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Macron, Ukraine, Trump et Europe postnationale : Viktor Orbán sans voile

@European People's Party/Wikimedia Commons
@European People's Party/Wikimedia Commons
Viktor Orbán, dont le pays assure la présidence de l’Union européenne pour un semestre depuis le 1er juillet 2024, présidence de l’Union européenne pour un semestre depuis le 1er juillet 2024, a prononcé le 27 juillet dernier son traditionnel discours à l’université d’été de Balvanyos. Sa première prise de parole sur place a eu lieu en 1998. Il commençait alors son premier mandat de Premier ministre (1998-2002), une fonction qu’il occupe aujourd’hui sans interruption depuis 2010. Ce discours annuel est, au fil des ans, devenu une sorte de discours sur l’état de la Hongrie. Comme souvent, avec Viktor Orbán, et quel que soit le jugement qu’on peut porter sur le fond, la forme de la copie 2024 est claire, structurée et remplie de citations allant de Mike Tyson (« Tout le monde a un plan, jusqu’à ce qu’on reçoive un violent coup de poing dans la figure ») à Lénine (« Avec l’avènement du communisme, l’État meurt tout en se renforçant constamment »).

Les pilules Matrix de la guerre en Ukraine

Une autre référence de Viktor Orbán tient aux deux pilules proposées à Neo dans Matrix (la bleue pour rester dans les apparences, la rouge pour affronter la réalité).

La guerre en Ukraine fait fonction de pilule rouge. Orbán répète sa position minoritaire en faveur de la paix, en lien avec la mission de bons offices qu’il a conduite début juillet, rappelle que des centaines de milliers de chrétiens meurent dans l’est de l’Europe, tandis qu’à l’ouest, des centaines de milliers de personnes de civilisations étrangères arrivent.
La pilule rouge révèle également l’isolement de l’Occident (le reste du monde ayant a minima une position accommodante vis-à-vis de la Russie), l’incapacité de l’Europe à défendre ses intérêts (économie européenne devenue non compétitive du fait des sanctions), l’alignement européen sur les néo-conservateurs et démocrates américains et, enfin, la quasi-disparation du couple franco-allemand au profit d’un nouvel axe de pouvoir comprenant Londres, Varsovie, Kiev, les pays baltes et scandinaves.

La désoccidentalisation du monde

Viktor Orbán, dont les propos ne sont pas sans rappeler Le Déclin de l'Occident d’Oswald Spengler (Gallimard), fait le constat que le développement n’est plus exclusivement occidental « parce que la Chine est moderne, l'Inde devient de plus en plus moderne et les Arabes et les Turcs se modernisent », et plus du tout sur la base des valeurs occidentales. De plus, le soft power occidental a été largement remplacé par le soft power russe, car la clé de la propagation des valeurs occidentales est désormais l’idéologie LGBTQ qui ne passe pas dans la plus grande partie du monde.

Face à ces transformations, l’Europe est en train de devenir un « musée à ciel ouvert »« un continent dont le monde s'émerveillera, mais qui n'aura plus en lui la dynamique du développement », analyse Viktor Orban. L’alternative est que l’Europe ait la capacité de revenir dans la compétition du changement de système mondial via la recherche d’une autonomie stratégique.

Union européenne : Ouest contre Est

Concernant l’Union européenne, avec laquelle la Hongrie a depuis très longtemps des relations tendues, Viktor Orbán considère que ses institutions sont aujourd’hui occupées par une oligarchie libérale fonctionnant suivant la règle des 3 P : Prohibited/Permitted/Promoted (interdit/permis/soutenu), la Hongrie appartenant au club des interdits.

Viktor Orbán mentionne surtout la divergence croissance entre les dirigeants de l’Europe de l’Ouest et de l’Union et ceux de l’Europe centrale : « La vision du monde des Européens centraux se compose d'États-nations, tandis que l'Occident pense que les États-nations n'existent plus »« la moitié occidentale de l'Europe est déjà postnationale […], il s'agit d'un nouvel espace mental. » Ainsi, dans cette Europe postnationale, « ils pensent que l’immigration n'est pas une menace ou un problème mais, en fait, un moyen d'échapper à l'homogénéité ethnique qui est à la base d'une nation ».

Viktor Orbán considère enfin que « la réalité est que cette condition postnationale que nous voyons en Occident a de graves conséquences politiques qui bouleversent la démocratie parce qu'au sein des sociétés, il y a une résistance croissante à la migration, au genre, à la guerre et au mondialisme ». Les sociétés et les institutions sont ainsi profondément fragilisées en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord.

Soutien inconditionnel au ticket Trump/Vance

Viktor Orbán prend clairement le pari que Donald Trump, allié de longue date, sera élu en novembre 2024 pour combattre les mêmes tendances qu’en Europe de l’Ouest : « L'objectif précis du président Donald Trump est de ramener le peuple américain de l'État libéral postnational à l'État-nation. C'est pourquoi les enjeux des élections américaines sont si énormes. » Il compte également sur des USA dirigés par Trump pour aboutir à la paix en Ukraine et affaiblir le grand voisin polonais avec lequel les relations sont tendues depuis la défaite des conservateurs en octobre 2023 et l’arrivée de Donald Tusk au poste de Premier ministre et forcer la Pologne à collaborer de nouveau avec le groupe de Visegrád (Hongrie, Pologne, Slovaquie, Tchéquie).

Stratégie hongroise dans le désordre du monde

Viktor Orbán finit son discours en donnant sa feuille de route à la Hongrie : maintien de l’État-nation et maîtrise de l’immigration (« L'expérience occidentale est que s'il y a plus d'invités que d'hôtes, alors la maison n'est plus la maison »). Il évoque d’ailleurs l’arrivée croissante d’Européens de l’Ouest « qui veulent vivre dans un pays national chrétien ».

Orbán refuse pour la Hongrie la logique, en cours, de constitution de blocs. L’objectif est de trouver pour ce petit pays (dix millions d’habitant) un chemin de prospérité en dépit de l’affaiblissement occidental via une stratégie de connectivité avec tous les ensembles économiques et géopolitiques.

Viktor Orbán, la France et Emmanuel Macron

Alors qu’un abîme sépare les conceptions politiques d’Orbán et de Macron, le Premier ministre hongrois fait preuve d’une grande mansuétude vis-à-vis de la France et de son Président, au lendemain des polémiques de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris : « Nous ne jouissons pas du soulèvement, de la révolution et du blasphème comme les Français », mais « n'offensons pas les Français, même si nous nous sentons offensés par ce que nous avons vu ».

En effet, pour la Hongrie, la France a vocation à être un allié pour la préservation de l’autonomie et la souveraineté des pays européens. Il se dit, d’ailleurs, qu’Orbán et Macron s’entendent bien à titre personnel.

Georges Le Breton

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