C’est bien connu : il y a ceux qui jouent du piano et ceux qui les déménagent. On sait, désormais, à quelle profession appartient Valérie Pécresse, qui a écrasé de son score Anne Hidalgo dans la catégorie des moins de 5 % à l’élection présidentielle. Pendant que la présidente de la région Île-de-France s’échinait à faire campagne au nom des « valeurs de la droite et du centre », qu’elle tentait de ranimer la flamme de l’ancien volcan (« Il est temps d’avoir une gaulliste à l’Élysée », clamait-elle en février, en nous apprenant, du coup, qu’elle était gaulliste), le virtuose de la droite Kärcher™ des années 2000 était enfermé dans sa tour d’ivoire médiatique. La statue du commandeur resta de marbre face au naufrage qui se pointait à l’horizon pour celle qui avait été son ministre et, tout comme lui, issue de cette belle et grande « famille politique » des LR, comme ils disent.
De marbre, pas tant que ça. Car Nicolas Sarkozy s’est bougé, pendant cette campagne. Ainsi, Le Monde du 13 avril nous apprend qu’il était dans la voiture du Président sortant, le 20 mars dernier, à l’occasion de la commémoration des attentats de Merah à Toulouse, qu’il avait fait le voyage en avion avec son successeur. À ce niveau, on n’imagine pas qu’ils se soient contentés d’échanger des banalités sur la météo ou la cravate de traviole de François Hollande. En janvier, toujours selon Le Monde, Emmanuel Macron avait invité au Palais Nicolas Sarkozy à l’occasion de son anniversaire. Le locataire actuel de l’Élysée avait même poussé la délicatesse jusqu’à offrir les chocolats préférés au retraité de la vie politique française. On ne poussera pas la mesquinerie en nous demandant si la facture du chocolatier a été mise sur le compte de campagne du candidat ou sur celui des réceptions du Président, mais avouez que c’est un signe !
Un signe de quoi ? Que l’appel, lancé le 12 avril par Nicolas Sarkozy à voter Emmanuel Macron au second tour, ne s’inscrit pas dans la banalité, désormais traditionnelle, « à faire barrage à l’extrême droite ». Un grand fauve de la politique comme Sarkozy ne rejoint pas le vulgaire monôme des « intellectuels », artistes et autres politiciens de seconde zone attachés par-dessus tout aux « valeurs de la République ». Non. Nicolas Sarkozy est déjà dans l’après. L’après-24 avril. Car lui savait depuis longtemps que les LR étaient morts. C’est comme dans la vraie vie : tout le monde sait qu’on va mourir mais personne ne veut le croire. C’est comme dans les comédies de boulevard : tout le monde sait que Machin est cocu, sauf Machin. Alors Sarkozy, qui n’est pas spécialement sensible à l’esthétique du suicide collectif, façon « secte du Temple solaire », ne sera pas du dernier carré. Il n’attendra pas les huissiers au pas de la porte du parti. Christian Jacob, qui a l'esprit boutique, fera ça très bien.
Que Nicolas Sarkozy aspire ou pas à revenir un jour au pouvoir (il n’a jamais que 67 ans), ce n’est pas le sujet. Non, ce qu’il veut sans doute plus que tout, c’est être une sorte de faiseur de rois qu’il n’a jamais été, finalement, vu l’état de sa « famille politique » depuis son échec de 2017 à la primaire de la droite et du centre. Être du côté de la France qui gagne, puisque c'est comme ça qu'on dit. Faiseur de rois ou, tout du moins, de barons, n’est-ce pas ce qu’il est lorsqu’on apprend, toujours par Le Monde, que l’ancien Président aurait confié récemment à un élu LR qu’il avait posé ses conditions à Macron, qu’il veut choisir le Premier ministre et un groupe de cinquante députés. Sur France 2, Emmanuel Macron, mardi soir, a démenti : il n’y a pas d’accord. On verra bien…
Et Emmanuel Macron de dissiper définitivement les illusions de ceux qui, à droite, pensaient encore naïvement que Sarkozy était gaulliste et, donc, attaché à la souveraineté de la France : « Je me félicite du soutien de Nicolas Sarkozy qui a été très clair et qui a marqué un soutien d’adhésion en se reconnaissant dans ce que je porte dans l’Europe… » Dernier clou sur le cercueil. Mais la vie est faite d’espérance. La preuve ? Ce tweet d’un ancien ministre de Sarkozy : « Je souhaite que tous ceux qui ont clairement appelé à voter Emmanuel Macron puissent participer à la conduite des affaires de notre pays pendant les cinq prochaines années. » Vous l’avez reconnu : Christian Estrosi.
La « droite républicaine » est désormais partagée en deux : ceux qui mendient un maroquin et ceux qui font la manche pour boucler leurs comptes de campagne. La vie est cruelle, Sarkozy le sait.