
Par François Marcilhac
Lorsqu’elles seront publiées, ces lignes demeureront d’actualité quel que soit le sort qui aura été fait au plan de paix en vingt-huit points de Donald Trump, car elles visent la situation politique française au-delà du seul enjeu ukrainien. Les propos sacrificiels du chef d’état-major des armées, le général Fabien Mandon, tenus le jeudi 20 novembre, propos évidemment téléguidés par Emmanuel Macron, et qui ont suscité une légitime inquiétude, ont une portée politique d’une gravité extrême.
Instrumentaliser nos morts
Certes, les réactions n’ont pas toujours été à la hauteur et il est étonnant que des républicains pur jus aient pu contester le fait qu’on accepte de « perdre des enfants » à la guerre, quand on sait que la République n’a jamais été avare de leur sang. De même, l’ambiguïté du mot « enfants » employé dans ce contexte était-elle préméditée, le patriotisme, sans avoir disparu, ne commandant plus dans notre société les réactions à chaud de la plupart de nos concitoyens : le général ne semblait-il pas ainsi désigner toute la jeunesse de France à des mères devenues subitement et légitimement inquiètes du sort qui allait être réservé à leurs enfants par l’évolution prévisible de la situation internationale ? Le lieu et le moment choisis, le congrès des maires de France, ne pouvait qu’accentuer l’effet de surprise recherché, voire de sidération. La France était au bord de la guerre. Chaque maire du pays devait en prendre conscience et préparer ses administrés à accepter l’inéluctable, si douloureux soit-il : on connaît le rôle qui a toujours été le leur en cas de levée en masse.
Dans ce contexte, la précision apportée par la porte-parole du Gouvernement, Maud Brégeon, dès le 21 novembre, était peut-être aussi nécessaire… qu’indécente : « On va être très clair : nos enfants, au sens où on l’entend, ne vont pas aller combattre et mourir en Ukraine ». « Au sens où on l’entend ». Il s’agit donc des enfants… au sens où on ne l’entend plus, ou presque plus, à savoir de nos soldats. « Le chef d’état-major des armées parlait de tous ces soldats qui », et il le dit un petit peu avant cette séquence, « sont déployés partout dans le monde et ont entre 18 et 27 ans », soulignant qu’« on ne peut pas ignorer qu’un certain nombre de ces soldats sont tombés en opérations extérieures ». Certes, mais, dans ces conditions, pourquoi cette précision à cette heure et à cet endroit, puisque malheureusement près de 800 membres de nos forces armées sont morts en OPEX depuis 1963 ? Et n’est-il pas indécent de les passer ainsi subitement par pertes et profits, du moins est-ce l’impression que donnent les propos de Maud Brégeon, comme pour conforter une sorte de lâcheté générale ? Si, en s’engageant, ils ont accepté en toute connaissance de cause l’éventualité du sacrifice suprême pour la patrie, leur sang n’en doit pas moins être versé qu’avec la plus extrême avarice.
Quelle insécurité ?
Demeure la raison d’être de ces propos dans la situation actuelle, dont ils ne font qu’accentuer le caractère délétère. Défendant c’est bien le moins, les propos du chef d’état-major, son porte-parole a commenté : « Subir une guerre de haute intensité, ça veut dire envisager des pertes. Des pertes militaires, souffrir économiquement. […] Un pays qui n’est pas prêt à comprendre ça est un pays faible ». Ainsi, il s’agit bien de lutter contre une mentalité pacifiste qui affaiblirait les capacités de résistance du pays pour préparer les esprits à un conflit majeur avec, évidemment, la Russie : tel est le « narratif » élyséen. Rappelons que, dès son discours de Bormes-les-Mimosas du 20 août 2022, Macron avait déclaré penser « à notre peuple auquel il faudra de la force d’âme pour regarder en face le temps qui vient, résister aux incertitudes, parfois à la facilité et à l’adversité et, unis, accepter de payer le prix de notre liberté et de nos valeurs » : faire de la Russie une « menace durable », comme l’avait également déclaré il y a quelques mois l’ancien chef d’état-major Thierry Burkhard, permet de préparer les esprits à des sacrifices qu’il serait toujours facile alors de mettre sur le dos des Russes. Macron en a rajouté une couche le 25 novembre sur RTL en appelant à ne pas se montrer « faible » face à la « menace » de la Russie.
En tout cas, la société française n’aurait pas de mal à être plus pacifiste que pacifique, comme M. Borloo l’a observé peu après disant que « malheureusement, des enfants on en perd déjà, le petit Élias, la petite Philippine, le petit Mehdi » : face à l’insécurité grandissante, l’ancien ministre rappelait ainsi aux autorités civiles et militaires qu’avant de vouloir verser le sang de nos soldats en jouant au gendarme de l’Europe, le pouvoir serait bien inspiré de juguler l’insécurité qui gangrène le territoire national. Et d’en combattre les causes, que chacun connaît. Quand un pays ne maîtrise plus ses frontières, quand il renonce à imposer la loi dans les « quartiers », faute de moyens humains et matériels, quand il laisse notamment le fléau de la drogue essaimer partout, jusqu’aux territoires ruraux jusque-là épargnés, son pays légal n’a pas à jouer au matamore. Un pays qui s’effondre de l’intérieur n’impressionne guère des adversaires, fussent-ils imaginaires.
Instrumentaliser l’histoire
Mais il est vrai que s’en inventer permet d’inciter les Français à détourner le regard des enjeux réels et à se montrer plus conciliants sur l’aggravation de la situation du pays. Cela autorise même à leur donner des leçons de civisme, en s’appuyant sur l’histoire. Ainsi, c’est à l’envi que les commentateurs inféodés au pouvoir nous rebattent les oreilles avec le « Mourir pour Dantzig » du 4 mai 1939 dans L’Œuvre du néo-socialiste et pacifiste Marcel Déat — faut-il le rappeler adversaire rabique de l’AF et futur collaborateur. L’Action française, avec raison, avait alors renvoyé dos à dos bellicistes et pacifistes. Elle savait la guerre avec l’Allemagne d’Hitler inéluctable mais voulait la reculer jusqu’à ce que nous fussions préparés. La défaite de juin 40 lui donna malheureusement raison. Mais quoi de commun avec la situation actuelle ? Dantzig, située au nord de la Pologne, était réclamée par l’Allemagne, notre voisin direct et menaçant. Il n’en est évidemment pas de même aujourd’hui : nous n’avons aucune frontière avec la Russie et celle-ci n’a jamais menacé directement la souveraineté territoriale de la France : si ses troupes, en mille ans d’histoire, ont défilé une fois, en 1814, à Paris, c’est que Napoléon était allé bien imprudemment les provoquer à Moscou deux ans plus tôt. Mais voilà, aujourd’hui, il y a l’Europe ! Et il faudrait accepter de perdre nos enfants au nom d’une solidarité plus atlantiste qu’européenne fondée sur l’inféodation au mondialisme bruxellois et à l’OTAN, tout en nous interdisant de jouer notre rôle historique d’équilibre — un équilibre qui ne saurait être trouvé sans la Russie. Il faudrait même que nous perdions notre souveraineté militaire ! On ne dira jamais suffisamment le désastre qu’a provoqué, jusque dans la mentalité de certains de nos hauts gradés, le retour dans le commandement intégré de l’OTAN, ce retour avalisant dans certains esprits notre recul comme simple puissance supplétive des États-Unis. Jusqu’au mythe de l’inclusion depuis De Gaulle de « la dimension européenne » dans la question de la dissuasion nucléaire française. Mais l’Europe de 1965 n’était pas celle de 2025 ! Elle était réduite aux six États fondateurs du marché commun ! Nulle question alors de faire servir notre arme atomique à la défense de pays qui étaient sous domination soviétique quand ils ne faisaient pas partie de l’URSS elle-même ! Malheureusement, face à un chancelier allemand gourmand, Macron l’Européen est prêt à tout lâcher. Voire à jouer les provocateurs. Les mois prochains seront décisifs. Et il faudra s’opposer de toutes nos forces au projet de marché unique de la défense voulu par Bruxelles et qui signerait notre allégeance définitive à la puissance militaire américaine — ce que veut Trump sous prétexte de se désengager d’Europe.
https://www.actionfrancaise.net/2025/12/01/europe-vraies-et-fausses-menaces/