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culture et histoire - Page 1251

  • Les Turcs ottomans à l'assaut de l'Europe

    Qui sont ces Turcs qui, à partir de la fin du XIe siècle, se sont attaqués d'abord aux provinces byzantines d'Asie Mineure puis, à la fin du XIIIesiècle, à la partie européenne de l'Empire byzantin avant d'entreprendre la conquête des Balkans, non sans avoir auparavant encerclé le réduit byzantin dont le point fort était la capitale de l'empire, Constantinople qui tomba finalement entre leurs mains en 1453 ? Constantinople n'était pour eux qu'une étape car, au lendemain de sa conquête, ces mêmes Turcs lancent attaques sur attaques en direction de l'Europe centro-danubienne, mettant par deux fois le siège devant Vienne, une première fois en 1529, une seconde — la dernière — en 1683. Qui sont donc vraiment ces Turcs ?

    Les Turcs ne sont pas des Européens

    La langue qu'ils parlent n'est pas une langue indo-européenne ; c'est une langue agglutinante qui appartient à la famille des langues altaïques. Les Turcs sont originaires de Haute Asie tout comme leurs cousins Mongols. Lorsque les Turcs ont fait leur apparition en Europe, une Europe alors totalement chrétienne et imprégnée de culture gréco-romaine, ils l'ont fait en tant que conquérants. D'autres peuples, quantitativement moins nombreux il est vrai, plus ou moins apparentés aux Turcs comme les Bulgares, ou cousins lointains comme les Magyars avaient, les premiers au VIIIe siècle, les seconds à l'extrême fin du IXe siècle, été tentés par l'aventure européenne, mais bien vite, ces Bulgares et ces Magyars (Hongrois) se sont intégrés à l'Europe, ont adopté les structures politiques et sociales de l'Europe d'alors et se sont convertis au christianisme. Les Turcs en revanche, eux, n'ont nullement cherché à s'intégrer à l'Europe ; ils ont cherché avant tout à étendre leur domination sur l'Europe et à s'emparer de ses richesses. Musulmans, ils ont cherché non pas à “islamiser” les peuples qu'ils ont soumis — certains d'entre eux se sont ralliés à un islam de surface comme les Albanais et une partie des Bosniaques, davantage par intérêt que par conviction — mais à transformer ces peuples en sujets, plus ou moins durement traités selon les lieux ou selon les époques.

    De la conquête des Balkans…

    La conquête de l'Europe par les Turcs a réellement commencé à la fin du XIVe siècle, même si, depuis la fin du XIIIesiècle, il y avait eu des actions ponctuelles le long des côtes grecques. Profitant de l'affaiblissement de l'Empire byzantin qui constituait en Europe orientale la seule force capable de leur résister, les Turcs ottomans, à partir de l'empire que leur chef Othoman (1288-1366) avait constitué en Asie Mineure, ont entrepris dans un premier temps le “grignotage” de l'Empire byzantin. L'état de faiblesse de Byzance était tel que l'un des empereurs, l'usurpateur Jean VI Cantacuzène, n'hésita pas en 1346 à donner sa fille en mariage au sultan turc, à lui céder la base de Gallipoli rien que pour obtenir son aide contre son rival Jean V. Avec Gallipoli, les Turcs s'installaient pour la première fois sur le sol européen. À partir de ce point d'appui, ils vont rapidement s'attaquer aux provinces européennes de l'Empire byzantin et aux États balkaniques récemment constitués, la Serbie qui avait connu un essor rapide sous Étienne IX Douchan (1333-1355) — le Charlemagne serbe — et la Bulgarie qui, après des heures glorieuses à l'époque du “Second Empire bulgare” se trouvait en pleine décadence. Au nord-est de la Bulgarie, les provinces danubiennes, la Valachie fondée en 1247 et la Moldavie fondée en 1352, étaient encore fragiles et insuffisamment organisées pour faire barrage à des conquérants tels que les Turcs.

    Les premières victimes de l'expansionnisme turc furent les Serbes et les Bulgares. Le sultan Murad I (1359-1389) enleva d'abord aux Bulgares une partie de la Thrace et de la Macédoine et établit en 1365 sa capitale à Andrinople. Puis en 1371, il conquiert sans coup férir la Serbie du Sud. De là, poussant plus au nord, il occupe Nich et enlève Sofia aux Bulgares. La Bulgarie se trouva pratiquement aux mains des Turcs. Seules résistaient encore les principautés rivales du nord de la Serbie. Leur destin pour plusieurs siècles allait se jouer le 15 juin 1389 — selon le calendrier orthodoxe, c'est-à-dire le 28 juin d'après le calendrier latin —, lors de la bataille des Champs des merles — Kosovo Polje — à mi-distance entre Pristina et Mitrovica. La bataille longtemps indécise se termine par la victoire des Turcs conduits par le fils de Murad, Bayazid (Bajazet). Des milliers de soldats serbes y laissèrent leur vie ; quant aux prisonniers, ils allèrent en grande partie alimenter les marchés d'esclaves. Le roi serbe Lazare et les nobles de son entourage furent conduits devant Bayazid qui les fit décapiter. Après sa victoire, Bayazid dirigea ses armées vers le nord à travers la Bulgarie déjà soumise, en direction du bas Danube. Le prince de Valachie, Mircea, malgré l'aide de l'empereur Sigismond, roi de Hongrie, ne put les arrêter ; il dut accepter de payer tribut aux Turcs, ce qui lui permit de conserver l'autonomie politique et religieuse de sa principauté.

    Un peu plus tard, en 1396, inquiet de la menace ottomane, l'empereur Sigismond prit la tête d'une véritable “croisade” avec des contingents allemands, hongrois et valaques auxquels s'ajoutaient les 10.000 hommes de Jean sans Peur, le fils du duc de Bourgogne. L'objectif était de libérer les Balkans. La croisade s'acheva le 28 septembre 1396 par un échec cuisant à Nicopolis (Nikopol). L'espoir de libérer les Balkans avait vécu.

    … à celle de la Grèce

    Maître incontesté des Balkans, Bayazid s'attaque dès lors à la Grèce et aux établissements vénitiens de Méditerranée orientale. En 1395 déjà, il avait fait une rapide incursion dans le Péloponnèse où il s'empara de plusieurs forteresses. Deux ans plus tard, les Turcs reparaissaient en Grèce et occupaient même Athènes pendant quelques mois, tandis que Bayazid avec le gros de ses troupes tentait en vain de s'emparer de Constantinople, puis en 1446 se répandirent en Morée. En se retirant, ils emmenèrent soixante mille captifs qui furent vendus comme esclaves et obligèrent le despote — le gouverneur byzantin — de cette province à payer un tribut annuel. L'Empire byzantin dont le territoire se réduisait comme une peau de chagrin vivait ses dernières heures et se trouvait bien seul pour résister.

    Le 29 mai 1453, le fils de Murad II, Mohamet II, s'empara après un long siège de Constantinople. Le dernier empereur était mort au milieu de ses soldats en défendant sa capitale. Pendant trois jours, la ville fut livrée aux soldats turcs qui pillèrent, violèrent, incendièrent et massacrèrent impunément. Les églises et les couvents furent profanés et la basilique Sainte-Sophie, après avoir été dépouillée de ses trésors, fut transformée en mosquée. Quant aux habitants grecs de la ville, ceux qui avaient échappé à la mort furent ou bien vendus comme esclaves, ou bien déportés en Asie Mineure. En quelques semaines, la ville chrétienne et grecque qu'avait été depuis plus de dix siècles Constantinople fut transformée en une ville musulmane et turque.

    L'Empire romain d'Orient avait cessé d'exister ; les Turcs étaient maîtres des Balkans et contrôlaient l'Asie Mineure ainsi que les Détroits, tout comme ils étaient en train de se rendre maître de la péninsule grecque : Athènes fut occupée en 1458, Mistra en 1460 et la Morée l'année suivante. Seules quelques îles de la Méditerranée orientale restèrent aux mains des princes chrétiens, Rhodes jusqu'en 1522, Chypre jusqu'en 1571 et la Crète tenue par les Vénitiens jusqu'en 1669.

    Vers la Bulgarie, la Hongrie, la Bohême et la Pologne

    Non contents d'avoir soumis l'Europe balkanique et la Grèce, et de s'être assurés le contrôle de la Méditerranée orientale, les Turcs se sont lancés à partir du milieu du XVe siècle à l'assaut des pays du Moyen Danube. Face à la menace ottomane, l'Europe chrétienne a réagi modestement et tardivement. Outre la croisade malheureuse de l'empereur Sigismond et de Jean sans Peur en 1396, rares furent les autres tentatives pour contrer les Ottomans malgré les appels incessants de la Papauté. Certes en 1444, le Hongrois Janos (Jean) Hunyadi, gouverneur de Transylvanie, tenta de libérer la Bulgarie : son intervention se solda par un échec devant Varna ; le roi de Hongrie Vladislas qui avait participé à l'entreprise y trouva la mort ainsi que le légat de pape, Césarini. Hunyadi, devenu régent de Hongrie en 1446, ne renonça pas ; après avoir subi un nouvel échec en Serbie cette fois, il s'efforça de renforcer le système de défense au sud et à l'est de la Hongrie désormais directement menacée. À la demande du pape Calixte III représenté sur place par son légat Jean de Capistran, Jean Hunyade mit sur pied une nouvelle croisade mais, avant même que son armée fût prête, les Turcs qui avaient maintenant le champ libre depuis la prise de Constantinople, vinrent mettre le siège devant Belgrade en juillet 1456. Belgrade était l'une des pièces maîtresses de la défense de la Hongrie. Malgré des assauts répétés, les Turcs échouèrent. Leur dernier assaut le 6 août fut un échec total. Les Hongrois contre-attaquèrent et repoussèrent les Turcs jusqu'aux portes de la Bulgarie. Le danger ottoman était ainsi écarté mais dans les jours qui suivirent la bataille de Belgrade, Jean Hunyade et le légat Jean de Capistran succombèrent à leurs blessures. La victoire de Belgrade, le premier succès chrétien face aux Turcs depuis bien longtemps, eut un grand retentissement en Occident. Le pape décida que dorénavant, en souvenir de ce glorieux événement, on sonnerait chaque jour l'angélus à midi dans toutes les églises du monde chrétien. Le fils de Janos Hunyadi, Mathias Corvin, devenu roi de Hongrie en 1458, mena la vie dure aux Turcs. Il leur reprit la Bosnie en 1463, la Moldavie et la Valachie en 1467, la Serbie en 1482. Ces succès, hélas, furent sans lendemain. Après la mort de Mathias en 1490, la menace ottomane reparut et les territoires libérés par le roi de Hongrie furent réintégrés les uns après les autres dans l'Empire ottoman. Au début du XVIe siècle, l'avènement de Soliman le Magnifique (1520-1566) marqua la reprise des offensives turques, à la fois en Europe centrale et dans tout le Bassin méditerranéen. Les États directement menacés, la Pologne, la Hongrie et la Bohême, étaient des puissances secondaires. Les rois Jagellon de Pologne n'osaient rien faire qui puisse indisposer les Turcs ; leurs cousins Jagellon qui régnaient en Bohême et en Hongrie, Vladislas II (1490-1516) et Louis II (1516-1526), malgré leur bonne volonté, n'étaient pas de taille à lutter efficacement contre les Turcs. Deux grandes puissances en avaient les moyens, la France et la monarchie des Habsbourg sur laquelle régnait Charles Quint, sur les “Espagnes” depuis 1516 et sur le Saint Empire depuis 1519. La France en guerre contre les Habsbourg joua la carte ottomane sous François Ier et, en 1535, une alliance officielle fut même conclue avec Soliman le Magnifique. Désormais, les Habsbourg, seuls ou presque, vont se trouver à l'avant-garde de la défense de la chrétienté occidentale face aux Ottomans.

    Face aux Ottomans : Charles Quint et les Habsbourg

    Les choses ont commencé plutôt mal. Au début de 1526, Soliman le Magnifique lança ses armées à l'assaut de la Hongrie. Le roi Louis II, malgré les appels à l'aide, se trouve seul. La victoire des Turcs à Mohacs le 29 août 1526 au cours de laquelle le roi Louis II mourut à la tête de ses troupes, eut un retentissement considérable. D'autant plus que Soliman le Magnifique n'en resta pas là ; il se lança dans une expédition dévastatrice à travers la Hongrie, et occupa pour un temps Buda.

    Non sans réticences, les Diètes de Bohême, de Croatie et de Hongrie désignèrent, pour succéder à Louis II, son beau-frère Ferdinand de Habsbourg, le frère de Charles Quint, estimant que celui-ci, grâce au potentiel de forces que représentait le Saint Empire, était le seul à pouvoir arrêter les Turcs dans l'immédiat, à les refouler par la suite. Les Turcs se montrèrent également très menaçants en Méditerranée occidentale grâce à leurs alliés barbaresques qui, depuis l'Afrique du Nord, menaçaient les côtes d'Espagne et d'Italie. Charles Quint s'efforça de les contenir et son fils Philippe II utilisa les talents de Don Juan d'Autriche pour les refouler. La victoire de Don Juan à Lépante le 7 octobre 1571 affaiblit pour un temps la puissance navale ottomane mais cette “victoire de la croix sur le croissant” n'empêcha pas les Turcs de conserver une position dominante en Méditerranée orientale jusqu'au XIXe siècle.

    Depuis la plaine hongroise qui fut jusqu'en 1686 leur base avancée en Europe, les Turcs lancèrent à plusieurs reprises des attaques en direction de l'Autriche. En 1529, après avoir repris Buda que Ferdinand de Habsbourg avait libéré deux ans auparavant, ils parurent devant Vienne le 22 septembre. Les assiégés résistèrent et parvinrent le 14 octobre à repousser l'assaut donné par les Turcs à travers une brèche dans le Kärntner Tor. Le lendemain, le siège était levé. Par la suite, Ferdinand conclut une trêve avec le sultan dont il se reconnaissait vassal pour la “Hongrie royale”, c'est-à-dire les régions occidentales et septentrionales du royaume, le centre du pays restant aux mains des Turcs. Quant à la Transylvanie, elle devenait une principauté indépendante de fait, dont les princes, théoriquement vassaux des Habsbourg, pratiquèrent à l'égard des Turcs une politique faite d'un savant dosage d'alliance, de neutralité et de soumission, avec le double objectif d'échapper à l'occupation ottomane et de conserver leur indépendance par rapport aux Habsbourg. La trêve fut confirmée en 1547 ; elle assura un demi-siècle de paix précaire en Hongrie. La guerre reprit en 1591 sans résultat décisif ; le traité de Zsitvatorik qui y mit fin en 1616 maintint le statu quo territorial mais libéra la “Hongrie royale” de ses liens de vassalité à l'égard du sultan.

    Les relations entre les Turcs et les populations soumises

    En cette fin du XVIe siècle, la puissance ottomane était à son apogée. Les Turcs, minoritaires dans la population, exerçaient leur domination sur des millions de chrétiens, orthodoxes pour la plupart, protestants et catholiques en Hongrie. Pour tenir ces populations considérées a priori comme hostiles, les autorités ottomanes ont installé dans les villes et dans les principaux points stratégiques des garnisons turques et parfois même des colons comme en Bulgarie, afin de mieux surveiller les populations soumises. La ville chrétienne occupée, ce sont d'abord une garnison, une administration et également des signes extérieurs indiquant la présence turque, la ou les mosquées avec le minaret, symbole de l'islam victorieux, les établissements de bains, les souks, notamment dans les Balkans.

    Comment sont traitées les populations chrétiennes soumises et qui sont majoritaires en nombre ? En fait, la situation varie d'un pays à l'autre, d'une époque à l'autre. Tout dépend du bon vouloir du gouverneur local, le pacha, tout dépend de la docilité ou de l'esprit de résistance des populations. Il est évident qu'une première image vient à l'esprit, celle du sac de Constantinople et du massacre d'une partie de ses habitants dans les jours qui ont suivi la prise de la ville. Il s'agit ici bien sûr d'un cas extrême, destiné à frapper les esprits et à servir d'exemple. La réalité quotidienne est plus nuancée, heureusement ! Il y a d'abord le cas particulier des Albanais qui, malgré un sursaut de résistance au milieu du XVe siècle à l'initiative de Skanderbeg, se soumirent assez facilement : une majorité d'entre eux se convertit à l'islam, d'autres se réfugièrent en Calabre et en Sicile. Dès lors, l'Albanie fournit au sultan des fonctionnaires, des officiers et de nombreux soldats. Une partie des Bosniaques a choisi aussi de se convertir à l'islam en raison parfois des abus de l'Église orthodoxe à leur égard. Autres peuples relativement privilégiés, les Roumains des principautés danubiennes, vassaux certes du sultan mais qui conservèrent leurs princes, et qui purent pratiquer en toute liberté leur religion orthodoxe. Cette situation relativement favorable a perduré jusqu'à la fin du XVIIe siècle et a favorisé un essor artistique et culturel notable avec la construction de nombreuses églises et monastères et la création d'écoles et d'académies. La situation se détériora à partir de la fin du XVIIe siècle car l'Empire ottoman était alors sur la défensive face aux Habsbourg et aux ambitions de la Russie.

    Très différente fut la situation des Bulgares, des Serbes, des Grecs et des Macédoniens, durement traités et étroitement surveillés par les colons turcs implantés sur leur territoire. La terre devint la propriété exclusive du sultan qui en laissait une jouissance toujours révocable aux paysans indigènes moyennant de lourdes redevances. À ces redevances en argent ou en valeur s'ajoutait la devchurmé, à laquelle on procédait en principe chaque année, en réalité plus rarement et en fonction des besoins ; c'était la “cueillette” des jeunes garçons destinés à entrer dans le corps des janissaires après avoir été arrachés à leur famille. Ils formèrent ainsi une troupe d'élite, la garde prétorienne du sultan, le fer de lance des nouvelles conquêtes mais aussi l'instrument de nombreux complots. La Hongrie ottomane, celle des plaines centrales, fut traitée selon ce modèle. Quant à la question religieuse, elle varie d'un pays à l'autre. Les églises orthodoxes furent souvent le bastion de la résistance notamment en Serbie et en Bulgarie.

    L'État y contrôlait très sévèrement les évêques et souvent envoyait en Serbie des évêques grecs jugés plus souples. Mais c'est à l'échelon des villages que le clergé orthodoxe joua son rôle de gardien des traditions nationales, ce qui valut souvent aux popes d'être les premiers visés par les autorités au moindre signe d'agitation. Les élites grecques, parfois, n'hésitèrent pas à se mettre au service des Turcs.

    Le déclin ottoman

    Les premiers signes du déclin de l'Empire ottoman apparaissent en 1664 lorsque les armées de l'empereur Léopold Ier(1658-1705) triomphent des Turcs à la bataille de Szent-Gottard. Faute d'argent et à cause des guerres en cours contre Louis XIV, l'empereur ne put exploiter cette victoire et dut signer avec le sultan la “paix ignominieuse” de Vasvar, provoquant ainsi la protestation d'une partie de l'aristocratie hongroise et des troubles en Hongrie royale qui furent largement exploités par les agents de Louis XIV. Pour conserver leur position en Hongrie, les Turcs s'allièrent au chef des insurgés hongrois Imre (Emeric) Thököly et pour le soutenir, en mars 1683, ils lancèrent une offensive en direction de Vienne. Une nouvelle fois, Vienne, la “pomme d'or” dont les Turcs convoitaient les richesses, fut assiégée. À l'appel du pape Innocent XI, tous les princes du Saint Empire, catholiques et protestants confondus, le roi de Pologne Jean Sobieski, mirent sur pied une véritable “armée européenne” que le duc de Lorraine Charles V conduisit à la victoire, le 12 septembre 1683, sur les pentes du Kahlenberg devant Vienne. Seul, Louis XIV avait refusé de participer à cette “croisade”, interdisant même aux volontaires français de s'y joindre. La victoire du Kahlenberg marque le début du reflux ottoman. Léopold Ier confia au duc de Lorraine et au prince Eugène de Savoie le soin de poursuivre les Turcs et de les chasser de Hongrie. Successivement, Eztergom, Vac, Visegrad furent libérées. Puis le 2 septembre 1686 ce fut au tour de Buda, le “bouclier de l'islam”, après 119 ans d'occupation turque. Au cours des années suivantes les victoires du prince Eugène, notamment celle de Zenta en 1697, permirent l'expulsion définitive des Turcs du territoire hongrois, ce qui fut officialisé par les traités de Karlovitz (Karlovici) en 1699 et de Passarovitz en 1718.

    Le réveil agité des Balkans

    L'Empire ottoman était maintenant sur la défensive. À la fin du XVIIIe siècle et surtout au cours du XIXe siècle, on assiste à un réveil des peuples balkaniques. Les Grecs, les Serbes, les Roumains, les Bulgares et enfin les Albanais se constituent en États indépendants face à un Empire ottoman en pleine décadence. Mais le tracé des frontières entre les nouveaux États, rendu compliqué par l'enchevêtrement des populations, a suscité des tensions, des rivalités, voire des guerres souvent encouragées de l'extérieur par les grandes puissances. On parle désormais de “poudrière des Balkans”. Les Balkans en effet deviennent un enjeu majeur dans la lutte d'influence à laquelle se livrent les deux grandes puissances voisines et rivales, la Russie et l'Autriche-Hongrie, mais aussi l'Allemagne et le Royaume-Uni. Et ce n'est pas tout à fait le fruit du hasard si c'est à Sarajevo, au carrefour du monde chrétien et de l'islam, que va débuter en 1914 la “guerre civile européenne” le dernier cadeau empoisonné offert par les Turcs à l'Europe.

    ► Henri Bogdan (Professeur émérite d'histoire à l'Université de Marne la Vallée), avril 2005, Clio.fr.

    Frioul

    http://www.archiveseroe.eu/recent/33

  • II - Droits de l'Homme : l'usurpation démocratique

    Du délit de penser au crime d’être. Basée sur une hypertrophie du droit subjectif, la police de la pensée bénéficie de l’indifférence de la plupart de ceux qui la subissent et d’un effet de routine chez ceux qui l’imposent. Dans une totale confusion du moral et du politique, avec toujours plus d’intensité depuis le siècle des « Lumières » et le procès de Nuremberg, à l’histoire qui faisait le droit se sont substituées les lois qui disent l’histoire.
    Je n’entrerai pas dans les détails normatifs de la pyramide du germanophone Hans Kelsen (1) ; un système moniste supranational voué à l’unité morale du genre humain. Ces normes visent à établir la paix perpétuelle. Qui a priori avouerait ne pas vouloir atteindre ce niveau ultime, se démarquer d’une telle noblesse humaniste, qui a fortiori oserait demander à qui elle profite ? A moins de vraiment vouloir connaître la réponse à coups de bombes sur le râble.
    Sachons que cette théorie - dont en 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme ne fut qu’une étape supplémentaire - est la transcription de l’utopie wilsonienne, la super lex mercata, plus que jamais d’autorité.
    Elle eut notamment pour adversaire le philosophe et juriste allemand Carl Schmitt (2) qui, s’appuyant sur le jus publicum europaeum et le rôle de l’Etat pour la souveraineté des peuples, en prédisait la caducité technique car, contradictoire de son énoncé, elle subordonne des intérêts étatiques particuliers à une éthique universelle autoritaire que l’on peut résumer par, « la liberté, oui, mais seulement pour les amis de la liberté ! ».
    La liberté, équilibre de notions mystérieuses, inscrite désormais dans un droit artificiel messianique, dont on sait qu’elle peut être imposée transnationalement par les démocraties qui en sont exclusivement détentrices. Aux risques de la mutilation, de la mort, de l’anéantissement, de sa privation pour ceux qui la refuseraient ! En dépit des principes de réalité, transcrits par les droits romain ou germain, coutumier ou organique, suivant les époques, voire canonique que l’Eglise par réaction sécularisa dans sa doctrine sociale. Quant aux amis, ils seront traités comme de tous temps en fonction de facteurs relevant de la capacité de maîtrise de la puissance (faire et refuser de faire) et ceux relevant de sa capacité d'action sur autrui (faire faire et empêcher de faire).
    Pour les autres, les ennemis, lorsqu’ils seront économiquement, puis militairement contraignables, au nom « des droits de l’homme » ce sera le bellum justum, ce pivot de la légitimation d’ingérence agressivement défendue, entres autres ardents thuriféraires du dogmatisme kelsénien qu’Habermas (3) perfectionna, par le nouveau ministre des Affaires étrangères (quasi intégrées) français, Bernard Kouchner. Ce dernier y rajoutant le vocable humanitaire qui vaut son pesant de riz.
    Notons au passage qu’en droit international la guerre n’a désormais aucune chance de ne pas être juste, car elle a fini logiquement par se doter de son argument préemptif . Et non pas préventif… La préemption s’affirmant au delà de la prévention : elle est de priorité légale quand la seconde doit se parer de légitimité. Invasion et guerre font donc l’objet d’une préemption comme si elles étaient de vulgaires terrains communaux. Résultat : expropriations à l’échelle mondiale par décret d’intérêt général supposé ou fabriqué.
    Flagrant exemple que la Serbie !

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  • Conférence Dextra du vendredi 13 novembre : La géopolitique de la Russie et des Etats-Unis vues par la droite, par Pascal Gauchon


    Ce vendredi 13 novembre, Dextra a la joie de recevoir Pascal Gauchon, spécialiste de géopolitique et de relations internationales, qui viendra nous parler de "La géopolitique de la Russie et des Etats-Unis vues par la droite" 
     
     Nous vous attendons nombreux et nombreuses aux Grands ducs, 19 rue Pascal, Paris Ve Pour ceux qui le souhaitent, n'hésitez pas à adhérer, et pour d'autres à renouveler leur cotisation, un moment sera prévu à cet effet.
     

  • 11 Novembre 2015

    Ils ont tous disparus. De quelque bord qu'ils furent, ils représentèrent une génération courageuse capable d'affronter la voracité des Etats. Une pensée spéciale pour les nôtres, la fine fleur du pays fauchée par l'offensive à outrance à la mode du temps. Cette année¹ nous parlons du 348ème RI, régiment de forteresse à Givet (52è Division d'infanterie de réserve). Ce régiment fera presque toute la guerre sur la Meuse. Son historique régimentaire est résumé ici.

    La 52ème division de réserve a connu des tentatives de fraternisations à la Noël 14 de la part d'unités bavaroises qui lui faisaient face, au grand dam du commandement prussien. Le lecteur trouvera ci-dessous deux pages d'un journal d'opérations qui les évoque (source). D'autres divisions connurent aussi des échanges de politesses, de cigarettes et même des visites de tranchées ennemies à la Noël !
    Mais ce ne fut pas toujours la guerre sans haine : dans le Journal d'opérations² de la 52ème DR on trouve page 12 une notice recopiant à la main une nouvelle du Temps de Paris daté du 15 février 1915 sur la bravoure française et sur une certaine sauvagerie allemande. La voici :

    52°DR 1/2
    52°DR 2/2

     

    A Haybes, entre Vireux et Fumay, les maisons sont détruites. Là, l'occupation a été fort dure. De nombreux civils ont été fusillés ; un infirme fut enterré avec sa béquille sortant de terre, et les soldats du kaiser y fixèrent un drapeau allemand. La cause de ces violences est dans la résistance des douaniers et de 400 réservistes (ndlr: de la 52è DR), dans la nuit du 23 au 24 août (ndlr: 1914). Les Allemands disaient que cette résistance leur avait coûté 1500 hommes et retardé l'arrivée de 4000 hommes à Rocroy en temps voulu pour couper la retraite des Français qui se repliaient de Charleroi sur les Ardennes. Les Allemands ajoutent que sans ce retard ils seraient arrivés à Paris.
    A commandé au 348 du premier jour de la guerre au 27 février 1918, André Guesnier, chef de la première section à la 24ème Compagnie à la déclaration de guerre et capitaine de la 20è Compagnie (CID - centre d'instruction divisionnaire) à la fin. Le régiment fut dissous au mois de mai 1918 et ses effectifs reversés au 99ème. Son livre de chevet (si l'on peut dire) ou plutôt son livre d'évasion, était Fragments intimes d'Ernest Renan parus en 1914, qui ne le quittèrent jamais. Cet ouvrage posthume compile Patrice, ses lettres à Liart (depuis le Séminaire d'Issy), Confessions de Felicula (sur la première chrétienté de Lyon) et d'autres petits fragments. Il est assez surnaturel de lire ce bouquin, trouvé en brocante, en sachant qui le lut le premier, dans quelles circonstances de bruit, de fureur et de doute.
    Renan est comme quelqu'autre que nous citons souvent ici, un océan. Il donnait à méditer. J'imagine le lieutenant Guesnier en train de lire cette page dans la tranchée pendant la guerre de positions qui nous coûta si cher :
    La vérité est loin de ce qu'on appelle le bon sens, qui n'est qu'un ramas d'opinions, d'habitudes, de conventions : quand nous la verrons, la vérité, nous seront tout étonnés de la trouver, et chacun dira : Je ne croyais pas que ce fût cela. C'est là l'idée qui me domine : le peu de certitude de nos connaissances, le peu de vérité que nous possédons, et sur ce point la lecture de Pascal est loin de me détromper. On a beau dire : cet homme-là est presque sceptique ; cela est frappant : le plus forte tête qui ait existé n'a osé presque rien affirmer : et il est de fait que plus un homme est savant, plus il a approfondi les connaissances humaines, moins il est affirmatif, plus il tremble, plus il restreint ce fameux chapitre du bon sens, qu'on voudrait faire si large. Les ignorants au contraire ne doutent de rien, ils tranchent tout, tout est évident, clair comme le jour ; il faut avoir perdu l'esprit pour ne pas voir cela : voilà leurs formules. D'où par analogie, je suis tenté de faire ce raisonnement : quand on ne sait rien, on ne doute de rien ; quand on en sait peu, on doute peu ; quand on sait beaucoup, on doute beaucoup ; donc, si on savait tout, on douterait de tout, et toute la science se réduirait à voir l'incertitude de toute science. C'était bien cela dans l'esprit de Pascal. Oh ! qu'il a de belles choses là-dessus ! Voilà un homme qui était au-dessus des préjugés, et pourtant il a été chrétien, cela est démonstratif. Tu vois que j'ai une propension violente au scepticisme³, ou plutôt au kantisme, car c'est surtout le système de Kant qui me fait impression, et il est de fait que je n'ai rien vu de décisif contre sa philosophie, du moins jusqu'ici...
    (d'une lettre à François Liart du 3 mai 1842)

    Je ne sais qui des lignes ennemies lisait Kant, peut-être en quelque régiment de réservistes prussiens aventurés sur la Meuse depuis la vieille Poméranie. Finalement la philosophie ne sut vaincre la polémologie, en ce qu'elles marchent toujours de conserve dans l'histoire des hommes, irraisonnables comme jamais.
    (1) Les "Onze Novembre" de Royal-Artillerie :

    *2007 − *2008 − *2009 − *2010 − *2011 − *2012 − *2013 − *2014

    (2) Source Mémoire des Hommes

    (3) le jeune Renan sait déjà qu'il doute de sa vocation malgré les efforts de piété qu'il montrera dans les Principes de conduite de 1843.

    http://royalartillerie.blogspot.fr/

  • Droits de l'Homme : un sacre contre nature

    Du Code sumérien d’Ur-Nammu tout à la fin du IIIe millénaire avant J.C. à la Convention de Genève en 1864, de nombreux systèmes juridiques ont vu le jour. Se sont affinés, mélangés, succédés. Civils, militaires, religieux, s’adossant directement à une jurisprudence ou la généralisant par une règle, ils relèvent tous du jus naturalis. Actuellement dévoyé, perverti, inversé dans une intrication tyrannique, dénommée positive, le droit naturel revient pourtant au galop !
    Les hommes se sont toujours dotés d’ordonnances, qu’elles aient été écrites ou orales, visant à la survie optimale du groupe dont elles émanaient. Appliquées de façon récurrente aux rapports entre les personnes, les institutions et le pouvoir, elles furent expression et instrument de ce que le très remarquable sociologue musulman du XIVe siècle, Ibn Khaldûn, nommait esprit de corps.
    Je ne m’enhardirai pas sur les chemins d’Hammourabi, de Manu, Li Kui, Dracon, Solon ou Platon, non plus sur celui des Pères et des Docteurs de l’Eglise, les saints Cyrille d’Alexandrie, Augustin, Thomas d’Aquin, dont je me borne à observer la formidable actualité juridique.
    Je m’attarderai par contre brièvement sur une des premières constitutions, au sens catégoriel contemporain ; celle du Japon en 604 après J.C., pour évoquer son étrange proximité démocratique avec les attendus de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme de 1993 : l’une proclamant que « […] les décisions sur les questions importantes ne doivent pas être prises par une personne seule, mais doivent être débattues par de nombreuses personnes » ; l’autre, près de quatorze siècles plus tard, soulignant que « l’aspiration à débattre des affaires publiques […] est universelle et transcende les cultures ».
    Nonobstant cette constitution japonaise, que l’on qualifierait aujourd’hui d’équilibrée, efficacement servie par une bureaucratie créée à cet effet, le territoire fut livrée à l’anarchie dès que le clan dominant des Soga ne fut plus en mesure de la garantir.
    Par ce raccourci impromptu, multipliable à l’envi, je voulais simplement montrer que le progrès en matière de droit pour l’organisation des sociétés n’existe pas. En quelque sorte, les sociétés s’organisent, point. Bien sûr, ne nous y trompons pas, autour de la pyramide plus ou moins écrasée de la hiérarchie des pouvoirs. Et c’est bien là ce qui peut retenir notre attention : le droit, s’il est sous-tendu par une philosophie, n’en est pourtant pas une ; c’est une pratique.
    A l’époque du régent Shotuku Taishi, le promoteur de ce traité simplifié en 17 articles (kempo jo jushichi), les rapports de force et les pouvoirs qui en procédaient, étaient clairement identifiables. Le mécanisme légal, lui aussi, participait de cette caractéristique Yamato en pleine appropriation d’apports culturels, religieux, ethniques, en provenance de Chine, de Corée et plus avant de Polynésie, de Sibérie. Les antiques Aïnu, à défaut de massacre génocidaire, semblent également s’être fondus pour majeure partie dans ce peuple japonais, en qui l’anthropologie moderne distingue l’unité dans ses variantes. De même que pour chaque peuple ou chaque nation, les observations morphologiques ou de typologies territoriales effectuées par le vicomte de Gobineau, sans que nous le suivions dans tous ses développements, s’inscrivent globalement dans une distribution génotypique vérifiée par les études biologiques les plus récentes. Elles restent d’une acuité d’autant plus cruciale qu’elles sont niées.

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  • Les Gaulois, Dieu, le ciel, et les étoiles

    Qui aurait pu penser qu'une simple pièce de monnaie gauloise nous dise autant de choses sur l'histoire de la Gaule ? Qui aurait imaginé qu'une simple très petite médaille attribuée aux habitants de Lutèce pouvait remettre en cause la thèse laborieusement élaborée d'une romanisation précoce ? On peut dire tout ce qu'on voudra, le fait est là : avant la guerre des Gaules, la ville des Parisii était déjà cadastrée, et ceci par les Gaulois eux-mêmes. Pourquoi s'étonner ? Quelques siècles plus tôt, la plaine de la Limagne l'était. Platon le dit dans son Atlantide et l’archéologue Vincent Guichard le confirme sans le vouloir en y mettant au jour des petites bourgades espacées à des distances régulières.

    Si César a convoqué le conseil des Gaules à Lutèce, n'est-ce pas parce qu'il s'y trouvait déjà un théâtre aux grandes dimensions ? (1)

    Dans le cheval bondissant, le graveur a représenté la Seine, la large courbe de l'île de la cité, et, chose absolument extraordinaire, dans l'encolure du cheval, un chemin d'étoiles qui nous conduit des rives du fleuve à la butte Montmartre (voyez mes précédents articles et la contribution d'Antenor). Or, ce chemin d'étoiles, c'est très exactement la projection sur terre de la constellation de la petite Ourse, alias petit chariot. Ce tracé d'étoiles, les numismates ne l'ont pas vu, mais pour les Gaulois de cette époque, c'était le signe par excellence de la présence divine. En effet, même si l'étoile polaire, brillante entre toutes, n'a pas toujours exactement coincidé avec le nord géographique, c'est bien sur elle que les Anciens voyaient la constellation tourner, et avec elle, toute la sphère céleste. Bref, cette disposition d'étoiles qu'était la petite Ourse, surtout dressée sur la queue, était pour ainsi dire "ciselée" dans leur mémoire et ils ne pouvaient pas ne pas la voir quand ils examinaient la médaille.

    Mais alors, pourquoi cinq étoiles dans le quadrilatère de notre constellation ? Il n'y a qu'une explication possible. Étant admis que le dit quadrilatère indique le temple divin sur terre, le graveur a voulu indiquer, par ce curieux crochet, le passage de la terre au ciel en passant par le temple. Faut-il deviner, dans l'arrondi de la médaille, le tracé sinueux de la voie lactée qui conduit au sommet du ciel ?

    Cela fait plus de trente ans - une éternité - que j'écris que Bibracte est à situer à Mont-Saint-Vincent et que les fresques du temple voisin de Gourdon datent d'avant la guerre des Gaules. Cela fait plus de trente ans que les inconditionnels de la romanisation ironisent à mon sujet... des inconditionnels qui, dans leur aveuglement romanophile, se refusent à voir dans ces fresques une espérance antique dans la venue d'un messie. Un christ juif faisant l'offrande des prépuces et des clitoris, ce n'est pas romain.

    Ce messie qui descend du ciel entre l'ange Gabriel et Marie est juif. Il ne vient pas dans une romanisation qui aurait précédé la guerre des Gaules. Cette idée vient du Proche-Orient. Il descend du ciel, au milieu des étoiles. Il s'agit, bien sûr, d'une vision prophétique. Le prophète voit les constellations bouger dans le ciel. Il faut préciser : dans un ciel tel qu'il le voyait "astrologiquement". Il voit la constellation du lion se rapprocher de celle de la Vierge. La Vierge, c'est Marie ; le lion, c'est Bibracte qui s'est incarné dans l'ange Gabriel ; il est celui qui annonce. Mais voilà que la constellation d'Hercule s'est mise en mouvement. Voilà qu'il descend du ciel... Hercule, l'ancêtre fondateur !   Frappée au nom de Dumnorix, premier des Éduens, une monnaie éduenne dit la même chose. 

    Ce ciel astrologique, ce ne sont pas les Romains qui l'ont apporté aux Gaulois, ce sont les juifs, ceux qui sont revenus de l'exil de Babylone, les esséniens. Nous avons là, ici, dans la fresque centrale de Gourdon, le ciel des esséniens que les manuscrits de la mer Morte ont oublié de nous transmettre. Nous avons là, ici, dans la fresque centrale de Gourdon, le ciel astrologique que le prophète Ézéchiel a vu dans sa célèbre vision du VI ème siècle avant J.C. Nous avons là, ici, dans la fresque centrale de Gourdon, le ciel astrologique de l'Apocalypse de Jean de l'an 70.   La fresque de Gourdon date probablement du Ier siècle avant J.C. Elle était là quand César est intervenu en Gaule. On a dû la lui expliquer. L'a-t-il comprise ? Rien n'est moins sûr. Y a-t-il dans ces fresques un quelque chose qui ferait penser à une romanisation ? Je n'en vois pas. Au IV ème siècle avant J.C., c'était le ciel dans lequel Ézéchiel a vu une forme d'homme. Au IV ème siècle après J.C., c'est un christ du ciel qui se fait voir à Autun, dans le même ciel, dans sa mandorle d'étoiles, le soleil à sa droite, la lune à sa gauche. Sortant de l'oeuf cosmique de l'univers, Il trône royalement assis sur le tribunal de la Jérusalem céleste. Il accueille les morts pour les récompenser ou pour les punir. Seule concession à la romanité, dans le visage du Christ, le sculpteur a mis les traits de César Constance-Chlore, toutefois en les spiritualisant. Rome a peut-être romanisé la Gaule, mais la Gaule a judaïsé l'empereur romain et l'empire. 

    J'admire nos modernes philosophes qui se posent des questions sur le "qu'est-ce que l'homme ?" Je m'étonne qu'ils ne s'intéressent pas à la réponse que les Anciens ont cherchée dans le ciel des étoiles.

    Voilà ce qu'Enoch, présenté comme l'arrière-grand-père de Noé, a vu dans le ciel :
      Je vis l'Ancien des jours, dont la tête était comme de la laine blanche (au centre du ciel, dans sa mandorle d'étoiles) et avec lui un autre, qui avait la figure d'un homme (à sa droite, dans notre constellation de la Vierge, l'homme/ange de la fresque de Gourdon). Cette figure était pleine de grâce comme celle d'un des saints anges.
      J'interrogeais alors un des anges qui étaient avec moi, et qui m'expliquaient tous les mystères qui se rapportent au Fils de l'homme. Je lui demandais qui il était, d'où il venait, et pourquoi il accompagnait l'Ancien des jours.
      Il me répondit en ces mots : ceci est le Fils de l'homme, à qui toute justice se rapporte, avec qui elle habite, et qui tient la clef de tous les trésors cachés ; car le Seigneur des esprits l'a choisi de préférence, et il lui a donné une gloire au-dessus de toutes les créatures
    . (Livre d'Enoch,XL,VI, 1 et 2, IIIème IVème siècle avant J.C.).

    Dans la vision d'Enoch, l'Ancien des jours dont la tête est recouverte de laine blanche, majestueusement, commande comme un roi terrestre aux quatre ou six archanges qui gravitent autour de son trône (les chérubins de l'Ancien Testament). La fresque judéo-druidique de Gourdon nous précise que dans ces quatre archanges, les Anciens ont projeté le monde vivant des airs (dans l'aigle), celui de la terre sauvage (dans le lion), celui des forces domestiques ou d'incarnation (dans le bœuf/taureau), et le monde de l'homme (dans l'homme/ange).

    Dans cette vision, l'image de l'homme a pris une place prépondérante auprès de l'Ancien des jours. Mais qu'on ne se trompe pas ! Il s'agit d'une image sublimée de l'homme, pensée par l'homme. Si les anges et les archanges sont des images transposées des phénomènes naturels où des espèces terrestres vivantes, le Fils de l'homme, de même, est la projection de l'homme de la terre dans l'idéal du ciel. En cela, il est bien issu de l'homme, son ben, son fils. Ce que nous n'avons jamais trouvé jusqu'à maintenant dans un ciel égyptien ou babylonien, nous le découvrons dans le ciel d'Enoch : c'est une véritable révolution ; non pas l'aspect d'homme qu'avait le Dieu d'Ezéchiel, mais un Fils d'homme, dans son autonomie et sa différence par rapport à Dieu. Ceci est très important, car contrairement aux ciels bloqués égyptien et babylonien, le ciel d'Enoch s'ouvre sur les perspectives infinies d'une réflexion de l'homme sur l'homme et de l'homme par rapport à Dieu (mon Histoire du Christ, tome 2, chapitre 7).

    Ainsi va l'Histoire. Dans l'épitre aux Hébreux, ce Fils de l'homme est assis à la droite de la majesté divine, au plus haut des cieux. Il descendra un moment sur terre pour y "goûter" la mort.

    Dans le Coran, c'est l'ange Gabriel qui dictera au Prophète la fin de la Révélation.

    Ils ont des yeux pour voir et ne voient pas, des oreilles pour entendre et n'entendent pas.

    Renvoi 1. La Rome architecturale n'existe que depuis la conquête des Gaules. La Rome d'avant ne montrait aux voyageurs que des ruelles puantes bordées de maisons branlantes prêtes à s'enflammer tandis que Lutèce leur offrait le spectacle grandiose d'un théâtre en pierres accroché au flanc d'une montagne verdoyante. Telle est ma thèse, à l'opposé de celle des archéologues Matthieu Poux et Vincent Guichard qui ne veulent voir, en Gaule, que des capitales gauloises construites en bois. Voyez mes précédents articles.

    Renvoi 2 . Au sujet de l'ange, en haut et à gauche de la fresque, il s'agit bien d'un ange balançant l'encensoir où l'encens répandu est symbolisé par des fleurs. C'est ainsi que j'ai interprété la figure, fort heureusement avant la restauration (la restauration a brouillé l'image). C'est aujourd'hui la constellation de la Vierge. Pour Énoch, c'était l'homme, le fils de l'homme avant qu'il ne s'installe dans la mandorle. Pour l'Évangile, c'est Matthieu. On peut également y voir un ange, la tête en bas, la jambe tendue comme dans le tympan de San Isidoro. Quant au messie qui descend en armes dans la première fresque, il a été effacé et je n'en ai pas de meilleure photo.

    Photo fresque de Gourdon : http://vogage-roman-art.blogspot.fr/2011/05/les-fresques-de-gourdon.html&nbsp ;

    Photo tympan d'Autun : http://www.lyon-visite.info/autun-cathedrale-saint-lazare-art-roman/

    E. Mourey, 9 novembre 2015

    http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/les-gaulois-dieu-le-ciel-et-les-173651