Le coup de poker du président Macron annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale le soir des résultats des élections européennes a provoqué un séisme politique sans précédent qui nous offre depuis quelques semaines un spectacle riche en rebondissements tragi-comiques. La constitution d’un « Front républicain » unissant les vestiges des forces macronistes aux pseudo-révolutionnaires du « Front populaire » n’est pas le moins mirobolant d’entre eux.
Ainsi, au nom d’un « antifascisme » fantasmé – ce fameux « antifascisme de complaisance et de tout repos, antifascisme de manière, inutile, hypocrite, et, au fond, apprécié par le régime » dont parlait Pier Paolo Pasolini –, on assiste donc, mi-amusés mi-accablés, au mariage de la carpe libérale et du lapin créolo-marxiste. Appliquant le « désistement mutuel », les promoteurs de la retraite à 70 ans, les adeptes des bons conseils de McKinsey ou du Medef et les champions du CAC 40 vont donc aller voter pour des Raphaël Arnault ou des Louis Boyard, hérauts braillards et dépenaillés du Smic à 1 600 euros, de l’augmentation de la pression fiscale sur les hauts revenus et du blocage des prix. À l’inverse, les implacables opposants à la réforme des retraites, après avoir battu le pavé et affronté les CRS durant des semaines, vont s’empresser d’aller apporter leur suffrage à Élisabeth Borne qui a imposé celle-ci à coups de 49.3. Les farouches gauchistes à keffieh se plaisant à hurler « ACAB ! » et « Un flic, une balle ! » dans les manifestations, vont, quant à eux, aller docilement voter pour Gérald Darmanin, le chef suprême de la « police qui tue ». C’est beau comme de l’Antique !
Si l’avenir du pays n’était pas – en partie du moins – en jeu, on pourrait se contenter de profiter, et même se repaître, du spectacle grandguignolesque de ce mariage contre-nature – pour ne pas dire tératologique – qui révèle une nouvelle fois la tartufferie des oppositions contrôlées, prêtes à toutes les compromissions pour partager le pouvoir et ses prébendes et éviter toute réelle alternance. Ainsi les masques tombent encore une fois, les « antifas » rejouant impeccablement leur rôle d’idiots utiles du système, le farouche bolchévik au couteau entre les dents se hissant sur les épaules du trader de Goldman Sachs pour se lancer à l’assaut du méchant Bardella, dont on peine à comprendre qu’il puisse susciter de telles terreurs et de telles haines en étant porteur d’un programme si timide et bien falot au regard de la situation dramatique de la France.
Une « extrême droite » centriste
Car c’est peut-être là l’aspect le plus pathétique de ce grand cirque politico-médiatique, de toute cette agitation burlesque et paranoïaque : que cette fameuse « extrême droite » qui serait aux portes du pouvoir n’a justement plus rien d’« extrême », ni même de radical. C’est un mouvement populiste et patriote au libéralisme tempéré par une dose de providentialisme étatique. Rien de révolutionnaire, ni même de profondément nouveau, dans ce gaullo-souverainisme qui n’a d’ailleurs de cesse que de dénoncer et de dénigrer les mouvements et groupes de la droite radicale, au contraire du Front populaire qui assume et même promeut ses franges radicales et activistes, dont il sait qu’il pourra avoir besoin dans un futur plus ou moins proche. Le Rassemblement national est profondément régimiste et légitimiste, et son hypothétique accession au pouvoir ne susciterait nullement une véritable rupture avec le modèle capitalisto-libéral, ni avec la tutelle américano-otanesque, pas plus qu’avec celle de l’Union européenne et des institutions transnationales. Beaucoup de bruit pour pas grand-chose, donc, dans ce grand carnaval « antifa » et cette piteuse tentative d’établissement d’un « barrage » qui ressemble davantage au chantier de construction d’une maison de passes pour politiciens ambitieux.
Sans illusion mais sans hésitation, le vote pour le RN apparaît néanmoins indiscutablement comme celui d’un moindre mal face au wokisme et à l’immigrationnisme qui sont les seuls points communs de cet improbable attelage macrono-mélenchoniste né du « Front républicain », et qui formeraient donc le « terrain jeu et d’entente » d’une alliance gouvernementale qui se déchirerait sur tous les autres sujets.
© Capture vidéo : Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron à Marseille, le 7 septembre 2018.