Il est entendu que la gauche a pris le pouvoir culturel. Elle brame toujours à qui veut l’entendre qu’elle combat le pouvoir tout en le détenant, lui conférant un statut de victime valorisant alors qu’elle écrase de sa férule toute voix dissidente. Contester, ne serait-ce qu’à la marge, son hégémonie idéologique, est un affront qu’elle ne peut souffrir. L’arrivée malencontreuse dans ses rayons de nouveautés sur lesquelles elle ne peut faire l’impasse – le dernier livre de Zemmour, l’admirable étude historique de Patrick Buisson sur la fin d’un monde rural, catholique, conservateur et patriarcal – représente une résurgence intolérable de la bête immonde qu’elle se doit de neutraliser. C’est ainsi que vous pouvez retrouver dans vos librairies ces titres directement rangés sous l’encart « Extrême droite », au cas où vos narines n’auraient pas flairé l’odeur du soufre. Le libraire s’arroge alors le droit, en sus de son rôle premier de distributeur, de s’introniser critique et vaillant soldat de la bien-pensance, entourant d’un cordon sanitaire les miasmes viraux d’une pensée arriérée et nauséabonde, selon une terminologie aussi usée qu’un sarouel de zadiste. Le dernier Zemmour sera placé avec une circonspection toute de rigueur professionnelle à côté de l’essai sur L’extrême droite littéraire de François Krug.
Au rayon Sciences humaines qui n’ont de scientifique que le lointain souvenir d’un structuralisme démodé, vous trouverez pléthore de titres féministes, toutes les galéjades marxistes et les études qui troublent ce fameux genre qui n’en demandait pas tant. Mais une question se pose : ces ouvrages ne font pas recette au point de rentrer dans la stricte logique commerciale du profit. Dès lors, qu’est-ce qui justifie ces zélateurs d’un prosélytisme postchrétien dans leur œuvre de domination sans partage des librairies ? La diffusion de la religion nihiliste, entreprise de saccage du bon sens et des valeurs traditionnelles, est à ce prix. Au fond, accordons-leur un certain désintéressement sur le plan comptable lorsqu’il s’agit de prêcher la bonne parole. La sainteté au service du Rien a de belles heures devant elle, tant que régnera ce patriarcat blanc qui oppresse la totalité du globe, et peut-être même au-delà – l’éclat des étoiles en pâlit probablement aux confins de l’espace.
Y a-t-il une nouveauté qui ne soit pas contaminée par le wokisme ?
Quelle force entropique dans cette obscène domination symbolique ! Parfois, flânant devant les étagères regroupant les ouvrages politiques, philosophiques ou consacrés à l’actualité, nous sommes pris par un maelstrom vertigineux de doute : la pensée de droite existe-t-elle ? Aurons-nous un jour le privilège d’être considérés comme des interlocuteurs doués de raison ou serons-nous à jamais des hérétiques à éliminer sournoisement ? Faut-il se teindre les cheveux en violet et opérer une transition pour avoir droit de cité ? La question est posée, le rendez-vous chez le chirurgien en suspens dans l’azur. Et voilà qu’un homme apparaît, armé du dernier livre d’Andreï Makine et qui apostrophe un libraire en ces termes : « Vous pourriez me conseiller un livre qui ne soit pas contaminé par les foutaises wokistes à la mode ? » Une lueur d’espoir. Et cet homme repartira avec un Léon Bloy et un Robert Penn Warren, soutenu par une canne sur laquelle ploie ses 90 printemps, témoin d’un monde qui s’en va mais qui n’a pas dit son dernier mot…