Elle n’aura rien livré
Témoin après témoin, expert après expert, psychiatre après psychiatre, ils étaient appelés à livrer des clés de compréhension pour expliquer comment Lola s’est retrouvée, ce jour-là, asphyxiée sous une épaisse couche de scotch dans l’appartement d’une inconnue, qui l’a ensuite entreposée nue dans une caisse en plastique abandonnée au pied de son immeuble, après l'avoir lacérée de coups de couteau.
Si la presse s’est attachée à décrire encore et encore ce chignon plaqué, ces vêtements sobres, ces yeux noirs au regard vide, c’est parce que Dahbia Benkired n’aura rien livré d’autre. Alors que Thibault, le frère de Lola, lui avait demandé au début du procès de dire « toute la vérité et rien que la vérité », l’accusée a refusé de livrer les aveux tant attendus par la famille désireuse d'enfin, « pouvoir avancer ».
Le procès d’une narcissique pathologique
Les experts, qui n’ont décelé chez l’Algérienne aucune pathologie psychiatrique, évoquent néanmoins un « trouble grave de la personnalité » caractérisé par une « haute tendance à la psychopathie », une absence totale d’empathie, une « intolérance à la frustration » et un « narcissisme pathologique » fondé sur un « culte du moi » prononcé. L’une des expertes a rappelé que, dans les jours suivant le meurtre, Dahbia Benkired s’enquérait avec insistance de ce qui se disait sur elle dans les médias et de l’émotion suscitée dans le pays. Lorsque la professionnelle lui répondait ne pas être au courant d’un tel émoi, l’accusée se refermait aussitôt dans un mutisme frustré.
Malgré cette apathie déroutante, le profil très narcissique de Dahbia Benkired aura certainement trouvé un certain plaisir dans l’agitation provoquée autour de sa personne, de ses motivations et de ses secrets. Car à ce stade, le tribunal cherche encore à faire reconnaître à l’accusée les faits de viol par pénétration sur la fillette, ainsi que les nombreuses plaies par arme blanche, notamment au cou, presque entièrement sectionné, selon les enquêteurs.
« C’est vous, le cauchemar »
Mais les avocats de la famille ne pouvaient pas laisser faire. Alors, ils ont tout recentré sur Lola sur qui, « dès les premiers instants, le piège s’est refermé ». S’adressant au jury appelé à rendre sa décision ce vendredi 24 octobre, Me Bourdié, avocate de la partie civile, a rappelé que désormais « personne ne peut prétendre ignorer ce qu’il s’est passé durant ces 1h37 » du supplice de l’enfant. « Vous n’ignorez pas la violence, vous n’ignorez pas les viols, vous n’ignorez pas les larmes, vous n’ignorez pas la douleur », a-t-elle martelé.
Puis, se tournant vers l’accusée qui la fixait les sourcils froncés, elle a poursuivi : « puisqu’il faut le faire à votre place, je vais vous dire, moi, ce que vous avez fait à Lola », avant de reprendre, à l’intention du jury, le fil exact de la barbarie. « Vous direz avec nous qu’elle l’a forcée à la suivre, qu’elle l’a fait rentrer de force dans son appartement, qu’elle l’a déshabillée, qu’elle l’a forcée à se doucher, qu’elle l’a violée, qu’elle l’a ligotée, et enfin qu’elle l’a tuée ». Sa consœur, Me Clothilde Lepetit, évoquera plus tard cette « question du temps de la détresse qui a été la sienne » et qui « reste comme une torture ». Combien de temps a souffert « ce cœur de fille qui a eu si peur » ?
Ces éléments, d’une précision qui peut paraitre dérisoire face au déferlement de violence qui a submergé Lola, c'est tout ce qui reste pour la famille, mais les proches de la fillette ne les connaitront probablement pas. Car demain encore Dahbia Benkired les leur refusera certainement une nouvelle fois.
On l’aura compris cette semaine, malgré tout ce qu’a voulu faire croire l’accusée, et comme le martèlera Me Salomé Busson-Prin, avocate de la Fondation pour l’Enfance, en s’adressant directement à Dahbia Benkired : « C’est vous, le cauchemar, le meurtrier de sang-froid, qui s’en prend à une personne qu’il ne connaît pas, qui la viole, qui la tue. Celle qui a été prise dans un cauchemar ce jour-là, c’est uniquement Lola Daviet. » Puis, se tournant vers les jurés : « C’est ce seul cauchemar que vous emporterez en salle de délibéré. »
La salle est encore suspendue lorsque Me Mathias Darmon, avocat d’Innocence en Danger, vient clore la plaidoirie de la partie civile : « Aujourd’hui, nous vous écoutons, mais demain tout le monde vous oubliera. Vous avez essayé d’effacer Lola : c’est raté. »
L’audience est levée. Dans un silence dense, Delphine Daviet s’effondre dans les bras de ses avocates, ultime étreinte avant le verdict.