Le pape François est mort. L’Eglise est en deuil, en attendant l’élection d’un nouveau pape qui continuera la longue lignée des évêques de Rome initiée par l’apôtre Pierre. En attendant, il n’est pas inutile de se pencher sur ce qui restera de ce pontificat débuté en 2013, et d’en distinguer quelques heureux aspects, sans forcément méconnaître les limites de celui-ci, limites qui nous rappellent que, premièrement, la perfection n’est pas exactement de ce monde même s’il importe de s’en rapprocher autant que faire se peut ; secondement, toute vie humaine connaît, au moins sur le plan terrestre, un terme que nombre d’entre nous souhaitent le plus tardif possible, en général. A 88 ans, et après 12 ans de règne sur le trône de Pierre, le pape François n’a évidemment pas eu le temps de tout faire de ce qu’il envisageait : mais il me semble avoir valorisé deux thèmes qui, justement, me tiennent personnellement à cœur en tant que vieux royaliste français attaché à la justice sociale et au souci environnemental. Le pape François n’a jamais oublié la cause des pauvres ni celle du sort de la planète et des multiples créatures qui la peuplent, dans la lignée d’un Saint François d’Assise dont, d’ailleurs, il a adopté le patronyme pour son propre pontificat.
Relire son encyclique Laudato Si’, publiée en 2015 quelques mois avant la fameuse Cop21 à Paris, m’apparaît comme le meilleur moyen de saisir cette préoccupation écologique qui n’est pas neutre, loin de là, dans une société de consommation et de croissance qui oublie (et fait surtout oublier aux consommateurs) les limites productives et vitales de la Terre. En évoquant une possible et nécessaire décroissance pour les pays du Nord, lieux premiers de l’expansion de cette société oublieuse de ses devoirs envers la Création, le pape a osé braver les grands principes du libéralisme économique, reprenant et valorisant ce qui est un message fort de l’Eglise depuis Léon XIII et son encyclique Rerum Novarum, ce refus d’un capitalisme sans entraves qui considère l’homme comme un simple individu solitaire (et non plus solidaire) au milieu des masses, possiblement exploitable sans fin ou exploiteur sans répit… De plus, en rendant aux éléments de la Création, végétaux comme animaux, paysages comme vivants, leur véritable dimension respective et leur place, pleines et entières sans être exclusives, le pape François a été un écologiste intégral conséquent, tel que le royaliste Jean-Charles Masson, dans son fameux texte « Jalons pour un écologisme intégral » de 1984, l’avait défini et illustré…
Mais il y a aussi son souci des pauvres, de ceux que notre société du spectacle et de l’avoir méprise comme des perdants qu’ils seraient, comme si l’argent était la seule valeur acceptable et la première des richesses. Le pape François n’a eu de cesse de rappeler que si l’argent peut être parfois un bon serviteur, il est toujours un mauvais maître, comme le soulignent les évangiles et nombre d’écrivains catholiques, de Léon Bloy à Georges Bernanos, en passant par Jacques Maritain qui rêvait carrément d’une société sans argent. Mais ce souci des pauvres n’est-il pas lui-même l’un des fondements de l’Eglise et la motivation de nombre de ceux que l’on qualifie de « catholiques sociaux » et qui, en France, ont souvent (mais pas exclusivement, loin de là) été royalistes à l’image d’Alban de Villeneuve-Bargemont, de René de La Tour du Pin ou encore de Mgr de Cabrières ? Le pape a longuement insisté sur la nécessité de la justice sociale et sur celle du partage des richesses, de leur meilleur usage, mais aussi sur le refus de leur privatisation entre les mains de quelques oligarques. Pour autant, il n’a pas méconnu l’importance du travail comme source de revenu, qu’il a souhaité, pour tous, équitable : un message qui surprend ceux qui ont oublié les préceptes chrétiens sur le service des autres, mais qui trouve un écho favorable chez les royalistes sociaux pour qui le travail doit, par lui-même, plus rapporter que les simples rentes de propriétaires, aussi honorables soient-ils.
Bien sûr, d’autres propos et actes du feu pape peuvent être critiquables et je ne partage guère sa conception de la globalisation qui se marque, parfois, par une certaine défiance à l’égard des frontières et des nations et par une valorisation injustifiée des revendications des pays du Sud au détriment des peuples du continent européen. Est-ce une raison pour oublier le meilleur de ce qui est dans son discours et dans sa pensée ? Après tout, Maurras a lui-même jadis répondu à cette question quand il affirme, calmement mais fermement : « La vraie tradition est critique, et faute de ces distinctions, le passé ne sert plus de rien, ses réussites cessant d’être des exemples, ses revers d’être des leçons. (…) Dans toute tradition comme dans tout héritage, un être raisonnable fait et doit faire la défalcation du passif »… Ainsi soit-il !