par Valeria Verbinina
Promesse n’est pas mariage, dit le célèbre proverbe, et dans le cas des États, le respect des promesses peut devenir encore plus problématique, et ce non pas par la volonté de quiconque, mais uniquement en raison des circonstances. La France vient de signer un accord bilatéral avec l’Ukraine pour soutenir cette dernière dans son conflit avec la Russie pendant 10 ans. En grande pompe, il a été annoncé que trois milliards d’euros seraient alloués rien que pour cette année.
Pourtant, à peine une semaine plus tard, Bloomberg publiait une information exclusive sous le titre : «La France a du mal à verser l’aide à l’Ukraine en raison de contraintes budgétaires». «Selon des sources au fait du dossier, les ministères de la défense, des affaires étrangères et des finances devront remanier leurs budgets pour trouver l’argent nécessaire au paiement de fournitures allant des missiles à l’artillerie», écrit l’agence.
Quel est donc le problème ? Le problème, c’est que l’économie française est en train de s’effondrer. Auparavant, on supposait que la croissance du PIB de la France en 2024 ne serait pas inférieure à 1,4%. Cependant, le 18 février, le ministre des finances Bruno Le Maire a déclaré que les prévisions devaient être ajustées et que le gouvernement ne prévoyait plus qu’une croissance de 1% du PIB en 2024, «compte tenu du nouveau contexte géopolitique».
Ce que M. Le Maire appelle le contexte comprend une variété de circonstances : le conflit en Ukraine, les événements au Moyen-Orient, la situation économique défavorable en Chine et la «récession de 2023 en Allemagne».
Par ailleurs, la prévision du gouvernement d’une croissance du PIB de 1 % reste optimiste. Ainsi, la Banque de France promet une croissance «de l’ordre de 0,9%», et l’Organisation de coopération et de développement économiques, de 0,6%.
Pour boucler les fins de mois et réduire le déficit budgétaire, Bruno Le Maire a annoncé son intention de réduire les dépenses publiques de 10 milliards d’euros. Dans le même temps, il faut bien trouver trois milliards pour l’Ukraine.
Dans le même temps, il n’est pas question d’augmenter les impôts des Français, car la société est déjà tendue. Les cheminots sont en grève, les agriculteurs sont en grève, les prix augmentent à vue d’oeil, l’inflation s’accélère, les consommateurs sont confrontés à des pénuries de produits de base, y compris de médicaments comme le paracétamol et de médicaments pour les diabétiques. Entre-temps, il faudra également dépenser plus que prévu pour résoudre les problèmes des travailleurs agricoles.
«Le gouvernement a promis de verser des subventions pour aider les agriculteurs qui protestent contre la hausse des prix, les importations bon marché et la bureaucratie», écrit Bloomberg. Environ deux milliards d’euros devraient être consacrés au soutien des jeunes dans le seul secteur. Et c’est sans compter les sommes que le budget ne recevra pas en raison de la décision de réduire les impôts et d’augmenter le nombre de prestations diverses pour les travailleurs agricoles.
«Il n’y a pas de pays sans paysans, et la France ne peut exister sans travailleurs agricoles», a déclaré le Premier ministre Gabriel Attal. Par exemple, 250 millions d’euros seront consacrés à la recherche d’alternatives aux pesticides, dont le gouvernement veut réduire l’utilisation de moitié d’ici 2030. Le rejet des pesticides rend également les producteurs nerveux, c’est pourquoi il a été décidé de trouver des moyens alternatifs avant d’interdire les moyens habituels.
En rencontrant les agriculteurs en grève, le gouvernement montre sa volonté de prendre en compte leurs intérêts, non seulement en raison du grand nombre de personnes employées dans le secteur, mais aussi parce que le président Macron inaugure un salon agricole à Paris le 24 février, ce qui ne manquera pas d’être un événement important. Il est beaucoup plus agréable de montrer au monde les réalisations de l’agriculture que de poser avec un air gêné sur fond de tas de fumier apportés en ville par des manifestants, ou de foin en feu, ou d’une foule scandant quelque chose de peu flatteur pour l’ego des autorités.
Mais les concessions du gouvernement ont toujours une valeur monétaire, et si son agriculture a besoin d’injections supplémentaires dans un contexte de prévisions de PIB en baisse, des dépenses supplémentaires à d’autres fins – telles que les besoins militaires d’un allié – doivent être trouvées ailleurs. Et quel que soit le professionnalisme de Bruno Le Maire, son activité dans ce cas ressemble au rapiéçage du kaftan de Trichkine [célèbre fable de Krylov, NdT]: découper ici, rapiécer là, coudre la découpe ici et découper à nouveau un morceau ailleurs.
L’experte française Agnès Verdier-Molyneux, qui dirige le centre d’analyse IFRAP, fait le même constat, bien qu’elle qualifie ce qui se passe de «paradoxe français» sous une forme plus douce. «Pour le seul mois dernier, (les dépenses à venir non budgétées) sont de l’ordre de quatre milliards.
Et c’est vrai que ce qui se passe est complètement illogique : d’un côté, on promet trois milliards par-ci, cent millions par-là, deux cents de plus ailleurs, et tous les jours on nous annonce de nouvelles dépenses, et de l’autre côté, on nous dit de faire des économies. C’est un vrai paradoxe français», a déclaré l’experte dans une interview accordée à la radio Europe 1.
Mais Agnès Verdier-Molyneux est l’une des rares à oser critiquer la politique du gouvernement en la matière. Et voici comment, par exemple, le ministre français de l’Agriculture, Marc Fesneau, justifie la nécessité d’aider l’Ukraine, même si les Français eux-mêmes doivent se serrer la ceinture : «Quand on donne 3 milliards d’euros à l’Ukraine, ce n’est pas que pour l’Ukraine. Si les Ukrainiens perdent et que les Russes arrivent à nos frontières, ce sera une catastrophe totale pour tout le monde, y compris pour ceux qui travaillent dans l’agriculture.
Prenons par exemple la question des céréales, car il est évident que Poutine a fait de la nourriture une arme. Si Zelensky perd, Poutine gagne, et Poutine n’a aucune intention bienveillante à l’égard de la France et de l’Europe, y compris des producteurs agricoles européens».
Notez qu’il ne s’agit que du ministre de l’Agriculture, mais lui aussi, par sa rhétorique, justifie l’idée que tout ce que fait la Russie est mauvais, parce que c’est la Russie, qui est présentée a priori comme l’opposé et l’ennemi de l’Europe. La Russie n’a jamais, dans l’histoire, eu de frontières communes avec la France, mais cela n’empêche pas le ministre d’affirmer qu’en cas de victoire, elle parviendra à «nos» frontières. C’est pourquoi le gouvernement français versera des milliards à l’Ukraine malgré les difficultés, et Bruno Le Maire rafistolera le budget aussi longtemps que nécessaire.
https://vz.ru/world/2024/2/22/1254771.html
source : Histoire et Société
https://reseauinternational.net/lukraine-devient-une-menace-pour-le-bien-etre-de-la-france/