Fermer, ou pas, les écoles ? La polémique fait rage. Jean-Michel Blanquer résiste à la pression. Mais en Seine-Saint-Denis, la situation serait très critique : dans un lycée à Drancy, on dénombrerait même pas moins de 20 parents d’élèves morts du Covid-19. C’est, en tout cas, ce que titraient de très nombreux médias, lundi matin, la nouvelle dramatique s’étant répandue comme traînée de poudre : « Seine-Saint-Denis : 20 parents d’élèves d’un même lycée sont morts du Covid-19 » (Paris Match), « Coronavirus à Drancy : au lycée Eugène-Delacroix où 20 parents d’élèves sont décédés et 22 classes seront fermées dès lundi » (20 Minutes), « Le cas hors normes du lycée de Drancy, où le Covid-19 a tué 20 parents d’élèves, la fermeture demandée » (La Dépêche), etc.
Un variant séquano-dionysien affreusement meurtrier aurait-il fait soudain son apparition, proliférant hors des écrans radar de tous les épidémiologistes ? 1 % des 2.000 adolescents qui fréquentent l’établissement auraient perdu leur père ou leur mère, des adultes pourtant sans doute pour la plupart à peine quadragénaires ? Sauve qui peut ! Il y a, en effet, de quoi se claquemurer chez soi.
Sauf que la vérité est un peu différente : d’abord parce que, contrairement à ce que laissent supposer les titres lapidaires, il ne s’agit pas du bilan de ces derniers jours mais de celui de l’épidémie depuis l’an dernier. Et ce ne sont pas 20 « parents d’élèves » stricto sensu, comme on le lit dans la lettre ouverte des enseignants – soutenue par le syndicat SNES-FSU, relayée par les ténors de La France insoumise, puis par quasiment toute la presse réunie -, mais de parents au sens large, très large… ce qui, même sans remonter jusqu’à Adam et Ève, peut emmener loin. « Au total, vingt parents ou proches d’élèves sont décédés depuis le début de la pandémie et le premier confinement », précise l’organe de fact-checking de Libération, qui avait aussi relayé l’information sans précaution. Une imprécision curieuse, venant du corps professoral, car quand celui-ci fait une réunion de « parents d’élèves », il n’y a pas l’ombre d’un doute : n’est pas conviée toute la parentèle à la mode de Bretagne.
« Comment, et par qui, ce décompte a-t-il été fait ? », s’interroge encore « CheckNews ». « Le rectorat de Créteil et le lycée, qui semble donc être à l’origine du chiffre, se renvoient la balle. Sollicité ce lundi, l’établissement ne souhaite pas s’exprimer auprès des journalistes, nous redirigeant vers le rectorat. Ce dernier nous invite à voir avec le lycée, ne disposant pas lui-même d’informations. « Nous ne sommes pas en mesure de confirmer ou d’infirmer. Nous ne faisons pas de constat officiel de parents d’élèves décédés. »
Sans doute peut-on comprendre, eu égard au quotidien des professeurs en général et de ceux de Seine-Saint-Denis en particulier, qu’ils soient tentés par tous moyens de jeter l’éponge. Bien sûr, comme le répète notre confrère Nicolas Gauthier, qui le tient lui-même de feu son premier patron de presse, « on ne fait pas le tapin avec un col roulé » : un titre frileux n’est pas racoleur. Mais a-t-il le droit de semer la terreur ?
Curieusement, Facebook et Twitter, si prompts à griser, barrer d’une mise en garde les titres rassuristes « ambigus » ou « partiellement faux », selon la formule consacrée, font preuve d’une infinie mansuétude envers les contenus alarmistes biaisés qui, sauf erreur de ma part, n’ont pas été invisibilisés. Peut-être parce que, pour des raisons qui seront un jour analysées, cette crise sanitaire qui devrait être transpartisane fait l’objet d’une lecture politique… d’ailleurs paradoxale : sécuritaire à gauche, permissive à droite.
Sans minimiser la gravité de ce virus, il serait souhaitable de ne pas faire des écoliers un enjeu de l’hystérie ambiante. Protéger nos personnes âgées est un devoir, préserver la santé mentale nos enfants aussi.
Gabrielle Cluzel