Contrairement à d’autres de ses collègues, Michel Blanc n’était pas né capé. Il a vu le jour à Courbevoie, en 1952. Son père était déménageur et sa mère dactylo. Bref, ça ne devait pas flatuler dans la soie, chez les Blanc. Puis il y eut la rencontre avec ses futurs comparses de la joyeuse équipe du Splendid - Thierry Lhermitte, Christian Clavier, Gérard Jugnot, Marie-Anne Chazel - sur les bancs du lycée Pasteur, à Neuilly-sur-Seine. Avec la saga des Bronzés, la suite appartient à l’Histoire.
Et c’est là que Michel Blanc crée son personnage emblématique de casse-bonbons hypocondriaque, Jean-Claude Dusse – celui qui a toujours des ouvertures amoureuses sans jamais parvenir à conclure. Un archétype demeuré dans la mémoire collective au même titre que celui d’un Louis de Funès, histrion hystérique, doux avec les forts et immanquablement dur avec les faibles.
Avant, Michel Blanc aura été un soutier du cinéma français, multipliant troisièmes rôles et panouilles de seconds couteaux ; soit une filmographie susceptible de donner le tournis, se comptant en centaines de films et de téléfilms.
Nous sommes tous des Jean-Claude Dusse !
Ces périodes de vaches maigres passées, Michel Blanc emmène son avatar souffreteux vers des sommets cinématographiques : Viens chez moi, j’habite chez une copine, de Patrice Leconte (1981) ou Marche à l’ombre, réalisé par ses soins deux ans plus tard. Personne ne saurait décemment s’identifier à ce personnage ; pourtant, il y a fatalement un petit je-ne-sais-quoi de lui en nous. Ne serait-ce que par sa touchante maladresse. Bref, nous sommes tous plus ou moins des Jean-Claude Dusse.
Voilà pour le Michel Blanc première époque. La seconde époque n’est pas fondamentalement contradictoire, à l’exception, peut-être du Tenue de soirée, l’un des plus mauvais films de Bertrand Blier, en 1986. Mais cela ne saurait faire oublier le nouveau chemin que lui ouvre Patrice Leconte avec Monsieur Hire, adapté d’un livre de Georges Simenon, en 1989. Le grand tournant pour Michel Blanc qui incarne enfin, au-delà de la figure hilarante du même Jean-Claude Dusse, un personnage ordinaire, pourtant capable d’accomplir des choses extraordinaires.
Ce que confirmait le même Patrice Leconte dans la revue Éléments. Interrogé par l’auteur de ces lignes, il assurait « adorer filmer ces gens communs pouvant parfois se révéler hors du commun ». Là, Michel Blanc apparaissait en tailleur grincheux mais fou amoureux, prêt à tous les sacrifices pour sauver l’être aimé, tout en se révélant être un champion de… bowling.
Hérault du cinéma populiste à la française
C’est dans cette veine populiste que Michel Blanc tutoie les sommets. Il n’en redescendra jamais, phénomène assez rare chez ses confrères et qui méritait ici d’être noté. Était-ce l’âge qui venait et, avec lui, une certaine forme de sagesse ? C’est probable, surtout chez un homme n’ayant jamais rien renié de ses origines plus que modestes.
Ce sera donc cette trilogie aussi exceptionnelle qu’informelle : Je vous trouve très beau, d’Isabelle Mergault (2005), Les Petites Victoires, de Mélanie Auffret (2023) et son ultime prestation dans Marie-Line et son juge, de Jean-Pierre Améris (2023).
Dans le premier, il incarne un paysan en proie à la détresse sentimentale, après un veuvage inattendu, qui épouse une jeune Roumaine, à l’occasion d’un mariage plus ou moins blanc. Dans ce rôle, il se révèle parfaitement poignant. Dans le deuxième, encore un rôle de paysan, un analphabète qui ne sait comment écrire sa flamme à son amour de jeunesse. Le tout sur fond de village breton refusant de mourir. Il est parfait de justesse. Pour son ultime prestation, il devient juge désabusé en proie aux misères de l’époque, mais irrésistiblement attaché à une fille elle aussi un brin perdue, serveuse de bistrot que joue à merveille la jeune chanteuse Louane. Cette fille l’aide à retrouver un sens à sa vie, tandis que lui mettra tout en œuvre pour la sortir de sa misérable existence. Un film tout en retenue, proprement bouleversant.
Aristocratie ouvrière
C’était ça, Michel Blanc. Un homme plus que discret qui refusait systématiquement les entretiens avec les journalistes – votre serviteur en sait quelque chose, malgré quelques recommandations haut placées… Et ne donnait jamais son avis sur rien. Il en avait sûrement un, qu’il devait remiser par-devers lui, tout en n’en pensant pas moins : il était connu pour ne pas communier avec l’air du temps. Mais il est vrai « qu’être dans le vent n’est jamais qu’ambition de feuille morte », pour paraphraser le philosophe Jean Guitton.
À croire que cette légendaire pudeur était chez lui une forme de noblesse, à la fois d’esprit et de cœur, lui, l’enfant de l’aristocratie ouvrière de naguère. Adieu, Michel Blanc.