Depuis quelques jours, des centaines de policiers sont en arrêt maladie ou font le « service minimum » après qu’un membre de la Brigade anti-criminalité ait été placé en détention provisoire suite à des violences aggravées commises à l’encontre d’un jeune homme d’origine maghrébine le 1er juillet dernier, en marge des émeutes survenues à Marseille. Le service public normalement rendu par la police n’est donc plus entièrement assuré, ce qui n’est pas sans conséquence pour les usagers et contribuables qui n’en peuvent mais…
Un malaise de fond
Ce mouvement s’inscrit dans le cadre d’un malaise de la police qui ne date pas d’hier et qui s’aggrave même d’année en année du fait de l’impéritie des gouvernements de droite ou de gauche successifs.
Les sujets de mécontentement ne manquent pas car des causes internes à la grande maison s’ajoutent aux répercussions de choix politiques et culturels critiqués de longue date dans les chroniques de Polémia.
Citons en vrac la bureaucratisation des tâches conjuguée à une procédure judiciaire byzantine, le manque de moyens matériels et humains accordés aux services d’investigation (sécurité publique et police judiciaire, notamment), la réforme de la Police judiciaire qui portera atteinte à une défense efficace contre l’essor attendu de la criminalité organisée, le laxisme et l’idéologisation d’une partie de la magistrature adepte d’une « culture de l’excuse », les conséquences d’une immigration non régulée, la montée du chômage renforcée par les délocalisations industrielles, l’américanisation de notre société qui importe le pire des styles de vie venus d’Outre-atlantique, etc.
Nul ne contestera que les policiers, confrontés à ces dysfonctionnements, effectuent un travail difficile. Ils le savent – ou devraient le savoir – en rentrant dans la carrière. Comme les sapeurs-pompiers, quelques avantages particuliers leur sont accordés en compensation des multiples difficultés et contraintes qu’ils sont amenés à rencontrer, notamment une indemnité de sujétion spéciale et une bonification de cinq ans de service lors du départ à la retraite. Ils ne les auront certes pas volés !
Vous avez demandé la police…
Conformément à leur statut spécial, les policiers peuvent, sous certaines conditions, participer à des manifestations pour exprimer leur mécontentement, mais le droit de grève leur est interdit.
En effet, on imagine mal que des missions essentielles telles que la protection des biens et des personnes et le maintien de l’ordre public soient provisoirement suspendues.
Depuis quelques jours, c’est pourtant ce qui se passe, au moins partiellement, puisque, suite à un appel national du syndicat Unité SGP Police FO, un certain nombre de policiers ont « activé le code 562 » pour protester contre l’incarcération de leur collègue marseillais. Jusqu’à nouvel ordre, seules les missions considérées comme urgentes et essentielles seront assurées par les intéressés. Des membres des compagnies de CRS expriment également leur soutien via les réseaux sociaux.
Dans le même temps, les arrêts maladie se comptent par centaines, ce qui poserait évidemment un problème légal s’il s’agissait d’arrêts de complaisance.
En conséquence, l’accueil de plusieurs commissariats a été provisoirement fermé et des victimes n’ont pas pu déposer plainte ces derniers jours, ce qui donne le loisir à l’opposition de gauche de rappeler que le gouvernement avait su réquisitionner des grévistes dans les raffineries il y a quelques mois…
Une réponse gouvernementale et administrative équivoque
Sans surprise, Emmanuel Macron a répondu par du « en même temps » et ses collaborateurs ont emprunté la même ligne de conduite. Le Président se veut ainsi le garant des institutions tout en comprenant l’émotion des policiers et en soulignant que personne n’est au-dessus de lois.
De son côté, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, à qui l’on prête des ambitions présidentielles pour 2027, est resté durant quelques jours sur une prudente réserve, préférant déléguer à Frédéric Veaux, le Directeur général de la police nationale, le soin de se rendre à Marseille pour tenter de calmer les contestataires.
Le 23 juillet, ce dernier a tenu des propos polémiques en remettant en cause la décision de justice et en se déclarant favorable à un statut dérogatoire pour les forces de l’ordre (« Avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail. »), ce qui n’a pas manqué d’ulcérer les magistrats soucieux de la séparation des pouvoirs. Le Conseil supérieur de la magistrature a ainsi rappelé que la justice est « seule légitime pour décider du placement ou non en détention provisoire des personnes qui lui sont présentées ».
De fait, la Macronie marche sur des œufs à l’égard d’une institution policière qui a sauvegardé son pouvoir en réprimant sans état d’âme les diverses manifestations sociales survenues ces dernières années. En outre, après les récentes émeutes urbaines, les forces de l’ordre devront se mobiliser pour la prochaine coupe du monde de rugby et, surtout, pour les Jeux Olympiques de 2024.
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La loi et l’ordre doivent évidemment régner mais cela implique que les policiers, qui sont des auxiliaires de justice, soient eux-mêmes soumis à une stricte légalité juridique et administrative.
Il est ainsi particulièrement dommageable que la justice ne se soit toujours pas prononcée sur le cas de la trentaine de Gilets jaunes éborgnés par des tirs de lanceurs de balles de défense en 2018 et 2019. Selon le code pénal, les membres des forces de l’ordre à l’origine de ces faits sont pourtant passibles, sauf cas de légitime défense, de la cour criminelle (articles 222-9 et 10 : « violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente par une personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions, avec usage d’une arme »). Dans le livre Tir à vue (Éditions Via Romana), la jeune Fiorina Lignier fournit un témoignage poignant de son calvaire de mutilée et de son désarroi devant l’absence de réponse pénale.
Depuis l’avènement de la Macronie, la hiérarchie et les syndicats de police ne se sont jamais démarqués publiquement de ces graves dérives du maintien de l’ordre. Nous sommes loin du préfet de police Maurice Grimaud qui insistait, au plus fort des événements de mai 1968, pour que les forces de l’ordre restent maîtresses d’elles-mêmes et conscientes de leurs responsabilités !
Du point de vue politique et dans la perspective de la mise en place d’un contrôle social autoritaire qui devrait aller croissant à l’encontre des citoyens, le pouvoir néo-libéral a tout intérêt à cantonner la police dans un rôle de garde prétorienne, loin de sa vocation première souhaitée par la population de gardienne de la paix chargée de la protection des biens et des personnes…
Johan Hardoy 30/07/2023
Crédit photo : Domaine public
https://www.polemia.com/la-police-francaise-du-malaise-a-la-revolte/