Ce week-end, les Français avaient des aigreurs d’estomac. Des remontées acides de déjeuners et dîners clandestins alors qu’il leur avait fallu renoncer au barbecue avec la tante Adèle et au petit verre de rosé sur la plage des Flots bleus.
Les Français voudraient bien faire la fête, hélas, ne l’oublions pas : nous sommes en guerre… Et fidèle à la tradition, le marché noir s’organise. Toutefois, la difficulté, aujourd’hui, n’est pas de trouver du cochon ni de lui faire traverser Paris de la rue Poliveau à la rue Lepic, c’est de le cuisiner et de pouvoir le manger entre amis.
D’aucuns (c’est de bonne guerre) ont ouvert leurs salles au nez et à la barbe de la Kommandantur. Heureusement, les commissaires politiques de Mediapart et de M6 étaient là, planqués sous la nappe, pour dénoncer devant la France en mal de terrasses les puissants qui se gobergent.
La semaine passée a été tout entière occupée des soupers royaux au palais Vivienne. Le marquis de Chalençon à la perruque poudrée a eu beau démentir, le ministre Darmanin n’a rien voulu entendre : cinq heures de garde à vue en attendant les conclusions d’une enquête qui pourrait lui coûter cher. C’est qu’on ne joue pas comme ça avec la jalousie du petit peuple : se taper un couscous dans un clandé du XIXe arrondissement, oui ; des ortolans sous les ors et les lambris du Grand Siècle, non.
Comme toujours aussi, il y a les collabos du régime pour traquer les déviants. Des Robespierre et des Fouquier-Tinville aux yeux chafouins et à l’épaisse moustache, furieux sans doute de ne plus pouvoir se taper la cloche aux dîners du Siècle, dans les salons de l’hôtel Crillon. Grâce à eux, fouille-miettes, la place de la Concorde pourrait bien voir renaître l’échafaud.
Les sieurs Hortefeux, ex-ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy, et Alain Duhamel, chroniqueur à vie de la chose politique, ont ainsi dîné en tête à tête « dans un appartement privé du VIIIe arrondissement parisien, transformé en restaurant clandestin et tenu par le chef Christophe Leroy », a-t-on appris samedi. Mediapart était sous la table. C’était à l’insu de leur plein gré. « Je croyais que ce serait soit chez lui, soit chez un de ses amis, et puis je suis monté dans ce truc-là. […] Et puis je me suis aperçu qu’il y avait des gens qui déjeunaient. On m’a emmené tout de suite dans une petite salle à manger au fond, où nous étions trois », a confié Alain Duhamel à la presse.
Même stupeur chez Brice Hortefeux, à qui un ami de confiance avait donné l’adresse : « Cette personne me dit : il y a beaucoup de monde qui passe, des entreprises, des élus… Quand vous savez cela, vous vous dites que vous êtes dans les clous. » « Si ça n’est pas légal, j’ai été abusé », a dit l’ancien ministre de l’Intérieur sur France Info.
Mediapart n’ayant pas révélé le nom du troisième convive, on se demande qui cela peut être…
Confidence : j’irais volontiers au restaurant, moi aussi, comme des millions de Français sans doute. D’ailleurs, ils sont de plus en plus nombreux à s’y rendre. Au péril de leur porte-monnaie pour l’instant. M. Darmanin se félicite, en effet, d’avoir mis la pression sur les contrôles : depuis fin octobre, « 7.345 restaurants ont été contrôlés […] 300 contraventions pour ouverture irrégulière ont été dressées » et « 1.000 clients de restaurants ayant ouvert de manière illégale » ont été verbalisés. Rien que de dangereux terroristes à punir : 135 euros par convive et jusqu’à un an de prison et 15.000 € d’amende pour « mise en danger de la vie d’autrui ».
Mais dormez tranquilles, bonnes gens, « la traque aux clients et restaurants clandestins s’intensifie ». L’État sanitaro-policier veille sur vous. Vive la République et vive la France !