Ce 24 juin, l’ensemble de l’appareil politico-médiatique s’est enflammé concernant ce qui a semblé être une tentative d’insurrection contre Vladimir Poutine de la part d’Evgueni Prigojine, chef du groupe paramilitaire Wagner. Retour sur cette fièvre politico-médiatique avec ce texte de Pierre Boisguilbert.
La chute annoncée de Poutine face à Prigojine
Exaltation maximale dans les rédactions ! Poutine allait tomber, c’était le début de la fin, c’était sûr… Et c’est le patron de Wagner, Evgueni Prigojine, la créature qui allait être le héros de la chute du tsar Frankenstein.
La détestation de Poutine est si grande dans les chaînes de propagande ukrainienne en continue et en langue française que l’on a même un moment oublié qui était Prigojine.
Le délinquant devenu cuisinier de Poutine avant d être considéré comme coupable de crimes de guerre avec sa milice en Ukraine, mais aussi en Afrique, a été hâtivement adoubé par le camp du bien.
Entre Che Guevara et Garibaldi, on voyait l’homme qui recrute des criminels en prison arrêter la guerre et rétablir une sorte d’État de droit à Moscou. L’aveuglement médiatique est sans limite. Pour certains journalistes et commentateurs, le désir était immense de voir se réaliser le scénario qui leur plaisait tant. Le Joker devenu un grand démocrate allait libérer la planète du Dark Vador du Kremlin !
En fait, on a assisté à une nouvelle « journée des dupes » ou nos commentateurs – notamment nos vielles badernes militaires médiatiques – se sont vautrées dans leurs espérances transformées en certitudes.
La marche sur Moscou, comparée – sans rire – à la marche sur Rome de Mussolini, s’est arrêtée nette. Non seulement les mercenaires ont fait demi-tour mais Prigojine aurait pris la direction de la Biélorussie. Les forces de Wagner vont donc vraisemblablement finalement réintégrer l’armée russe, en tout cas sur le front ukrainien.
Prigojine aurait négocié sa survie (provisoire ?) et sans doute le droit de se refaire une santé en Afrique. Si son « puputch » a pu, un temps très court, être considéré comme une bonne affaire pour Kiev – qui a vite déchanté –, c’est de toute évidence sur un temps plus long une très mauvaise affaire pour l’influence de Paris en Afrique.
Poutine affaibli ?
Poutine a-t-il tremblé ? On ne peut l’exclure. Il était cependant ferme et peu inquiet dans son intervention au matin de la mutinerie. Est-il affaibli ? Sans doute, mais surtout dans les médias occidentaux qui annoncent sa mort et sa chute depuis plus d’un an.
Le défi de Prigojine ressemble un peu à un départ la tète haute, préparé à l’avance ou pas.
Prigogine a-t-il humilié Poutine ? On aimerait bien dans nos médias, mais rien n’est moins sûr. Ce qui est certain, c’est que, pour les bons démocrates, le remède risquait d’être pire que le mal et qu’ils ont fait, comme chaque fois, semblant de ne pas voir la réalité.
Chef de bande, sanguinaire, Evgueni Prigojine est d’abord un repris de justice. Dans les années 1990, il a écopé de neuf ans de prison pour escroquerie. Il a ensuite fait fortune dans la restauration. En 2001, dans son établissement de Saint-Pétersbourg, il a rencontré Vladimir Poutine, puis l’a suivi à Moscou. Il était alors surnommé le « cuisinier » du président. Dans l’ombre, au Kremlin, il aurait exécuté les plus basses œuvres du chef de l’État. Mais il n’a jamais été dans le premier cercle de Vladimir Poutine.
Evgueni Prigojine est ensuite sorti de l’ombre en prenant la tête de la milice Wagner. Alors que ses hommes étaient engagés dans la bataille de Bakhmout en Ukraine, il s’est mis en scène à plusieurs reprises devant des cadavres. Il a accusé le ministre de la Défense et le chef d’état-major du Kremlin de priver sa milice paramilitaire de munitions. Depuis plusieurs mois, Evgueni Prigojine cultive son image de rebelle et tente de renverser la hiérarchie militaire russe.
Il faudra attendre pour savoir s’il a réussi sur ce point mais, pour l’heure, Poutine est toujours au Kremlin et Prigogine, qui marchait sur la capitale, se retrouve à Minsk. Encore un accord de Minsk dont on sait ce qu’ils valent. Le seul vainqueur pour le moment c’est le président Loukachenko… lui aussi un grand démocrate.
Tribune reprise de Boulevard Voltaire