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Néron-Macron-Boucheron : l’or, l’argent et le bronze olympiques

Néron-Macron-Boucheron : l’or, l’argent et le bronze olympiques

Pour une fois, Olivier Faure a été bien inspiré : « On attendait Jupiter, on a eu Néron. » Victor Hugo n’eut pas mieux dit. Néron-Macron-Boucheron ? Jamais la comparaison ne s’est autant imposée que ces jours-ci. Lisant cette merveille d’anthologie littéraire consacrée au sport, récemment parue dans la collection Bouquins sous la plume de Denis Gombert, je tombe sur un passage de la « Vie des douze Césars » où Suétone retrace l’« épopée » olympique de Néron à l’Olympiade de l’an 67, inondant la Grèce d’une pluie d’or, de colifichets et de promesses sans lendemain. Quasi du Macron.

Suétone est assurément un historien douteux, mais pas plus que Patrick Boucheron, deux propagandistes travaillant sur commande publique. À l’un, la légende noire de Néron ; à l’autre, la légende dorée de Macron. La Cène revisitée par le professeur du Collège de France aurait d’ailleurs eu toute sa place dans la Vie des douze Césars. Même grotesque, même pompe bouffie, même kitch rose bonbon. Bienvenue à Barbie Land. Qui croirait que deux millénaires séparent la cérémonie d’ouverture des mises en scène de Néron ? Ajoutez à cela (pour Boucheron et Thomas Jolly) que Néron persécutait les chrétiens.

Un des traits de la mégalomanie est le sentiment de toute-puissance ubiquitaire. Être pareil à un dieu. C’est là tout le contraire de la définition de l’auteur-créateur selon Flaubert, qui « doit être, comme un Dieu dans l’univers, présent partout et visible nulle part ». Macron est visible partout, comme s’il orchestrait lui-même sa propre divinisation, comme s’il autocélébrait son propre culte de la personnalité, non en costume de sacre à l’instar du Louis XIV de Hyacinthe Rigaud, mais dans la dérision de sa déchéance symbolique, groupie hystérique de nos Hercules de foire.

Cinquante nuances d’attouchement

L’homme aux 3 000 milliards de dette, l’homme de la dissolution, l’homme du chaos institutionnel, l’homme du gouvernement démissionnaire qui ne démissionne, se donne ainsi en spectacle en mondovision. Du haut de son pouvoir discrétionnaire, il a décrété la trêve olympique comme l’Église jadis instaurait des jours chômés. Au diable l’avarice. La dette française n’est plus à un milliard près, n’est-ce pas. La France pourra ainsi compter chaque soir ses médailles comme les enfants leurs billes pendant que les agences de notation dégradent la note de notre dette.

Macron est en vacances, dans toutes les acceptions du mot, dont celle de la vacance du pouvoir. On l’avait laissé au fort de Brégançon où il s’adonnait torse nu sur un yacht à des jeux d’eau ou des histoires d’O comme dans le roman de Dominique Aury (on ne sait plus trop avec lui : jeu de main ou jeu de vilain ou jeu anodin ?). Toujours est-il qu’il n’en finissait plus d’enlacer des corps masculins, de les toucher, de les affleurer. Voilà un président tactile à défaut d’être tactique, qui aime la proximité des corps fumant, suant, ahanant. On en avait eu un aperçu en 2018 sur l’île de Saint-Martin, aux Antilles, où Macron, en nage, posait avec deux jeunes hommes dont l’un nous adressait un sympathique et significatif doigt d’honneur. Des cinq sens, son préféré c’est le toucher, la palpation, la palpitation érotisante, le corps à corps.

Bref, le jeudi, il prenait un bain de pieds – et son pied manifestement – dans la Méditerranée ; et on le retrouve le vendredi, ubiquité oblige, à l’Arena Champs-de-Mars et à la piscine de la Défense Arena, enlaçant Léon Marchand ruisselant d’eau, Teddy Riner ruisselant de sueur, Romane Dicko ruisselant de larmes. C’est à peine s’il ne tirait pas l’oreille de Teddy Riner pareil à Napoléon félicitant ses grognards. Comme s’il s’emparait leur succès. Comme les rois thaumaturges d’antan et leur toucher des écrouelles : « Le roi te touche, Dieu te guérit ».

Néron redivivus

Néron se rêvait l’égal d’Hercule et descendait dans l’arène, dit Suétone, où il avait « fait préparer un lion qu’il devait, paraissant tout nu dans l’arène de l’amphithéâtre, soit assommer à coup de massue, soit étouffer dans ses bras ». Étouffer dans ses bras, c’est très exactement ce que fait Macron quand il enlace nos champions. Mais le champion des champions, qu’on ne se méprenne surtout pas, c’est l’empereur et le président, les vrais dieux du stade.

La légende noire de Néron rapporte qu’il aurait raflé plus de 1 800 victoires, toutes clownesquement truquées. Macron ne fait rien d’autre avec Kylian Mbappé, Teddy Riner ou Léon Marchand. Leurs victoires ne sont certes pas truquées. Ce qui l’est en revanche, c’est leur appropriation présidentielle.

S’il n’y avait que cela ! Macron boxant rageusement son sac de frappe dans la salle de sport de l’Élysée, les muscles saillants et photoshoppés, c’est aussi Néron redivivus. Ses discours-fleuves (quasiment deux heures à la Sorbonne en avril dernier), c’est encore et toujours Néron redivivus déclamant ses vers. « Quel artiste le monde perd en moi », a dit Néron à sa mort. « Quel artiste le monde gagne en moi », lui répond en écho Macron. Jusqu’aux dépenses somptuaires (voir le dernier rapport de la Cour des comptes). Macron, c’est le train de vie d’un maradja. Néron traversait les villes sur des chars sardanapalesques comme Hélios dans son char d’or. Le char de Macron, c’est son Falcone. Le « quoi qu’il en coûte » valant surtout pour la cassette présidentielle.

Macron aurait-il eu sa place dans la Vie des douze Césars, parmi les Caligula, les Claude et les Néron ? La vie d’un Césarion plutôt. Il n’a pas incendié Paris (il laisse cela à Anne Hidalgo), mais Néron a-t-il fait brûler Rome ? Peu vraisemblable ; et qui sait s’il ne se trouvera pas à l’avenir un Suétone qui nous expliquera que Macron a incendié Notre-Dame ?

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