Madame, vous venez de publier un livre. À cette occasion, vous étiez récemment invitée dans la Matinale de France Inter et, par Yann Barthes, à l’émission “Quotidien” sur TMC/TF1.
Vous avez dit : “Des électeurs du Rassemblement national, tout le monde en connaît, c’est une personne sur trois.
Dire franchement, c’est autour de nous. Ça en effet, il faut aller les convaincre. Mais ça veut dire quoi ?” Et là vous rajoutez : “Ça veut dire aller parler aux agriculteurs, faire sortir l’écologie des beaux quartiers et, justement, aller parler dans les territoires ruraux, aller parler aux retraités qui votent majoritairement plus à l’extrême droite”.
Quel raccourci, Madame, quel raccourci ! Emprunté, de surcroît à une heure de grande écoute pour assurer la promotion d’un bouquin, avec cette affirmation qui consiste à nous assimiler, nous les ruraux, nous les agriculteurs, à des électeurs d’extrême droite. Le fait de promouvoir, y compris urbi et orbi devant le prisme des caméras, l’écologie radicale, ne vous autorise pas à nous désigner implicitement. Ni, de surcroît, à tout mélanger au nom de l’urgence climatique. Que vient faire ici, subitement, cette référence champêtre au Rassemblement national ? Où étaient les contradicteurs sur le plateau de Yann Barthes à ce moment-là ? Qui peut se défendre contre cette accusation, voire contre cette diffamation ? Désolé de l’exprimer ainsi, mais la stigmatisation du monde paysan et de la ruralité qui en prennent plein la gueule sur les plateaux télé a assez duré.
Dénoncer les pratiques agricoles et soutenir les mouvements activistes ne suffisaient pas, voilà que, bénéficiant de l’entre soi cathodique et radiophonique national, vous prêtez arbitrairement aux retraités et aux agriculteurs des obédiences politiques. Diplômée de Sciences Po, vous devriez pourtant savoir que, lors des élections présidentielles de 2022, près de 70 % des plus de 65 ans ont voté Macron face à Le Pen au second tour. Mais aussi que, selon un sondage Cevipof en partenariat avec Réussir Agra, l’actuel chef de l’État avoisinait, avant le premier tour, 30 % des intentions de vote chez les agriculteurs contre 10,8 % pour Le Pen et 10,9 % pour Zemmour…
Je lis dans Le Parisien du 19 mai 2023, qu’après avoir passé votre enfance dans une station de ski savoyarde, vous vivez de conférences, de vos livres et de cachets artistiques, que vous lisez des textes de Georges Sand au théâtre…
C’est bien et, pour tout vous dire, il m’arrive très rarement de croiser dans nos campagnes des gens pouvant revendiquer pareil modus vivendi. D’où peut être leur inculture politique et, de facto, la nécessité de vous transporter à leur chevet pour leur apprendre à bien penser.
Et pourtant, n’allez surtout pas croire que vous êtes suffisamment qualifiée pour nous dire comment nous devons exister et comment nous devons voter. Les pérégrinations environnementalistes de celles et ceux qui savent forcément ce qui est bien pour nous, qui parcourent la planète comme vous le faites si souvent pour dénoncer l’industrie minière ou la montée des océans, ne vous autorisent pas à juger celui qui n’a eu ni la chance, ni l’envie de franchir la proue de son champ. Celui là en sait d’ailleurs peut être plus que vous sur la course des nuages et sur le caprice des éléments. Avec cette différence près qu’il ne passe pas sa vie en représentation, qu’il n’a rien d’autre à vendre que ce que sa famille produit depuis plusieurs générations, qu’il se méfie depuis bien longtemps des marchands de raisonnement.
Alors de grâce, Madame Camille Étienne, à l’avenir, lorsque vous prêterez à nos agriculteurs et à nos ruraux, qu’ils soient retraités ou non, une quelconque opinion, pensez, au préalable, à recueillir leur autorisation. Cette correspondance a été diffusée sous forme de tribune dans le Journal Le Point
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