Un ministre noir, "identifié comme un homme de gauche, engagé sur les questions de l'antiracisme, de la lutte contre les discriminations", détesté par l'extrême droite, ne peut pas avoir été un mauvais ministre !
Avec de telles dispositions, il serait même malséant d'oser la moindre critique à l'encontre de cette personnalité. Elle n'était tenue à rien d'autre que demeurer elle-même, accueillir les compliments du progressisme et du wokisme et exploiter à fond le statut de victime offert par les "méchantes" droite et extrême droite comme sur un plateau.
En tout cas c'est ce qui résulte du portrait stupéfiant de compréhension et de commisération que Le Monde - on me pardonnera d'abuser de la lecture de ce quotidien mais il est une mine, pour le pire souvent, sur beaucoup de sujets - a consacré à l'ancien ministre de l'Éducation nationale Pap Ndiaye, avec une sélection de propos de ce dernier.
Une nouvelle fois nous avons la confirmation que le président de la République, se posant volontiers en surplomb et en modèle, se révèle pourtant incapable de choisir avec lucidité et justesse certains ministres pourtant destinés à des missions capitales.
Inutile de revenir sur la désignation d'Eric Dupond-Moretti comme garde des Sceaux et sur les péripéties surprenantes de ses renouvellements à ce poste malgré sa future comparution devant la CJR. On s'aperçoit que ce pouvoir, à force de vouloir tenir pour rien les mises en examen de ministres, a accentué les effets négatifs de celles-ci, tant sur le plan politique que judiciaire.
Pap Ndiaye est le second exemple éclatant qui démontre qu'Emmanuel Macron est un très médiocre DRH, totalement indifférent à l'obligation de s'assurer de la meilleure coïncidence possible entre le professionnel choisi par pur décret présidentiel et la fonction prévue. Pap Ndiaye était aussi doué pour être ministre de l'Éducation nationale que Jean-Luc Mélenchon demain ministre de l'Intérieur ! Ni la raison ni l'intuition, en effet, ne validaient cette nomination que des propos antérieurs très problématiques de l'intéressé auraient d'ailleurs dû interdire.
L'essentiel de cette illustration sans nuance de Pap Ndiaye dans notre quotidien "de référence" tient à une tentative de démonstration, que je juge poussive, de la qualité intellectuelle de l'ancien ministre - contestée par personne - et donc de ce qu'aurait été forcément son excellent bilan. Ce qui est non seulement faux mais vérifié par le fait que nulle part il n'est fait état des réalisations dont il aurait fallu le créditer. Même pour ses inconditionnels, ce ministre n'a été qu'une promesse mais peu importe.
Puisqu'il est clair qu'étant de gauche, noir et initiateur de causes dites progressistes, il n'est même pas nécessaire d'évaluer ce qu'il a pu accomplir, qui est forcément estimable, dans la mesure où seul le racisme dont il aurait été victime expliquerait la très médiocre appréciation générale portée sur son action.
Il est symptomatique de relever qu'il a fallu mettre en avant l'unique soutien de Hervé Berville qui, pour être noir également, n'est pas considéré comme un foudre de guerre en tant que secrétaire d'Etat à la Mer.
Ce n'est pas seulement la droite et l'extrême droite qui ont eu l'inélégance démocratique de s'en prendre à un homme qu'on aurait dû par principe honorer et dont les moindres hésitations, approximations et faiblesses auraient mérité l'enthousiasme : les enseignants, leurs syndicats (leur inspiration est largement de gauche) n'ont pas été, me semble-t-il, touchés par la grâce de Pap Ndiaye. Ils ont ajouté leurs critiques et leur déception à celles de la plupart des parents, relativement hermétiques aux propos d'un ministre plus préoccupé par sa lutte permanente contre l'extrême droite qu'à l'amélioration concrète, modeste, pragmatique de l'immense champ de réforme qui lui avait pourtant été dévolu.
Avant même le moindre commencement d'action, telle une excuse dont le futur allait démontrer l'utilisation surabondante et choquante dans sa volonté d'éradication médiatique (CNews), l'hydre de l'extrême droite surgissait comme l'explication de tout et Pap Ndiaye n'était jamais mauvais mais seulement entravé par ceux qui s'acharnaient à mettre des bâtons pervers et malfaisants dans les roues d'un projet ministériel qui n'était pas plus clairement défini lors de son départ qu'à son arrivée.
Avec cette obsession totalement décalée par rapport au principal, voire à l'exclusif de sa mission, on aboutit à ce triste paradoxe que la "couleur de peau", la dénonciation constante d'un racisme plus opportun que réel, mettent davantage dans le débat public, à cause de ces pourfendeurs compulsifs et habiles, ces notions récusées alors qu'ils reprochent malicieusement à leurs adversaires politiques d'en user.
Ce "calvaire solitaire" qui aurait été le sien, dont le président a été le responsable initial, s'est trouvé aggravé par le fait que Pap Ndiaye n'avait aucune des qualités qu'un politique doit avoir - ce n'est pas forcément à charge - mais surtout par la haute opinion qu'il avait de lui-même et qui lui faisait considérer comme une offense personnelle la contestation de ses esquisses ministérielles. S'opposer au ministre c'était être raciste... Quelle commodité pour lui !
Qu'un Sacha Houlié, député Renaissance, vienne à son secours et déclare que "son départ est la chose la plus injuste de ce remaniement" est une preuve supplémentaire de la très faible adhésion politique et démocratique à la cause de ce ministre dont l'appréciation sur la vacuité de ses entreprises serait cinglante si elle n'avait pas été limitée par la peur d'être injustement stigmatisé...
Car il faut reconnaître que ce bouclier opportuniste a bien marché.
Quand Elisabeth Borne a expliqué à Pap Ndiaye qu'il devait partir, en euphémisant son constat, il paraît que le président de la République l'aurait laissé libre de choisir le poste qu'il désirait. C'est ainsi que quasiment le lendemain d'une sortie du gouvernement justifiée, quoi qu'on en dise, par sa faillite ministérielle, il est propulsé ambassadeur auprès du Conseil de l'Europe. Ce qui ajoute un second scandale (s'il est vrai qu'il n'est pas le premier à bénéficier d'une promotion, d'un honneur après un fiasco, il faut admettre qu'Emmanuel Macron, comme souvent, se livre à cette dérive de manière ostentatoire) à celui de quatorze mois perdus pour l'Éducation nationale.
Emmanuel Macron, qui, avec lui, avait fait un très mauvais choix, a vanté ensuite la mission exaltante de Gabriel Attal, chargé de prolonger "le formidable bilan" de Jean-Michel Blanquer réapparu dans l'estime présidentielle. Comme si la parenthèse de Pap Ndiaye était effacée. Mais trop tard. La France ne devrait pas être un champ d'expérimentations pour les aberrations présidentielles.
Pap Ndiaye traite de "politique" son successeur, comme si cette condition était un crime. Elle n'exclut pas l'intelligence. Quoi qu'on pense de Gabriel Attal et d'une ambition non dissimulée qui n'est pas rendue absurde grâce à son talent et à sa vision claire et de bon sens sur l'Éducation nationale, ses premières interventions ont montré le contraire de l'humanisme filandreux et orienté de Pap Ndiaye. Elles ont identifié l'essentiel et je n'ai pas le moindre doute que ce ministre ne se servira jamais des attaques abjectes sur sa vie intime pour justifier son éventuelle incurie.
Pap Ndiaye continue à déplorer et à se plaindre. Pourtant il devrait vraiment se faire discret.
Parce qu'en le nommant ministre puis en le récompensant ensuite, la République a été bonne fille avec lui.
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