Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

culture et histoire - Page 1249

  • L'impact de Nietzsche dans les milieux politiques de gauche et de droite

    L'objet de mon exposé n'est pas de faire de la philosophie, d'entrer dans un débat philosophique, de chercher quelle critique adresse Nietzsche, par le biais d'un aphorisme cinglant ou subtil, à Aristote, à Descartes ou à Kant, mais de faire beaucoup plus simplement de l'histoire des idées, de constater qu'il n'existe pas seulement une droite ou un pré-fascisme ou un fascisme tout court qui dérivent de Nietzsche, mais que celui-ci a fécondé tout le discours de la sociale-démocratie allemande, puis des radicaux issus de cette gauche et, enfin, des animateurs de l'Ecole de Francfort. De nos jours, c'est la political correctness qui opère par dichotomies simplètes, cherche à cisailler à l'intérieur même des discours pour trier ce qu'il est licite de penser pour le séparer pudiquement, bigotement, de ce qui serait illicite pour nos cerveaux. C'est à notre sens peine perdue: Nietzsche est présent partout, dans tous les corpus, chez les socialistes, les communistes, les fascistes et les nationaux-socialistes, et, même, certains arguments nietzschéens se retrouvent simultanément sous une forme dans les théories communistes et sous une autre dans les théories fascistes.
    La political correctness, dans sa mesquinerie, cherche justement à morceler le nietzschéisme, à opposer ses morceaux les uns aux autres, alors que la fusion de toutes les contestations à assises nietzschéennes est un impératif pour le XXIième siècle. La fusion de tous les nietzschéismes est déjà là, dans quelques cerveaux non encore politisés: elle attend son heure pour balayer les résidus d'un monde vétuste et sans foi. Mais pour balayer aussi ceux qui sont incapables de penser, à gauche comme à droite, sans ces vilaines béquilles conventionnelles que sont les manichéismes et les dualismes, opposant binairement, répétitivement, une droite figée à une gauche toute aussi figée.
    La caractéristique majeure de cet impact ubiquitaire du nietzschéisme est justement d'être extrêmement diversifiée, très plurielle. L'œuvre de Nietzsche a tout compénétré. Méthodologiquement, l'impact de la pensée de Nietzsche n'est donc pas simple à étudier, car il faut connaître à fond l'histoire culturelle de l'Allemagne en ce XXième siècle; il faut cesser de parler d'un impact au singulier mais plutôt d'une immense variété d'impulsions nietzschéennes. D'abord Nietzsche lui-même est un personnage qui a évolué, changé, de multiples strates se superposent dans son œuvre et en sa personne même. Le Dr. Christian Lannoy, philosophe néerlandais d'avant-guerre, a énuméré les différents stades de la pensée nietzschéenne:
    1er stade: Le pessimisme esthétique, comprenant quatre phases qui sont autant de passages: a) du piétisme (familial) au modernisme d'Emerson; b) du modernisme à Schopenhauer; c) de Schopenhauer au pessimisme esthétique proprement dit; d) du pessimisme esthétique à l'humanisme athée (tragédies grecques + Wagner).
    2ième stade: Le positivisme intellectuel, comprenant deux phases: a) le rejet du pessimisme esthétique et de Wagner; b) l'adhésion au positivisme intellectuel (phase d'égocentrisme).
    3ième stade: Le positivisme anti-intellectuel, comprenant trois phases: a) la phase poétique (Zarathoustra); b) la phase consistant à démasquer l'égocentrisme; c) la phase de la Volonté de Puissance (consistant à se soustraire aux limites des constructions et des constats intellectuels).
    4ième stade: Le stade de l'Antéchrist qui est purement existentiel, selon la terminologie catholique de Lannoy; cette phase terminale consiste à se jeter dans le fleuve de la Vie, en abandonnant toute référence à des arrière-mondes, en abandonnant tous les discours consolateurs, en délaissant tout Code (moral, intellectuel, etc.).
    Plus récemment, le philosophe allemand Kaulbach, exégète de Nietzsche, voit six types de langage différents se succéder dans l’œuvre de Nietzsche: 1. Le langage de la puissance plastique; 2. Le langage de la critique démasquante; 3. Le style du langage expérimental; 4. L'autarcie de la raison perspectiviste; 5. La conjugaison de ces quatre premiers langages nietzschéens (1+2+3+4), contribuant à forger l'instrument pour dépasser le nihilisme (soit le fixisme ou le psittacisme) pour affronter les multiples facettes, surprises, imprévus et impondérables du devenir; 6. L'insistance sur le rôle du Maître et sur le langage dionysiaque.
    Ces classifications valent ce qu'elles valent. D'autres philosophes pourront déceler d'autres étapes ou d'autres strates mais les classifications de Lannoy et Kaulbach ont le mérite de la clarté, d'orienter l'étudiant qui fait face à la complexité de l'œuvre de Nietzsche. L'intérêt didactique de telles classifications est de montrer que chacune de ces strates a pu influencer une école, un philosophe particulier, etc. De par la multiplicité des approches nietzschéennes, de multiples catégories d'individus vont recevoir l'influence de Nietzsche ou d'une partie seulement de Nietzsche (au détriment de tous les autres possibles). Aujourd'hui, on constate en effet que la philosophie, la philologie, les sciences sociales, les idéologies politiques ont receptionné des bribes ou des pans entiers de l'œuvre nietzschéenne, ce qui oblige les chercheurs contemporains à dresser une taxinomie des influences et à écrire une histoire des réceptions, comme l'affirme, à juste titre, Steven E. Aschheim, un historien américain des idées européennes.
    Nietzsche: mauvais génie ou héraut impavide ?
    Aschheim énumère les erreurs de l'historiographie des idées jusqu'à présent:
    - Ou bien cette historiographie est moraliste et considère Nietzsche comme le « mauvais génie » de l'Allemagne et de l'Europe, « mauvais génie » qui est tour à tour « athée » pour les catholiques ou les chrétiens, « pré-fasciste ou pré-nazi » pour les marxistes, etc.
    - Ou bien cette historiographie est statique, dans ses variantes apologétiques (où Nietzsche apparaît comme le « héraut » du national-socialisme ou du fascisme ou du germanisme) comme dans ses variantes démonisantes (où Nietzsche reste constamment le mauvais génie, sans qu'il ne soit tenu compte des variations dans son œuvre ou de la diversité de ses réceptions).
    Or pour juger la dissémination de Nietzsche dans la culture allemande et européenne, il faut: 1. Saisir des processus donc 2. avoir une approche dynamique de son œuvre.

    Lire la suite

  • L’extrême droite en France : l’Œuvre française

    « Quiconque habite en région parisienne a remarqué au moins une fois ces grandes et propres inscriptions au blanc d’Espagne « L’Œuvre française, Pierre Sidos ». Dissipons toute équivoque : L’Œuvre francaise n’est pas un organisme caritatif mais une organisation nationaliste dirigée comme une PME par Pierre Sidos. »
         Âgé de 61 ans, ce dernier appartient à une famille marquée par le nationalisme, et la mort aussi. Avec son père, François Sidos, inspecteur général adjoint au maintien de l’ordre de l’État français et militant du Francisme, fusillé en 1946 suite aux pressions des communistes ; l’un de ses cinq frères, Jean, tué à l’ennemi le 16 juin 1940 ; un autre, Henri, mort au combat en Algérie en 1957. Il était officier de parachutistes tout comme Jean-Pierre Sidos, fils de Pierre, mort l’année dernière à 28 ans dans un accident de la route.
         Pierre Sidos, qui a milité sous l’occupation dans la Jeunesse franciste, passe les premiers mois de la Libération au Struthof où s’entassent les « enfants de collabos ». « C’est de ce temps-là que je garde au cœur une plaie ouverte » dit a-t-il citant le Temps des cerises. En 1954, il crée Jeune Nation, dont l’activisme défraiera la chronique de la IVe finissante. Jeune Nation se singularisera dans l’extrême droite, en s’opposant d’emblée à de Gaulle. Deux jours après le 13 mai 1958, le mouvement est d’ailleurs  dissous. La crise algérienne marquera Sidos : deux ans de clandestinité a partir de la « journée des barricades » puis un an de détention au titre de l’OAS.
         En avril 1968, il fonde enfin l’Œuvre française, qui se veut la résurrection de Jeune Nation.
         Un numéro du Soleil, l’organe du mouvement, proclamait en 1970 : « Nous continuons à travailler dans leur lumière », au dessus de portraits d’Édouard Drumont, de Barrès, de Maurras, du docteur Alexis Carrel et de Brasillach. Ces références françaises n’empêchent pas Sidos de revendiquer l’héritage du fascisme européen, dont il retient notamment le principe du Chef et du parti unique : « Deux pieds ne sont pas supérieurs à une tête » fait-il judicieusement remarquer.
         Dans l’État – où la république – nationaliste, le chef sera désigné par un collège restreint et représentatif de la nation, et seule la mort mettra fin au mandat. « Un système adopté par la papauté » note Sidos, catholique pratiquant et, bien sûr, traditionaliste.
         Naturellement, plus de partis diviseurs et inféodés aux lobbies. « Tout comme Barrès, je suis pour l’état impérial, c’est-à-dire, étymologiquement, sans partis. » Et Sidos de rappeler le précédent de Bonaparte et de sa « république impériale ».
         Une autre caractéristique de l’Œuvre et son antisionisme militant . L’Œuvre a longtemps occupé seule ce dangereux créneau. Le sionisme en France, c’est avant tout certains groupes de pressions bien connus. Curieusement, jamais Sidos n’a eu à subir d’attaques judiciaires de la part du CRIF et autre MRAP. Il a en revanche fait condamner deux fois Pierre Bloch, patron de la LICRA. Son antisionisme a cependant valu à Sidos quelques raids du Bétar, organisation sioniste « d’extrême droite », mais aussi les encouragement du roi Fayçal d’Arabie. Sidos, à ce propos, ne croit pas au concept maurrassien du « Juif bien né », c’est-à-dire patriote ou nationaliste français, bu au juif convertir au catholicisme. Il y a pour lui un déterminisme ethnique plus fort que toute (bonne) volonté. Pour les mêmes raisons, des Arabes ou des Asiatiques ne sauraient être de vrais Français. Mais alors quid de l’Algérie française : « Il fallait garder l’Algérie pour des raisons stratégiques, énergétiques, patriotiques ». Par exemple sous la forme d’un « État associé », un peu comme pour les pays du Commonwealth. On aurait ainsi donné une autonomie aux Arabes sans les « intégrer », c’est-à-dire les naturaliser.

         Revenons en 1988. Et Le Pen ? « Il est le pur produit de la démocratie dans ce qu’elle fait de mieux » pense Sidos, qui conseille à ses ouailles désireuses de voter de le faire pour Le Pen.

    L’armée, on l’a vu, compte chez les Sidos. Pour le chef de l’Œuvre elle est dépositaire des meilleures vertus et traditions françaises. À l’Œuvre, on recommande à tous les jeunes adhérents de faire une préparation militaire supérieure. Le militarisme est d’ailleurs dans l’organisation même : ses membres y portent une sorte de « tenue de parade » – blazer bleu, chemise blanche, cravate rouge (« Pour gommer les différences sociales ») – et les« scouts Jeanne d’Arc » habillent les jeunes de 17 à 20 ans en chemise bleu ciel, foulard rouge et casquette bleue marine.

    Prescriptions pointilleuses également en ce qui concerne les différents emblèmes, drapeaux et insignes du mouvement. « La croix celtique, c’est l’emblème de l’Œuvre française » rappelait une affiche collée par les militants de Sidos, lequel conteste l’utilisation de ce symbole, à la fois païen et chrétien, par les autres groupes nationalistes. Du moins Sidos affiche-t-il sa différence en adoptant une croix blanche, alors que les autres la préfèrent noire, ce qui serait mauvais quant aux réminiscences.

    Dernière nouvelle, l’amende pour le délit de dégradation de monument étant montée à 2.000 francs, l’Œuvre – qui a toujours payé pour ses militants – pourrait renoncer à ses célèbres badigeons. Encore un peu de tradition qui s’envole. 

    Pierre Robin, Le choc du mois, N6, mai 1988. Le dossier « plus loin que Le Pen ».
    L’Œuvre française :
    – Création : avril 1968.
    – Dirigeant : Pierre Sidos (« présideur »).
    – Organe : Le Soleil, bulletin interne.
    – Effectifs : non communiqués.
    – Emblème : la croix celtique ou plus précisément  » Écu en bannière (carré), écartelé d’azur (bleu) et de gueule (rouge), brochant sur le tout une croix celtique d’argent (blanche) ». Existe en insigne métallique émaillé, strictement réservé aux membres.
    – Siège : 4 bis, rue Caillaux, 75013, tél : 47.07.42.53.
  • Bloody Sunday : 43 ans après, un ancien soldat britannique est arrêté

    Âgé de 66 ans, un ex-militaire a été arrêté ce mardi dans le comté d’Antrim, en Irlande du Nord, quarante-trois ans après les affrontements à Londonderry. Il est le premier suspect à être interpellé.

    Ce dimanche sanglant de 1972, treize hommes, âgés de dix-sept à quarante-et-un ans, sont morts sous les balles des parachutistes britanniques. Treize autres ont été blessés; l’un d’entre eux mourrait de ses contusions, quelques mois plus tard.

    Le «Bloody Sunday» est, sans nul doute, l’un des épisodes les plus sombres des trente ans de violences en Irlande du Nord. L’homme arrêté ce mardi et interrogé à Belfast, aurait un lien avec ces événements marquants. Pour le moment, les motifs exacts de sa détention restent inconnus, tout comme son identité. Son arrestation marque, selon Ian Harrison, l’inspecteur en charge de l’investigation, «une nouvelle phase dans l’enquête» menée depuis 2012. L’inspecteur Harrison a malgré tout souligné que les recherches devraient encore durer «quelques temps».

    En quête de vérité

    En quarante-trois ans, trois enquêtes ont été ouvertes sur le «Bloody Sunday». Les conclusions de la première, menée par Lord Widgery, avait été très controversées.

    girlsoldier

    Elles suggéraient que les soldats britanniques, qui ont tiré sur la foule ce jour-là, ne faisaient que répondre aux attaques des manifestants armés d’explosifs et de pistolets. C’est seulement vingt ans plus tard, en 1998, à la fin du conflit nord-irlandais, que Tony Blair lança une enquête publique, afin de connaître les circonstances exactes des affrontements de ce 30 janvier 1972.

    Après douze ans de recherches et d’interrogatoires, le rapport rédigé avait conclu en 2010, que des parachutistes britanniques avaient tiré les premiers dans la foule manifestant à Londonderry, deuxième ville nord-irlandaise. Le Premier ministre britannique, David Cameron, avait présenté, dans la foulée, des excuses, décrivant l’action de l’armée comme «injustifiable», «ce qui s’est produit n’aurait jamais, jamais dû se produire. Certains membres de nos forces armées ont mal agi». À la suite de la publication du rapport, l’enquête avait été ouverte de nouveau en 2012. Depuis, aucune information n’avait été divulguée, à l’exception, en septembre dernier, d’une annonce faite par les services de police nord-irlandais, indiquant leur volonté d’interroger sept ex-soldats sur leur implication.

    Paix en danger?

    L’opinion publique est divisée sur la pertinence de poursuites contre les auteurs de ce drame. Certains estiment qu’elles sont indispensables et d’autres craignent qu’elles ne fragilisent le processus de paix et n’ouvrent une boîte de Pandore.

    Nombre des familles des quelque 3500 personnes tuées lors des trente ans de violences pour l’égalité des droits entre catholiques et protestants en Irlande du Nord, n’ont en effet pas eu droit à un procès.

    Des accords de paix ont été conclus en 1998, mettant fin à l’essentiel des troubles dans la province britannique désormais dirigée par une coalition composée de républicains et d’unionistes.

    Source

    http://www.contre-info.com/bloody-sunday-43-ans-apres-un-ancien-soldat-britannique-est-arrete#more-39856

  • Antoine de Saint-Exupéry: donner un sens à l’homme

    Où est donc passés le temps, désormais lointain, où les ouvrages de Saint-Exupéry remplissaient les vitrines des libraires et que leurs tirages atteignaient les centaines de milliers d’exemplaires, notamment la trilogie des romans d’aviation: “Courrier Sud”, “Vol de nuit”, “Terre des hommes” ; et aussi “Pilote de guerre”. “Le Petit Prince”, édité en français en 1946 et seulement en 1952 en allemand, avec son tirage de plus de quatre millions d’exemplaires, trouve encore des lecteurs aujourd’hui, surtout dans les maisons où souffle encore l’esprit de la “Bildungsbürgertum”, de la bourgeoisie lettrée et cultivée, et chez les adolescents. “La Citadelle” (1948) paraît en Allemagne en 1951 et est demeuré une lecture incontournable pour ceux qui aiment la réflexion et pour les conservateurs éthiques parmi nos contemporains. La figure centrale de cette oeuvre, le Grand Caïd (*), le Prince des sables sahariens, a reçu quelques fois le sobriquet de “Zarathoustra du désert”.

    Saint-Ex’, comme l’appelaient ses amis, appartenait à la génération dite de l’ « éveil spirituel » qu’ont connu nos voisins français après la Grande Guerre. Cette génération comptait notamment Jacques Maritain, Georges Bernanos, François Mauriac, Gabriel Marcel, André Malraux et Emmanuel Mounier. Ce fut un courant intellectuel fort fertile, interrompu seulement par le nihilisme sans consistance du mouvement de mai 68. Aujourd’hui, deux générations après Saint-Exupéry, né le 29 juin 1900, le caractère indépassable de son œuvre et de sa pensée réémerge à la conscience de quelques-uns de nos contemporains.

    Marqué par les bouleversements de son époque, Saint-Exupéry appartient à la grande tradition de l’humanisme occidental, à cette chaîne qui part de Platon pour aboutir à Pascal et à Kierkegaard, en passant par Saint Augustin ; il est, lui aussi, un de ces grands chercheurs de Dieu en Occident, même si l’on peut considérer que sa pensée ne débouche jamais sur les certitudes et la tranquillité des églises traditionnelles. Sa biographie indique la juxtaposition de deux attitudes divergentes: d’une part, il y a l’homme extraverti, qui est pilote ou reporter, qui relate ses impressions du Moscou de Staline ou de la guerre civile espagnole dans les années 30, et, d’autre part, il y a l’homme introverti, proche de la mélancolie, qui produit des méditations et des maximes à la façon des grands moralistes de son pays.

    Sans poésie, sans couleur, sans amour et sans foi

    Au moment où éclate la seconde guerre mondiale en septembre 1939, le pilote de l’aéropostale, déjà mondialement connu, qui amenait le courrier en Afrique occidentale et en Amérique du Sud, est mobilisé dans la force aérienne française. Son unité, après l’armistice, est repliée sur Alger. Pendant l’automne de l’année 1940, il revient en métropole. Il visite Paris occupé en compagnie de Pierre Drieu la Rochelle, pour se faire une idée de la situation nouvelle.

    En décembre 1940, il se rend en bateau à New York, où il écrit « Pilote de Guerre », qui deviendra bien vite un best-seller aux Etats-Unis et en France, du moins jusqu’à son interdiction par les autorités d’occupation. Le départ de Saint-Exupéry pour les Etats-Unis fut sans conteste une décision patriotique contre l’occupation allemande et, plus encore, contre le totalitarisme national-socialiste.

    En mai 1943, Saint-Exupéry se remet à voler, d’abord dans une escadrille américaine, équipée de Lightning et basée en Afrique du Nord, puis dans une escadrille de la « France Libre », basée en Sardaigne puis en Corse. Âgé de 44 ans, le 31 juillet 1944, il ne revient pas de son dernier vol de reconnaissance.

    A Alger, il écrit, fin 1942, sa fameuse « Lettre aux Français », qui montre bien qu’il ne se considérait pas comme un simple « partisan » du gaullisme. A ce moment-là du conflit, alors que Vichy est déjà politiquement mort, il en appelle à la réconciliation des deux Frances, celle du Général de Gaulle et celle du Maréchal Pétain. Il ne s’agit pas de se poser en juge de la situation, écrivait-il, mais de dépasser les clivages politiques et intellectuels de la nation, ceux posés par les royalistes et les conservateurs, par tous les autres jusqu’aux socialistes et aux communistes, par tous les partis et cénacles cherchant à obtenir des postes politiques après la guerre. L’ennemi commun, pour Saint-Exupéry, s’incarnait dans les deux systèmes totalitaires : le marxisme, qui entendait rabaisser l’homme au statut de producteur et de consommateur et voyait dans la distribution du produit social le problème politique central ; et le nazisme « qui enferme hermétiquement les non-conformistes dans un camp de concentration », qui considère les masses comme un « troupeau de bétail à sa disposition », qui élimine le grand art par la diffusion de « chromos de couleurs » et ruine la culture humaine.

    Dans sa « Lettre à un général », paru en juillet 1943 à Tunis, Saint-Exupéry affiche une fois de plus son indépendance d’esprit, lorsqu’il dit déceler du « totalitarisme » également dans la coalition anti-hitlérienne et le dénonce ouvertement : dans le monde industriel occidental, l’humanité « des robots et des termites » se répand, oscillant entre la chaîne de production et le jeu de skat ou de cartes aux moments de loisir.

    Saint-Exupéry avait en horreur cette tendance de l’homme à la « vie grégaire », à cette existence vouée à l’éphémère, se réduisant à se préoccuper de « frigidaires, de bilans et de mots croisés », « sans poésie, sans couleurs, sans amour et sans foi » : c’est en effet un monde de décadence qui soumet, via la radio, les robots « propagandifiés » de l’ère moderne. Par des remarques d’une très grande pertinence, Saint-Exupéry critiquait le système capitaliste, pour la façon dont il s’était développé au 19ième siècle, générant ouvertement le « doute spirituel ». Ses critiques s’adressent également au système des « valeurs cartésiennes » qui induit une seule forme de raison rationaliste, étroite et unilatérale, se développant au détriment de toute véritable vie spirituelle. Celle-ci ne commence que « si l’on reconnaît un être unique par-dessus la matière et par le truchement de l’amour et que l’on prend, pour cette être, une responsabilité ».

    Deux ans avant la fin de la guerre, le penseur et moraliste Saint-Exupéry, dans son uniforme de pilote, se demandait pourquoi l’on combattait, finalement, et quelles allures prendrait l’avenir. Il se demandait si, après la guerre, tout tournerait autour de la « question de l’estomac », autour de l’aide alimentaire américaine comme en 1918-19. Le vieux continent connaîtra-t-il, sous la pression du communisme soviétique avançant vers l’Europe centrale, une crise de cent ans sous le signe d’une « épilepsie révolutionnaire » ? Ou bien une myriade de néo-marxismes se combattront-ils les uns les autres, comme il l’avait vu pendant la guerre civile espagnole ? Cette Europe retrouvera-t-elle un « courant puissant de renouveau spirituel » ou bien « trente-six sectes émergeront-elles comme des champignons pour se scinder immédiatement », ? Saint-Exupéry dénonçait ainsi anticipativement ce monde dépourvu d’orientation que le Pape Benoit XVI, aujourd’hui, désigne sous le terme de « dictature du relativisme ».

    Des communautés dans les oasis et près des sources

    La quintessence de sa pensée, Saint-Exupéry nous la livre dans son ouvrage posthume, « La Citadelle ». Il avait vécu très concrètement le désert, lors de ses longs vols et de ses nombreux atterrissages forcés, comme un espace de dangers imprévisibles ou comme un lieu d’où vient le salut. Il avait connu sa dimension menaçante tout comme les points d’ancrage que sont ses oasis avec leur culture humaine. Le désert, dans cette œuvre littéraire et philosophique, devient l’équivalent de la vie de l’individu et de la communauté des hommes, pour les défis lancés à l’homme par un monde ennemi de la Vie, un monde où il faut se maintenir grâce à des vertus comme la bravoure et le sens de la responsabilité, à l’instar du soldat dans le fort isolé en plein dans ce désert, où, en ultime instance, il s’agit de construire des villes et des communautés viables, dans les oasis et près des sources.

    Un scepticisme conservateur contre le monde moderne des masses

    « La Citadelle » équivaut, sur le plan méditatif, à l’existence de l’homme en communauté et au sein d’un Etat. A la tête de cette « Citadelle » se trouve le Caïd, avatar du philosophe-roi de Platon, qui mène le combat éternel contre le relâchement et le déclin, qui appelle à ce combat, qui l’organise. Il a besoin de la communauté de beaucoup. Saint-Exupéry le décrit, ce Grand Caïd, non comme un dictateur mais comme un Prince empreint de sagesse, comme un père rigoureux, moins César qu’Octave/Auguste. A la vérité, Antoine de Saint-Exupéry est proche du scepticisme des conservateurs face au monde moderne des masses et de leurs formes démocratiques dégénérescentes. Ces formes nous conduisent assez facilement au danger qui nous guette, celui de l’entropie et de l’anarchie. Les masses verront alors un sauveur en la personne du prochain dictateur, exactement selon le schéma cyclique de l’histoire et de la vie politique que nous avait révélé Platon ; la prétendue « libération » de l’individu débouche rapidement sur le déclin et l’effondrement de la culture et de l’homme. La direction politique ne peut donc se limiter à viser des objectifs matériels ou à gérer des processus prosaïques : elle doit essentiellement travailler à consolider la culture et la religion.

    Le mot d’ordre récurrent de Saint-Exupéry dans ses méditations, réflexions et maximes est le suivant : « Donner un sens à l’homme », un objectif qui le hisse au-dessus de son « moi », afin qu’il puisse résister aux éternels dangers de l’appauvrissement intérieur, du relâchement et de l’abandon de tous liens (Arnold Gehlen disait : l’ Abschnallen »), tant au niveau de l’individu qu’à celui de la communauté.

    Klaus Hornung
    notes Trad. Franç. : Robeert Steuckers.

    (*) Dans la version originale française, Antoine de Saint-Exupéry évoque non pas un « Grand Caïd », mais « le Chef ». La version allemande d’après-guerre ne retient évidemment pas ce terme de « Chef », trop connoté, et préfère le terme berbère « Kaid » alors qu’il aurait peut-être fallu dire le «Kadi », comme Abd-El-Krim fut honoré de ce titre. Nous avons préféré reprendre le terme « Caïd », car, aujourd’hui, parler comme Saint-Exupéry risquerait d’être mal interprété par les tenants de la « rectitude politique », comme on dit au Québec, et nous risquerions de récolter, une fois de plus, force noms d’oiseau et de quolibets.

    A relire : Jean-Claude Ibert, « Saint-Exupéry », coll. « Classiques du XXe siècle », Editions Universitaires, Paris, 1960.
    source Junge Freiheit, Berlin, n°27/2008

    http://www.voxnr.com/cc/dt_autres/EkEyEFupVkHGHNVkQz.shtml