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culture et histoire - Page 2032

  • Garibaldi, héros romantique

    Le Figaro Magazine - 14/09/2012

    Après avoir fait le coup de feu en Amérique du Sud, il devint, toujours les armes à la main, un héros de l'unité italienne. Mais cette figure sur laquelle ont couru tant de mythes doit être regardée avec la distance de l'historien.
     
         Garibaldi : dans la plupart des villes de France, une artère porte son nom. Mais combien de Français savent qui il fut ? Et combien d'hommes de gauche se souviennent du culte qui fut rendu, au XIXe siècle, à ce révolutionnaire anticlérical, fêté à Montevideo (Uruguay) comme en Italie, où il est resté un héros national ?
         Pierre Milza, professeur émérite à Sciences-Po et spécialiste de l'histoire italienne, publie une biographie où l'empathie pour Garibaldi et ses idées, tangible, n'empêche pas une distance critique vis-à-vis du personnage. Lire ce livre *, c'est plonger dans un tourbillon, tant la vie de l'aventurier fut remplie.
         Tout comme Mazzini, Verdi et Cavour, autres grands artisans de l'unité italienne, Giuseppe Garibaldi naît paradoxalement français, en 1807, Nice, sa ville natale, ayant été annexée sous la Révolution. En 1833, alors qu'il est officier dans la marine sarde, il rencontre Mazzini, chantre d'une République italienne unifiée et fondateur de Giovine Italia (Jeune Italie), mouvement auquel il adhère. Impliqué dans une tentative d'insurrection à Gênes, condamné à mort par contumace, Garibaldi fuit en Amérique du Sud où il passera treize années. De 1837 à 1841, il sert la république du Rio Grande do Sul, en révolte contre l'empereur du Brésil, puis, de 1841 à 1846, défend l'indépendance de l'Uruguay contre l'Argentine. C'est là que, avec des exilés italiens, il constitue son premier bataillon de Chemises rouges, uniforme qui va s'inscrire dans la légende.
    Obsessionnellement anticlérical
    En 1848-1849, la révolution gagne l'Italie et entraîne le Piémont dans la guerre contre l'Autriche, tandis que le pape Pie IX est chassé de Rome où Mazzini proclame la République. Revenu en Europe, se proclamant « plus patriote que républicain », Garibaldi offre son épée à Charles-Albert de Savoie, monarque constitutionnel qui aspire à réaliser l'unité italienne autour du Piémont-Sardaigne. Après la défaite piémontaise à Custoza, Garibaldi continue la lutte contre les Autrichiens à la tête de 3 000 francs-tireurs, passe en Suisse, puis regagne Nice. A l'issue d'une seconde défaite à Novare, le roi Charles-Albert abdique au profit de son fils Victor-Emmanuel.
         Garibaldi, lui, lève une légion de volontaires pour aider la République romaine contre la coalition de l'Autriche, de la France, de l'Espagne et de Naples, venues au secours du pape. Vainqueur des Français au combat de Janicule, puis des Napolitains à Velletri, Garibaldi se bat jusqu'au bout dans Rome. Quand la ville tombe, il conduit ses hommes, à travers les Apennins, jusqu'à la république de Saint-Marin et tente de rejoindre Venise. C'est à cette époque qu'il est atteint d'une haine inextinguible pour Pie IX et que son anticléricalisme, reconnaît Milza, prend « un caractère quasi obsessionnel ».
         Recherché par toutes les polices, Garibaldi s'exile : New York, Londres, l'Amérique centrale, la Chine. Rentré en Italie en 1854, toujours républicain, il se rallie néanmoins à Victor-Emmanuel II et à son ministre Cavour. En 1859, quand la France et le Piémont affrontent l'Autriche, il forme le corps des chasseurs des Alpes, 5 000 hommes avec lesquels il remporte un combat contre les Autrichiens. Après les victoires de Napoléon III à Magenta et à Solferino, François-Joseph cède la Lombardie au Piémont, mais Victor-Emmanuel doit empêcher Garibaldi, adepte du jusqu'au-boutisme, de soulever la Toscane.
         Au printemps 1860, en revanche, sans le soutien officiel du Piémont mais avec l'accord secret de Cavour, Garibaldi lance la plus célèbre de ses entreprises, l'expédition des Mille, qui vise à arracher la Sicile et l'Italie du Sud aux Bourbons. Avec 1 087 Chemises rouges, l'aventurier débarque à Marsala, se proclame « dictateur » au nom du roi Victor-Emmanuel, occupe Palerme et franchit le détroit de Messine. Le 7 septembre, il entre dans Naples, abandonnée par le roi François II. Une fois encore, Cavour est contraint d'intervenir, craignant que Garibaldi forme une république et qu'il ne marche sur Rome, provoquant une réaction des Français et des Autrichiens. Le Premier ministre sarde envoie alors des troupes qui traversent les Etats pontificaux, dont la petite armée est écrasée, tandis que la souveraineté temporelle du pape est réduite au Latium. Victor-Emmanuel II et Garibaldi paradent côte à côte dans Naples, mais c'est bien le monarque qui sera proclamé roi d'Italie en 1861 qui contrôle la situation.
    Elu député français en 1871
    Désormais, seules Venise et Rome échappent à la couronne des Savoie. Une nouvelle fois, Garibaldi prend l'initiative, décidant, en 1862, d'envahir les Etats pontificaux. Ce sont les Italiens qui l'arrêtent à Aspromonte, bataille où il est blessé par ses alliés de la veille. Fait prisonnier, amnistié, il se retire dans son île de Caprera, au nord de la Sardaigne.
         Toutes ces péripéties, Pierre Milza les raconte, jusqu'à la participation de Garibaldi à la guerre franco-prussienne de 1870, son élection à l'Assemblée nationale (française) de 1871, ses rapports ambivalents avec la Commune de Paris, son élection finale comme député de Rome, après l'incorporation forcée de la Ville éternelle au royaume d'Italie.
         Au-delà du mythe, quelle aura été la fonction historique de Garibaldi, disparu en 1882 ? « En acceptant le compromis avec la maison de Savoie, explique Pierre Milza, le condottiere a su transformer un climat insurrectionnel en un mouvement fédérateur. Qui peut dire que Cavour aurait pu réussir sans lui à accomplir la construction du pays ? Ou qu'à l'inverse l'unité italienne aurait pu advenir sans l'adhésion populaire ? »
         C'est pourquoi cette figure du Risorgimento sera revendiquée, en Italie, à gauche comme à droite. Avec des surprises. En 1922, Ricciotti Garibaldi, le fils cadet du héros, soutiendra un autre nationaliste italien venu de la gauche : Benito Mussolini.
    Jean Sévillia http://www.jeansevillia.com
    * Garibaldi, de Pierre Milza, Fayard.

  • ERNST JÜNGER : HOMMAGE AU VIEUX SOLDAT

    Dans sa cent troisième année, l'ancien combattant de la guerre 14-18 est mort. L'écrivain allemand au beau visage distingué avait presque traversé dans sa totalité le XXe siècle (il était né en 1895 dans la ville célébrissime de Heilejberg). Son oeuvre et son engagement politique d'avant la seconde guerre furent controversés et il a du subir la bave haineuse de la gauche allemande, même si l'écrivain devait en rire avec morgue en pensant que François Mitterrand l'admirait beaucoup, qui n'avait sans doute pas compris dans toute sa profondeur la portée politique et idéologique de l'oeuvre. L'ancien soldat de retour du front avait écrit « Orages d'acier », livre qui exaltait la guerre. Elle permettait à l' homme de se réaliser, de se métamorphoser et de se confronter au plus grand des" défis. Elle est en quelque sorte la mère de l' homme (« la guerre notre mère »). Cela nous rappelle Mussolini lorsqu'il en vantait aussi les vertus curatives : « elle guérit de la tremblote ». L'idéal guerrier et chevaleresque, sa spiritualité inhérente étaient loués au plus haut point. Jünger dans son livre « La mobilisation totale » avait même inversé Clausewitz, la politique devenant la continuation de la guerre. À notre époque, où la guerre peut devenir une guerre presse-bouton, l'idéal guerrier n'est pourtant pas mort. Nous devons être des guerriers politiques, culturels et idéologiques. De nos jours il n' y a plus de front. Le combat est partout dans nos villes, nos banlieues, nos quartiers, nos rues, nos immeubles, à l'école et au travail... Jünger était avant tout un écrivain mais avait un peu étudié la philosophie. On ne peut parler de lui sans faire référence aux deux philosophes assez proches sur le plan politique (avec bien sûr des nuances) Nietzsche et Heidegger. On trouve des thèmes récurrents aux uns et aux autres assez proches. Jünger avait, bien sûr, lu Nietzsche et avait personnellement connu Martin Heidegger (ils habitaient la même région : le Bade-Wurtemberg en pays Souabe). L'idéal guerrier s'accompagne, bien évidemment du mépris pour le bourgeois: peureux, couard, grelotteux, sans spiritualité, politiquement libéral-démocrate, dont le seul but dans la vie est la recherche de la sécurité, du confort, et du bien-être matériel. Tout ceci s'oppose aux valeurs héroïques du soldat : le courage, l'audace, l'acceptation du risque et de la hiérarchie. Le guerrier possède et domine cette violence parfois nécessaire pour accoucher de l'être, ceci s'appelle l'impératif ontologique de la violence. Le bourgeois incarne socialement le nihilisme européen, terme clé que nous allons expliciter. La peste spirituelle de l'Europe est le nihilisme. La France et sa culture drouadelhomesque, avec ses idéaux de gauche qui ont même empoisonné la Droite en est le plus bel exemple et sans doute le pays le plus avancé dans ce domaine de décomposition spirituelle. Les idéaux français ou européens des «lumières» : droits de l'homme, raison, idéal scientiste, universalisme, économisme, moralité kantienne, conception abstraite de l'homme auquel on nie tout aspect charnel, égalitarisme qui implique la suspicion haineuse envers tout ce qui est créateur et libre. Bref, tout ce qui globalement recouvre le terme consacré : « les valeurs républicaines ». Idéaux qui aboutissent de façon inexorable vers la haine de soi, le masochisme, un goût morbide pour tout ce qui est mortifère et l'apologie de tout ce qui détruit notre culture, notre pays, notre peuple. Les symptômes actuels de ce nihilisme sont une partie de la jeunesse blanche qui renie son pays, sa culture et se réfugie dans la drogue, le sexe, la débauche. Nietzsche avait parfaitement vu que ces valeurs elles-mêmes étaient, conformément à leur essence, intrinsèquement nihilistes, que leur état actuel de décomposition (voir la France actuelle) reflète leur potentiel de départ (et que cela ne vient pas comme le croit encore certains idéologues de gauche d'une baisse de l'idéal initial). Jünger et Heidegger par leur engagement politique de départ, même s'ils ont un peu divergé après, ont donc voulu dépasser le nihilisme européen : « là où croit le danger, croît aussi ce qui sauve ». Cette phrase résolument optimiste d' Höderlin redonnait espoir à Jünger et à Heidegger. L'engagement nationaliste était une façon de s'opposer sous une forme authentique au nihilisme européen qui obsédait tant les penseurs de génie européens. Pour eux, seule l'Allemagne pouvait avoir cette mission de renouveau spirituel. La défaite momentanée des mouvements nationalistes des années trente ne doit pas faire oublier leur origine intellectuelle, spirituelle et philosophique, le problème étant loin d'être réglé. Le nihilisme européen a atteint en France et en Europe le paroxysme. Et seul un mouvement nationaliste et spirituel fort pourra répondre à cette menace persistante pour l'avenir de la France, de l'Europe et de l'Occident.

    par Patrice GROS - SUAUDEAU mai - juin 1998 dans le GLAIVE

  • Le Prince et l'avenir (1)

    Les armées en campagne ont quelquefois moyen de s'accorder une journée de plein repos à l'occasion des solennités nationales ou des fêtes du souverain. Au point où sont venues les affaires de France, le trente-huitième anniversaire de la naissance de Monseigneur le duc d'Orléans 2 impose l'unique devoir de doubler le pas, de presser la marche, de multiplier l'activité par l'activité. Mais ce n'est pas rester inactif que de travailler, tout en avançant, à mieux voir le but.

    Notre but, ou du moins notre premier but, c'est le roi. Au-delà du roi est la France, raison finale et décisive des alarmes profondes développées en nous par les événements. Mais nous avons bien reconnu et démontré que ces émotions seraient vaines, ces mouvements stériles, et parfaitement chimérique toute espérance de relèvement national, sans un recours au grand ouvrier, à l'éternel artisan de la Renaissance française. Comme les fidèles de Charles V et de Charles VII, de Henri IV et de Louis XIV, nous savons qu'il n'y a ni Étranger, ni réformés, ni Ligue, ni Fronde qui tienne devant le Roi. Sans le Roi, au contraire, tous les désordres ont beau jeu, jeu constant et jeu régulier, jeu parfaitement naturel, jeu servi et fortifié par la complicité de l'histoire et de la géographie de la France, jeu funeste et fatal car il aboutit, par de misérables déchirements, au démembrement du pays. Le roi de France absent, tous les maux nationaux restent et resteront possibles. Lui présent, tout se recompose en vue de permettre le bien.

    Cela est si vrai que notre œuvre, en ce qu'elle a d'heureux, n'aurait été ni exécutée ni même conçue sans l'évocation énergique de la pensée du roi au fond de nos propres pensées. La rappeler, la méditer, c'est renouveler nos sources de force en nous reportant au point même d'où elles ont jailli. Seuls de tous les groupes nationaux et conservateurs, nous savons ce que nous voulons et où nous allons. Seuls nous pouvons inscrire un itinéraire précis dans les brumes, dans l'avenir. Mais, — tout comme, en septembre dernier, nous disions que nous ferions ceci en octobre, et cela en novembre et cela en décembre, et cette autre chose en janvier, — programme net et qui a été exécuté de point en point, — nous pouvons répéter aujourd'hui ce que nous disions hier et il y a neuf ans, dès les premiers efforts de notre pensée politique : — d'abord une élite intellectuelle, morale, sociale se ralliera énergiquement à l'idée du roi ; ensuite, cette élite établira un tel état de l'esprit public que royauté et ordre, royauté et patriotisme, royauté et organisation du travail, royauté et respect de la religion deviendront de purs synonymes admis et compris de quiconque aura un cerveau pour penser ; ensuite, dans l'importante fraction de l'opinion publique ainsi éclairée, un autre couple de synonymes achèvera de se former, l'association nécessaire se scellera entre République et persécution religieuse, République et désorganisation du travail national, République et anti-militarisme ou anti-patriotisme, République et désordre politique et mental ; ensuite, des deux couples bien liés et bien ordonnés en une alternative solidement bâtie, résultera par la force même des choses, — des brutales choses inanimées ou animées que la folie, ou la sottise, ou la malice républicaine auront mises en œuvre — l'évidente nécessité de choisir ; et le choix, le choix royaliste, naîtra dans la pensée d'une minorité puissante et résolue, éclairée par l'intelligence, unie, disciplinée et stimulée par tous les sentiments de générosité, de courage et d'audace qu'on prétend parfois morts ou parfois endormis et qui veillent pourtant silencieux et purs, au fond du cœur français : cette minorité énergique et lucide, « la brigade de fer », disait-on, il y a cinq ans, au milieu des sourires de gens trop bien stylés pour avoir une idée ou pour trouver un mot, opérera alors, au mieux des circonstances, de manière à saisir la première occasion. Quelle occasion ? Celle, tout d'abord, d'établir le Roi.

    Ainsi devra, non point finir, mais commencer l'action pratique extérieure. Tout ce qui se fait hors de là est préparatifs, déblaiement, organisation de l'action : celle-ci, qu'elle soit militaire ou civile, révolutionnaire et populaire ou administrative, qu'elle parte d'en haut, qu'elle parte d'en bas, l'action pratique tend au roi, et par le chemin le plus court. Que la chose s'opère en vingt-quatre heures, en vingt-quatre jours ou en vingt-quatre saisons, cet objectif unique justifie seul une démarche, un mouvement, parce que, dans ce cas, et dans ce cas seul, on peut essuyer un premier échec : démarche et mouvement n'en sont pas inutiles, ils subsistent, ils peuvent servir, à titre de souvenirs capitalisés, pour plus tard. Avenir défini, sans lequel on s'agite dans le néant ! Tous ceux qui ont horreur du néant vont au Roi. Mais ils y vont sans cesse, de plus en plus nombreux et, suivant le chemin que nous avons suivi, ils découvrent d'eux-mêmes la distincte et brillante figure d'espérances que le temps favorise et caresse avant de les accomplir.

    Aux aveugles qui doutent, aux timides qui tremblent, comme c'est leur destin, aux esprits embrouillés qui,nourris d'objections qu'ils ont mal digérées, n'ont de plaisir qu'à voir les autres succomber à leur propre paralysie, nous répétons sans trêve que cela se verra, que cela se fera, d'un cœur aussi tranquille, d'une voix aussi ferme que nous leur rappelons la réalité de succès antécédents. Un calcul très simple et très fort autorise nos certitudes.

    Deux hypothèses sont possibles. Pas une de plus. La crise violente est prochaine ou elle ne l'est point ; or, nous ne nous trompons ni dans un cas ni dans l'autre.

    L'anarchie ou la composition avec l'anarchie, le ralliement plus ou moins direct et explicite à l'anarchie peut continuer : en ce cas, tous les éléments de force ordonnée, et aussi tous les forts qui sont amis de l'ordre et tous les hommes d'ordre qui aiment la force seront, les uns implicitement, les autres carrément, nettement, brillamment avec nous ; tout ce qui est initiative personnelle, valeur intellectuelle, influence économique ou sociale se ralliera de près ou de loin à l'idée du roi, et, en ce cas, quelque sorte de Directoire qui ait assumé la surveillance de l'agonie républicaine et démocratique, agonie que l'on suppose lente, insensible et sans crise, il ne peut manquer de venir un moment où la chiquenaude des forts et des sages suffira à précipiter ces institutions contradictoires dans leur néant. Contrairement à une opinion qui a cours, plus elles durent, plus elles s'usent. Mais plus nous durons, plus nous gagnons de vigueur et d'autorité. Les générations nouvelles seront de plus en plus disposées à comprendre et à écouter. Leur éducation se fait sur un plan tel qu'un seul langage correspond à l'écho des malheurs publics. Ce langage est le nôtre. Il sera entendu et pénétré de plus en plus. Cette commune force ne cessera donc de grandir en même temps que l'œuvre à exécuter demandera aussi une dépense de plus en plus faible de cette force.

    Oh ! je conviens que l'hypothèse d'une longue décadence pacifique et sans crise n'est pas probable. Nous avons un trop beau pays qui allume au dedans et au dehors trop de convoitises pour que la guerre extérieure et la guerre civile ne soient pas dans l'ordre des probabilités menaçantes. Aucun Français ne peut y songer sans horreur. Aucun Français ne peut s'en désintéresser. Il faut regarder là et très droit.

    Il faut voir cette Europe organisée, armée, il faut voir ce socialisme organisé, armé ; il faut voir ces Quatre États confédérés — juif, protestant, maçon, métèque organisés, armés. Toutes ces organisations, toutes ces armes sont tournées contre la patrie. La France voit ligués contre elle son gouvernement public et son gouvernement occulte, son administration, et jusqu'aux électeurs grands et petits. Il reste à la France le roi. Le roi hors des frontières ; toujours prêt à les passer au premier signal 3 ; la pensée du roi au dedans, de plus en plus présente, vivace et agissante dans la pensée et dans la poitrine d'une multitude croissante de citoyens, de patriotes conscients. Tous les maux que j'ai dits, les menaces que j'ai comptées ont trop d'évidence pour être mis en doute, mais le bien est certain aussi. En toute hypothèse il subsiste. Dans l'hypothèse de révolution violente, le roi rallie les hommes d'ordre. Dans l'hypothèse de guerre civile, le roi prend le commandement de toutes les fractions restées saines de l'armée et de la nation. Dans l'hypothèse de la défaite, il renverse les serviteurs de l'Étranger, signe la paix, et organise la revanche. Dans l'hypothèse même du démembrement, il peut rester un coin où réfugier le royaume de Bourges et, si ce coin même est perdu par le poids réuni des fautes accumulées pendant cent dix-huit ans de démocratie et de République, eh bien ! l'irrédentisme français n'en gardera pas moins un drapeau, un mot d'ordre, un chef, le chef même de la dynastie nationale, en l'absence duquel se sera consommé le partage de la patrie : nos premiers soulèvements seront royalistes, et la France, un moment conquise et dépecée, sera, de l'est à l'ouest, du nord au sud, trop dure à garder et à digérer pour que notre génération n'assiste pas à un relèvement simultané de la royauté et de la patrie.

    Ne dites pas que cette hypothèse est impie. L'impiété, c'est l'aveuglement, c'est l'insouciance. Qui fut l'impie, de Napoléon III ou de Thiers au lendemain de Sadowa, de Lebeuf ou de Niel 4 à la veille de Sedan ? Les académiciens anarchistes qui s'inclinent honteusement devant la politique étrangère de la République, seront frappés un jour du même ridicule sinistre que les aliénés de 1863 et de 1870.

    Si le pays a la cataracte, il faut opérer le pays. Notre criterium est celui des bons chirurgiens : l'utilité.

    Disons-nous des vérités utiles ? Il ne s'agit pas de savoir si elles sont dures. Rendons-nous un service public en les disant ? En les disant, servons nous convenablement notre nation, notre pays et notre prince ? Un bon catholique, mais qui savait le sens des mots et qui n'ignorait pas les rapports de la religion et de la politique, — c'est le comte Joseph de Maistre, pauvre païen que je signale à l'animadversion de nos démocrates-chrétiens 5, — ne craignait pas d'écrire que ce qu'un honnête homme a de mieux à faire dans ce monde, c'est de servir son prince. Nous l'essayons de notre mieux.

    Nous ne l'essaierions point avec autant de ténacité, nous y mettrions moins d'enthousiasme et de bonne humeur si nous servions un autre Prince, si nous servions un Prince moins passionnément attaché au service de son pays, si nous servions un Prince moins vigilant sur la nature des services à lui rendre. On a tout dit, non seulement chez les royalistes, mais même dans le monde républicain, sur l'admirable patriotisme avec lequel la Maison de France, en exil, mais toujours représentée sur bien des trônes, puissante dans toutes les Cours, a favorisé, soutenu, servi enfin, tant qu'elle a pu, les efforts et les travaux de nos diplomates, sous le régime qui annule par sa nature même tant d'intelligence et de cœur.

    Ce que l'on n'a pas assez dit, ce qu'il faut que l'on sache, ce que nous ne pouvons cesser d'enseigner et de répéter c'est l'œuvre personnelle de Monseigneur le duc d'Orléans ; c'est le trait personnel de sa politique, c'est la nature des directions qu'il adressa à ses fidèles depuis le jour de son avènement. On les définirait d'un mot, et c'est le mot qui est revenu le plus volontiers sous sa plume. Elles sont nationales. Sans doute il faudrait tout un livre pour éclaircir le sens exact de ce mot ici. Mais souvenez-vous de deux faits. En janvier 1895 c'est-à-dire en un temps de calme relatif où nos partis extrêmes étaient seuls menaçants, la question présidentielle se posant entre Félix Faure et M. Brisson, c'est-à-dire entre un désordre pur et quelque faillie mais sincère velléité d'ordre intérieur et de dignité extérieure, ce Roi de vingt-six ans donna à son parti l'ordre d'élire M. Faure, et il le fit en termes tels que le plus ignominieux des opportunistes 6 ne put s'empêcher de s'écrier : « il y a là quelqu'un. » Deux ans plus tard 7, le faux ordre étant démasqué, l'opportunisme se révélant agressif, anarchique, anti-judiciaire, anti-militaire, le même jeune Roi, sans changer un iota de sa pensée, ni déranger un atome de ses principes, inaugurait de mémorables discours et des manifestes inoubliables cette admirable politique radicale qui a lentement rendu au monde royaliste sa physionomie de parti historique, sa position de parti national et qui, depuis dix ans, fait dire chaque jour à de nombreux Français, purs échos de M. Reinach, dont M. Reinach se passerait bien :

    — Quelqu'un. Il y a là quelqu'un.

    Grâce à Monseigneur le duc d'Orléans, il est devenu clair que Vive la nation ne veut rien dire ou veut dire Vive le Roi. Voilà son œuvre et son bienfait. Voilà son titre personnel ajouté à celui des quarante constructeurs royaux de la France. Sa politique le démontre, comme sa naissance l'a déjà désigné: il sera le reconstructeur.

    Charles Maurras http://maurras.net
    1. Notre texte est celui publié dans L'Action française du 15 février 1907, qui précise en note : « Charles Maurras, dans la Gazette de France du 7 février pour l'anniversaire de la naissance de Monseigneur le duc d'Orléans. Nos lecteurs nous saurons gré de leur faire connaître cette page où les vues politiques sont alliées au plus pur loyalisme. C'est un document à faire lire aux Français qui méconnaissent encore la grande figure de leur Roi. »

      Les notes sont imputables aux éditeurs.

    2. Louis Philippe Robert d'Orléans, « Philippe VIII » (1869–1926).

    3. C'est à dire prêt à les repasser pour rentrer en France, puisqu'il était alors frappé par la loi d'exil. [

    4. Le maréchal du Second Empire Adolphe Niel, né en 1802 et qui avant sa mort en août 1869 avait plusieurs fois fait part de son inquiétude devant l'Allemagne et ses capacités militaires. La guerre de 1870 sera engagée par le maréchal Lebeuf, resté célèbre par sa malheureuse phrase selon laquelle il ne manquait « pas un bouton de guêtre » à l'armée française.

    5. C'est bien entendu ironique : Maurras était alors en pleine polémique avec les tenants du Sillon et de Marc Sangnier, qui l'accusaient volontiers de paganisme en lui reprochant de présenter la politique comme supérieure à la morale ou à la foi.

    6. Joseph Reinach, comme le texte va le préciser plus loin ; la citation est souvent rappelée par Maurras. Tout ce passage évoque le propos général de Kiel et Tanger, alors en partie rédigé, mais resté impublié jusqu'en 1910.

    7. L'allusion est évidemment à l'affaire Dreyfus : c'est en 1894 que Félix Faure est élu et en mars 1896 que Picquart met en cause Esterházy.

  • 1er octobre 1938 La Politique

    I ) La paix gagnée — et comment !
    La guerre est évitée, son péril conjuré 1. Notre À bas la guerre — non, non pas de guerre, — pas de guerre non, non, — a été exaucée par l'événement. Nous ne reviendrons pas sur les fortes, les irréfutables raisons qui nous installaient dans cette position inflexible. Si elles avaient été faibles, on les aurait discutées. Parmi tous les adjectifs qualificatifs qui nous ont été décochés, on ne relèverait pas l'ombre d'une idée.
    Personne, ce qui s'appelle personne, n'a par exemple discuté notre distinction entre la guerre de défense où tout le monde français eût été d'accord et la guerre offensive que l'on voulait nous imposer en un moment où tout nous l'interdisait : la carte de géographie, et la lugubre histoire de ces vingt années écoulées, entre lesquelles les trois dernières ont si cruellement raréfiés notre production !
    Personne ne s'est soucié non plus de répondre à cette autre distinction essentielle entre les différents non que peut émettre un état : il y a le non verbal, dont les cocoricos de Sarraut, en 1936, sont le type, et dont l'effet pratique fut la honte pure, et les non réels, ceux de Joffre, de Foch et de Mangin, dont il faut commencer par avoir les moyens, lesquels, précisément, nous faisait défaut, défaut qui ne tient ni au courage de nos hommes, ni à la valeur de leurs magnifiques chefs, ni à l'état de notre armée de terre, mais au sabotage de notre armée de l'air, qui formait le point vif d'une offensive « pou les Tchèques 2 ».
    Ce qui a été fait pour éviter cette guerre devait être, en ces jours là, une sorte d'adhésion constante de soumission rituelle aux directions de l'Angleterre. Il ne faut pas se plaindre, puisque la paix a été sauvée, mais il ne faut pas s'en louer parce que l'autonomie de la politique française n'y a guère brillé. On a couru au plus pressé et l'on a très bien fait.
    Autre remarque digne d'intérêt. On n'a pu obtenir la paix qu'en insérant une correction essentielle dans la politique étrangère de nos dernières années. Les chefs de notre Anti-fascisme ont eu le rare bon sens de consentir, sur la demande anglaise, à une entrevue publique et amicale avec le Chef des Faisceaux romains. Le jeune et beau Dunois se plaint que nous élevions sur le pavois M. Mussolini. Qu'il aille porter sa plainte ou il faut ! Nous ne sommes ni président du Conseil, ni ministre des Affaires étrangères. Nous, dans notre poste ici-bas, disions à ces Messieurs qu'il leur faudrait en passer par Rome. C'est ce qui vient de leur arriver. En 1934, Hitler était maté au moyen des régiments que Mussolini mettait sur le Brenner. En 1938, on le modère, on le tempère, on le freine légèrement au moyen de l'arbitrage de M. Mussolini. C'est comme ça parce que c'est comme ça. Nous ne sommes pas assez injustes pour en accuser le jeune et beau Dunois. Il a tort de nous imputer une suite de causes et d'effets que nous nous étions modestement contentés de prévoir. Mais, au Popu 3, qui est le journal de Blum, on a des raisons sérieuses de tenir en une sainte horreur tout ce qui ressemble à une prévision juste. Le patron a tenu boutique du contraire ! Plaignons le jeune et beau Dunois, et disons, encore une fois, que l'Action française avait vu fort à l'avance, c'est-à-dire depuis trois ans, ce qui devait être et à ce qui a été, sur ce point.
    II ) L'esprit public
    L'Action française n'a pas été seulement pour la paix, mais pour ces conditions nécessaires de la paix.
    Elle prend donc allègrement et fièrement sa part des justes acclamations qui ont accueilli M. Édouard Daladier dès son arrivée au Bourget. Le cri public a montré que, tout réfléchi, tout compté, après tant de dures méditations sur un cauchemar de huit jours, l'esprit public et l'intérêt public avaient fini par coïncider. Non que les manœuvres eussent manqué pour les dissocier ! Non que l'on n'eût point fait le possible et l'impossible pour opposer le sentiment de l'honneur français et même celui de son intérêt général éloigné, aux durs impératifs du salut immédiat qui disait paix, paix, paix et qui voulaient la paix. Cette campagne était horrible par ce qu'elle avait d'impie, d'absurde et aussi par ses causes immédiates et lointaines dont les fils, tenus par l'ennemi public, aboutissaient ça et là à de bon cœurs emmanchés de pauvres cervelles. Jamais, peut-être, depuis le 20 avril 1792, le gouvernement d'opinion n'avait mis la France plus près de sa ruine ! Il y avait quelqu'un pour freiner en 1830, quelqu'un pour le même office en 1840. Mais la catastrophe de 1870 (où il y avait moins que personne) n'eût été qu'un jeu d'enfant auprès du désastre auquel on nous précipitait en 1938.
    L'esprit public a été utilement servi par la crainte des justes sanctions portées dans certaines hautes sphères du pouvoir.
    Ils ont eu peur.
    La saisie de L'Action française 4 pour ce que L'Ère nouvelle d'hier appelait une galéjade et un pastiche, suffit à montrer que, chez M. Paul Reynaud et chez M. Mandel, la menace des nationaux est quelque chose de présent. Ils sont loin de la mépriser. Ils sont en garde contre elle. S'ils conforment à cette crainte leur action publique, c'est que leur action secrète a dû subir aussi, de ce fait, d'heureux tempéraments. Ces messieurs n'ont pas osé aller jusqu'au terme de leur pensée. Ils n'ont pas osé aller au bout de leur puissance. L'esprit public y a gagné un certain degré de liberté. Le mouvement de l'esprit public a pu collaborer aux joyeux événements d'avant-hier et d'hier. Il ne les a pas contrariés, il les a favorisés, attendus, acclamés. Ni communisme, ni panjurisme 5 n'ont compté : purs et simples fétus agités emportés par le souffle de leur propre folie. Un fait matériel a tout dominé : la libre respiration d'un grand peuple que d'artificieuses manœuvres avaient opprimé et qu'elles n'ont pas réussi à abattre.
    À bas la guerre, disait-il. Non, pas de guerre !… Pas de guerre, non, non ! Et il n'y a pas eu de guerre, et M. Daladier en a reçu des fleurs et des couronnes plein son chapeau, plein sa voiture, plein ses bras et son cœur. Il en recevra d'autres ! Beaucoup d'autres, l'acte de Munich correspondant à toutes les plus urgentes nécessités du moment.
    III ) Mais réfléchissez, prenez garde !
    Cependant, on aurait tort de fermer les yeux à certaines clartés légitimes et même indispensables. On trompe le pays quand on dit que l'expérience de jeudi suffit à montrer que l'on peut se tirer de tous les mauvais pas par des ententes pacifiques et que l'échange de bons propos internationaux réglera tout. Cette généralisation est plus qu'imprudente. Elle néglige toutes les expériences des dernières années, elle passe outre aux leçons éclatantes données au Briandisme, au pacifisme, au genevisme par des événements lumineux. Non, non, « la guerre » en soi n'a pas été vaincue par un certain sérum fabriqué à Munich.
    L'immense gratitude que nous devons à M. Chamberlain, ne doit pas non plus nous nous voiler la double signification du pacte conclu hier entre lui et Hitler. Hitler a réalisé un des articles de son Mein Kampf, il a de nouveau collé, et du plus près qu'il l'a pu, à la puissance anglaise. Pour une concession qu'il lui a faite, il a obtenu un traité de non-agression entre Londres et Berlin, traité qui est classé directement à la suite du pacte naval. Si l'on croit l'incident négligeable, on risque de se faire de nouveaux moucher par l'événement. Car voilà qui dément la politique constante de l'Angleterre ! M. Chamberlain assure Hitler du désir qu'éprouve son peuple de ne point combattre le sien, au moment où Hitler devient par la force des choses l'arbitre du continent européen. On a certes vu des politiques embrasser leurs rivaux, afin de les étouffer. Mais ici, l'embrassade comporte quelque chose d'étonnamment gratuit de singulièrement spontané ! Honorons et remercions M. Chamberlain. Cela ne nous dispense pas d'ouvrir les yeux clairs sur sa politique : au lieu de l'éloigner, la puissance d'Hitler l'attire, et c'est bien dangereux.
    Il y a peu de jours, son Foreign Office était présenté comme devant militer aux côtés de la France de la Russie (la Russie qui, depuis vingt et un ans, ne s'appelle plus dans les actes internationaux que l'U.R.S.S.) et voilà aujourd'hui la politique anglaise dans la plus cordiale intimité de Hitler. C'est de l'empirisme, peut-être. Attention ! Que ce ne soit pas de l'empirisme désorganisateur.
    Enfin, je lis que cette histoire justifie le pacte à quatre que de ce pauvre Henri de Jouvenel 6 !
    Parce que l'on est entré, par force, en conversation le «  chien enragé de l'Europe » et, pour lui concéder toute la moelle de son os, moins quelques centimètres de carbonate de phosphate de chaux, la rencontre est recommandée que dis-je ? acclamée. J'ose m'avouer tout heureux et gaillard que ce système n'ait pas été appliqué plus tôt à la pauvre Europe. Une utile conduite si Henri de Jouvenel eût été écouté plus de quelques semaines ! Cela nous a fait perdre la Pologne. Prague subit. À qui le tour ?… Nous subissons aussi la mauvaise fortune. N'en faisons pas la Règle et la Loi !
    IV ) Ce que gagne Hitler
    Ce qu'il faut dire, ce qu'il importe de redire, c'est que nous avons été contraints, par les effets de nos malheurs récents, à calculer de plus grands malheurs et à en déjouer la menace. Nous avons fait tout ce qu'il fallait pour éviter le pire, et nous avons bien fait. Mais la situation n'en est pas simplifiée, ni allégée, ni embellie pour cela. Et le bonheur d'Hitler, ce qui s'ensuit et s'ensuivra, aura des effets plus désastreux que tout si nous nous laissions engager le moins du monde, à faire confiance à l'étrange quatrième 7 de ce loufoque pacte à quatre digne de quelque asile d'aliéné international.
    La vérité est que notre paix forcée permet à Hitler des gains extraordinaires. La vérité est que, à travers tous les protocoles, tous les accords, tous les instruments diplomatiques, signés ou à signer, il vient de s'ouvrir, sans coup férir, une voie libre et splendide vers l'Orient. La vérité est que non seulement aux yeux de M. Neville Chamberlain, de son propre peuple et des peuples circonvoisins, mais de l'ensemble de l'Europe centrale, il apparaît le maître, l'arbitre, le chef. On parle de Sadowa 8. C'est une bêtise. Sadowa, comme disait Bainville, s'était joué entre Allemands. Et voici l'Allemagne bien dépassée, l'Allemagne emportée elle-même vers des destins danubiens et asiatiques dont personne n'a la mesure, mais, par là même, se constituant des forces nouvelles, qui, brusquement retournées contre l'Ouest, peuvent aussi devenir extraordinairement redoutables…
    Nous avons envie de rien farder ici. Ce que nous ne cessions de dire, en répétant qu'il ne fallait pas de guerre, et que cette guerre serait un suicide de la patrie, doit être redit de plus belle : l'abandon nécessaire qu'il a fallu souscrire crée de nouveaux devoirs impérieux, urgents et vitaux.
    V ) Alerte !
    Loin de nous endormir sur aucune parole, loin de former aucun acte de foi dans la paix, qui, loin d'être fatale, est la plus contingente des choses, et peut-être la plus fragile, nous disons que le peuple français est cruellement menacé et qu'il n'a plus d'espoir ni d'avenir que dans un sursaut rédempteur. Jamais il ne lui aura fallu autant travailler ni jamais autant se rassembler, s'unir, se réorganiser, refaire les alliances de l'Occident, repasser par Rome où siègent de la victoire et la paix, s'armer enfin, s'armer pour le simple salut d'une vie que guettent, en vérité, trop de graves périls.
    Alerte ! Alerte ! disions-nous pendant la crise. Il faut le répéter maintenant qu'un sursis nous est accordé, — pour combien de temps ?
    Alerte ! C'est ce que tous les vrais Français voient, sentent, disent, écrivent, et nous sommes peu terminés par ses lignes de l'un d'eux, parisien patriote, qui ne se laisse pas tromper à de fugaces nuées :
    Si l'immédiat est sauvé, il reste demain. Il faudrait maintenant, avec plus d'acharnement que jamais, compléter notre réarmement encore bien déficient, refaire surtout un bloc national, et refaire nos alliances. Il faudrait surtout rompre une fois pour toutes avec l'ennemi (allié !) de Moscou, et briser le réseau occulte de ses agents en France.
    Alors, la France, au lieu de suivre péniblement à la remorque, reprendrait bientôt la tête de l'Europe, réparerait avec honneur les capitulations de ces vingt années, et imposerait sa paix, la paix française, c'est-à-dire la vraie paix européenne, la paix humaine dans la justice et la sécurité de tous. Parce qu'elle aura montré sa force, sans, peut-être, avoir à s'en servir.
    Mais ! Mais… Inutile de refaire l'énumération des mais qui, dès demain, dès aujourd'hui, vont faire avec acharnement obstacle au redressement du pays. Si, dans l'antre de Moscou, on doit ce matin faire la grimace, il y a en France des cavernes où la joie des bons français doit provoquer des grognements.
    Si la Bête est refoulée, elle est toujours bien vivante. Quels assauts nous réservent les mois qui viennent !
    Seule, L'Action française peut la braver et l'abattre.
    Refrain : ce ne sont pas des millions mais des dizaines de millions qui lui faut, non pour reprendre la lutte qu'elle n'a jamais cessée, mais pour la poursuivre jusqu'à la victoire finale, elle-même couronnée par le retour du roi fédérateur et réparateur.
    Hors de là point de salut ! Quelques riches français (il en reste bien encore ?) à l'esprit lucide et au cœur bien placé, le comprendront-ils, et voudront-ils ajouter un noble poids d'or aux innombrables oboles de leurs pauvres concitoyens ?
    La question est posée. La question du grand mouvement d'opinion qui ne s'arrêtera pas à de faibles figures, ni à de vagues disputes de personnalités sans consistance ni valeur.
    Il faut reprendre tout ou presque tout par le fond, depuis le moral du pays légal où les profiteurs sont les maîtres, jusqu'à la zone des idées, où les ignorants, les imbéciles et les impulsifs ont un peu trop tenu le haut du pavé.
    Alerte ! Et en avant !
    Charles Maurras
        1.    Les accords de Munich sont de la veille, 30 septembre.
        2.    Les notes sont imputables aux éditeurs.
        3.    Écho d'un article de Léon Daudet sur la même page. La diction singée est celle de Paul Reynaud, qui avait été l'un des plus chauds partisans d'une immédiate déclaration de guerre à l'Allemagne.
        4.    Le Populaire, qui était alors le journal de la S.F.I.O., avait été fondé en 1916 par des socialistes pacifistes minoritaires hostiles à la guerre. Blum en a été le directeur politique de 1921 à 1940. C'est par antiphrase et à la suite de diverses passes d'armes par articles interposés que Maurras, d'après une chanson de l'Empire dont il existe aussi diverses versions paillardes, appelle « le jeune et beau Dunois  » Amédée Dunois, de son vrai nom Amédée Catonné, qui était né en 1878 et mourra en 1945 après avoir été l'un des animateurs du Populaire clandestin durant la Seconde Guerre mondiale.
        5.    Le numéro du 29 septembre avait été saisi à Paris et avec plus ou moins d'efficacité dans plusieurs villes de province. Il notait en manchette :
        6.    À la manière de…
        7.    S'ils s'obstinent, ces cannibales, 
À faire de nous des héros,
Il faut que nos premières balles
Soient pour Mandel, Blum et Reynaud.
        8.    Parodie des vers de L'Internationale :
        9.    S’ils s’obstinent, ces cannibales,
À faire de nous des héros,
Ils sauront bientôt que nos balles
Sont pour nos propres généraux.
        10.   
        11.    L'opinion qui professe que tout peut être réglé par le droit.
        12.    On ne sait si le pauvre est une appréciation politique ou une mention pieuse pour parler d'Henri de Jouvenel, mort à la surprise de ses contemporains en 1935, et dont les espoirs de « pacte à quatre » (Angleterre, Italie, France, Allemagne) avaient pu sembler une solution aux tensions européennes. Le « pacte à quatre » ne fut cependant jamais adopté par les pays concernés, du fait de la guerre italo-éthiopienne de 1935. Les négociations de Munich réunissant les mêmes pays, elles avaient ravivé ce souvenir du « pacte à quatre » prôné quelques années plus tôt par Henri de Jouvenel et Édouard Daladier.
        13.    L'Allemagne.
        14.    La bataille qui vit prévaloir la Prusse sur l'Autriche, en 1866.
    Texte paru le 1er octobre 1938 dans L'Action française.
    Ce texte est dans le domaine public en Amérique du Nord.

  • Femen : j’ai le bûcher qui me démange

    Les sorcières de 2012 ont beaucoup de chance par rapport à leurs consœurs d’il y a un millier d’années : au pire, elles se prennent quelques baffes. Et en matière de baffes, les possédées hystériques qui sont venues se confronter à la manif de Civitas de dimanche n’ont pas encore reçu le quota qui leur revient.

    la suite sur http://www.bvoltaire.fr

  • Les ligues nationalistes et l'Action française au début du XXe siècle.(archive 2008)

    L’an dernier s’est tenu à Paris un colloque du Centre d’histoire de Sciences Po. sur « L’Action française ; culture, société, politique », colloque auquel j’ai assisté et dont j’ai déjà parlé sur ce blogue, et dont l’AF-2000 a déjà fait état en ses colonnes. Les études présentées à ce passionnant colloque viennent d’être regroupées et, le plus souvent, complétées dans un ouvrage universitaire publié récemment sous ce même titre et qui se trouve être à la fois passionnant et, parfois, sévère (mais le plus souvent à juste raison) à l’égard de l’AF. Il est une mine de renseignements sur l’histoire de l’Action française, sur sa sociologie et ses personnalités (trop souvent méconnues des royalistes eux-mêmes : qui se souvient de Frédéric Delebecque ou de Jean Héritier, par exemple ?), sur ses positions et sur ses implantations locales (de la Bretagne au Languedoc, du Nord à la Provence) ; etc. Cet ouvrage est absolument indispensable à qui veut mieux comprendre et discuter de l’histoire de l’AF et, surtout, de l’AF dans l’histoire…

    Il m’a semblé intéressant de suivre, sur quelques articles, le plan du livre et d’en résumer, voire d’en discuter, les principales lignes. Aujourd’hui, la partie intitulée « Autour de la notion maurrassienne d’héritage » et, plus particulièrement, le chapitre sur les nationalistes à la naissance de l’AF.

     

    Les nationalistes et l’Action française au début du XXe siècle.

     

    L’Action française est née de l’Affaire Dreyfus, a toujours affirmé Maurras : c’est ce que confirme Bertrand Joly dans son article passionnant et très réfléchi, « Les ligues nationalistes et l’Action française : un héritage subi et rejeté », article dans lequel il montre surtout les liens et les distances entre l’AF des origines et les milieux nationalistes issus du boulangisme et de l’antidreyfusisme. Lorsque paraît l’Action française, petite revue revendiquée nationaliste qui titre « Réaction, d’abord » comme un mot d’ordre qui s’adresse sans doute d’abord aux nationalistes eux-mêmes, les seuls royalistes s’affirmant tels sont Charles Maurras et Frédéric Amouretti, mais les autres rédacteurs sont potentiellement « gagnables » au royalisme, du moins si l’on suit la logique de Maurras qui, du coup, qualifie intelligemment son nationalisme d’ « intégral » comme si la Monarchie ne pouvait en être que l’aboutissement logique, absolument logique, inéluctable résultat de la réflexion sur la conservation de la nation française et seul moyen de maintenir ce qui doit l’être. Cette logique est celle que Maurras, par une stratégie fort habile, met en avant et développe pour convaincre ses compagnons de la revue d’AF : c’est d’ailleurs pour eux qu’il rédigera « Dictateur et Roi » et qu’il pensera quelques uns des arguments de son « Enquête sur la Monarchie » qui, me semble-t-il, s’adresse aussi encore plus nettement aux monarchistes traditionnels, ne serait-ce que parce qu’elle est publiée, à dessein et aussi par défaut, dans le quotidien monarchiste alors le plus représentatif, « La Gazette de France ».

    Ce que souligne avec force Bertrand Joly, c’est combien le groupe initial de l’AF, motivé par Maurras qui va lui donner sa coloration monarchiste, a des relations ambiguës avec les nationalistes, entre récupération et épuration, et comment cette stratégie, en fin de compte, ne donnera pas tous les résultats escomptés, sans doute à cause de la nature même du nationalisme populiste de la fin XIXe siècle : l’Action française « en a sous-estimé l’autonomie et la plasticité, elle n’y a vu qu’une ébauche informe et grossière, alors que ce nationalisme non royaliste possédait sa logique propre et son élan particulier », ce qui explique que, quantitativement, elle ne pèsera jamais grand-chose sur le plan électoral (en particulier quand elle se risquera, au début des années 20, à affronter l’épreuve des urnes).

    Mais, malgré cela, l’AF a « dépassé » le nationalisme antidreyfusiste par son caractère beaucoup plus intellectuel et par son appel (et sa confiance, dans un premier temps) à la jeunesse dont les ligues avaient tendance à se méfier, sans doute parce que leurs dirigeants, par pragmatisme ou par opportunisme, restaient perméables au jeu démocratique et parlementaire (malgré une rhétorique antiparlementaire) et à sa nature « modératrice » (récupératrice ?) : « L’Action française fait au contraire confiance aux jeunes et cultive son implantation au quartier latin : à bien des égards, le remplacement des ligues nationalistes par l’AF correspond aussi à une relève de génération et à une inflexion sociologique, qui contribuent à priver Barrès de son titre de « prince de la jeunesse ». »

    D’ailleurs, Maurras et ses amis ont une forte tendance à dénigrer ces nationalismes qui n’osent pas conclure ou qui se trompent et, du coup, trompent leur public : ainsi, « pour Vaugeois repris par Maurras, il existe trois sortes de nationalisme, le parlementaire, le plébiscitaire et le royaliste, deux mauvais et un bon. A l’égard des deux premiers, l’Action française alterne marques d’estime et sarcasmes, les seconds l’emportant nettement sur les premières (…).

    Les plébiscitaires forment le principal groupe d’irrécupérables et ne méritent donc guère de ménagements, qu’ils soient bonapartistes ou républicains. (…) Mais c’est à la République plébiscitaire de Déroulède que Maurras et ses amis réservent l’essentiel de leurs coups ». La Ligue de la patrie française (et, au-delà du propos de Bertrand Joly qui porte sur les années 1900, l’on pourrait citer, pour les années trente, les Croix de Feu et leur chef honni par l’AF, le colonel de la Rocque) en fera d’ailleurs les frais et essuiera des critiques d’une virulence rare, mais aussi d’une ironie cinglante, l’AF se voulant, se pensant comme une sorte d’avant-garde intellectuelle du nationalisme français, exclusive et intransigeante, avant-garde qui, d’ailleurs, se verra confirmée dans ses raisons par la déroute électorale des nationalistes de l’année 1902, déroute qui « abandonne aussi [à l’AF] un espace à prendre dont Maurras va savoir profiter. Débarrassée de toute concurrence, l’Action française peut maintenant prendre son véritable essor », même si cela ne se traduit pas par un ralliement massif des nationalistes dont beaucoup vont se fondre dans les mouvements « installés » de la IIIe République.

    Que reste-t-il de l’héritage ou de l’influence des nationalistes « d’avant l’AF » dans cette Action française encore en recherche et en cours de formation au début du XXe siècle ? Selon Joly, au-delà de « la plupart des thèmes ou plutôt des haines et des ennemis du nationalisme (…) : pour l’antisémitisme, l’antiparlementarisme, l’antimaçonnisme, la haine d’une république faible qui affaiblit la France, la dénonciation d’un régime de bavards, de médiocres et de panamistes, Maurras et les siens n’inventeront absolument rien, sinon, disent-ils, le vrai remède ». Il me semble que cette récupération est aussi une tentative de reformulation d’un « sentiment national », parfois outrancier parce que blessé (1871 n’est pas si loin, et la question de l’Alsace, annexée par l’Allemagne, reste une plaie mal refermée, en particulier pour l’image que la France a d’elle-même) que Maurras s’inquiète de voir livré à lui-même, avec le risque d’une dérive à la fois populiste et plébiscitaire (on dirait aujourd’hui, sans référence à la famille de Napoléon, « bonapartiste »), et celui d’un déchirement de l’unité française par la main-mise de groupes de pression sur l’Etat : contrairement aux partis nationalistes républicains, souvent chauvins et irréfléchis, Maurras cherche à donner une ligne de conduite intellectuelle aux « nationalistes conscients » ou, plutôt à ceux qu’il s’agit de « conscientiser », et sans doute faut-il voir, à travers cette dénonciation maurrassienne des « quatre états confédérés » (dénonciation souvent polémique et parfois fort démagogique et injuste qui privera l’AF d’une part des élites intellectuelles de ce pays) une forme de refus de ce que l’on nomme aujourd’hui les « communautarismes ». La grande ambition de Maurras est de refaire l’unité de l’Etat sans, pour autant, étouffer les diversités françaises originelles, provinciales, mais en écartant les agrégats, les « noyaux durs » qui, de la faiblesse de l’Etat républicain, cherchent, selon lui et les nationalistes, à tirer profit : cela permet de mieux comprendre en quoi le cardinal Richelieu est le modèle même de Maurras au point que son buste sera dans le bureau du doctrinaire royaliste, et que ce dernier écrira sous son regard, sous son patronage silencieux… Or, pour Maurras, il n’y a pas de Richelieu s’il n’y a pas de Louis XIII, de roi : pas de gouvernement et d’unité sans le « trait d’union » du règne, dans le temps comme dans l’espace. L’extrémisme de Maurras peut se comprendre, à mon sens, comme une forme de « nationalisme d’urgence » devant ce qu’il ressent, avec les conséquences de l’Affaire Dreyfus, comme une destruction des « moyens de l’Etat » (en particulier militaires et politiques) et, donc, de ce qui fait de l’Etat cette instance politique protectrice nécessaire à la vie des Français et de leurs communautés « de base » (familles, communes, provinces…). D’autre part, si Maurras et les siens reprennent les thématiques générales des nationalistes, souvent avec un brin de démagogie, c’est aussi pour les attirer vers l’AF, en pensant récupérer les « meilleurs éléments », les plus utiles à la conquête de l’Etat.

    Mais Bertrand Joly, quant à lui, ne croit pas que Maurras veuille prendre le pouvoir, ne serait-ce que parce qu’en reprenant le « style nationaliste » (« la violence rhétorique et l’outrance, les avis abrupts et un manichéisme primaire, l’appel au sabre et les attaques ad hominem (…) »), il en est contaminé par le défaut majeur de l’agitation : « Par cette rhétorique de vaincu, le nationalisme lègue aussi à son héritier tout le venin de son impuissance. A l’Action française comme dans les ligues, on attend Godot, l’ultime forfait de la République parlementaire qui va réveiller enfin le pays et accoucher d’une révolution à rebours, avec chez les uns et les autres le même écart entre une efficacité médiatique impressionnante et des résultats bien minces au total : manifestations houleuses, éditoriaux vengeurs, déclarations provocatrices, rien de tout cela ne menace vraiment le régime et tout ce bruit cache mal une abstention à peu près permanente : le seul fait que Maurras se demande gravement si le coup de force est possible prouve qu’il ne l’est pas et, dès lors, la littérature et la presse doivent jouer chez lui et les siens le même rôle compensateur et cathartique que chez Barrès ». Bertrand Joly reprend là un vieux débat qui a maintes fois agité l’AF elle-même et qui en a désespéré plus d’un… Contrairement à ce qu’il pense, le fameux texte de Maurras « Si le coup de force est possible » (1910) n’est pas un traité du renoncement mais une tentative de « penser la prise du pouvoir », en cherchant quelles sont les possibilités stratégiques pour « faire le coup » et sur quelles bases sociopolitiques s’appuyer pour mener à bien ce projet : le problème n’est pas dans la volonté de Maurras d’aboutir mais dans les conditions et, sans doute, dans l’absence d’un « appareil d’AF » capable de mettre en œuvre une stratégie autre que théorique mais aussi dans un certain « confort intellectuel » qui va endormir les velléités monarchistes, avec cette fameuse formule qui empêchera souvent d’aller plus loin, « Notre force est d’avoir raison », véritable certitude qui deviendra l’alibi d’une certaine paralysie pratique, malgré la bonne volonté et le dévouement des Camelots du Roi. Sans doute ce texte de Maurras ne sera-t-il pas réactualisé et repensé après la Grande guerre et peu réédité par l’AF, comme si la page était tournée : il faudra attendre les années 60 pour que quelques militants, souvent lecteurs de Pierre Debray (théoricien maurrassien des années 50-70), rouvrent et reprennent les réflexions avancées dans ce petit ouvrage que Maurras, d’ailleurs, n’a pas écrit seul (Frédéric Delebecque et le Georges Larpent en sont les co-rédacteurs)… En fait, Maurras considère que la boucherie de 1914-1918 a changé la donne et, sans doute, que « le compte n’y est plus » parce que l’un des arguments forts de sa réflexion politique (c’est-à-dire que la République est incapable de gagner, en définitive, la guerre étrangère) est apparemment invalidé par la IIIe République qui, d’ailleurs, ne se gêne pas pour récupérer la Victoire : en instaurant ce que Maurras nomme la « monarchie de guerre », le vieux républicain patriote Georges Clémenceau coupe l’herbe sous le pied des nationalistes d’AF et utilise le « moyen monarchique » pour assurer la « fin républicaine », stratégie gagnante qui consolide la République sur son flanc droit. Désormais, les républicains pourront se targuer de cette victoire de 1918 pour montrer la crédibilité de la République et amadouer (ou désarmer) les nationalistes…

    Ainsi, la stratégie de Maurras et de l’AF doivent s’adapter à la nouvelle donne et la « nécessité nationaliste » apparaît moins pressante, moins urgente : il faudra attendre la fin des années trente pour qu’elle retrouve un écho mais, là, dans une « notabilité éditoriale » privée de tout mouvement politique puisque, si le quotidien « L’Action française » dispose d’un fort lectorat, elle n’a plus de débouché militant, la « ligue d’AF » et les Camelots du Roi étant désormais dissous et interdits depuis 1936. Ainsi, le propos de Bertrand Joly me semble moins crédible pour la période même de la rédaction de « Si le coup de force est possible », vers 1910, que pour la période postérieure à 1918. D’autre part, que la possibilité du « coup de force » monarchique soit moins immédiate n’enlève rien à la nécessité de la conclusion royale aux raisonnements nationalistes, et, une fois entièrement royaliste (à partir de 1902), l’Action française ne se déjugera pas et, au contraire, approfondira constamment les raisons de son royalisme. Elle refusera, malgré les injonctions parfois sympathiques qui pourront lui être faites, de renier ce qui va devenir, de plus en plus, son « identité » au sein du paysage nationaliste français.

    http://jpchauvin.typepad.fr/

  • Le « brave » général Boulanger

    Cent ans après son suicide et la fin de l'aventure boulangiste, un nouveau livre vient de paraître sur celui que l'on surnomma «le général Revanche». Il manqua de prendre le pouvoir, grâce à son incroyable popularité et aux ramifications d'un mouvement qui recrutait tant à l'extrême droite conservatrice qu'à l'extrême gauche révolutionnaire. Renonçant à franchir le pas d'un coup d'Etat, Boulanger fut finalement vaincu par l'ultime sursaut d'une «Ripouxblique» dont les scandales avaient accru la combativité. Le récit de Jean Garrigues (1) évoque parfois des problèmes plus actuels qu'il n'y paraît.
    La formule est bien connue : « L'Histoire ne repasse pas les plats » et rien ne serait plus erroné ni même plus nocif que d'essayer de faire de la singulière aventure du général Boulanger la préfiguration d'autres échecs (le 6 février 1934) ou d'autres succès (le 13 mai 1958). On a comparé parfois - et l'auteur de ce livre ne s'en prive pas dans sa conclusion - Boulanger à La Rocque, à Pétain ou à de Gaulle. Ce n'est pas toujours faux. Mais ce n'est pas totalement vrai non plus.
    Encore faudrait-il connaître l'homme lui-même et ce livre est un assez bon guide du musée boulangiste. Physiquement, le militaire auquel il ressemble le plus, sur les caricatures du moins, est le général Massu, dont il avait sans nul doute et la bravoure militaire et le sens politique.
    On a peine en ces temps paisibles à imaginer la carrière d'un jeune saint-cyrien de 1855 (promotion Crimée-Sébastopol). Né le 29 avril 1837, à Bourg-lès-Comptes, au pays gallo, fils d'un avoué breton et d'une aristocrate écossaise, le sous-lieutenant Georges Boulanger va se battre avec un fantastique courage. On le verra à la tête de ses hommes en Kabylie, en Italie où il est très grièvement blessé d'une balle qui lui traverse la poitrine de part en part, en Cochinchine ou au Cambodge. Promu capitaine au feu, il est à nouveau blessé devant Paris, par les Prussiens en 1890, puis par les Communards en 1871.
    Il termine l'année terrible comme lieutenant-colonel. Ses notes sont éloquentes : « Caractère hautain, s'appréciant lui-même d'une façon légèrement exagérée. » En termes plus vifs, ce baroudeur est un ambitieux et même un arriviste. La vantardise et l'art du mensonge apparaissent vite comme ses armes favorites. Cet amateur de chevaux et de jolies femmes (au milieu de tant de passades, on lui connaîtra deux grandes passions : Tunis, son alezan noir, et sa maîtresse Marguerite de Bonnemains) va curieusement montrer autant de pusillanimité politique qu'il a fait preuve dans sa jeunesse de témérité guerrière.
    De plus en plus mégalomane, au fur et à mesure qu'il assure sa carrière par un savant mélange d'esbroufe et d'hypocrisie, il se montre à la fois zélé clérical chantant à tue-tête, lors d'un pèlerinage, « Sauvez, sauvez la France, au nom du Sacré-Cœur ! » et républicain avancé, patronné par Gambetta, ce qui ne l'empêche pas de faire sa cour au duc d'Aumale ! Faiseur et charmeur, il obtient ses étoiles en 1880, devenant à quarante-trois ans le plus jeune général de brigade de l'année française.
    On n'a sans doute pas prêté assez d'attention au voyage qu'il accomplit en Amérique, pour diriger la mission militaire française, lors des festivités commémorant le centième anniversaire de la bataille de Yorktown.
    Il rêve peut-être de devenir un «soldat politique», du style La Fayette. Outre-Atlantique, il découvre cette arme fantastique, inconnue encore en Europe, qu'est la publicité. Il lancera plus tard son mouvement comme Barnum son cirque ! Inculture et affairisme. ce continent a tout pour lui plaire, puisqu'il permet de fulgurantes réussites à qui a le sens de l'opportunité, peu de scrupules et un indéfectible optimisme allié à la certitude d'avoir toujours raison. L'innovation de Boulanger dans la vie politique française, ce sera peut-être d'y avoir tenté une carrière à l'américaine, d'autant qu'il a retrouvé aux States un camarade de Saint-Cyr, converti dans les affaires : le « comte» Dillon, qui va devenir un des hommes clés du boulangisme et son grand argentier.
    Directeur de l'infanterie au ministère de la Guerre, Boulanger passe pour un «général républicain» de style radical. Clemenceau, son ancien condisciple au lycée de Nantes, ne jure que par lui. Il en reviendra.
    En attendant, après un passage comme général de division commandant les troupes françaises en Tunisie, durant lequel il se fait surtout remarquer pour ses mauvais rapports avec le Résident, il est nommé, au début de l'année 1886, ministre de la Guerre.
    Ce poste est pour lui un marchepied, ce qui ne l'empêche pas d'être un bon ministre, obsédé qu'il est par l'idée de revanche.
    On ne comprend rien à Boulanger si on ne le replace pas dans le cadre du délire anti-allemand de son époque. Par ses foucades et ses discours, il incarne le coq gaulois contre l'aigle teuton. Son patriotisme belliqueux et revanchard coïncide parfaitement avec le climat, plus chauvin que social, qui constitue alors l'armature même de la République. Parlementaires radicaux ou «opportunistes» savent que le paravent tricolore permet de camoufler bien des intrigues sordides et bien des affaires juteuses, tout en obtenant la neutralité provisoire des conservateurs et des cléricaux. Pour tous ces bourgeois, l'essentiel est d'asseoir le régime des «bleus», tout en évitant le retour des «blancs» ou la revanche des «rouges».
    UN CÉSAR D'OPÉRETTE
    Quel meilleur éteignoir qu'un képi ? Boulanger sert à merveille les ambitions d'un régime qui ne tient pas à voir ni l'élite ni le peuple se mêler de trop près à des combines dont la plus ignoble sera le trafic des décorations par le propre gendre du président de la République !
    Seulement, en intronisant un militaire ambitieux à un poste en vue, le gouvernement joue à l'apprenti-sorcier.
    Arrive la revue du 14 juillet 1886. C'est là où tout commence. En une journée Boulanger devient brusquement ultra-populaire, échappant à toutes les tentatives de classification politique. Avant qu'on ne parle de lui comme d'un César, on découvre brutalement, dans ce général de belle prestance, ce que Jean Garrigues nomme très justement « la première star de la vie politique française ». Le retour de Longchamp, c'est-à-dire finalement un non-événement, peut se comparer à la venue de Pétain à Notre-Dame en 1944 ou au discours de De Gaulle à la Bastille une quinzaine d'années plus tard.
    Ce qu'Adolf Hitler connaîtra à Nuremberg après la prise du pouvoir de 1933, Boulanger le connaît avant ! Car tout est là : il n'est pas au pouvoir. Il n'est encore que le pion d'une des innombrables combinaisons ministérielles de la IIIe République.
    SANS DOCTRINE ET SANS SCRUPULES
    Comment prendre le pouvoir ? Telle est la question qui va dominer ces cinq années, dont la courbe fiévreuse, malgré quelques sommets, va aller de la popularité à la solitude, de la griserie à l'échec, du rêve au néant.
    Premier point, capital. Boulanger, qui prétend tout décider par lui-même et mener son mouvement comme une armée, n'a ni doctrine, ni méthode, ni clairvoyance, ni même volonté. Que lui reste-t-il alors ? Du charme et de la chance, et aussi une absence totale de scrupules qui permet parfois les plus brillantes manœuvres mais conduit souvent aux plus sombres déroutes, où tout est perdu, et l'honneur avec.
    S'il n'a pas d'idées - il est seulement «révisionniste», ce qui veut dire désireux de réviser la Constitution le général a des amis (dont le temps montrera la lassitude et l'infidélité). Sensible à la flatterie, il confie les rouages du mouvement à qui l'encense ou pire encore, à qui le rétribue. Car toute cette aventure coûtera beaucoup d'argent.
    Boulanger sera très vite prisonnier des médiocres (les fidèles) et des gredins (les bailleurs de fonds). Cela n'empêche pas une réussite initiale : rassembler des gens que tout séparait.
    Cela va du politicard-type Alfred Naquet, sénateur et israélite, à Marie-Clémentine de Rochechouart-Mortemart, duchesse d'Uzès, chouanne richissime et chasseresse. Les deux piliers de l'entreprise boulangiste ne sont certes pas des hommes dépourvus de qualités : l'ex-marquis Henri de Rochefort-Luçay, aristocrate et communard (sur lequel il faut absolument lire le beau livre d'Eric Vatré, paru aux éditions Lattès) et Paul Déroulède, animateur des cent mille volontaires de la redoutable Ligue des Patriotes, dont l'Histoire a fait un pantin, alors qu'il fut un cœur pur et sans doute la meilleure tête politique du boulangisme. Déroulède et Rochefort symbolisent à eux deux la rencontre «nationale» et «socialiste» d'un mouvement que rejoindront, tôt ou tard, entre beaucoup d'autres, l'ancien général de la Commune Emile Eudes et le jeune écrivain nationaliste Maurice Barrès, l'antisémite catholique Drumont et la future communiste Séverine, le marquis de Morès et l'aubergiste Marie Quinton, la Belle meunière.
    Tous sont unis par la haine des mêmes ennemis : les parlementaires républicains, qu'ils soient radicaux ou opportunistes, et qui ont depuis quelques années multiplié les faiblesses, les scandales et les trafics. On parle alors de «république des escrocs» comme on dira, sous Stavisky, la république des voleurs et aujourd'hui la «ripouxblique» ...
    Voulant à la fois ne pas mécontenter les républicains durs et purs et les partisans de la monarchie, les banquiers juifs et les ouvriers rouges, les cléricaux et les libres penseurs, les bonapartistes et les blanquistes, Boulanger - as du flou artistique - se garde bien de mettre sur pied un grand parti structuré; il se contente d'accumuler les «coups électoraux», d'abord triomphaux puis catastrophiques.
    On l'a, à tort, présenté comme une sorte de «pré-fasciste», en invoquant sa faculté de rassembler la droite et la gauche (et surtout l'extrême droite et l'extrême gauche). Mais il n'en a jamais opéré la fusion. Nul d'entre ses partisans ne s'est rallié à une synthèse «nationale-socialiste» mais chacun est resté au contraire prisonnier de ses origines, tout en imaginant que le général partageait ses idées.
    L'ÉTERNEL RETOUR DE L'HOMME PROVIDENTIEL
    Finalement, il n'y a pas plus de «boulangisme» que de «pétainisme» ou de «gaullisme». Peu d'idées, mais le ralliement à un homme providentiel. Qu'il fût coiffé d'un képi et qu'il traînât un sabre favorisa manifestement les choses, surtout dans les milieux les plus populaires qui sont aussi à l'époque les plus tricolores.
    L'habileté de Boulanger a été de faire croire aux républicains qu'il allait épurer la république et aux royalistes qu'il allait ramener le roi, se présentant aux orléanistes comme une sorte de Franco avant la lettre.
    Au début de juillet 1887, Boulanger n'est plus ministre et le gouvernement le met au vert à Clermont-Ferrand. Une manifestation monstre à la gare de Lyon marque son départ (on croirait Soustelle quittant Alger !). De son exil provincial, le général de division complote. Ce jacobin notoire n'hésite pas à rencontrer secrètement les chefs royalistes et bonapartistes. Il en obtient des promesses et des subsides qui, après sa mise en non-activité avec demi-solde, suivie d'une mise à la retraite officielle, lui permettront de se faire élire triomphalement député du Nord.
    Désormais, il se croit tout permis en cette année 1888, où il conjugue les voix des ouvriers patriotes et des paysans conservateurs, obéissant aux consignes du comte de Paris ou du prince Napoléon.
    1889 s'ouvre par son triomphe à Paris, encore plus boulangiste que la province (sauf dans les beaux quartiers). Seulement la république parlementaire, avec l'aide de la toute nouvelle Ligue des Droits de l'homme et des loges maçonniques, va savoir se défendre par tous les moyens y compris les moyens légaux, sous l'impulsion de Jules Ferry qui était peut-être une crapule mais pas un imbécile.
    Une des premières manœuvres consiste à modifier la loi électorale quand on s'aperçoit qu'elle peut être favorable à Boulanger! La recette fera école.
    On imagine mal l'ampleur de la lutte. Dillon lance une campagne à l'américaine. Fayard imprime à plus de trois millions de livraisons l'Histoire patriotique du général Boulanger. Le journal La Cocarde tire à quatre cent mille exemplaires. On diffuse cent mille de ses bustes en plâtre et des camelots écoulent photographies et images d'Epinal à la gloire de ce candidat que célèbrent les chansonniers. Toute une bimbeloterie fait recette et ses partisans portent même des bretelles boulangistes : «Plus de dos rond», dit la publicité.
    Cette agitation fabrique un héros, mais ne peut longtemps cacher la médiocrité d'un homme. Quand le coup d'Etat est possible, le 27 janvier 1889, il se dérobe et se contente de passer la nuit chez sa maîtresse, qui va désormais totalement obérer sa carrière politique, d'autant qu'elle est gravement malade, phtisique au dernier degré. Le général à l'œillet rouge est amoureux fou de la dame aux camélias ...
    Le gouvernement comprend vite qu'il a devant lui un irrésolu, si confiant par ailleurs en sa bonne étoile qu'il croit parvenir à la magistrature suprême par les seules élections.
    Tandis que le général s'enfuit à Bruxelles, pour éviter la Haute Cour, le pouvoir prononce la dissolution de la Ligue des patriotes, véritable section d'assaut du comité républicain national, puisque telle est l'étiquette du mouvement boulangiste.
    LA DÉROUTE
    Condamné par contumace à la déportation à vie dans une enceinte fortifiée pour atteinte à la sûreté de l'Etat, trahi par les notables conservateurs après avoir déçu les travailleurs révolutionnaires, isolé et secoué à son tour par ce que la presse révèle des coulisses de son mouvement, Boulanger connaît, à l'automne 1889, une véritable déroute électorale dans un pays dont le cœur ne bat plus pour le beau général. Réfugié à Jersey avec sa maîtresse moribonde, il n'est désormais qu'un proscrit sans aucun avenir politique.
    Les élections municipales de Paris, qui fut naguère son plus solide bastion, se soldent par une catastrophe. Au printemps 1890, le boulangisme est fini.
    Voici tout juste cent ans, en 1891, Marguerite de Bonnemains meurt à Bruxelles, le 16 juillet. Son amant, le 20 septembre, se suicide d'un coup de pistolet sur sa tombe. Celui qui l'a naguère mis en selle, Georges Clemenceau, prononce la plus cinglante des épitaphes : « Ci-gît le général Boulanger, qui vécut comme il mourut : en sous-lieutenant. »
    Face aux scandales et aux compromissions, il avait incarné, encore plus que la Revanche, ce que l'on pourrait appeler la «Restauration nationale», c'est-à-dire la réconciliation, sous le manteau du patriotisme, des valeurs traditionnelles et des espoirs révolutionnaires.
    En refusant un facile coup d'Etat, il a non seulement ruiné toutes les espérances de ses partisans mais, en même temps, il a entraîné dans sa chute ses alliés monarchistes et communards. Son échec n'a fait que consolider la république bourgeoise, qui devait s'épanouir cent ans plus tard dans le consensus parlementaire unissant aujourd'hui socialistes et libéraux.
    Les héritiers des vaincus de 1891 se doivent de connaître cette triste aventure. Finalement, ce qui a le plus manqué à l'infortuné général, c'est le courage politique, qui est plus rare que la bravoure guerrière; c'est aussi une doctrine solide, un coup d'œil rapide et une ténacité sans faille. Ambitieux mais limité à sa seule personne, il n'a pas été « celui qui sacrifie tout de lui-même à quelque chose de plus grand que lui-même ».
    (1) Jean Garrigues : Le général Boulanger, 380 p., Olivier Orban.
    • Jean Mabire le Choc du Mois • Juin 1991

  • Paul Déroulède l'invincible espérance

    S'il est un écrivain pour lequel la postérité a été particulièrement injuste, c'est bien Paul Déroulède. Considéré en son époque, voici un siècle, comme un factieux, il est aujourd'hui relégué au nombre des grotesques. Une telle unanimité contre la mémoire d'un personnage devenu le symbole du chauvinisme le plus démodé a quelque chose de suspect. Cela mérite d'y voir de plus près.
    Finalement, la rencontre en vaut la peine. Même aujourd'hui. Surtout aujourd'hui. Certes, l'idée de revanche, qui anima toute sa vie l'ancien combattant de l'Année Terrible, n'a plus aucun sens à l'heure où l'amitié franco-allemande est devenue un fait irréversible dans une Europe menacée de toutes les convulsions.
    Mais ce qui compte d'abord chez Déroulède, c'est une attitude, celle du combattant, dans la paix tout autant que dans la guerre.
    L'animateur de la vieille Ligue des patriotes, républicain indéfectible, avait compris, mieux que nul autre, quel abîme séparait la république parlementaire de la république plébiscitaire qu'il appelait de ses vœux, non pour en devenir le chef, mais pour rendre aux citoyens une parole confisquée par un système inique.
    Alors que le combat pour l'Alsace-Lorraine domina toute son action, on peut se demander si l'essentiel de son rôle dans la cité n'a pas été cet appel direct au peuple. Cela se nomme référendum et prend un tour très actuel, tellement actuel que rien ne fait plus peur, en ce moment, aux hommes du pouvoir et de l'utopie.
    Au printemps 1871, au terme de terribles épreuves, un officier, âgé de vingt-cinq ans, s'exclame : « A partir d'aujourd'hui, je me voue à la revanche, et pour tout aussi longtemps que nos frères séparés n'auront pas été réunis à nous comme par le passé, pour tout aussi longtemps que la France absente n'aura pas repris sa place à leurs foyers, je me donne à l'armée, corps et âme! »
    Il s'agit d'une véritable conversion. Dans sa jeunesse, Paul Déroulède, né à Paris, place Saint-Germain-l'Auxerrois, d'un père avoué, d'origine rurale charentaise, et d'une mère, sœur de l'auteur dramatique dauphinois Emile Augier, se déclare antimilitariste. Il ne se soucie que de poésie et de voyages lointains, assistant même à l'inauguration du canal de Suez, avant de vagabonder en Italie, en Hollande, en Bavière, en Prusse et en Autriche. Il est alors internationaliste résolu et "préfère l'humanité à la patrie", rêvant de "confondre tous les peuples et toutes les races dans une embrassade générale"

    Brave mais sans haine

    La guerre va tout bouleverser. Officier de "mobiles", engagé volontaire dans les zouaves, il reçoit le baptême du feu à Bazeilles où son frère, qui n'a que dix-sept ans, est frappé à ses côtés d'une balle en pleine poitrine.
    Prisonnier, évadé dans des conditions rocambolesques de Breslau, il rempile dans les "turcos", les tirailleurs algériens. Il gagne au feu la croix de chevalier de la Légion d'honneur, refuse d'être interné en Suisse, rejoint Bordeaux et se fait envoyer à Paris.
    Sous-lieutenant au 30e bataillon de "vitriers", ainsi qu'on appelait les chasseurs à pied, il est grièvement blessé lors des combats de la Commune et manque de très peu d'être amputé d'un bras. Déroulède a servi ce qu'il considère comme le gouvernement légitime, avec bravoure mais sans haine pour ses adversaires. Il écrira un jour cette phrase extraordinaire : « Dans une guerre civile, tout citoyen qui n'aura pas combattu pour l'une ou l'autre des factions cessera d'appartenir à la cité et sera considéré comme un étranger. »
    Très handicapé par un accident de cheval, il démissionne en 1874 et décide de se consacrer à une double carrière littéraire et politique. Auteur d'un acte en vers, représenté à la Comédie-Française avant la guerre alors qu'il n'avait que vingt-trois ans, il a publié au lendemain de la défaite Les Chants du soldat qui vont connaître un succès prodigieux avec cent cinquante rééditions !
    Républicain dans la tradition de l'An Il, le poète de la Revanche fait alors partie de la commission d'éducation militaire et nationale près du ministère de l'Instruction publique.
    Déroulède ne jure alors que par Gambetta. Quand Jules Ferry le remplace, il lui vous aussitôt une haine tenace. Il s'élève contre les aventures coloniales, en souvenir des provinces annexées :
    - J'ai perdu deux enfants, dit-il à Ferry et vous m'offrez vingt domestiques !
    En mai 1882, c'est la fondation de la Ligue des patriotes, dont il va devenir l'emblématique organisateur, déployant des talents d'agitateur inlassable plus que de comploteur efficace. Il n'a pas d'ailleurs d'ambition personnelle et sacrifie tout, sa personne comme sa fortune, au mouvement qu'il anime. Il se veut seulement "un sonneur de clairon." Mais quel souffle et quel coffre !
    Sa haute silhouette à la taille bien prise dans une redingote sombre, sa longue barbe blonde, son port de tête altier, son verbe sonore, tout concourt à le rendre populaire. Et auprès des petites gens bien davantage que dans les beaux quartiers.
    Il n'est d'abord que le propagandiste, assez vite déçu, du général Boulanger. La fin lamentable de l'aventure ne le décourage pas. "Quand même ! " est sa devise.

    Un écrivain "engagé"

    Il multiplie les éditoriaux fulgurants dans Le Drapeau, dont Barrès sera un jour rédacteur en chef et apparaît comme une sorte de Don Quichotte du nationalisme, instituant le culte de Jeanne d'Arc, la "sainte de la patrie".
    Il assure avoir derrière lui trois cent mille ligueurs et il donne une magnifique définition du front qu'il anime ; "Bonapartistes, légitimistes, orléanistes, républicains, ce sont là chez nous que des prénoms; c'est patriotes qui est le nom de famille."
    Il traduit en idées simples les théories de Taine et de Renan, même si ce dernier lui a conseillé tristement;
    - Jeune homme, la France se meurt, ne troublez pas son agonie.
    Elu député de la Charente, il s'efforce vainement de faire réviser dans un sens démocratique la Constitution de 1875, ce qui implique l'élection du président de la République au suffrage universel.
    Son mépris du danger, sa propension à dire tout haut ce que le peuple pense tout bas, son goût des manifestations et des conspirations lui vaudront d'être traduit en correctionnelle, en cour d'assises, puis en haute cour pour avoir tenté de soulever , la garnison de Paris après la mort de Félix Faure. Condamné à dix ans de bannissement, il doit s'exiler en Espagne, à Hendaye, tout près de la frontière. 
    Homme de pamphlets, de duels, de combats, il considère ses livres comme des armes. Il a compris avant tout le monde que le combat politique et le combat culturel marchent du même pas.
    C'est un écrivain "engagé", un des premiers. Mais ce n'est pas un écrivain négligeable. Il a touché à tous les genres. La poésie d'abord, mais aussi le drame en vers avec l' Hetmann, La Moabite ou Messire Du Guesclin la tragédie avec La mort de Hoche, la biographie avec Le Premier Grenadier de France : La Tour d'Auvergne, les souvenirs avec ses Feuilles de route, témoignage poignant sur cette année 70-71 qui devait le marquer à jamais.
    Homme de coups de gueule plutôt que de coups d'Etat, il s'est voulu un tribun du peuple, finalement le seul grand rival de Jean Jaurès. Il mourra la même année que lui, en 1914, le 30 janvier, après avoir prononcé par un froid glacial son dernier discours sur le champ de bataille de Champigny, haut lieu des rencontres de la Ligue des patriotes.
    Il reste l'homme dont toute la vie enseigne le combat : "Ni les défaites, ni les défections, ni les châtiments, non pas même les années, n'ont courbé ma tête ni fléchi ma volonté. "Tant que je respirerai, j'espérerai ! " Cette vieille devise-là, non plus, je ne l'ai pas reniée."
    Jean Mabire, National Hebdo Semaine du 23 au 29 septembre 1993