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culture et histoire - Page 1219

  • Le 21 janvier 1793…

    fut guillotiné un homme intelligent, très cultivé (à son époque, il était l’un des rares Français à écrire sans truffer ses textes d’une multitude de fautes d’orthographe et un grand connaisseur des choses maritimes, de l’histoire antique et moderne, de la géographie physique et humaine), par ailleurs excellent époux et père, pieux au-delà du raisonnable et même fort peu dépensier (contrairement à son épouse) : Louis XVI, passé du statut de roi de France et de Navarre à celui de roi des Français (1791), « restaurateur des libertés » (1790).
    Il avait parfaitement mérité le sort que lui réserva la Convention Nationale ! Cet excellent homme était un faible, un irrésolu, incapable de diriger un État et de réprimer l’agitation de quelques privilégiés (1787-1788), puis celle de quelques dizaines d’intrigants, œuvrant pour son très ambitieux et très lâche cousin (1788-92), enfin l’embrouillamini créé à dessein par quelques centaines d’excités avides de sensations fortes, de publicité, de places et de richesses.
    Quand l’on est insuffisant pour la fonction que l’on occupe, pour la tâche échue par naissance ou par élection, la sagesse commande de se retirer en faveur d’un plus apte. C’est une « leçon de l’histoire » que certains de nos contemporains feraient bien de méditer.
    Car s’il est facile de « colérer le peuple » (c’est une expression empruntée à un expert : Maximilien Robespierre, qui – comme messieurs Danton, Marat et bien d’autres – avait usurpé la particule avant de se faire appeler « citoyen »), il est beaucoup plus malaisé de le faire réintégrer sa tanière.

    Docteur Bernard Plouvier

    http://www.voxnr.com/cc/di_varia/EuVFVFFuVAdUosyGDO.shtml

  • Les ploutocrates actuels

    Entre 2000 et 2004, les émoluments des patrons des quarante plus grandes entreprises françaises cotées à la Bourse – dites du CAC 40 – ont doublé pour atteindre une moyenne de 2,5 millions d’euros annuels. Si l’on y inclut les stock-options dont ils bénéficient (il s’agit de la possession d’actions attribuées à un cours avantageux), le chiffre passe à 5,6 millions d’euros en 2004, selon le cabinet d’études Proxinvest, soit plus de 15 000 euros par jour. Les patrons français les mieux payés ont ainsi empoché en 2005 : 22,6 millions d’euros (Lindsay Owen-Jones, L’Oréal), 16,3 (Bernard Arnault, LVMH), 13,7 (Jean-René Fourtou, Vivendi), etc. Arnaud Lagardère (Lagardère SCA) était, hors stock-options, le mieux payé : 7 millions. Il faut descendre jusqu’au 79èmepatron du classement dressé par Capital pour passer en dessous du million d’euros de rémunération annuelle.

                Les chefs d’entreprise ne sont pas seuls à bénéficier de la manne. Depuis 1998, les émoluments des 435 membres des comités de direction des sociétés du CAC 40 ont, selon Proxinvest, grimpé de 215%, alors que, durant la même période, le salaire des Français n’a progressé que de 25%.

                Au salaire et aux stock-options, il convient souvent d’accorder à nos amis les patrons un cadeau de bienvenue lors de leur arrivée dans l’entreprise – deux ans de salaire –, une prime de sortie, une retraite-chapeau assurant 40% du revenu – par exemple, 1,2 million d’euros par an pour Daniel Bernard, de Carrefour –, les frais payés – carte de crédit d’entreprise, repas, chauffeur, conseiller fiscal –, les jetons de présence pour participation aux conseils d’administration d’autres entreprises que la leur, etc. Ces conseils d’administration sont une coutume permettant à la tribu des dirigeants de raffermir ses liens ; les jetons ajoutent un agrément à la joie de se revoir : ils seraient en moyenne en 2004 de 34 500 euros.

                La France n’est pas seule à choyer ses patrons. En 2005, selon une étude de Standard & Poor, la rémunération moyenne des P-DG des 500 plus grandes firmes des Etats-Unis s’élève à 430 fois celle du travailleur moyen – dix fois plus qu’en 1980. Le patron de Sonoco, John Drosdick, reçoit 23 millions de dollars par an, ceux d’ATT, Edward Whitacre, 17 millions, d’US Steel, John Surma, 6,7 millions, d’Alcoa, Alain Belda, 7,5 millions.

                Quitter ces entreprises est l’occasion d’emporter un magot. En décembre 2005, Lee Raymond, le dirigeant d’Exxon, la grande compagnie pétrolière américaine, a pu soulager la tristesse de son départ avec un paquet de 400 millions de dollars. Le patron d’Occidental Petroleum s’est contenté de 135 millions de dollars en trois ans. Richard Fairbank, P-DG de Capital One Financial, a mieux joué : 249 millions de dollars quand il a levé ses stock-options en 2004.

                En France, les cadeaux de départ sont moins plantureux, mais pas tout à fait dérisoires. Daniel Bernard, patron de Carrefour, part en avril 2005 avec des indemnités de licenciement de 38 millions d’euros auxquelles s’ajoute 0,6% de capital en tant que stock-options, soit quelque 170 millions d’euros. Antoine Zacharias, P-DG de Vinci, quitte cette entreprise en janvier 2006 avec une prime de 13 millions d’euros, pour aider à lui faire oublier son salaire annuel de 4,3millions de 2005, et que complète un matelas de plus de 170 millions de stock-options. Jean-Marc Espalioux, président du directoire d’Accor, part en janvier 2006 avec 12 millions d’euros. Igor Landau (Aventis), qui a perdu l’OPA qui lui a lancée Sanofi, empoche également 12 millions. Havas se sépare d’Alain de Pouzilhac et de 7,8 millions.

                En 1989, Jacques Calvet, dirigeant de Peugeot, avait fait scandale parce qu’il s’était accordé une rallonge de 46% en deux ans – avec 2,2 millions de francs (330 000 euros), il pesait 30 fois le salaire d’un ouvrier de son entreprise. Aujourd’hui, ses collègues du CAC 40 gagnent plus de cent fois plus que le smicard. En 2000, rapporte Le Monde, le « gourou du management Peter Drucker » avait lancé une mise en garde : « Il y a trente ans, le facteur multiplicatif entre le salaire moyen d’une entreprise et le salaire le plus élevé était de 20. Maintenant, on avoisine les 200. C’est extrêmement pernicieux. Le banquier J.P. Morgan, dont on ne peut douter qu’il aimait beaucoup l’argent, avait fixé comme règle que le top management ne devait pas avoir un salaire qui excède vingt fois celui d’un salarié moyen. Cette règle était très sage. Il y a aujourd’hui une attention démesurée portée aux revenus et à la richesse. Cela détruit totalement l’esprit d’équipe. » M. Drucker a beau être « gourou », les managers ne l’ont pas écouté.

                Le plus étonnant dans cette « bacchanale », pour reprendre le mot deForbes, est que ce ne sont pas les salariés ou les partis de gauche qui protestent le plus vivement contre ce hold-up organisé, mais les actionnaires et les investisseurs, qui jugent que le partage de la plus-value en faveur desdits managers se fait à leur détriment…

    Comment les riches détruisent la planète, Hervé Kempf 

    http://www.oragesdacier.info/

  • Michel Drac : « Dans l'histoire, quand un pouvoir n'a plus de cartes à jouer, il renverse la table. »

    Le philosophe Michel Drac analyse la trajectoire de la France dans des temps incertains.
    Entretien pour Kernews.

    Le système a atteint ses limites, tout le monde le sait. Comme le ferait un mathématicien, peut-on analyser la trajectoire de la France d’après une triangulation à partir de sa politique étrangère, sa politique économique et sa politique intérieure ? Tel est l’exercice auquel s’est attaché le philosophe Michel Drac dans son dernier livre « Triangulation : repères pour des temps incertains ». Michel Drac est essayiste et diplômé d’école de commerce. Il a créé le «concept fractionnaire». Il se dit «persuadé que ce sont les minorités qui incubent les systèmes de représentation» et il suggère à la dissidence française de s’organiser en «contre-société fractionnaire», pour prospérer «à l’intérieur de la société ordinaire» avant de prendre le contrôle de celle-ci par une stratégie méthodique d’infiltration. Dans cet ouvrage, il invite le lecteur à envisager la France d’après, en estimant qu’il sera plus intéressant pour les Français de vivre après la France, que de vivre avec la France. Il nous explique sa vision de la France de demain.

    «Triangulation : repères pour des temps incertains » de Michel Drac est publié par les éditions Le Retour aux sources.
    Ecoutez l’entretien entre Yannick Urrien et Michel Drac diffusé vendredi 8 janvier 2016 sur Kernews :

    « On a des dirigeants qui ne peuvent pas empêcher la catastrophe et, à un certain moment, le Daladier de service va se retrouver devant la catastrophe et il ne pourra rien faire. »

    Kernews : Vous analysez l’effondrement du système, tout en semblant dire que ce n’est finalement pas si grave, car on s’en sortira : l’esprit français perdurera. Est-ce le message que vous avez voulu faire passer ?

    Michel Drac : J’ai voulu faire passer comme message l’idée qu’il y a un avenir après la fin du monde tel qu’on le connaissait. Aujourd’hui, il y a un certain nombre de gens qui refusent de considérer la fin d’un monde dans lequel ils ont vécu, qui était un monde où l’État-nation, incarné dans une certaine République, pouvait peser dans le monde et protéger sa population de façon efficace. La réalité, c’est qu’aujourd’hui cet État-nation a de plus en plus de mal à protéger sa population. D’ailleurs, on peut se demander dans quelle mesure c’est encore la mission que les dirigeants s’assignent, étant donné la politique qu’ils déploient… C’est une question que l’on peut se poser. D’autre part, il n’est pas certain que l’état, même dégradé, dans lequel se trouve notre État-nation puisse perdurer encore au-delà de quelques années. Mais, après, il y a un avenir. Ou cet État-nation se transforme, paradoxalement en revenant à un certain nombre des fondamentaux qu’il a perdus en s’adaptant à la mondialisation, ou il invente une nouvelle façon de protéger sa population en se refondant, ou il disparaît… Mais dans le cas où il disparaît, la population est toujours là et elle peut toujours faire face à l’avenir. L’État-nation est en train de se briser, mais il n’est pas le seul. La superstructure que les classes dirigeantes ont essayé de construire au-dessus de l’État-nation, en partie pour le délier de ses missions, à savoir l’Union européenne, est aussi en train de se briser. Paradoxalement, le fait que les structures super-étatiques que l’on a voulu construire tombent encore plus vite que les États-nations qu’elles étaient chargées de démanteler peut ouvrir des portes inattendues à la refondation de l’État-nation.

    On entend souvent cette phrase : « Oui, c’est foutu… ». Or, les mêmes qui reconnaissent que la France est au bord du gouffre, vous les retrouvez plus tard projetant leurs espoirs sur des gens comme Alain Juppé, Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Nicolas Sarkozy… En s’efforçant ainsi de se raccrocher à un sauveur potentiel, le peuple espère-t-il inconsciemment recréer un jour un grand pays ?

    Si l’on regarde les fondamentaux de la puissance au XXIe siècle, la France n’a pas les moyens de redevenir un grand pays. C’est quelque chose qu’il faut intégrer. La France n’est pas un pays négligeable, c’est une puissance moyenne qui pourra peser dans le débat au XXIe siècle. Mais, si l’on regarde les fondamentaux de la puissance au XXIe siècle, elle a assez peu de chances de redevenir un grand pays. Je ne vois pas très bien comment une France peuplée par 70 millions de personnes, avec un âge moyen de 45-50 ans, va pouvoir s’imposer dans un monde où les poids lourds sont les États-Unis avec 400 millions d’habitants, une Chine avec 1,4 milliard d’habitants et une Inde à 1,4 milliard d’habitants. Ou encore une Russie, qui a certes des problèmes démographiques, mais qui est appuyée sur son gigantesque potentiel territorial et de matières premières.

    Certains vous répondront que c’est l’Europe qui peut porter cet espoir…

    C’était en partie l’idée des classes dirigeantes et cette idée n’était pas stupide. On peut imaginer, effectivement, qu’une Europe qui soit vraiment européenne et qui poursuive réellement comme objectif de constituer un pôle de puissance le devienne. Le problème, c’est que ce que nous appelons aujourd’hui l’Europe n’est pas l’Europe. On le voit bien avec le Traité transatlantique. Ce que nous appelons l’Europe, par rapport aux États-Unis, aujourd’hui, c’est un peu ce que la Grèce assujettie à Rome a pu être au début de l’Empire romain. L’Europe des multinationales, l’Europe des lobbyistes, l’Europe de la soumission systématique aux intérêts américains, cela n’offre pas la possibilité de refonder un axe de puissance. Après, on peut imaginer une autre Europe qui serait tout à fait différente dans les visées qu’elle poursuivrait et aussi dans sa Constitution.

    «Triangulation» est l’analyse de la situation de la France comme un objet qui effectue une trajectoire dans le cosmos et, lorsque vous évoquez la disparition de la France, vous estimez que cela serait peut-être une chance d’être la France d’après la France…

    La France existe encore aujourd’hui, mais elle est en train de se défaire petit à petit. L’un des scénarios possibles pour l’avenir, même s’il y en a d’autres, c’est qu’elle finisse de se défaire. Il existera peut-être encore pendant longtemps un truc qui s’appellera la République française, mais ce ne sera plus une République : ce sera une administration coloniale qui administrera un territoire sur lequel il y aura une population qui n’aura plus grand-chose à voir avec le peuple français. À ce moment-là, les gens qui sont Français parce qu’ils pensent en français, que deviendront-ils ? On va continuer à exister, il y aura toujours des Français, même si la France sur un territoire précis disparaît. Donc, il est assez fascinant de se demander ce que vont devenir ces Français d’après la France. Il y a plusieurs scénarios possibles. Il y a des scénarios assez noirs où, effectivement, nous ne devenons rien. Il arrive que des gens disparaissent en deux ou trois générations…

    Comme les Indiens d’Amérique ?

    Oui et comme beaucoup de peuples dans le passé. Certains disparaissent par élimination physique, d’autres par la perte de leur héritage culturel ou par un métissage systématique. Mais on peut aussi imaginer un autre avenir. Par exemple, à l’intérieur du territoire français, des enclaves où se constituent petit à petit des isolats spécifiquement français. On peut aussi imaginer un avenir où l’identité française mute en devenant une identité culturelle à caractère diasporique et nous deviendrions l’un de ces nombreux peuples qui ont existé par le passé sur un territoire et qui se sont déterritorialisés. C’est certainement plus difficile que de vivre sur notre territoire, avec la sécurité que nous apporte notre territoire mais, même si c’est plus difficile, d’une certaine manière, cela peut être plus intéressant. En supposant qu’une fenêtre de tir s’ouvre et qu’effectivement arrivent au pouvoir en France des gens qui sont décidés à restaurer le pays, il faut se rendre compte que ces gens vont avoir à gérer la population française telle qu’elle est aujourd’hui. Il va falloir qu’ils gèrent la population telle qu’ils vont en hériter, un système qui existe depuis maintenant quatre décennies et qui est un système totalement malsain qui a contaminé la population en profondeur. C’est un beau défi, mais refaire de la France un pays digne, fort et respecté, avec une population du type «Les Marseillais en Thaïlande», pour reprendre une référence à cette émission de télé-réalité, ce n’est pas gagné… On peut aussi voir quelque chose de complètement nouveau émerger à partir de l’identité française.

    Pour la territorialisation de la France, les zones les moins touchées par l’immigration sont celles qui ont le plus voté pour le PS, comme en Bretagne : cela veut dire que tant que les gens ne sont pas confrontés à un problème, ils ne se posent pas la question…

    Les populations ne réagissent pas en fonction d’une analyse rationnelle de la situation. Les déterminants du vote, chez la grande majorité des électeurs, ne vont pas chercher aussi loin. Ce n’est pas parce que les gens sont bêtes, c’est simplement parce que la plupart du temps la grande majorité des gens ne s’intéressent pas aux grandes questions politiques, économiques ou sociales. La plupart des gens sont des braves gens, ils veulent faire ce qu’ils peuvent pour faire avancer la cité dans la bonne direction, mais ils ne vont pas passer le temps nécessaire pour s’informer et comprendre la complexité du monde ou de la cité. C’est très compliqué, ils ont un travail, une famille… Très souvent, ils vont voter en fonction de leurs intérêts catégoriels, ou en fonction d’une sorte de sensibilité vague à caractère presque instinctif. De façon très logique, vous avez trois grandes forces qui se détachent. Le Parti socialiste et ses satellites de l’ancienne gauche plurielle, cet ensemble qui se présente encore officiellement comme le grand parti des ouvriers, une vaste bouffonnerie : en gros, c’est le parti des bénéficiaires de la mondialisation, c’est le parti de la classe moyenne supérieure, de la classe moyenne du secteur tertiaire et d’une partie de la fonction publique. Ils vont continuer à être payés comme on était payé dans la France d’avant et ils vont acheter des produits créés par des ouvriers payés à la chinoise. Donc, il sont pour et c’est normal. Ensuite, vous avez un deuxième bloc, Les Républicains, essentiellement un électorat âgé. Cela va d’ailleurs finir par poser un gros problème à cette tendance politique, si elle ne se renouvelle pas. Enfin, vous avez un troisième bloc, dont le cœur est formé par le Front national, mais vous pouvez y adjoindre curieusement quelques sensibilités marginales situées aujourd’hui à l’extrême gauche. Ce troisième bloc est constitué par la rencontre de deux électorats. Il y a les perdants de la mondialisation sur le plan économique, essentiellement les employés et les ouvriers, et il y a également les perdants de la mondialisation sur le plan des flux migratoires, c’est-à-dire les gens qui sont heurtés par l’immigration. Aujourd’hui, vous allez forcément avoir des zones où ce vote de rupture va être moins répandu, tout simplement parce que ce sont des zones que, pour diverses raisons, le choc de la mondialisation a relativement épargnées. La Bretagne a deux caractéristiques depuis 40 ans : d’abord, en termes de flux migratoires, elle a été moins touchée que la plupart des autres régions françaises et, en termes économiques, elle a des taux de croissance qui sont bien meilleurs que dans le reste de la France, même si les choses se gâtent sérieusement. Comme vous avez un tissu économique qui n’est pas plombé par des vieilles industries déclinantes, vous allez trouver beaucoup de gens qui peuvent se penser, pour l’instant, comme de petits bénéficiaires de la mondialisation. Mais cela ne valide pas du tout l’hypothèse d’une territorialisation de la France. Si ce qui s’est passé le 13 novembre dernier à Paris se reproduit tous les six mois – ce que je ne souhaite pas, évidemment – si ce qui s’est passé en Corse se reproduit de plus en plus souvent et de plus en plus fort, si l’on imagine que tout dérape vraiment, si ces braves Bretons qui, pour l’instant, sont un peu loin de tout cela découvrent que leur pays est en train de basculer dans la guerre civile, ce qui peut arriver, je peux vous dire que ces Bretons n’accepteront pas le transfert de 300 000 ou 400 000 migrants parce que la situation devient trop chaude dans les autres régions… À ce moment-là, ils réfléchiront dans des termes très différents.

    Vous évoquez également la stratégie de tension menée par le pouvoir, tension sécuritaire ou tension fiscale. Vous avez été l’un des premiers à en parler il y a deux ans : comment analysez-vous l’accentuation de ce phénomène ?

    Dans l’histoire, quand un pouvoir n’a plus de cartes à jouer, il renverse la table. Sur la table, le pouvoir a perdu. Les classes dirigeantes actuelles n’ont plus rien à proposer. Le pays tombe lentement sur le plan économique, les chiffres du chômage sont inquiétants, mais si l’on regardait les réalités en face, ce serait bien plus inquiétant. En réalité, le taux d’activité est en train de baisser de façon dramatique en France. Le pays est aussi en train de tomber financièrement. Le pouvoir n’a aucun moyen d’inverser cela parce qu’ils se sont enfermés, notamment avec l’euro, dans une mécanique mortifère dont ils ne peuvent plus sortir. Quand je parle du pouvoir, il s’agit de l’ensemble des classes dirigeantes actuelles, c’est-à-dire les gens qui ont gouverné la France depuis 40 ans. Maintenant, ils savent que c’est cuit, ils ne peuvent plus faire autre chose que gérer la faillite du truc qu’ils ont essayé de constituer.

    Certains sont convaincus qu’ils sont capables de redresser les choses… Par exemple, des gens comme Alain Juppé ou Bruno Le Maire savent-ils au fond d’eux-mêmes que c’est plié ? Pourquoi se battent-ils autant pour accéder au pouvoir, si c’est cuit ?

    En général, les gens qui s’approchent du pouvoir sont irrésistiblement attirés. Un homme politique est programmé pour avoir le pouvoir et pour le garder. Je crois aussi que ces gens se disent : «On ne sait jamais…». Et c’est vrai, l’histoire est parfois illogique, il y a parfois des échappatoires inattendues. Mais, franchement, dans les années qui viennent, il va se passer en France ce qui s’est passé quand Daladier est arrivé au pouvoir. On a des dirigeants qui ne peuvent pas empêcher la catastrophe et, à un certain moment, le Daladier de service va se retrouver devant la catastrophe et il ne pourra rien faire. Au fond d’eux-mêmes, ils doivent savoir que la situation est extrêmement dangereuse et le seul moyen pour eux de garder le contrôle de la situation, ce sera de durcir le modèle de société, en allant vers une situation de moins en moins démocratique. À partir de là, il fallait s’attendre à voir émerger une stratégie de la tension parce que, quand un pouvoir est dans cette situation, logiquement, il va choisir la stratégie de la tension pour pouvoir durcir le modèle de société.
    9 janvier 2015.

    http://www.scriptoblog.com/index.php/archives/actu-videos-auteurs/140-entretiens/1843-michel-drac-dans-l-histoire-quand-un-pouvoir-n-a-plus-de-cartes-a-jouer-il-renverse-la-table

  • Frédéric Rouvillois, Être (ou ne pas être) républicain

  • Balzac, révolutionnaire-conservateur?

    Honoré de Balzac, écrivain français, est né le 20 mai 1799 à Tours et mort le 18 août 1850 à Paris. Après avoir fréquenté l’école à Vendôme, Tours et Paris, Balzac étudie de 1816 à 1820 le droit dans la capitale française. Après avoir obtenu son “Baccalauréat de droit”, il n’exercera finalement que le métier d’écrivain et de publiciste, la plupart du temps sans succès. Bref intermède: il fut éditeur et imprimeur de 1825 à 1827, ce qui se termina par une faillite catastrophique qui l’endetta jusqu’à la fin de ses jours. A partir de 1830, son oeuvre principale, “La Comédie humaine”, cycle de romans, parait à intervalles réguliers. Elle le rendra célèbre et lui procurera le succès. Désormais écrivain en vue, il s’engage politiquement dans le camp des légitimistes à partir de 1832. Mais sa candidature pour le Parlement, qu’on avait prévue, ne fut toutefois pas retenue. En tant qu’éditeur et rédacteur de revues telles “Chronique de Paris” (1836) et “Revue de Paris” (1840), il ne connut aucun succès. A partir de 1841, il dut affronter de sérieux problèmes de santé, parce qu’il travaillait trop mais cela ne l’empêcha pas d’oeuvrer inlassablement à la “Comédie”. Entre deux longs séjours en Russie (en 1847 et en 1849), chez celle qui deviendra plus tard sa femme, la Comtesse polonaise Hanska, il prit une dernière fois position en politique française en 1848. Peu après son retour à Paris, il mourut d’épuisement, écrasé par le travail.

    Dans la “Comédie humaine”, Balzac a mis sous une forme romanesque un panorama quasi complet de la vie politique et de l’histoire françaises entre 1789 et 1840. Il subdivisa son oeuvre en “Scènes”: “Scènes de la vie privée”, “Scènes de la vie provinciale”, “Scènes de la vie parisienne”, “Scènes de la vie politique”, “Scènes de la vie militaire”, “Scènes de la vie rurale”. Les figures principales de ces “scènes” sont, notamment, l’écrivain Lucien de Rubempré, qui se surestime et atteint l’hybris, Vautrin, criminel notoire, Rastignac, le carriériste et le courageux écrivain légitimiste d’Arthez. Sous l’influence d’écrits alchimiques, mystiques et magiques, Balzac développa une curieuse “doctrine de l’énergie”, qu’il nous faut comprendre si nous voulons saisir le sens de son oeuvre. Cette doctrine conçoit l’individu mais aussi les Etats, les peuples et les cultures comme des instances porteuses d’énergies. Elle postule dès lors que les plus hautes valeurs sont celles qui maintiennent ou augmentent cette énergie, en faisant preuve de mesure et en assurant les continuités. Dans ce sens, nous pouvons dire que la pensée politique de Balzac est “un conservatisme énergisant” (comme le remarquera Curtius).

    Les convictions politiques fondamentales de Balzac, d’essence conservatrice et légitimiste, se révèlent tout entières dans l’avant-propos de sa “Comédie” (rédigé en juillet 1842). Le christianisme, en l’occurrence le catholicisme, est pour lui “un système achevé pour refouler les tendances les plus perverses de l’homme et constitue de la sorte l’élément le plus puissant dans l’ordre social”, à condition qu’il soit associé au monarchisme. En toute logique, Balzac rejette ainsi le droit de vote illimité et la domination des masses qui en résulte (il dit qu’elles sont “tyranniques sans limite aucune”). Il écrit: “La famille et non l’individu est le véritable élément social”; expressis verbis, il se range “du côté de Bossuet et de Bonald au lieu de courir derrière les innovateurs modernes”.

    Déjà dans ses premières brochures politiques de 1824, le jeune Balzac avait brisé une lance pour conserver et consolider le “droit d’aînesse” (in: “Du droit d’aînesse”) et avait défendu l’ordre des Jésuites (“Histoire impartiale des Jésuites”). En 1830, il se prononce pour une monarchie de constitutionalisme modéré, qu’il dépeint comme un “heureux mélange” de despotisme extrême et de démocratie, bien qu’il voulût plutôt rénover la royauté patriarcale du moyen âge; en 1832, il se range du côté du légitimisme d’opposition, le plus rigoureux, et finit par défendre aussi l’absolutisme pré-révolutionnaire. En 1843, il avait prévu d’écrire un ouvrage politique, glorifiant la monarchie, mais ce projet ne se réalisa pas. Dans les dernières années de sa vie, Balzac se fit l’avocat d’une dictature légitimiste, appelée à rétablir l’ordre traditionnel. Ses orientations politiques demeurèrent constantes: il voulait le retour d’un ancien régime transfiguré.

    Balzac constatait que les pathologies qui affligeaient son pays, la France, résidaient principalement dans le centralisme et dans le rôle calamiteux du “Moloch” parisien. Bon nombre d’interprètes marxistes de l’oeuvre balzacienne n’ont pas tenu compte des principes éminemment conservateurs de ses idées politiques ni ne les ont compris; en revanche, ils ont bien capté les descriptions et la dénonciation du capitalisme bourgeois des débuts (Lukacs, Wurmser). La critique sévère et pertinente de la modernité, que l’on découvre dans les analyses précises de Balzac sur l’effondrement du vieil ordre européen, reste à étudier et à découvrir.

    Dr. Hans-Christof KRAUS.

    (entrée parue dans: Caspar von Schrenck-Notzing, “Lexikon des Konservatismus”, Leopold Srocker Verlag, Graz, 1996; trad. franç.: Robert Steuckers, 2009).

    http://vouloir.hautetfort.com/archive/2015/11/13/balzac-revolutionnaire-conservateur.html

  • Réflexions sur l’oeuvre de Hans Grimm (1875-1959)

    Le nom et l’oeuvre de Hans Grimm sont quasiment oubliés aujourd’hui. On ne se rappelle plus, à l’occasion, que du titre de son roman à succès, “Volk ohne Raum” (= “Peuple sans espace”), un titre que l’on mésinterprète presque toujours en répétant à satiété l’allusion perfide qu’il correspondrait mot pour mot à une formule propagandiste des nationaux-socialistes; on évoque dès lors son oeuvre sur le ton moralisateur, en prenant “ses distances”. Les rares tentatives de réhabiliter l’oeuvre littéraire de Hans Grimm, de lui témoigner une reconnaissance méritée, ont échoué car Grimm, représetnant d’une bourgeoisie allemande cultivée et conservatrice, demeure “persona non grata”.

    Grimm, en effet, est issu du milieu de la grande bourgeoisie cultivée (la “Bildungsbürgertum”), où, rappelle-t-il dans ses souvenirs de jeunesse, “on écoutait de la bonne musique et lisait de bons livres, en cultivant les belles et nobles formes”. Le père de sa mère avait été "Juror" dans plusieurs expositions universelles; son grand-père paternel avait été inspecteur général des écoles de Hesse et homme de confiance du Prince électeur.

    Le père de notre écrivain, né en 1821, avait étudié le droit jurisprudentiel, était d’abord devenu professeur à Bâle puis secrétaire général de la “Südbahngesellschaft” (= la société des chemins de fer du sud), un consortium franco-autrichien, ce qui lui avait permis de mener une existence princière dans les environs de Vienne. Il se consacrait très intensément à ses penchants littéraires et à sa galerie d’art, exposant les peintures qu’il collectionnait. Quand il a quitté la “Südbahngesellschaft”, il a pris la direction du “Nassauischer Kunstverein” (= “L’association artistique de Nassau”) à Wiesbaden, tout en déployant d’intenses activités politiques: il devint ainsi le fondateur de la “Burschenschaft” (= Corporation étudiante) Frankonia à Marbourg et du “Deutscher Kolonialverein” (= L’association coloniale allemande), avec le concours de Lüderitz et du jeune Carl Peters. Parmi ses amis, on comptait Andreas Heusler (l’Ancien), Julius Ficker, le philologue classique Karl Simrock et Karl von Etzel, le constructeur du chemin de fer du Brenner.

    Hans Grimm nait le 22 mars 1875. Il étudie à Lausanne et à Berlin les sciences littéraires mais se retrouve assez rapidement à l’Institut Colonial de Hambourg et, de là, se rend en 1895 à Londres, pour parfaire une formation commerciale. En 1897, il s’installe en Afrique du Sud. A Port Elizabeth, il travaille d’abord, pendant quelques temps, comme employé auprès du comptoir d’une entreprise allemande, mais, bien vite, il devient négociant indépendant, ce qui lui permettra de vivre d’intéressantes aventures dans la Province du Cap et dans le Sud-Ouest africain allemand. En 1911, il revient en Allemagne, pour étudier les sciences politiques et mettre en chantier, pour un éditeur, son journal de voyage et ses “Nouvelles sud-africaines”.

    Pendant la première guerre mondiale, il sert d’abord comme artilleur sur le front occidental, ensuite comme expert colonial auprès du département “étranger” du commandement suprême de l’armée de terre. Il y travaillera avec Waldemar Bonsels, Friedrich Gundolf, Arthur Moeller van den Bruck et Börries von Münchhausen. En 1918, Grimm s’achète une très belle propriété, située dans un ancien cloître bénédictin, dans la magnifique région de Lippoldsberg, dans la vallée de la Weser. C’est là qu’il résidera jusqu’à sa mort en 1959, interrompant ce séjour par de très nombreux voyages.

    La critique littéraire a toujours précisé que les récits, que Grimm a écrits sur ses expériences africaines, constituaient le meilleur de toute son oeuvre. Et, de fait, ils le sont: leur qualité est incontestable, même s’ils sont oubliés aujourd’hui. Même Tucholsky trouva un jour quelques paroles louangeuses pour les vanter: sous le pseudonyme d’Ignaz Wrobel, en 1928 dans la revue “Weltbühne”, il écrit qu’ils nous procurent “une douce rêverie, celle que cet homme, si expérimenté et si grand voyageur, porte remarquablement sur son visage”.

    Quelles qualités littéraires rendent-elles les récits de Grimm si originaux, si précieux, si agréables à lire? D’abord les descriptions si vivantes et si réalistes de peuples et d’environnements de types très différents: nous y rencontrons des fermiers et des colons blancs; des marchands, des négociants et leurs employés; des noirs travailleurs agricoles ou ouvriers sur les routes; des chasseurs, des policiers allemands et des soldats britanniques casernés dans des forts isolés; des Cafres, des Héréros et des Hottentots. Les affrontements entre Boers et Britanniques forment souvent l’arrière-plan de ces scénarios à strates multiples. Grimm se révèle virtuose dans l’art de camper des caractères humains, avec leurs désirs puissants ou secrets, leurs nostalgies et leurs aspirations, leurs humeurs et leurs ambitions, leurs ressentiments et leurs besoins.

    Grimm décrit également, avec une réelle puissance d’expression, des paysages africains impressionnants ou pittoresques, avec leurs brousses sauvages où l’on se perd, leurs savanes, leurs steppes abandonnées de Dieu et leurs déserts silencieux, leur faune exotique qui pousse des milliers de cris et de rugissements. Le lecteur part ainsi en randonnées ou en expéditions d’explorateurs et est pris dans l’atmosphère unique du continent noir.

    L’écriture de Grimm est épique, dense, elle puise dans des expériences vécues mais, malgré tout, elle recèle une mélancolie, une tristesse inexprimée parce que les destinées qu’il décrit finissent pas échouer, parce que les grands espoirs restent sans lendemain. Destinées et accomplissements des désirs ne se rejoignent pas. Grimm jette un regard tout empreint de sériosité sur les événements de ce monde africain et sait qu’il y a, derrière ce théâtre, une unité qui englobe tout ce qui existe. Tout cela nous est expliqué par un style léger, qui rappelle surtout celui des chroniqueurs. Les formes, par lesquelles Grimm s’exprime et écrit, sont simples mais dépourvues des rudesses et des épaisseurs des naturalistes et des modernistes; en cela, Grimm exprime un conservatisme pratique qui s’accroche aux réalités de la vie quotidienne, mélange d’un sens aigu et clair du réel et de fantastique.

    La grande popularité des récits de Grimm s’explique aisément: ils paraissent à une époque qui était fascinée par les mondes exotiques, qui s’engouait pour les pays lointains, peu visités par les Européens, comme l’Inde, le Mexique ou les Iles d’extrême-Orient ou du Pacifique. Beaucoup de poètes et d’écrivains allemands carressaient le projet un peu fou de commencer une nouvelle vie idéale sous les tropiques. Emile Strauss partit quelques temps au Brésil. Max Dauthendey périt tragiquement à Java. Hermann Hesse n’a jamais cessé de s’enthousiasmer pour l’Inde. Et Bernhard Förster, le beau-frère de Nietzsche, installa une colonie “lebensreformisch” au Paraguay (ndt: le mouvement “lebensreformisch”, “réformateur de la vie”, mouvement à facettes multiples, entendait, en gros, renouer avec une existence naturelle, débarrassée de tout le ballast de la modernité urbaine et de l’industrialisme).

    Dans ses romans également, Grimm prouve son talent exceptionnel d’observateur, par ses descriptions d’une grande exactitude et d’un réalisme parfait; cependant, la masse considérable de matériaux, que traite Grimm, le force, malgré lui, à échapper aux règles de l’art de la composition littéraire et aux formes requises. Son oeuvre romanesque s’inscrit trop dans une tradition littéraire spécifiquement allemande, celle du “Bildungsroman” ou de l’ “Entwicklungsroman” (= le roman qui narre une formation intellectuelle, spirituelle ou pratique, qui recense l’évolution d’une personnalité dans son environnement et face à lui). Les figures principales de ces romans sont donc conçues selon le leitmotiv d’une personnalité qui se construit et, par suite, fait appel au lecteur, pour qu’il acquière lui-même une même rigueur, une même volonté d’action, assorties d’un courage, d’un enthousiasme et d’une auto-discipline qui forment et consolident la personnalité.

    “Der Ölsucher von Duala” est un roman de 1918, que Grimm écrit à la demande de Solf, Ministre des Colonies du Reich. Il y décrit les souffrances endurées par les civils allemands dans les colonies perdues. Le roman protocole littéralement les événements survenus dans ces colonies car Grimm a travaillé exclusivement sur des documents réels. Son intention était de tendre un miroir aux Alliés, qui accusaient les Allemands d’atrocités, et de leur montrer les effets de leur propre fanatisme. “Volk ohne Raum” de 1926 est un ouvrage qui se veut programme: il constitue une vision romantique d’avenir, celle d’une vie idéale dans les immensités de l’Afrique.

    Grimm, dans un premier temps, a salué l’avènement du national-socialisme, en le considérant comme une grande insurrection révolutionnaire et comme un mouvement populaire impulsif, comparable à la Réforme protestante en Allemagne. Les potentialités destructives et la radicalité perverse du mouvement lui ont échappé au début. Pourtant, bien vite après la prise du pouvoir, il s’est trouvé lui-même confronté aux effets du système totalitaire. Les manipulations électorales et les nombreux dérapages l’ont choqué. Il n’a jamais cessé de se plaindre auprès des hautes instances du parti et du gouvernement, notamment auprès du Ministre de l’Intérieur Wilhelm Frick, contre les brutalités perpétrées contre les travailleurs socialistes et un dentiste d’origine israélite dans sa région. Ses origines bourgeoises lui conféraient un sens des normes et de la responsabilité éthique; il croyait pouvoir contrer les dérapages et les déviances du national-socialisme, justement parce qu’il avait salué son avènement. Il imaginait que, par sa grande notoriété, personne ne pouvait ignorer ses admonestations ni le battre froid.

    Grimm s’est surtout engagé pour défendre un écrivain juif patriote, historien de l’art et érudit, Paul Landau, qui avait été son supérieur hiérarchique en tant que chef de section du département “presse” auprès du “service étranger” de l’OHL (Haut Commandement de l’Armée de Terre) pendant la première guerre mondiale. Indubitablement, Grimm a été mu par des sentiments de camaraderie: il a aidé un homme menacé dans son existence.

    Un homme comme Grimm, qui prenait des initiatives morales aussi tranchées et sur le ton du défi, devait forcément s’attendre à éprouver des difficultés, surtout s’il proclamait de plus en plus haut et de plus en fort qu’il n’appartenait pas au parti. Cette attitude finit par provoquer une rupture avec Goebbels, Ministre de la Propagande, qui détenait désormais en ses mains toutes les arcanes de la vie culturelle allemande et considérait que ses directives devaient être suivies à la lettre, comme si elles étaient des décisions qui engageaient la patrie entière.

    Grimm, sommé contre son gré d’avoir une entrevue avec Goebbels à Berlin, finit par reconnaître que l’intelligence du démagogue, entièrement fixée sur l’exercice du pouvoir, ne cultivait plus aucun respect pour les principes d’humanité: lui, Grimm, dans un tel contexte, n’avait plus la possibilité d’obtenir quoi que ce soit. La tentative méprisable de l’intimider n’eut aucun effet sur lui, elle ne l’a pas impressionné; impavide, il a même déclaré à son interlocuteur, médusé et perplexe, qu’il n’était pas prêt à faire les petits exercices de soumission et d’obéissance qu’on attendait de lui. La fierté bourgeoise de Grimm, le poids de sa personnalité, l’empêchaient de renoncer à son indépendance d’esprit et à sa liberté de jugement.

    A partir de cette entrevue orageuse, Grimm devint l’objet d’une surveillance méfiante et les rencontres entre écrivains qu’il organisait chez lui à Lippoldsberg pour d’autres auteurs et pour ses admirateurs, furent observées par des agents soupçonneux. Ce fut pire encore, après le cinquantième anniversaire de Hitler; à cette occasion, avec d’autres figures de proue du monde des lettres, on lui demanda de rédiger une contribution hagiographique; il refusa, car une telle démarche, dit-il, relève de la “pure flagornerie”. Grimm était insensible à la corruption.

    Cette indépendance d’esprit et ce refus d’obéissance au pouvoir en place, il les a conservés après la seconde guerre mondiale, à l’époque de la “rééducation” voulue par les Américains, une époque où l’on ne comptait plus les “retournements de veste”; Grimm se heurtait alors aux fonctionnaires mesquins de la “nouvelle culture”. Avec l’entêtement qui le caractérisait, en basculant parfois dans la “psycho-rigidité”, quand le nombre des ennemis croissait, Grimm a combattu l’amnésie et la conspiration du silence qui recouvraient les souffrances endurées par les Allemands; il a lutté aussi contre le fait “que des garnisons étrangères exercent désormais un pouvoir sur nos idéaux de vie, sur nos âmes mêmes, et qu’elles ont créé cette situation parce qu’elles sont un jour arrivées chez nous les armes à la main” (comme l’écrivit à cette époque-là un Friedrich Sieburg). Grimm a tenu à répondre aux accusations que le monde portait contre l’Allemagne et aux tirades haineuses d’un Thomas Mann (qui avait diffamé Carl Schmitt en le traitant “d’exploiteur de la défaite”). Pour contrer ces “légendes noires”, Grimm rédigea quantité de contre-pamphlets et plaidoyers en défense.

    Au début des années cinquante, Grimm s’est engagé dans le SRP (= “Sozialistische Reichspartei”), une formation politique bientôt interdite, en tant que porte-paroles de l’aile national-conservatrice. Grimm avait toujours refusé l’hitlérisme et ses violences mais n’avait jamais renoncé à l’idéal d’une communauté populaire socialiste et nationale. Il meurt le 27 septembre 1959.

    Hans-Georg MEIER-STEIN.

    (article paru dans “Junge Freiheit”, Berlin, n°40/2009; trad. franç.: Robert Steuckers).

    http://vouloir.hautetfort.com/archive/2015/11/13/reflexions-sur-l-oeuvre-de-hans-grimm-1875-1959.html