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Les ONG, des avocats subventionnés par l’État en faveur de politiques particulières

Les ONG, des avocats subventionnés par l’État en faveur de politiques particulières

Terje Tvedt, professeur, historien et écrivain, connu pour son analyse critique de la politique d’aide et du rôle des ONG humanitaires dans les structures de pouvoir internationales, a été interrogé dans Conflits suite attaques de l’administration Trump contre USAID. Il déclare notamment :

[…] Le plus frappant, c’est qu’au moment précis où le robinet financier de USAID est fermé, certaines des ONG les plus importantes et les plus respectées, y compris en Norvège, doivent licencier des milliers d’employés. Autrement dit : des organisations qui, au départ, se présentaient comme populaires, issues de la société civile et organisant le volontariat norvégien, souvent très critiques à l’égard du rôle des États-Unis dans le monde non occidental, se retrouvent profondément dépendantes du soutien financier de ce même gouvernement américain.

Lorsque les plus grandes ONG, dont plusieurs sont engagées dans la critique des inégalités structurelles entre ce qu’elles appellent « le Sud global » et les pays riches, s’en prennent désormais aux États-Unis parce que ce pays a stoppé son financement à leur égard, elles révèlent de fait au grand public que l’image qu’elles ont voulu forger au fil des ans – à savoir qu’elles sont des organisations idéalistes vivant du soutien volontaire du peuple norvégien – ne correspond pas à la réalité.

Si, dans la mesure où elles se sont présentées comme indépendantes, apolitiques et non gouvernementales, elles ont navigué sous pavillon trompeur, le plus important est qu’elles ont, ce faisant, effacé la frontière entre la société civile et l’État. Autrement dit : la chasse de Trump au gaspillage dans USAID a révélé à quel point la rhétorique qui enveloppait le secteur des ONG était trompeuse.

Est-ce un phénomène nouveau ?

Non, il s’agit plutôt d’une confirmation récente et très nette des rapports de pouvoir au sein de ce système international, que j’ai mis au jour et analysés notamment dans Angels of Mercy or Development Diplomats. NGOs & Foreign Aid (Oxford, 1998) et dans un ouvrage rédigé pour l’enquête sur le pouvoir et la démocratie en Norvège. Déjà dans les années 1980, le secteur des ONG ou « organisations de la société civile », comme on les désignait alors collectivement dans les communications officielles et comme elles se mettaient elles-mêmes en scène, était pour l’essentiel financé par les États.

Comme je l’ai montré : la Banque mondiale a publié des analyses en apparence sophistiquées et universitaires de ce « secteur des ONG » en affirmant que c’était une nécessité fonctionnelle pour la société. Il serait né en réaction à ce qu’on appelait « les défaillances de l’État » et « les défaillances du marché », et serait plus proche de la base et moins bureaucratique que les États.

En réalité, presque toutes étaient financées par des États, directement ou indirectement. Tant dans les pays dits « bénéficiaires » que, fait non moins important, dans les pays dits « donateurs », elles étaient des avocats subventionnés par l’État en faveur de politiques particulières, financés par la population qui était justement la cible de l’influence de ces mêmes organisations soutenues par l’État. Dans le contexte norvégien, ce système d’aide a notamment introduit un vocabulaire politique pour la compréhension des sociétés qui, jusque-là, était inconnu. Et au moment même où vous l’affirmiez, vous étiez accusé d’être hostile à toute forme d’aide, de ne pas voir que l’aide était aussi autre chose, et de faire de la recherche partisane médiocre, peu importait la qualité de vos preuves.

Peut-on considérer les fondations privées comme la Fondation Bill & Melinda Gates, les Open Society Foundations de George Soros ou la Clinton Foundation, elles aussi, comme des organisations bénévoles ?

Évidemment, elles ne sont pas des mouvements populaires ou de terrain, comme on l’associe souvent à l’idée d’ONG dans de nombreux pays. Leurs dirigeants ont souvent un salaire annuel de plusieurs millions, sans compter les avantages divers. La mission de ces organisations est aussi, bien sûr, souvent d’aider le philanthrope qui les finance à réduire ses impôts et à accroître le pouvoir politique et culturel de leurs initiateurs.

Mais je pense qu’il reste pertinent de les considérer comme une partie du système international de l’aide et, parfois, comme faisant partie du système des ONG, ne serait-ce que parce qu’elles reçoivent aussi de l’argent des budgets d’aide des États. Par exemple, la Norvège intervient également dans ce domaine : avec Bill Gates, elle s’est engagée à développer l’organisation de vaccination GAVI, et, aux côtés de l’Arabie saoudite, elle a été le pays qui a le plus soutenu la Clinton Foundation (environ 800 millions de couronnes). Cela est arrivé après que Clinton s’est rendu en Norvège avec Epstein dans son avion privé, le Lolita, au début des années 2000 pour demander au premier ministre de l’époque, Kjell Magne Bondevik, un soutien pour sa fondation. […]

Dès le début, les Américains ont compris et exploité la double fonction des ONG : d’un côté, elles servaient d’outil efficace dans le cadre du « soft power » ; de l’autre, elles étaient utiles pour mettre en œuvre des volets plus confidentiels de la politique étrangère américaine.

[…] L’un des plus connus et des plus importants est le rôle de Norsk Folkehjelp dans la longue guerre civile au Soudan (1983-2004), entre le gouvernement de Khartoum et le SPLA.

Cette ONG, qui avait à l’origine « découvert » le SPLA comme une organisation capable de mobiliser la solidarité norvégienne en faveur des opprimés du Soudan, a fini par être utilisée, comme on l’a découvert par la suite, pour faire passer clandestinement des armes à la rébellion au Sud-Soudan. Ce trafic était financé et coordonné par USAID et la CIA. Les gouvernements Clinton et Bush, qui soutenaient tous deux la lutte menée par le SPLA et qui étaient opposés au gouvernement islamiste de Khartoum, tenaient à appuyer l’effort de guerre au Sud-Soudan. Pour eux, Norsk Folkehjelp était l’instrument idéal pour y parvenir.

Cela avait du sens, car Norsk Folkehjelp occupait déjà une position solide au Sud-Soudan, notamment vis-à-vis du SPLA, pour qui elle a parfois quasiment fait office de bras humanitaire. Norsk Folkehjelp disposait donc de nombreux bons contacts au sein du SPLA, employait beaucoup de personnel local et maîtrisait les opérations de transport difficiles. Il n’y avait donc pas de meilleur écran, et il est possible que Norsk Folkehjelp ait été transformée en convoyeur d’armes sans que les autorités politiques norvégiennes en aient été informées, et peut-être même sans que la direction de Norsk Folkehjelp en ait eu conscience. Le gouvernement de Khartoum accusait alors la Norvège et les Américains de transporter illégalement des armes par-delà les frontières et d’armer une organisation rebelle. Cela a été officiellement démenti. Il est aujourd’hui pleinement reconnu qu’il y a bien eu de tels transports.

Ainsi, durant la guerre civile soudanaise, Norsk Folkehjelp ne se contentait pas des tâches d’aide humanitaire traditionnelle. Elle soutenait en principe l’effort de guerre du SPLA – y compris via la contrebande d’armes et d’autres fournitures essentielles – ce qui a été décisif pour l’issue de la guerre. […]

https://lesalonbeige.fr/les-ong-des-avocats-subventionnes-par-letat-en-faveur-de-politiques-particulieres/

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