Un document qui dérange
Ce PV, exhumé un an et demi après la tragédie, jette une lumière crue sur une affaire qui avait déjà ébranlé la France. Rédigé avec minutie, il consigne une dizaine d’auditions évoquant des propos haineux proférés lors de la « bagarre » qui a dégénéré en bain de sang. Ces témoignages, s’ils étaient confirmés, contrediraient la version d’une simple rixe de bal avancée par la défense des suspects. Pourtant, ce document n’a pas été versé au dossier principal. Il est « classé dans des notifications qu’on ne consulte jamais », affirme, auprès du Nouvel Obs, Jean-Michel Decugis, coauteur d’Une nuit en France (Grasset), qui consacre un chapitre à ce « PV mystère ». Était-ce une manœuvre pour éviter d’attiser une situation déjà tendue, marquée par des manifestations d’ultra-droite à Romans-sur-Isère ? Le parquet, prudent, maintient que les preuves manquent pour retenir un caractère raciste. Mais cette discrétion intrigue et alimente les soupçons d’une Justice hésitante face à une vérité dérangeante.
L’enquête, elle, reste engluée dans l’incertitude. Malgré des expertises ADN et des heures d’analyse vidéo, l’auteur du coup fatal demeure inconnu. Les suspects, originaires pour beaucoup du quartier sensible de la Monnaie, à Romans-sur-Isère, rejettent toute préméditation. Pourtant, les mots rapportés dans le PV – insultes ciblées, volonté explicite de violence raciale – dessinent un tableau bien plus sombre.
« La Justice doit se montrer ferme »
Au lendemain du drame, la colère avait gagné les rues. Dans le quartier de la Monnaie, d’où seraient issus les agresseurs, une marche spontanée avait réuni des jeunes militants de droite décidés à crier leur indignation, convaincus du caractère raciste du meurtre. Parmi eux, Paul*, jeune homme d’une vingtaine d’années, gravement agressé lors de cette manifestation, nous avait fait part en exclusivité de son témoignage. « L’assassinat de Thomas m’a révolté. C’était un crime raciste, de toute évidence, nous confiait-il, deux mois après la mort du lycéen. Qu’on soit blanc ou de toute autre origine, cela reste un crime ignoble. La Justice doit se montrer ferme et prendre en compte le mobile raciste. »
Un an plus tard, ce PV resurgi des limbes pourrait changer la donne. Si le mobile raciste venait à être reconnu, il imposerait une inflexion majeure dans le traitement judiciaire de l’affaire. À Crépol, on pleure encore Thomas. On pleure, aussi, la paix disparue d'une France rurale qu’on croyait à l’abri de telles haines. La Justice, sous pression, devra trancher : ce document est-il une pièce maîtresse ou une simple anomalie ? Dans ce village endeuillé, comme dans tout le pays, une exigence résonne : que la lumière soit faite, sans détour ni faux-semblant, sur les raisons qui ont arraché un adolescent à la vie.