Le bénévolat de McKinsey
Cinq mois d’enquête et les perquisitions s’enchaînent. Le 22 mars dernier, la police a perquisitionné le domicile de Clarisse Magnin-Mallez, directrice associée senior et directrice générale de McKinsey France, et celui d’un ancien collaborateur du chef de l’État. Après les révélations du rapport sénatorial de mars 2022 sur l’influence croissante des cabinets de conseil sur les politiques publiques, la justice cherche à savoir si des consultants de McKinsey n’auraient pas fourni gratuitement des prestations qui auraient en réalité dû être comptabilisées dans les comptes de campagnes d’En Marche. Les enquêteurs vérifient également si en échange de ce « bénévolat », le cabinet n’aurait pas par la suite bénéficié d’un certain favoritisme de la part du gouvernement dans l’attribution des marchés publics.
Il faut dire que les liens entre McKinsey et les campagnes d’Emmanuel Macron sont étroits, sinon troubles. Dès 2016, d’après un témoignage recueilli par Radio France, une dizaine de consultants viennent grossir les équipes du candidat. « On essayait d’avoir le moins d’interactions possible avec eux, explique à nos confrères un ancien conseiller du Président. Mais certains étaient très intrusifs ». Ces nouveaux arrivants « brillants », « au cerveau ultrarapide », sont vite préférés par le candidat Macron et réalisent alors diverses prestations. Karim Tadjeddine, alors directeur associé senior de McKinsey, aidé de deux autres consultants, participe ainsi au lancement de la plateforme Au service de tous qui se voulait être un site de recueil des doléances des citoyens. Son collègue, Guillaume de Ranieri, directeur associé du cabinet en charge du secteur aérospatial et défense, produit, de son côté, une note « Projet défense et sécurité », pour les équipes du candidat. Toutes ces prestations qui auraient pu être facturées plusieurs dizaines de milliers d’euros ont été réalisées à titre individuel et bénévole.
Une zone grise
Mais c’est là que le bât blesse. Où est la frontière entre une prestation professionnelle de conseil et un travail bénévole individuel ? Devant les sénateurs, en mars 2022, Karim Tadjeddine est formel : McKinsey « ne sert pas les partis ou les personnalités publiques ; ses statuts l’interdisent » (page 164 du rapport). Cependant, à y regarder de plus près, la réalité semble plus difficile à décrypter. La note produite par Guillaume de Ranieri, par exemple, a demandé un important investissement : diagnostic de « la Grande Marche », benchmark des positions des autres candidats, positionnement d'Emmanuel Macron, premiers éléments d’orientation… Le résultat final s’apparente en tous points à un « livrable » digne d’un cabinet de conseil. Une analyse partagée par une ancienne consultante interrogée par Radio France pour qui cette note adopte « vraiment la charte graphique de McKinsey et leur genre de typographie ». Or le code électoral interdit formellement aux entreprises de participer à une campagne électorale.
À cela s’ajoute la question des horaires. Si certains assurent avoir travaillé pour Emmanuel Macron seulement pendant leur temps libre (soirée et week-ends), d’autres témoignages indiquent que des consultants auraient également participé à des réunions « en journée ». Et, il y a enfin la question des adresses mails professionnelles utilisées par certains membres de McKinsey. Une « erreur » concède Karim Tadjeddine mais qui pourrait peser dans la balance lors de l’enquête. La justice devra ensuite déterminer s’il y a eu favoritisme et recel de favoritisme en faveur de McKinsey, dont certains consultants ont obtenu des postes au sein du parti présidentiel ou du gouvernement après l’élection d’Emmanuel Macron.
Clémence de Longraye
https://www.bvoltaire.fr/campagne-demmanuel-macron-mckinsey-la-main-dans-le-sac/