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10 octobre 1789 : nationalisation des biens du clergé, l’État promet…

Le mauvais état est général. © Samuel Martin
Le mauvais état est général. © Samuel Martin
Les millions récoltés pour la sauvegarde de Notre-Dame de Paris n'ont pas ruisselé. L'État abandonne les édifices religieux français. On estime à 5.000 le nombre d'églises en ruine, aujourd'hui, dans la France, fille aînée de l'Église. Le désastre est si grand qu'une fondation pour « La Sauvegarde de l’art français » lance une collecte nationale. Objectif : réparer le petit patrimoine religieux. Pourtant, la France révolutionnaire avait promis d'entretenir les édifices religieux. C'était le 10 octobre 1789.

À l’automne 1789, alors que la France croule sous une dette publique évaluée à plus de quatre milliards de livres, l’Assemblée constituante voit apparaître une proposition qui va bouleverser en profondeur le paysage religieux et patrimonial de la France : la nationalisation des biens du clergé.  Cette mesure, avant tout motivée par la nécessité de renflouer les finances publiques, s’accompagne de promesses solennelles : les richesses confisquées serviront « aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres ».

La proposition de Talleyrand

Le 10 octobre 1789, le célèbre évêque d’Autun et député Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord présente à l’Assemblée constituante une motion audacieuse. Il y expose que les biens ecclésiastiques doivent être remis à la nation afin de répondre aux besoins urgents de l’État, alors en quasi-banqueroute. Talleyrand développe alors une justification à la fois philosophique et juridique : selon lui, le clergé n’est pas propriétaire au sens civil, car les biens qu’il détient lui ont été confiés pour le service religieux et non pour l’enrichissement particulier. Il affirme ainsi que « la nation, principalement dans une détresse générale, peut, sans injustice, disposer des biens des différentes communautés religieuses ». L’État, garant de l’intérêt général, peut donc réaffecter ces biens pour répondre aux besoins publics, tout en assurant reprendre les charges du clergé comme l’éducation et le service auprès des plus pauvres. Talleyrand, encore membre du clergé, cherche néanmoins à rassurer les siens en évoquant l’installation de compensations comme le versement, aux ministres du culte, de rentes convenables et en proposant d’assurer l’entretien des biens de l’Église à l’aide du revenu et des ventes de ses anciens domaines.

La proposition du « Diable boiteux » débouche sur l’adoption, le 2 novembre 1789, d’un décret par 568 voix contre 346. Celui-ci proclame « que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir, d'une manière convenable, aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres ».

Ce texte fondateur précise aussi que chaque cure bénéficiera d’une dotation annuelle minimale de 1.200 livres, en plus du logement et du jardin attenant à la cure. Cependant, dans cette affaire, il n’y a qu’un seul vrai gagnant : la Révolution. Comme le dit l’historien François Furet, « les hommes de 1789 […] font d’une pierre deux coups : ils résolvent le problème de la dette publique en dépossédant un des ordres privilégiés de l’Ancien Régime ». Cette stratégie reste d’ailleurs, plus de deux siècles plus tard, une idée qui séduit encore l’extrême gauche, lorsqu’il s’agit de s’attaquer aux grandes fortunes pour résoudre le problème de la dette.

De la promesse à l’abandon

Pourtant, dès les premières années, les limites de la promesse de la Révolution apparaissent au grand jour. La situation économique, l’inflation galopante, les assignats, le coût des guerres révolutionnaires compromettent la capacité de l’État à honorer ses engagements. Le décret du 2 sans-cullotides de l’an II, soit le 18 septembre 1794, supprime le budget de l’Église constitutionnelle et rompt avec l’engagement initial de financement du culte. Il faudra attendre la signature du concordat en 1801 pour que, de nouveau, le clergé puisse percevoir une rente de la part de l'État.

En attendant, dans les campagnes, de nombreuses paroisses se retrouvent sans ressources suffisantes pour entretenir leurs bâtiments ou pour assurer le maintien du culte. Des milliers de biens sont vendus au plus offrant lors des ventes de biens nationaux. Beaucoup sont acquis par des particuliers qui, par intérêt spéculatif ou par indifférence, démolissent les églises pierre par pierre pour en revendre les matériaux ou les laissent se dégrader. Le phénomène est comparable à celui des biens des émigrés saisis auparavant : les logiques financières l’emportent très largement sur les considérations patrimoniales. Et sur le respect du patrimoine français.

Le parjure de l’État

Une seconde vague d’accaparement des biens du clergé intervient avec la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905. Cette fois, il ne s’agit plus de nationaliser pour financer la dette mais, officiellement, de réorganiser juridiquement la possession et l’usage des édifices cultuels. Officieusement, la IIIe République souhaite achever des décennies de luttes anticléricales. Les bâtiments construits avant 1905 sont alors attribués en pleine propriété à l’État, l’usage étant garanti par des associations cultuelles.

En théorie, l’État conserve alors un rôle de garant du patrimoine cultuel. Mais en pratique, cette charge repose sur les collectivités locales. Communes, associations et fidèles assurent ainsi souvent l’essentiel des travaux d’entretien et de restauration, parfois au prix d’efforts budgétaires et de campagnes de dons considérables.

Aujourd’hui, des milliers d’églises témoignent de cette situation par leurs toitures effondrées, leurs vitraux endommagés, leurs clochers fissurés, leurs profanations, leurs vandalisations ou encore leurs fermetures et leurs démolitions par mesure de sécurité. Les subventions publiques, les campagnes de mécénat et les plans nationaux de sauvegarde ne couvrent ainsi qu’une fraction des besoins réels.

Ainsi, la France, qui s’était engagée en 1789 à assumer les frais du culte et de l’entretien des bâtiments et avait voulu se substituer à l’Église dans ses fonctions sociales tout en s’appropriant ses biens, commence à se parjurer, faute de disposer des moyens nécessaires pour assumer pleinement cette responsabilité

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