écoles hors contrat, la croix autour du cou, la kippa sur la tête, le latin à la messe… piétinant allègrement les libertés d’un tas de braves gens n’ayant rien demandé et n’embêtant personne sans faire reculer l’islamisme d’un pouce, faute d’avoir eu le courage de circonscrire le problème en le nommant. C’est écrit, et c’est déjà en marche.