Jusqu'au jour où vint le vilain mois de juin 2022. Des incongrus, des ingrats, des qui n’ont rien compris à tout ce qu’avait fait de bien pour eux Emmanuel Macron, son gouvernement et, plus largement, la Macronie eurent l’idée saugrenue d’élire une Assemblée nationale d’un nouveau genre. Une Assemblée représentant pour une fois, grosso modo, l’ensemble des sensibilités politiques du pays. Et là, effectivement, ils découvrirent qu’il est compliqué d’être et d’avoir été. Être minoritaire à l’Assemblée, du jour au lendemain, alors qu’on avait une majorité écrasante, faut reconnaître que ça doit sérieusement piquer aux yeux. On ne change pas de logiciel comme ça. C’est la tragédie que vivent Emmanuel Macron et consorts. C’est pourquoi le fameux 49-3 était inéluctable. On savait qu’ils appuieraient sur la queue de détente du fusil. Restait plus qu’à choisir le bon moment.
Mais, au fait, l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, c’est quoi, au juste ? « Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l'alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. » Une arme constitutionnelle dans les mains de l’exécutif qui n’a son pareil nulle part ailleurs dans les autres grandes démocraties. La semaine dernière, le Conseil des ministres a armé son fusil en délibérant, comme le prévoit la Constitution. Il ne restait donc plus qu’à tirer le moment venu.
Le moment est venu. Élisabeth Borne, ce mercredi après-midi, a engagé la responsabilité de son gouvernement au titre de l’article 49-3 pour faire passer le projet de loi de finances 2023, partie recettes. Elle joue relativement (tout devient relatif, depuis que la majorité l’est !) sur du velours. En effet, les oppositions ont 24 heures pour déposer une motion de censure afin de faire tomber le gouvernement. La NUPES l'a fait immédiatement et le RN devrait probablement suivre. Partant dispersées et sans le soutien des LR, ces motions seront rejetées, le gouvernement ne sera pas renversé et le budget sera voté. Tout ça, c’est du cinéma, me direz-vous ? Oui, mais non. Car désormais, les choses auront au moins le mérite d’être claires. Ce gouvernement ne tient que par la force des institutions transmises en héritage par de Gaulle et son légiste Michel Debré. Il faut bien que la nation ait un budget pour 2023 parce qu’on ne peut pas faire autrement, que l’entreprise France doit bien continuer à tourner, vaille que vaille, que les factures, les pensions et les traitements soient versés, etc. Mais si l’acceptabilité de l’impôt repose sur son libre consentement par les contribuables, que dire du budget d’une nation voté par moins de 50 % des députés dans un pays profondément marqué par la notion de majorité absolue ?
Si l’on ajoute à cela un contexte social plus que tendu qui semble installer une distorsion durable entre ce que certains appellent le pays réel et le pays légal, on voit mal comment Emmanuel Macron pourra longtemps faire croire qu’il a été réélu sur son programme et qu'il peut faire ce qu'il veut.
Georges Michel