L'expansion celtique s'accomplit en plusieurs vagues au cours du 1er millénaire avant notre ère. Elle correspond aux deux grandes civilisations de l'âge du fer : la civilisation de Hallstatt et la civilisation de La Tène. En fait, chacune est la métamorphose d'une même culture générée par l'indo-européanisation de l'Europe.
Ecosse, Irlande, Pays de Galles, Cornouailles, Bretagne et Galice : notre imaginaire associe les Celtes aux finistères extrême-occidentaux, terres battues par le vent et la mer. Pourtant, c'est du cœur de notre continent qu'ils surgissent au 1er millénaire avant notre ère. De Bohême, Allemagne du Sud et d'Autriche, ils vont se répandre dans la majeure partie de l'Europe et étendre leur empire jusqu'en Asie mineure où les Galates, installés sur les plateaux d'Anatolie, maintiendront longtemps leur langue et leur autonomie (1). Pourtant, ils seront passés sous silence plusieurs siècles durant, au profit du monde gréco-romain, réputé « civilisateur ». Mais lorsque ces «barbares» sortent enfin d'une longue nuit d'oubli et de mépris, ils deviennent l'objet d'une véritable passion.
En France, Napoléon III s'intéresse personnellement aux recherches entreprises pour retrouver le site d'Alésia. Arbois de Jubainville, le premier titulaire d'une chaire de langue et de littérature celtiques, leur consacre sa vie. Salomon de Reinach, Camille Jullian, Joseph Déchelette et Henri Hubert suivent son exemple. Parfois, la quête des Celtes prend les formes de la mystification géniale : ainsi, lorsque James MacPherson « redécouvre » les Poèmes d'Ossian. La « celtomanie » a précédé la celtologie, mais elle va perdurer. Les thèses savantes alimenteront les antagonismes nationaux, incitant certains à transposer dans le passé les querelles du présent. Ainsi, du côté français, les Celtes furent-ils souvent opposés aux Germains, leurs contemporains, alors même que les deux peuples partageaient, aux dires d'observateurs comme Strabon, tant de traits communs suggérant la parenté.
Depuis, l'archéologie a calmé certains fantasmes et réduit notre part d'ignorance. Bien entendu, de nombreuses questions restent sans réponse, mais la matérialité des faits accumulés permet de dégager des caractéristiques culturelles et de corriger les clichés romantiques du XIXe siècle, lesquels, par analogie avec les situations coloniales que l'Europe commençait à vivre hors de sa sphère, tendaient à faire des « barbares» les élèves plus ou moins doués d'un monde romain exclusif porteur de la civilisation. Sur ce sujet, Jean-Jacques Hatt, l'un des meilleurs spécialistes de la Gaule romaine, a observé que la romanisation de la Gaule offre « le précédent se déroulant sur plus de quatre siècles, d'une entreprise coloniale réussie, dont le colonisé et le colonisateur ont globalement tiré le plus grand profit » (2). Le terme de «colonisation» que nous recevons dans son acception actuelle, est-il vraiment approprié pour désigner la conquête romaine ? Il reste qu'au-delà d'évidentes différences, les deux mondes n'étaient pas étrangers l'un à l'autre. Leurs traditions puisaient aux mêmes sources. Pour preuve, malgré la persécution des druides, le panthéon celtique a pu survivre sous un habillage romain et même ressurgir intact au IIIe siècle de notre ère.
LES VAINCUS DE L'HISTOIRE ?
« Les Celtes, écrit Hérodote qui, au Ve siècle avant notre ère, est le premier à parler d'eux, sont après les Indiens la nation la plus nombreuse de la terre. S'ils étaient gouvernés par un seul homme ou s'ils étaient bien unis entre eux, ils seraient le plus puissant de tous les peuples. » Sur les fragilités politiques du monde celtique qui semble avoir marqué une certaine répugnance à se donner un Etat centralisé, les dissertations ne manquent pas. De fait, le désastre du cap Telamon qui coûte quarante mille morts et dix mille captifs aux Celtes, annonce la suprématie militaire romaine, bien avant la défaite d'Alésia. Des Celtes qui furent pourtant des guerriers intrépides et craints, Goulven Permaod a dit qu'ils étaient « les grands vaincus de l' histoire européenne ». L'affirmation reste discutable, car jamais on ne soulignera assez la dette de notre culture européenne à leur égard, ni l'enseignement que leur vainqueur retira d'eux.
Guerriers farouches et braves, ils ne craignaient pas la mort, allant même la chercher avec enthousiasme. Mais ils ont aussi été des innovateurs et de très habiles artisans. Forgerons et charrons de premier ordre, ils ont inventé l'éperon, le char de combat, la charrue à roues, la moissonneuse et le tonneau. Ils aimaient la guerre, mais aussi la bonne chère et Rome fut friande de leurs jambons. Ils furent également de remarquables agriculteurs dont les pratiques seront maintenues des siècles durant dans les campagnes européennes. Ils tenaient la forêt pour un lieu sacré, mais créèrent le premier tissu urbain de l'Europe (les oppida) et développèrent un vaste réseau de routes et de chemins dont les Romains surent tirer parti. Leur empreinte sur l'espace européen sera suffisamment forte pour subsister dans la toponymie de nombreux sites et de nombre de nos cités actuelles, et aussi dans le découpage des diocèses qui perpétueront longtemps leurs anciens pagi. Et c'est d'eux que la Galicie et la Valachie tiennent leurs noms.
Le drame des Celtes est, probablement, d'avoir, comme les Germains, réservé l'écriture à un usage restreint. Ils ont donc été les victimes de témoignages rendus par d'autres. Les écrits restent et la propagande n'est pas chose nouvelle sous le regard des dieux. Ainsi furent-ils faussement accusés d'avoir pillé le temple de Delphes sur la foi de Jules César, de pratiquer des sacrifices humains. D' aucuns en ont tiré parti pour justifier des jugements dépréciateurs, car la «diabolisation» est, elle aussi, technique ancienne. Mais le mythe de Tristan et qu'ils nous ont légué, montre - Denis de Rougemont l'a merveilleusement souligné - l'importance qu' ils attachaient à la «personne». Leurs tombes princières, comme celles de Vix ou de Reinheim, témoignent, à l'instar de la figure de Brigitte, de la place que sans attendre nos ardentes féministes, ils avaient su faire à la femme. Grands, les Celtes le furent aussi par la pensée accordant au héros une place exemplaire. Le roi Arthur et ses chevaliers légendaires lancés à la quête du Graal ont traversé les siècles. Leurs traditions ont longtemps été perpétuées par notre socialité et leurs mythes marquent encore notre imaginaire.
L'UNITÉ DANS LA DIVERSITÉ
Loin d'avoir été seulement brillante parenthèse, l'épopée celtique a constitué l'un des grands moments de l'expansion indo-européenne. Avant le milieu du IIIe siècle avant notre ère, ils ont atteint leur expansion maximale depuis les îles britanniques, le centre et l'ouest de la péninsule ibérique, jusqu'aux Carpates, en passant par la Belgique et la Suisse actuelles, la Hesse, la Thuringe, le nord de la Bohême et la Silésie. Ils arrivent alors jusqu'au littoral méditerranéen, occupent la majeure partie des plaines du Pô et du Danube en amont des Portes de fer. En même temps, ils établissent en Bulgarie le royaume de Tylis. Peut-être même, s'interroge Venceslas Kruta, le directeur du Centre d'études celtiques de Paris, ont-ils été encore plus au nord, le long du littoral de la mer Noire. En tout cas, ils occuperont une part non négligeable de l'actuelle Turquie.
A Venise qui n'est pas très éloignée de la Slovénie et de la Croatie en feu, les Celtes revivent dans la belle lumière du Palazzo Grassi, restauré grâce à l'intelligence du Groupe Fiat, un mécénat culturel qui pourrait inspirer utilement les constructeurs automobiles français. L'exposition qui leur est
consacrée constitue un événement d'importance, car elle souligne la communauté d'un héritage et la pleine dimension spatiale d'un monde oublié. Les Celtes y apparaissent comme les principaux initiateurs d'une unité européenne dans la diversité. Pour la première fois, en effet, plus de deux mille cinq cents objets originaux, prêtés par deux cents musées de vingt-quatre Etats européens différents, reconstituent leur monde qui fut la première Europe.
Célébration du génie celtique, cette exposition fait aussi découvrir la singulière virtuosité d'un art en totale autonomie stylistique à l'égard des modèles méditerranéens. Des représentations zoomorphes et anthropomorphes d'une grande luxuriance, à l'émouvante beauté du petit dieu de Bouray, en passant par les spirales élégantes du casque d'Amfreville, les feuilles du casque d'Agris, les entrelacs des manuscrits irlandais, les volutes des miroirs de bronze ou le dessin hardi des monnaies gauloises, les Celtes montrent un talent créateur qui, s'il échappe aux canons hérités de la Grèce, n'en traduit pas moins une audace et une pureté de ligne qui annoncent l'univers fantastique du roman, voire les flamboyances du gothique. Dans cet art celtique se lit la passion du mouvement et le sens de la métamorphose, c'est-à-dire la vitalité. Surgies de la nuit, ces reliques arrachées à la terre où dorment ces lointains ancêtres, constituent un fabuleux héritage. Elles témoignent aussi de la polymorphie européenne et, en ces temps qui voient l'Europe en mouvement, réveillent comme la nostalgie de son aurore « barbare ».
(1) Les Galates dont saint Jérôme dit, à la fin du IVe siècle, qu'ils parlent une langue proche du gaulois usité dans la région de Trêves, pourraient être les lointains ancêtres des Kurdes, lesquels appartiennent Iinguistiquement au monde indo-européen.
(2) Histoire de la Gaule romaine (Payot, 1966).
Jean Hohbarr le Choc du Mois. Octobre 1991
SUR LES CELTES
- Paul-Marie Duval: Les Celtes (« Univers des formes », Gallimard, 1977)
- Venceslas Kruta : Les Celtes (« Que sais-je ? » n°1649, PUF, 1990)
- Venceslas Kruta et Miklos Szabo : Les Celtes (Hatier, 1978)
- Venceslas Kruta : Les Celtes en Occident (Atlas, 1985)
- Jean-Jacques Hall : Celtes et Gallo-Romains (« Archeologia Mundi », Nagel, 1970)
- Jan de Vries : La religion des Celtes (Payot, 1963)
- Marie-Louise Sjoestedt : Dieux et héros des Celtes (PUF,1940)
- Paul-Marie Duval : Les dieux de la Gaule (payot, 1976).
culture et histoire - Page 2030
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L'aurore celte
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Un regard canadien sur les cultures, les identités et la géopolitique par Georges FELTIN-TRACOL
Dans les années 1990, deux géopoliticiens canadiens, Gérard A. Montifroy et Marc Imbeault, publiaient cinq ouvrages majeurs consacrés à la géopolitique et à ses relations avec les démocraties, les idéologies, les économies, les philosophies et les pouvoirs dont certains furent en leur temps recensés par l’auteur de ces lignes. Aujourd’hui, Gérard A. Montifroy et Donald William, auteur du Choc des temps, viennent d’écrire un nouvel essai présentant les rapports complexes entre la géopolitique et les cultures qu’il importe de comprendre aussi dans les acceptions d’identités et de mentalités. Ils observent en effet qu’en géopolitique, « les mentalités constituaient un premier “ pilier ”, se prolongeant naturellement avec les données propres aux identités, celles-ci débouchant sur le contexte dynamique des rivalités (p. 7) ».
Comme dans les précédents ouvrages de la série, le livre présente une abondante bibliographie avec des titres souvent dissidents puisqu’on y trouve Julius Evola, Julien Freund, Éric Zemmour, Danilo Zolo, Éric Werner, Jean-Claude Rolinat, Hervé Coutau-Bégarie, etc. L’intention est limpide : « Il nous fallait sortir de l’actuel esprit du temps qui déforme les raisonnements en débouchant sur la pulvérisation de la réalité des faits. Face à la dictature de la pensée dominante, il existe une défense formidable : les livres aussi “ parlent ” aux livres (p. 08) ». On doit cependant regretter l’absence d’une liste de blogues et de sites rebelles sur la Toile. Car, contrairement à ce que l’on croit, Internet est plus complémentaire que concurrent à la lecture à la condition toutefois de cesser de regarder une télévision toujours plus débilitante. Leur compréhension du monde se fiche des tabous idéologiques en vigueur. « C’est pourquoi la géopolitique, telle que nous la concevons, concourt à faire sortir de l’ombre le dessous des cartes, le monde du réel (p. 9). » Ce travail exige une démarche pluridisciplinaire dont un recours à la philosophie, parce qu’« en géopolitique, l’apport de la réflexion philosophique est essentiel, fondamental même (p. 16) ». Les auteurs ne cachent pas qu’ils s’appuient sur les travaux du général autrichien Jordis van Lohausen, un disciple de Karl Haushofer. Ils mentionnent dans leur ouvrage les écoles géopolitiques anglo-saxonne (britannique et étatsunienne), allemande/germanique et française, mais semblent ignorer le courant géopolitique russe ! Dommage !
La lecture est une nécessité vitale pour qui veut avoir une claire vision des enjeux géopolitiques. Seuls les livres – imprimés ou électroniques – sont capables de répliquer à la désinformation ambiante. « Justifier des guerres d’agression en modifiant le sens des mots relève directement d’une stratégie orwellienne de manipulation mentale : les stratèges de la communication mettent en avant un interventionnisme qualifié d’humanitaire pour justifier l’expression (p. 21). »
Le contrôle des esprits, la modification des mentalités, le dénigrement ou non des identités ont des incidences géopolitiques telles qu’« un État n’est donc pas synonyme d’une mentalité globale (p. 61) ». Cette assertion guère évidente provient de Canadiens. Or le Canada aurait-il pu (peut-il encore ?) se construire un destin ? Les auteurs s’interrogent sur son caractère national, étatique, quelque peu aléatoire du fait de la conflictualité historique entre les Canadiens – Français, les anglophones et les Amérindiens. Et ce, au contraire de la France ! « Pour ses composantes humaines, la France est également née de son propre voisinage : de son “ proche ” contexte. C’est-à-dire que l’identité collective, nationale, est directement issue de populations celtes, latines et germaniques (pp. 69 – 70). » La France a ainsi bénéficié de la longue durée historique pour se forger et se donner une indéniable personnalité politique, temporelle et géographique.
Montifroy et William s’attachent à démontrer les « spécificités géopolitiques canadiennes (p. 87) » et dénoncent leur « vendredi noir ». Ce jour-là, le 20 février 1959, le Premier ministre conservateur-progressiste canadien, John G. Diefenbaker, ordonnait la destruction de l’avion d’interception Avro C.F.-105 Arrow et la fin immédiate du projet au profit des produits étatsuniens. Un vrai sabordage ! Les difficultés de vente actuelles à l’étranger de l’avion français Rafale reproduisent ce lent travail de sape voulu par les États-Unis afin d’être les seuls à armer leurs obligés (et non leurs alliés).
Ce « coup de poignard dans le dos » n’est pas le premier contre le Canada. Deux cents ans plus tôt commençait la Seconde Guerre d’Indépendance américaine (1812 – 1814) entre la Grande-Bretagne et les États-Unis. Dans ce conflit peu connu en Europe, on pourrait en imputer le déclenchement à Londres qui se vengeait du traité de Versailles de 1783. Erreur ! C’est Washington qui déclare la guerre au Royaume-Uni le 18 juin 1812 et essaie d’envahir le Canada. « L’initiative américaine comporte alors un double objectif : couper une source d’approvisionnement stratégique, le bois canadien, remplaçant le commerce des fourrures, matière nécessaire pour les navires anglais, et s’approprier une aire d’expansion aux dépens de possessions britanniques, depuis longtemps convoitées au Nord (p. 95). »
Cette nouvelle guerre aurait pu déchirer la société canadienne divisée entre Canadiens-Français catholiques et anglophones protestants (colons venus d’Europe et « Loyalistes » américains installés après l’indépendance des États-Unis), ce n’est pas le cas ! Une union nationale anti-américaine se réalise. À la bataille de Stoney Creek du 6 juin 1813, 700 combattants canadiens – anglophones et francophones – repoussent environ 3 500 soldats étatsuniens ! Une paix blanche entre les deux belligérants est conclue en 1814. Les États-Unis continueront à vouloir encercler le Canada en acquérant en 1867 l’Alaska, en guignant la Colombie britannique et en lorgnant sur les Provinces maritimes de l’Atlantique. On peut même envisager que Washington attisa les forces centrifuges du futur Canada ?
Les contentieux frontaliers évacués à partir du milieu du XIXe siècle, les classes dirigeantes étatsuniennes et britanniques nouèrent des liens si étroits que « la culture s’impose à la géographie (p. 138) ». Si les auteurs soulignent le grand rôle africain de Cecil Rhodes, ils oublient qu’il fut parmi les premiers à concevoir une entente permanente entre les États-Unis et la Grande-Bretagne. Cette alliance transatlantique allait devenir au XXe siècle une Anglosphère planétaire matérialisée par le réseau d’espionnage électronique mondial Echelon qui est « une organisation ne comprenant que des pays anglo-saxons : Grande-Bretagne, États-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande et Canada (majorité anglophone) (p. 180) ».
Depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis et derrière eux, l’Anglosphère-monde, manifestation géographique du financiarisme, s’opposent à l’Europe et à la France en particulier, car « la France est le seul obstacle fondamental à leur domination mondiale sur les Esprits (p. 166) ». Pour l’heure, l’avantage revient au camp anglo-saxon. Gérard A. Montifroy et Donald William déplorent par exemple que la fonction de haut-représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité soit revenue à une tonitruante, gracieuse et charismatique Britannique, la travailliste anoblie Catherine Ashton. « Cette confusion entre l’Europe purement géographique et l’Europe géopolitique constitue l’une des fractures cachées de l’actuelle Union européenne, celle de Bruxelles (p. 149). » À la suite de Carl Schmitt, les auteurs prônent par conséquent qu’« à son tour, l’Europe doit projeter sa propre “ Doctrine Monroe ” (p. 228) ». Un bien bel ouvrage didactique en faveur d’une résistance européenne au Nouvel Ordre mondial fantasmé par les Anglo-Saxons !
Georges Feltin-Tracol http://www.europemaxima.com/
• Gérard A. Montifroy et Donald William, Géopolitique et cultures. Mentalités, identités, rivalités, Béliveau éditeur, Longueil (Québec – Canada), 2012, 251 p., 22 €.
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Economistes, institutions, pouvoirs
Je prends ici le risque de mettre en ligne la communication que j’ai faite à la table ronde « Economistes et pouvoir » du Congrès de l’AFEP (Association française d’économie politique) qui s’est tenu à Paris du 5 au 8 juillet 2012, risque puisque les textes universitaires ne vivent pas très bien hors de leur biotope universitaire. Je le fais cependant à l’occasion du supposé renouvellement du Conseil d’analyse économique (CAE) et accessoirement comme une pièce à verser au débat qui a fait suite à la parution du livre de Laurent Mauduit, Les Imposteurs de l’économie. Mais non sans avertir que ce texte a le style de son caractère et de ses circonstances : académique (quoique…), comme il sied à un colloque… académique, avec quinze minutes de temps de parole strictement comptées. Ceci dit pour signaler que lui reprocher ce à quoi sa nécessité de forme le vouait ne fera pas partie des commentaires les plus malins possibles. A part quoi, on peut discuter de tout — au fond.
Intérêts à penser
Sur un sujet à haute teneur polémique comme celui d’aujourd’hui, il est peut-être utile de ne pas céder immédiatement à l’envie (pourtant fort légitime) de la castagne et, au moins au début, de maintenir quelques exigences analytiques, conceptuelles même. Pour commencer donc, et dût la chose vous surprendre, voici ce que dit la proposition 12 de la partie III de l’Ethique : « L’esprit s’efforce autant qu’il le peut d’imaginer ce qui augmente la puissance d’agir de son corps. » La chose ne vous paraîtra sans doute pas aller de soi à la première lecture, mais cette proposition livre ni plus ni moins que le principe de l’idéologie, à savoir que la pensée est gouvernée par des intérêts à penser, mais de toutes sortes bien sûr, très généralement les intérêts du conatus, c’est-à-dire tout ce qui peut lui être occasion de joie (c’est-à-dire d’augmentation de la puissance d’agir de son corps).
Derrière la pensée donc il y a toujours des désirs particuliers de penser, déterminés bien sûr par les propriétés idiosyncratiques de l’individu pensant, mais aussi — et en fait surtout — par sa position sociale dans des milieux institutionnels. C’est cette position sociale qui conforme ses intérêts à penser, je veux dire à penser ceci plutôt que cela, à avoir envie de penser, de s’efforcer de penser dans telle direction plutôt que dans telle autre. La question est donc celle des profits ou des intérêts à penser ce qu’on pense, et dont il faut redire qu’ils peuvent être de toutes natures : monétaires bien sûr, mais aussi, et évidemment surtout, institutionnels, sociaux, symboliques, psychiques, et à tous les degrés de conscience — ce qui, par parenthèses, devrait suffire à écarter les lectures catastrophiquement béckeriennes [1] de ce propos…
Sans surprise en tout cas, Spinoza rejoint ici Bourdieu : dites moi à quel domaine institutionnel vous appartenez et quelle position particulière vous y occupez, et je vous dirai quelles sont vos inclinations passionnelles et désirantes, y compris celles qui vous déterminent à penser. Si donc on pense selon ses pentes, c’est-à-dire si l’on est d’abord enclin à penser ce que l’on aime à penser — et telle pourrait être une reformulation simple de (Eth., III, 12), ou plutôt pour lui donner la lecture structurale qui lui convient : si l’on est enclin à penser ce qu’on est institutionnellement déterminé à aimer penser —, alors c’est ce bonheur de penser ce qu’on pense, parce que cela procure toutes sortes de joie, qui est au principe pour chacun du sentiment de la parfaite bonne foi, du parfait accord avec soi-même, et de la complète indépendance, de la complète « liberté » de penser.
Il est donc probablement inutile d’aller chercher même les économistes de service sur le terrain de la corruption formelle : leur corruption est d’une autre sorte. Elle est de cette sorte imperceptible et pernicieuse qui laisse en permanence les corrompus au sentiment de leur parfaite intégrité, dans leur pleine coïncidence avec les institutions qui, dirait Bourdieu, les reconnaissent parce qu’ils les ont reconnues.
Les effets d’harmonie sociale qui accompagnent les normalisations institutionnelles réussies rendent donc superflue la thèse formelle du conflit d’intérêt.
De ces économistes qui, ignorant tout de l’idée de critique, rejoignent ouvertement le camp des dominants, il n’y a pas même à dire que ce sont des vendus, car ils n’avaient pas besoin d’être achetés : ils étaient acquis dès le départ.Ou bien ils se sont offerts avec joie.
La thèse du conflit d’intérêt d’ailleurs, à sa lettre même, est vouée à rester impossible à établir. De tous les arguments, où le misérable le dispute au ridicule, avancés par exemple par le cercle des économistes (en fait certains de ses membres) pour sa défense, il n’y en a qu’un qui soit un peu robuste : tous ces gens-là mettront quiconque au défi de « prouver » le conflit d’intérêt. Et on ne le prouvera pas ! On ne le prouvera pas, non pas parce qu’on aura du mal à mettre la main sur les pièces à conviction décisives, mais parce qu’il n’existe pas.
Si je me suis livré à ce bref détour théorique en introduction, c’est précisément pour rappeler qu’il existe bien d’autres modes de l’alignement des discours que le conflit d’intérêt, et qu’en lieu et place de la transaction monétaire explicite et consciente, il est une myriade de transactions sociales implicites et le plus souvent inconscientes qui concourent bien plus sûrement au même résultat, avec en prime le superbénéfice de la bonne conscience pour tout le monde, ce supplément heureux de toutes les harmonies sociales.
Economistes et journalistes, en rangs serrés
C’est donc plus un regard sociologique et institutionnaliste qu’un regard journalistique et criminologique qu’il faut prendre sur le paysage dévasté de ladite science économique. A cet égard, la thèse du conflit d’intérêt est un sous-produit de l’hypothèse plus générale de la crapulerie — alias, s’il y a du mal dans le monde, c’est parce qu’il y a des crapules. Ainsi, expliquer la commission des économistes de service par le conflit d’intérêt équivaut dans son ordre à expliquer la crise financière par Kerviel et Madoff, ligne qui entraîne irrésistiblement les solutions dans les impasses de l’éthique. Aussi, très logiquement, tenter de mettre un terme aux malfaisances à coup de déontologie, de chartes et de transparence aura-t-il les mêmes effets, je veux dire la même absence d’effet, ici que là.
Evidemment, c’est un très grand progrès que de porter au jour les turpitudes de ces économistes, comme se sont attachés à le faire de longue date, et dans l’indifférence générale, Le Monde Diplomatique, Acrimed et tout le mouvement de critique des médias, puis décisivement Jean Gadrey dans un texte de son blog, plus récemment le livre sans doute salutaire, quoique parfois surprenant, de Laurent Mauduit. Et l’on est tout aussi évidemment mieux avec des déclarations d’intérêt que sans ! Mais qui les lira, et qui en fera vraiment état ? Les journalistes ? Pour en faire quel usage ? Dans ses critiques Le Monde des Livres n’omet plus de signaler que Bernard-Henri Lévy et Alain Minc sont au conseil de surveillance du journal. Ce devoir pieusement acquitté, on peut alors continuer de lécher comme d’habitude [2]…
Par élargissement de la focale institutionnelle, on voit donc que la question n’est pas seulement celle des économistes supplétifs de la mondialisation, mais aussi celle des médias qui en sont les complices, solidaires, et qui les ont imposés sur un mode quasi-monopolistique — tout ce petit monde vantant par ailleurs les stimulants bienfaits de la concurrence non distordue…
Car à la fin des fins, qui a promu ces individus, dont certains sont des olibrius ? Qui les a poussés sur le devant de la scène ? Qui, par exemple, s’est porté partenaire avec empressement, il y a une dizaine d’années, de cette navrante pantomime qu’est le « prix du jeune économiste » — dont Antoine Reverchon dans un numéro récent du Monde Economie [3] n’hésite pas à faire un modèle de pluralisme, on croit qu’on rêve…
Comme on sait, cet effet d’imposition a été d’autant plus puissant qu’il a été le fait de la presse dite de gauche, je veux dire de fausse gauche : Le Monde, Libération, Le Nouvel Observateur, France Inter, et jusqu’à France Culture — la honte… —, et ceci depuis des décennies. La complicité organique de ces médias avec ces économistes a passé les seuils où toute régulation intellectuelle a disparu. Avec ce sens très particulier de l’évidence qui est l’un des charmes de la bêtise, un article de ce même numéro du Monde Economie s’interroge en toute candeur : « Qui n’a jamais apporté ses conseils à une société privée ? A une banque ? A un gouvernement ? » Mais enfin, bien sûr ! Quel économiste n’a jamais fait ça ?… Mais il faudrait faire l’analyse complète de ce numéro décidément remarquable du Monde Economie, comme d’ailleurs de toutes ces opérations en mode damage control de cette presse auto-commise à la défense des experts organiques de l’ordre néolibéral, Dominique Nora pour le Nouvel Obs [4], ou l’inénarrable Eric Le Boucher pour Slate [5], journalisme de service au service des économistes de service.
Misère de la déontologie universitaire
Ces simples évocations laissent entrevoir à elles seules l’ampleur du déport vers les pôles de pouvoir de tout un paysage institutionnel. Au sein duquel il faut évidemment compter les institutions de la science économique elle-même. Là encore, les patchs éthiques de la déontologie et de la transparence promettent d’être terriblement insuffisants. Les chers collègues et les comités de lecture des revues scientifiques liront-ils les déclarations d’intérêt ? Bien sûr ils les liront. Et puis ? Et puis rien évidemment ! La science économique dominante, de son propre mouvement, en suivant ses seules pentes « intellectuelles » (si l’on peut dire… ) et ses orientations théoriques, a donné son aval avec enthousiasme au tissu d’âneries dont les mises en pratique ont conduit à la plus grande crise de l’histoire du capitalisme. Je vous propose alors l’expérience de pensée suivante — c’est une contrefactuelle : période 1970-2010, soumissions aux revues, avec toutes les déclarations d’intérêt en bonne et due forme, des papiers de Fama, Jensen, Merton, Scholes, Summers, Schleifer, etc. Taux de rejet pour cause de collusion trop manifeste avec des intérêts privés ? Zéro, évidemment. C’est donc, là encore, toute une configuration institutionnelle, celle du champ de la discipline, qui a produit cet état dans lequel le discours de la science économique dominante est devenu si adéquat aux intérêts des dominants que se faire payer pour dire quelque chose qu’on a spontanément et « scientifiquement » pensé ne peut pas porter à mal.
Voilà alors que, par une espèce de tropisme du pire, le système français, pris de décalcomanie institutionnelle, se met à imiter ledit modèle étasunien.
Et la recherche est désormais en proie au fléau des fondations. Dans son ouvrage, Laurent Mauduit fait de curieuses différences en parant PSE [6] de tous les mérites, pour réserver à TSE [7] le rôle du vilain. Plutôt que de se perdre dans des différences secondes, c’est le principe premier lui-même, celui de l’organisation par fondation, qu’il faudrait questionner.
Car en voilà une autre harmonie sociale, institutionnellement équipée, et là aussi, tout s’y emboîte à merveille : la science-scientifique la plus consacrée a pris le pli de dire d’elle-même des choses qui se trouvent n’offenser en rien les puissances d’argent (et je parle par litote) ; assez logiquement les puissances d’argent commencent à se prendre de passion pour une science si bien disposée et se proposent de « l’aider », comme une sorte de devoir citoyen sans doute…
Mais qui peut sérieusement croire un seul instant qu’Exane, Axa, Boussard et Gavaudan Gestion d’Actifs (puisque ce sont les « partenaires » de PSE) pourraient ainsi offrir de larges financements si ces généreux mécènes n’étaient pas de quelque manière assurés d’avoir à faire à une institution qui, majoritairement, ne viendra à aucun moment défier sérieusement leurs intérêts fondamentaux sur le plan intellectuel ? Voici donc ce qu’on peut lire sur le site de PSE : « Le rôle des partenaires privés est central : leur engagement contribue au décloisonnement entre recherche académique et société civile ». L’on notera d’abord que ces décloisonnements s’effectuent toujours dans la même direction, et ensuite que c’est là très exactement l’argument sans cesse rabâché par le Cercle des économistes pour justifier ses agissements : « si nous sommes dans les banques et les conseils d’administration, c’est pour sortir de notre tour d’ivoire, aller au contact de la réalité, et parce que nous avons le goût du terrain »…
Romain Rancière (PSE) peut bien proposer une charte à l’usage des chercheurs de PSE, on ne voit pas, et pour les raisons que j’ai déjà indiquées, quels changements significatifs elle pourrait produire à elle seule, et surtout quand, mettant les individus sur le devant de la scène, elle omet de mettre en question l’institution elle-même, dans ses principes fondamentaux. Quitte à faire dans la transparence, il serait sûrement intéressant de rendre publics les résultats des conventions de recherche entre PSE et, par exemple, Axa Research Fund, ou bien avec la fondation Europlace Institute of Finance — on imagine d’ici les brûlots…
Laurent Mauduit est malgré tout porté à voir dans la moindre part des partenaires privés dans PSE (relativement à TSE) une démonstration d’auto-modération et de sage prudence. Je lui propose une autre interprétation : PSE en voulait autant que TSE ! C’est juste que le fund raising a un peu foiré en route… après quoi, bien sûr, il est toujours possible de faire de nécessité vertu. Je lui proposerais même une interprétation de l’interprétation : en moyenne, PSE affiche un enthousiasme pour les mécanismes de marché un petit peu en retrait par rapport à TSE — amis économètres, à vos codages ! Intensité market friendly des publications vs. millions d’euros levés : je vous prédis des R2 étincelants.
Refaire les institutions d’une science sociale critique
Spinoza explique dans le Traité politique qu’il ne faut pas attendre le bon gouvernement de la vertu des gouvernants — pari sur un miracle voué à être perpétuellement déçu —, mais sur la qualité des agencements institutionnels qui, en quelque sorte, déterminent des comportements extérieurement vertueux mais sans requérir des individus qu’ils le soient intérieurement.
Parce que ce sont les institutions, spécialement quand nous sommes exposés à un air du temps aussi nocif que celui d’aujourd’hui, parce que ce sont les institutions, donc, qui déterminent les choses aimables à penser, il n’y a pas de salut hors de la reformation des institutions. Une reformation qui vise à consolider les principes de celles que nous habitons, et à tenir à distance celles qui veulent nous coloniser.
Dit plus explicitement : le bazar déontologique ne nous sera que d’une très mince utilité. Il n’y a qu’un seul combat qui ait quelque sens et quelque poids, c’est le combat institutionnel de l’AFEP [8], et spécialement sous le diagnostic que les institutions « officielles » de la science économique, l’AFSE, les sections 5 du CNU et 37 du CNRS étant sans doute irrémédiablement perdues, il faut construire autre chose à côté.
Autre chose qui ne nous défende pas seulement contre la corruption par les pouvoirs constitués, mais qui nous protège aussi de l’asservissement au pouvoir diffus de ce qui se donne à un moment donné comme le cercle des opinions légitimes, à l’intérieur duquel sont enfermées les seules différences tolérées. On ne prend conscience de cet effet particulièrement pernicieux qu’à l’occasion de grands événements qui déplacent d’un coup les frontières tacites du dicible et de l’indicible, du pensable et de l’impensable, choc massif de délégitimation qui laisse soudainement à découvert les amis de l’ancienne légitimité.
A cet égard, l’effet de la crise financière présente aura été des plus amusants, en tout cas des plus spectaculaires. Ainsi a-t-on vu quasiment brandir le poing, parfois même dire « capitalisme », des économistes qui en quinze ans n’avaient rien trouvé à redire ni à la mondialisation, ni à la financiarisation, ni à l’Europe libérale — contestations alors extérieures au cercle de la légitimité, où il fallait impérativement se maintenir si l’on voulait continuer d’avoir tribune régulière au Monde ou à Libération, droit d’être invité à donner conseil au Parti socialiste, et peut-être plus tard de toucher la main d’un ministre.
Certains qui fustigeaient l’irresponsable radicalité se retrouvent quelques mois plus tard à dire cela-même qu’ils critiquaient — c’est que dans le glissement de terrain tout bouge si vite, et qu’il faut bien tenter de suivre… D’autres commencent à s’indigner bruyamment de choses qui jusqu’ici les laissaient indifférents — et il n’y a pas plus drôle que ce spectacle des néo-rebelles tout occupés à faire oublier leurs propos, ou leur absence de propos d’hier.
Comme toujours plus grotesque que la moyenne, le Cercle des économistes négocie comme il peut son virage sur l’aile pour ne pas sombrer dans le ridicule et avec le monde qu’il a toujours défendu. Avec un parfait sérieux, il publie maintenant des ouvrages intitulés « Le monde a-t-il encore besoin de la finance ? », ou bien « La fin de la dictature des marchés ? », ce dernier, je vous le donne en mille, sous la direction hilarante de David Thesmar…
Dans sa lettre 30 à Oldenburg, Spinoza écrit ceci : « si ce personnage fameux qui riait de tout vivait en ce siècle, il mourrait de rire assurément ». On voudrait vraiment que le rire ne soit pas la toute dernière chose qu’il nous reste face à ces gens sans principe, ces opportunistes, et ces demi-retourneurs de veste qui sont le fléau de la pensée critique — dont c’est normalement la fonction de penser contre un air du temps, et d’en assumer le risque de minorité. Mais en parfaits individus libéraux, tous ces gens sont de petites machines procycliques.
C’est le déséquilibre de nos institutions qui détruit les régulations de la décence et permet que soient à ce point foulées au pied les valeurs intellectuelles les plus élémentaires. On peut donc dire à quelques années d’écart une chose et son contraire, mais sans un mot d’explication, ni le moindre embarras de conscience — et toujours au nom de la science !
Ce ne sont pas des chartes qui nous délivrerons de ça, voilà pourquoi il importe de construire autre chose. Autre chose qui affirme qu’une pensée vouée à la simple ratification de l’ordre établi ne mérite pas le nom de pensée. Autre chose qui élise la vertu contracyclique de la critique comme notre forme de la vertu. Autre chose, en somme, qui, par l’effet de sa force collective institutionnalisée — donc en extériorité — nous attache à cette vertu en nous déterminant à aimer penser autrement.
Notes
[1] Gary Becker est un économiste qui s’est signalé par son projet de théoriser tous les comportements humains à l’aide du modèle économique du choix rationnel. Quand un criminel envisage de passer à l’acte, un fumeur d’arrêter, un individu de se marier, ou de divorcer, etc., il s’agit toujours d’une décision prise sur la base d’un calcul rationnel des profits et des pertes. Evidemment cette brillante entreprise intellectuelle a été, comme il se doit, couronnée d’un prix Nobel…
[2] Modulo, bien sûr, les variations des rapports de force qui commandent de moins lécher quand l’individu devient moins léchable
[3] « Dogmatisme, conflits d’intérêt, la science économique suspectée », Le Monde Economie, 3 avril 2012.
[4] Dominique Nora, « Les économistes sont-ils des imposteurs ? », Le Nouvel Observateur, 2 avril 2012.
[5] Eric Le Boucher, « Les économistes, bouc émissaire de la crise », Slate, 23 mars 2012.
[6] PSE, Paris School of Economics, créée sous Dominique de Villepin pour réaliser un équivalent français de la LSE (London School of Economics) ou du MIT, imités jusqu’au bout, y compris dans les formes du financement, puisque PSE est adossée à une fondation qui lève des capitaux auprès de généreux donateurs privés.
[7] La même chose à Toulouse (Toulouse School of Economics).
[8] AFEP, Association française d’économie politique qui s’est créée en 2009, en rupture avec l’officielle AFSE (Association française de science économique), autour du problème des manquements gravissimes au pluralisme intellectuel dans les institutions académiques de la science économique.
par Frédéric Lordon La pompe à phynance -
Un manque de droiture juridique ! (archive 2008)
Aperçu des bases juridiques dans lesquelles s’incarnent les Droits de l'Homme, parfois au mépris du politique évincé par le "gouvernement des juges"... Pour leur rendre la dignité qui leur revient, et que l'Église ne leur a jamais déniée, il conviendrait de réintégrer ces droits dans un ordre naturel.
Les Droits de l'Homme ne seraient guère plus qu'une philosophie sans grand intérêt s'ils n'avaient pas pourri le droit international et, tout particulièrement, le droit français. En effet, religion séculière contemporaine, pour exister, ils ont besoin de s'incarner sur des bases temporelles, sur des bases juridiques.
Recherche d'une efficacité
La Déclaration universelle des Droits de l'Homme adoptée le 10 décembre 1948 n'avait alors aucune valeur juridique, en ce sens qu'aucune cour internationale ne pouvait s'y référer pour condamner un État. L'absence d'effet contraignant conduisit les pays membres de l'ONU à signer deux nouveaux pactes en 1966 : le Pacte des droits civils et politiques et le Pacte des droits économiques, sociaux et culturels, distinction requise surtout dans un contexte de guerre froide et d'opposition idéologique forte entre les démocraties libérales et les démocraties populaires.Il n'existe cependant, pour les deux pactes, aucun moyen juridictionnel pour rendre effectifs les droits énumérés. Ils font intervenir des solutions diplomatiques différentes mais peu efficaces pour mettre fin à une violation constatée.
Les États membres du Conseil de l'Europe, issu du traité de Londres du 5 mai 1949, adoptèrent la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui entra en vigueur le 3 septembre 1953. Une cour fut instituée en 1959, accessible directement aux particuliers dans le cadre d'une procédure juridictionnelle débarrassée de tout aspect politique ou diplomatique depuis 1998 : la Cour européenne des Droits de l'Homme devenait ainsi une forme de "cour suprême", dont la mission consiste à juger les décisions des juridictions nationales au regard des droits contenus dans la Convention européenne des Droits de l'Homme.
Concernant le droit national, le Conseil constitutionnel, sous la Ve République fondée en 1958, dispose, sous certaines conditions de procédure, d'un pouvoir de contrôle de constitutionnalité de la loi. Le contrôle s'exerce non seulement au regard du corps du texte constitutionnel, mais également, depuis 1973, du préambule de la Constitution de 1946, qui consacre quelques principes sociaux "nécessaires à notre temps" et, surtout, de la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen de 1789. Cela a introduit une "révolution" dans le contrôle de constitutionnalité, ce dernier ayant été conçu par le général De Gaulle pour empêcher toute hégémonie du Parlement dont le pouvoir était strictement encadré : le Conseil constitutionnel, dès lors, ne se contentait plus de juger les lois d'un point de vue de compétence ou de procédure, mais sur le fond, par rapport à des principes vagues et désincarnés.
La Cour européenne des Droits de l'Homme, quant à elle, a, ces dernières années, adopté une attitude que les juristes qualifient de téléologique voire finaliste. C'est-à-dire qu'elle ne va pas se contenter d'interpréter les droits énoncés simplement en fonction du contenu du texte ; elle va chercher un sens à ce droit, à son évolution.
La démocratie balayée
L'interprétation des juges est également dynamique : la cour s'attribue le droit de juger demain une affaire d'une manière différente d'hier, en se fondant sur l'évolution des mentalités par exemple. La Cour fait aussi appel au droit international et aux droits étrangers pour inspirer ses jugements. Comportement logique de la part d'un juge qui est appelé à émettre un jugement sur le fondement de droits biberonnés de libéralisme et donc vagues, imprécis, ouvrant toutes les portes et interprétations possibles. Ainsi, si la Cour européenne a refusé jusqu'à présent de condamner un État qui refuse l'accès au mariage aux couples homosexuels, ce n'est qu'au motif qu'aucun "consensus" n'était encore établi sur le sujet...
Avec la "droit-de-l'hommisation" du droit, on assiste à une situation étrange où la démocratie est balayée par la "juridictionnalisation" de la politique. En France, le contrôle de constitutionnalité devient peu à peu une arme dont use l'opposition contre la majorité gouvernementale. C'est le droit, dont les Droits de l'Homme sont le sommet de la hiérarchie normative, qui est appelé peu à peu à régir la vie politique sous la forme d'un gouvernement des juges. Aux États-Unis d'Amérique, la Suprem Court est de plus en plus contestée car c'est elle qui tranche, et non plus le débat politique, les grands problèmes de société (vie privée, sécurité, avortement, peine de mort, sexualité...). Et il n'y a pas trop à se réjouir que la démocratie soit ainsi mise à mal puisqu'elle permettait encore un semblant de vie politique là où le droit machiniste, rationnel et désincarné imposera le triomphe du libéralisme - et ce au nom de la démocratie, c'est peut-être bien là le plus cocasse.
Alors que faire ? Il ne s'agit pas de condamner par principe l'idée de "Droits de l'Homme", ni même de se renfermer dans un stupide conservatisme souverainiste contre la Convention européenne. Si l'Église catholique n'a pas condamné la déclaration de 1948, c'est bien parce que « le mouvement vers l'identification et la proclamation des Droits de l'Homme est un des efforts les plus importants pour répondre efficacement aux exigences irréductibles de la dignité humaine. » (1) À méditer au sortir du siècle de 1914, lui-même fils du siècle des "Lumières" qui vit, au nom des idéologies les plus abjectes, des gouvernements massacrer et brutaliser leurs peuples.
Libéralisme
Le problème des Droits de l'Homme ne vient pas de leur internationalisation (La dignité humaine n'est-elle pas universelle ?) ni même forcément de leur juridictionnalisation : c'est l'absence de contrôle qui avait permis aux gouvernements de la République de persécuter catholiques et royalistes durant le début du XXe siècle... Le problème est qu'ils sont imprégnés de libéralisme, parce qu'ils sont sécularisés, détachés de toute référence divine. Aussi, ils ne cherchent pas à tendre vers la Vérité mais vers la "liberté" conçue indépendamment du réel, en toute abstraction. Pourtant, Jean-Paul II n'hésitait pas à le rappeler aux théologiens de la Libération à Mexico : « c'est la Vérité qui rend libre », et non pas la "liberté" qui rend vrai.
La source du mal
Ainsi, l'interprétation courante que font les juges des droits humains est une interprétation tronquée, coupée du réel et du bon sens ; elle tend vers une liberté qui, n'ayant elle-même pas de sens, se propulse vers un infini destructeur. Alors que la liberté, au sens chrétien du terme, intègre l'homme en tant qu'animal politique, membre de corps sociaux, membre d'une famille, d'une patrie, attaché à une identité propre, la liberté des libéraux est une liberté totale, sans attaches, désincarnée et déshumanisée. C'est là la vraie source du mal.
Pour rendre aux Droits de l'Homme la dignité qui leur revient, et que l'Église ne leur a jamais déniée, il conviendra de remettre ces droits dans le bon sens, c'est-à-dire les réintégrer dans un ordre naturel, ou les subordonner aux droits de Dieu, diront ceux qui ont la foi. Pour en finir avec le libéralisme juridique, il faudra bien une théologie du droit. (2)
STÉPHANE PIOLENC L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 4 au 17 décembre 2008
1 - Cf. Concile oeucuménique Vatican II, Décl. Dignitas humanae, 1 : AAS 58 (1966) 929-930. Cité dans le Compendium de l'Église catholique (Conseil pontifical Justice et Paix), éd. Bayard, Cerf et Fleurus-Mame, 530 p., 22 euros.
2 - Juristes et profanes liront avec grand intérêt Jalons pour une théologie du droit par le père Philippe André-Vincent ; éd. Téqui, coll. Croire et Savoir, 356 p., 29,80 euros. -
L'Afrique à l'endroit : Entretien avec Bernard Lugan
On ne présente plus Bernard Lugan. Historien prolifique, professeur à l'Université Lyon III, auteur d'ouvrages indispensables, il est beaucoup plus qu'un spécialiste de l'Afrique. Un passionné qui la connaît de fond en comble. Ce qui lui épargne les habituelles billevesées sur le sujet, du pillage à la repentance. Très sévère avec la colonisation, dans laquelle il voit un drame de part et d'autre de la Méditerranée, il appelle Africains et Européens à retrouver leurs racines. Et non pas à adopter celles des autres. Politiquement et historiquement incorrect. Il dirige la revue L'Afrique réelle.
Le Choc du mois : L'histoire de la colonisation et de la décolonisation reste encore aujourd'hui un sujet très sensible en Europe et tout particulièrement en France. Comment expliquez-vous que, malgré le passage du temps, les crispations demeurent et même s'exacerbent ?
Bernard Lugan : Pour trois grandes raisons. D'abord parce que les témoins disparaissant, ne restent plus que les écrits de l'école de la culpabilisation européenne qui entretiennent le mythe du pillage colonial. Ensuite, parce que ce mythe incapacitant est l'arme absolue que les ennemis de notre identité utilisent pour procéder au « Grand Remplacement » de la population européenne selon la belle expression de Renaud Camus. Enfin, parce que, pour nombre de groupes de pressions, d'associations et même d’États, il s'agit de rentes de situation.
Toutes ces tensions semblent montrer qu'en France, la décolonisation n'a toujours pas été «digérée» alors que, sans être idéale, la situation quant à cette question paraît plus apaisée chez, par exemple, nos voisins anglais. Comment appréhender cette différence ? Résulte-t-elle de la « nature » divergente des démarches coloniales française et britannique ? Est-elle une énième conséquence du climat de « culpabilisation » et de « repentance » régnant dans l'hexagone ?
Tout le problème vient du fait que, à la différence de la colonisation britannique, la colonisation française fut idéologique. Pour la gauche, coloniser était un devoir révolutionnaire qui allait permettre de briser les chaînes des peuples tenus en sujétion par les tyrans noirs qui les gouvernaient tout en détruisant leurs cultures enracinées vues comme incompatibles avec les «idées de 1789». Pour la droite, à la mystique universaliste des droits de l'homme, ont largement correspondu l’évangélisation visant à éliminer l'animisme vu comme le paganisme des Noirs, l'élan vital, la recherche des horizons lointains et la gloire du drapeau. Mais en faisant sienne l'expansion coloniale définie par la gauche, la droite nationaliste et catholique se rallia aux principes qu'elle combattait depuis 1789 et elle y a perdu ses repères.
Le système colonial français, reposant sur l'assimilation, était ancré sur le postulat de l'identité du genre humain. Son corollaire était l'éducation, car il était postulé que, une fois éduquées, les populations coloniales et la population métropolitaine se fondraient dans une France multiraciale et planétaire. La colonisation française fut donc un humanitarisme civilisateur et assimilateur, idée qui anima le courant intégrationniste de l'Algérie française, incarné par Jacques Soustelle, et auquel se rallièrent nombre d'hommes de droite. S'étant fourvoyée dans l'aventure coloniale, la droite française est entrée dans un piège dont elle est aujourd'hui incapable de se sortir comme le stérile débat sur « les apports bénéfiques de la colonisation » l'a montré.
Vous ne voyez pas d'un bon œil ces « apports bénéfiques de la colonisation » intégrés dans les programmes scolaires ?
Quels « apports bénéfiques de la colonisation » et pour qui ? Je pense qu'il faudrait au contraire parler des conséquences négatives d'une colonisation faite au nom des «bons» sentiments. Je prendrai deux exemples. Nous avons, au prix du sacrifice de nos médecins, fait de l'Afrique, continent de basse pression démographique, un monde surpeuplé, aujourd'hui étranglé par sa démographie : 100 millions d'habitants en 1900, un milliard en 2010. Au regard de la morale gnangnan, nous avons indubitablement fait le bien, mais en réalité nous avons provoqué la catastrophe. De même, en colonisant, nous avons établi la paix et mis un terme aux luttes interafricaines. Certes, mais ce faisant, nous avons arrêté l'histoire du continent au moment où des « Prusses africaines » étaient en phase de coagulation politique régionale. Comme si des extraterrestres étaient intervenus en Europe au VIIIe siècle pour mettre un terme aux dévastations ; certes, ils auraient alors sauvé des vies, mais ils auraient aussi et surtout interdit la gestation de nos sociétés. Là encore, il n'y a d'« apport positif » qu'aux yeux de notre propre morale. Avec le recul du temps et au terme d'une lente évolution personnelle, je considère aujourd'hui que la colonisation fut une erreur majeure, un désastre pour l'Afrique et une catastrophe irrémédiable pour l'Europe. Je ne retiens plus qu'un seul aspect «positif» de la colonisation, celui de certaines aventures individuelles qui, pour l'essentiel, tournèrent autour de la notion de l'effort gratuit, du dépassement, du « plus est en nous ». Des hommes comme Cortez, Pizarre, mais également Voulet et Chanoine furent à cet égard les porteurs de l'élan vital de l'Europe. Il eut certainement mieux valu qu'ils l'eussent exercé en direction de Constantinople, mais là est une autre histoire... Il est désormais indispensable pour la survie de notre identité de refermer la parenthèse coloniale et de mettre une fois pour toutes un terme aux débats passéistes et au romantisme liés à cette époque, car ils nous paralysent au moment où la survie de notre identité est en jeu.
Certains activistes noirs radicaux, tel que Kemi Seba, réclament non seulement l'annulation de la dette africaine, mais également le versement de réparations. Comment jugez-vous ces revendications ?
Tout n'est pas à rejeter chez Kemi Seba. Autant sa logorrhée africanocentriste qui n'est que le copié-collé des délires pseudo scientifiques de Cheikh Anta Diop est scientifiquement irrecevable, autant son évolution doctrinale qui l'a conduit de l'idée de la suprématie de la «race noire» à l'ethno-différencialisme présente bien des intérêts aux yeux d'Européens enracinés. Quand il déclare que l'Afrique doit être aux Africains et l'Europe aux Européens, on ne peut que souscrire à une telle évidence et sur ce point, je me sens plus en accord avec lui qu'avec les universalistes de «droite» qui défendent les « apports positifs de la colonisation » ou la mortelle assimilation. Ceci étant, l'idée de versement de réparations est une imbécillité, car si nous faisons les comptes, ce serait plutôt l'Afrique qui devrait en verser à l'Europe, la colonisation lui ayant coûté des sommes considérables pour des profits inexistants.
Plus généralement, il serait intéressant de nous rapprocher de la nouvelle génération d'intellectuels africains qui a dépassé le stade de la récrimination. Comme elle n'a pas été déformée par nos universités, et cela à la différence de nombre de ses aînés, elle a une morale d'hommes libres et elle considère que la manifestation de la véritable émancipation de l'Afrique serait l'abandon de l'utopie aliénante de l'émigration vers les pays occidentaux. Oui, les élites africaines ont mieux à faire en Afrique pour construire leurs pays respectifs que de gémir en Europe sur des aliénations passées.
Combien l'aventure africaine a-t-elle vraiment coûté ?
Il a fallu attendre la thèse de Jacques Marseille (1984), puis celle de Daniel Lefeuvre(1) pour voir que loin d'avoir exploité et pillé son Empire, la France s'y est au contraire ruinée, même si des Français s'y sont enrichis. Avant 1914, comme les deux tiers des investissements privés français qui y furent réalisés portaient sur le commerce, les plantations ou certaines mines facilement exploitables, l’État fut contraint de se substituer au capital privé. Ceci fait que la mise en valeur de l'Empire africain fut totalement supportée par l'épargne des Français et les sommes considérables qui y furent investies ont été retirées du capital disponible français afin de financer outre-mer des infrastructures pourtant nécessaires en métropole. Les chiffres sont éloquents : de 1900 à 1914, Algérie mise à part, les dépenses coloniales représentèrent ainsi en moyenne 6,5% de toutes les dépenses françaises. Après 1945, la France qui sortait ruinée du conflit et qui avait à reconstruire, 7000 ponts, 150 gares principales, 80% du réseau de navigation fluviale, 50 % du parc automobile, etc., lança dans son Empire et donc à fonds perdus pour elle, une fantastique politique de développement et de mise en valeur qui se fit largement aux dépens de la métropole elle-même. De 1945 à 1958, l’État français investit outre-mer 1700 milliards de francs, dont 800 en Afrique noire, 60 % de ces investissements allant à la création d'infrastructures de transport. Entre 1955 et 1958, les investissements français en Afrique représentèrent le chiffre effarant de 22 % du total de toutes les dépenses françaises sur fonds publics. À ces sommes, il convient encore d'ajouter les budgets de fonctionnement, les salaires des fonctionnaires et les dépenses militaires. De plus, l'empire boulet n'était même pas un fournisseur de matières premières agricoles ou minières à bon compte pour la métropole, cette dernière ayant toujours payé les productions impériales, quelle avait pourtant subventionnées, environ 25 % au-dessus des cours mondiaux. Quant à l'Algérie, en 1959, toutes dépenses confondues, elle engloutissait à elle seule 20 % du budget de l'Etat français, soit davantage que les budgets additionnés de l’Éducation nationale, des Travaux publics, des Transports, de la Reconstruction et du Logement, de l'Industrie et du Commerce ! Daniel Lefeuvre a démontré que, contrairement aux idées reçues, la main-d'œuvre industrielle algérienne était plus chère que celle de la métropole. Un rapport de Saint-Gobain daté de 1949 en évaluait le surcoût à 37 %.
En marge des États, la colonisation n'a-t-elle pas néanmoins permis à des compagnies privées, des groupes commerciaux et des « familles » de commerçants ou de financiers d'amasser des fortunes considérables ? Dans ce cas, trouvez-vous illégitime que certains africains puissent envisager de demander des comptes à leurs ayants droit ?
Si l'Empire fut une erreur économique majeure pour la France, ce fut en revanche une bonne affaire pour l'Afrique, car, au moment où elle leur accorda l'indépendance, elle y laissa en héritage 50 000 km de routes bitumées, 215 000 km de pistes toutes saisons, 18 000 km de voies ferrées, 63 ports, 196 aérodromes, 2000 dispensaires équipés, 600 maternités, 220 hôpitaux, dans lesquels les soins et les médicaments étaient gratuits. En 1960, 3,8 millions d'enfants africains étaient scolarisés et dans la seule Afrique noire, 16 000 écoles primaires et 350 écoles secondaires, collèges ou lycées fonctionnaient, tandis que 28 000 enseignants, soit le huitième de tout le corps enseignant français exerçaient sur le continent africain.
L'Afrique a-t-elle réellement été décolonisée ? La décolonisation étatique n'a-t-elle pas simplement cédé la place à une colonisation privée d'ordre économique ? Ce système néo-colonial (avec notamment son pendant « France-Afrique ») ne revient-il pas finalement à retirer à l'Afrique toutes ces problématiques « apports bénéfiques » (sécurité, hôpitaux, entretien des routes, écoles, santé, paix...) pour ne conserver, pour le coup, que le pillage ?
L'Afrique a perdu ses colonisateurs amoureux qui ont été remplacés par des capitalistes rapaces et des prédateurs, notamment Chinois. Elle a chassé les colons blancs, mais aujourd'hui, elle vend ses terres à des sociétés capitalistes qui y pratiquent la plus honteuse des exploitations. C'est en effet aujourd'hui qu'il est donc possible de parler de pillage de l'Afrique, et non à l'époque coloniale.
L'observation de l'Afrique conduit souvent à un certain fatalisme tragique. Le continent semble enfoncé dans des problématiques inextricables et des drames perpétuels dont on peine à percevoir une possible issue positive. Partagez-vous ce sentiment ? Comment voyez-vous l'avenir de l'Afrique ?
L'Afrique est définitivement condamnée si elle continue à vouloir imiter l'Europe, car on ne greffe pas des prunes sur un palmier. En d'autres termes, les Africains ne sont pas des Européens pauvres à la peau noire, mais les héritiers d'une vieille histoire ancrée sur le communautarisme et la continuité temporelle. Ils se suicideraient donc s'ils abandonnaient ce qui fait leur identité. Si, au contraire, ils répudient le modèle européen fondé sur l'individualisme et l'oubli des racines, alors, tout leur sera possible. Mais pour cela, ils doivent auparavant rejeter les modes intellectuelles européennes et expliquer aux ONG qu'il y a suffisamment de malheureux en Europe pour occuper le temps de leurs membres, même si la misère est plus agréable à soulager au soleil des tropiques que durant les frimas de l'hiver septentrional...!
Propos recueillis par Xavier Eman LECHOCDUMOIS septembre 2010
1 Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d'un divorce, 1984, réédition en 2005, Albin Michel ; Daniel Lefeuvre, Chère Algérie. La France et sa colonie (1930-1962), 2005, Flammarion. -
Gergovie, Le Crest ou Corent ?
M. Matthieu Poux, c'est à vous que je m'adresse une nouvelle fois. Je viens de lire votre ouvrage intitulé "Corent, voyage au coeur d'une ville gauloise". C'est un bel ouvrage et c'est le résultat d'un travail de qualité et de grand mérite. Vous êtes d'ailleurs un archéologue connu et reconnu par l'ensemble de la profession. Il y a tout de même un petit problème. En effet, en tant qu'archéologue et au vu des vestiges mis au jour, vous pensez que Corent pourrait être la ville des Arvernes avant que Clermont-Ferrand le devienne. Au contraire de vous et en tant qu'ancien militaire, je pense que la capitale antique ne pouvait se situer que sur un point fort du terrain et que ce point fort du terrain est Le Crest.
Vous imaginez une capitale éclatée de trois oppidum - Merdogne, Gondole, Corent - Corent en étant le centre et le coeur.
Au sujet de Gondole, je me permets d'attirer votre attention sur le grand fossé mis au jour sous le Second empire. En 1864, M. Mathieu y signalait les restes de son énorme talus de protection. Il rappelait que la tradition y voyait encore un camp de César. Les vestiges abondent, écrivait-il, amphores romaines, poteries, boulets, monnaies, et les débris humains mêlés à des os de cheval s'y rencontrent quelquefois en si grande quantité que les propriétaires renoncent à les enlever (Mémoires de l'Académie des Sciences, des Belles–Lettres et des Arts de Clermont–Ferrand, tome VI, 1864 — Les camps romains de Gergovia par P.P. Mathieu).
A mon sens, ce grand fossé n'a pu être creusé que par les légionnaires pour protéger l'un des grands camps dont César parle dans ses Commentaires. Cela signifie que les découvertes d'armes gauloises et romaines, d'objets de parure et de céramiques importées en grand nombre qui indique que ses occupants jouissaient d'un statut relativement élevé (page 257 de votre ouvrage) doivent s'appliquer aux légionnaires et non aux habitants, ce qui relativise l'importance du site.
Dans ma vision de militaire, il me semble, en effet, que César était intellectuellement obligé d'installer, en retrait, un grand camp logistique à Gondole, près du fleuve, et son état-major tactique, en position d'observation plus avancée, sur la butte d'Orcet. La preuve archéologique est donnée par les fouilles du Second empire relatées notamment dans le tome des mémoires précité. Monsieur Mathieu a retrouvé la double tranchée romaine entre Orcet et Gondole. Napoléon III a fait découvrir celle qui allait de la Roche-Blanche en direction de la colline de la Serre où est probablement restée cantonnée une partie des troupes. Cette tranchée se poursuivait-elle jusqu'au camp de Gondole, ou bien remontait-elle sur Orcet ? Les restes de fossés retrouvés par monsieur Mathieu autorisent les deux hypothèses.
Au sujet de Merdogne. Vous pensez que la bataille a eu lieu sur ce site ; je ne le pense pas. Vous conviendrez avec moi que c'est surtout une question de bonne traduction du texte de César. Il me semble donc qu'il serait judicieux que vous demandiez à Madame la ministre de la Culture de désigner une commission de latinistes compétents qui pourra trancher entre nos deux traductions.
Au sujet de Corent. Vous voyez une occupation importante de ce site depuis vers l'an - 140 jusqu'au milieu du Ier siècle av. J.C. Vous expliquez cette implantation en la mettant en parallèle avec l'explication que donne M. Vincent Guichard pour le mont Beuvray, identifié à tort, selon moi, à la capitale éduenne de Bibracte. Pour vous deux, la Gaule aurait commencé à être romanisée peu de temps avant la conquête de César. C'est à partir de cette romanisation que notre pays aurait commencé à prendre son nouveau visage de maisons en pierres succédant à des villages en bois aux traces éphémères. A la dernière page de votre ouvrage, vous concluez en disant notamment "la civilisation des oppida, véritables cités de terre et de bois".
Il s'agit là d'une hypothèse extrêmement grave à l'opposé de ce que je propose dans mes articles, puisque je situe Gergovie au Crest, que j'y vois une citadelle en pierre comparable à ce qui existait dans le reste du monde antique, et que je lui donne, en outre, toute une histoire antique et prestigieuse.
Vous avez donc raison de dire que nos points de vue sont radicalement opposés mais je pense que vous avez tort de traiter à la légère mon argumentation en évoquant mes écrits sur l'Atlantide (page 262).
Pourquoi le village en bois de Corent est-il apparu, pourquoi a-t-il disparu ?
Vous faites le lien avec les fameux banquets de Luern et le faste de Bituit ; vous avez raison. Même si le site était déjà sacré avant eux, même si on y brûlait déjà les morts, on peut très bien comprendre que Luern, ou sa dynastie, ait voulu lui donner une nouvelle splendeur. D'une part, en instituant ou en renforçant la pratique religieuse, cela renforçait son pouvoir. D'autre part, situé sur une voie de passage, à l'entrée de la plaine, c'était une vitrine au moment où la Gaule commençait à s'ouvrir au monde extérieur. Enfin, comme les pièces de monnaies gauloises semblent l'indiquer, c'était un lieu très bien choisi pour y appeler à la concertation les chefs des cités alliées.
Si ce village en bois a été abandonné après la défaite d'Alésia, c'est peut-être, tout simplement, parce que la dynastie, les croyances et la situation politique avaient changé. Quelques remarques toutefois.
A-t-on retrouvé à Corent la trace des croyances religieuses romaines ? Il ne semble pas. Des artéfacts divers, certes, mais qui peuvent tout aussi bien venir de Palestine ou de Gaule. Le sacrifice du mouton est une coutume juive. Le vin du sacrifice qu'on répand sur le sol l'est aussi. Pourquoi l'enclôs sacré a-t-il cette forme irrégulière ? Pourquoi n'est-ce pas un carré à la romaine ? Une monnaie de Vercingétorix est décorée d'une amphore romaine mais une autre l'est aussi de la lyre du roi David.
Pourquoi un village uniquement en bois ? L'utilisation du seul bois aurait-elle été décidée pour ne construire sur ce site sacré qu'avec un matériau sacré, le chêne ; mais il peut y avoir d'autres raisons.
Corent, modèle de la ville gauloise ? Si vous la rapprochez de l'image que nous avons des bourgs et des villes du Moyen-âge, je veux bien quoique. Alésia nous montre, il est vrai, une rue axiale avec des maisons disposées régulièrement de part et d'autre. C'est normal car il s'agit manifestement d'une fondation ex nihilo par des colons venus d'ailleurs, mais ces maisons ont été construites en pierres et non en bois. Contrairement à l'affirmation des archéologues, les ruines d'Alésia sont gauloises et non gallo-romaines. A Bourges, il en est de même. Si César dit que c'était une des plus belles villes de la Gaule, c'est parce qu'il s'y trouvait toute une architecture de pierre sculptée que les archélogues s'entêtent à attribuer aux Gallo-romains alors qu'elle est gauloise. Certes, de par le monde, les Anciens ont largement utilisé le bois pour construire leurs maisons d'habitation, mais les citadelles l'ont toujours été en pierre. Corent, capitale ? Où sont les redoutables murailles qui devraient la protéger ?... comme à Bourges.
Et pourtant, Il n'est nullement dans mon intention de nier l'importance de votre site, ses échoppes, son artisanat, ses artisans, son important marché, ses grandes manifestations religieuses et festives. La présence d'un théâtre suffit d'ailleurs à montrer que pendant toute la durée de son occupation, on y a siégé pour débattre des affaires publiques, mais... durant un temps.
Corent est-il un oppidum ?
Vous voyez trois oppidum, Merdogne, Gondole, Corent. Vous ne citez pas les auteurs qui ont, pourtant, essayé d'en donner une définition.
Le tracé de l'oppidum ne doit être ni carré ni formé d'angles saillants ; il doit être courbe afin que l'ennemi soit en vue du plus loin possible. Il est essentiel aussi que les accès des portes ne soient pas directs mais obliques (Vitruve, de Arch. Lib. I chap. V). "Oppidum” vient de ops, secours, parce qu'il est fortifié pour prêter secours et parce qu'il en faut pour protéger l'existence, où l'on puisse se mettre à l'abri. Ou bien le mot vient de "opus”, ouvrage, à cause des remparts
qu'on élève pour mieux le fortifier (Varron, de lingua latina — IV). Les uns distinguent l'oppidum du vicus et du castellum uniquement par sa grandeur. D'autres le définissent ainsi : une position entourée par une muraille, un fossé ou par toute autre fortification. D'autres y voient outre la muraille, des bâtiments, un temple, une place publique, un forum. D'autres parlent d'oppidum à cause des murs, que le lieu soit entièrement habité ou qu'il ne serve qu'à mettre à l'abri les richesses (Servius : in IX Aeneid).
Le plus simple, à mon sens, est de comprendre que le mot oppidum dérive, comme le latin le fait très souvent, d'un autre mot généralement plus court. Le mot origine ovum, oeuf, s'impose à l'esprit, d'autant plus qu'il a un sens symbolique attesté dans plusieurs cultures antiques. Et en effet, les fortifications que l'avocat Garenne a mises au jour sous Napoléon III, d'Alésia, du mont Beuvray et de Mont-Saint-Vincent, sont en forme d'oeuf... et Avaricum l'est aussi.
Corent n'est pas un oppidum. Le Crest l'est.
Voyez sur cette médaille de Dioclétien l'oppidum à peu près ovale de la Gergovie que je propose, au Crest. Comparez-la au dessin de Guillaume Revel et aux ruines existantes. Je ne pense pas que ma proposition porte tort à vos travaux. Ce serait peut-être même le contraire.
Votre thèse d'une ville éclatée sur deux mille hectares est beaucoup trop compliquée, il faut vous rendre à l'évidence (page 260).
Votre "configuration inédite" de trois oppidum relativement distants les uns des autres constituerait, selon vous, une agglomération qui serait la véritable capitale tandis que la Gergovie de César ne serait que la ville qu'il a attaquée à Merdogne. Mais vous nous dites par ailleurs que cette ville n'aurait vraiment existé qu'après la guerre des Gaules. Cette contradiction ne vous a pas échappé puisque vous précisez que César a probablement exagéré l'importance de cette ville pour se faire valoir. Je ne le pense pas, le mot latin "posita" indique bien l'assiette d'une vraie ville.
Vous dites également que la Gergovie que César qualifie d'oppidum - le plateau de Merdogne selon vous - ne serait qu'une place forte servant de refuge (contrairement à l'oppidum de Bibracte de Vincent Guichard) et que Gondole et Corent seraient des oppidum (et donc que César aurait omis de mentionner). Il y a, là aussi, des contradictions qui ne devraient pas vous échapper.
Pourquoi chercher le compliqué alors que l'affaire est simple ?
Strabon (IV, 2,3) dit que la métropole des Arvernes est Nemossos et quelle est située sur le fleuve. Une métropole ? Diodore de Sicile le dit aussi pour Alésia ; il s'agit d'un mot tout ce qu'il y a
de plus classique pour désigner une capitale. Quant à se trouver sur le fleuve, cela signifie seulement qu'elle n'en était pas loin. Mais quand il ajoute un peu plus loin que, dans la guerre contre César, les combats eurent lieu devant Gergovie, l'explication la plus raisonnable est de comprendre que Strabon s'inspire de deux sources différentes qui désignent la même capitale mais sous deux noms différents. Comme vous le soulignez très justement, Strabon n'a jamais mis les pieds en Auvergne et il ne fait, bien souvent, que recopier d'autres auteurs qu'il ne comprend pas toujours. Enfin, je pense qu'il serait tout de même temps que la communauté scientifique fasse un effort de logique et qu'elle comprenne que Gergovie et Clermont formant une cité double, les deux portaient le même nom d'Augustonemetum, comme le prouve mon explication de la carte de Peutinger.
Gergovie, capitale virtuelle ? (page 266).
Ensuite et pour finir, vous et votre équipe cherchez dans le texte de César - et vous avez raison- une justification à vos thèses. C'est là où je me permets d'intervenir en tant que latiniste ayant fait un peu de latin.
Vous écrivez : Vercingétorix campait sur une montagne, près de la ville... Non ! Vercingétorix a installé ses camps, sur le mont (in monte) autour de lui (circum se) près et devant l'oppidum (prope oppidum). Il s'agit de l'éperon du Crest.
Vous écrivez : Les troupes couvraient la chaîne entière des collines... Non ! tous les versants (collibus) de la ligne de crête (jugi) étaient tenus (occupatis), c’est-à-dire : occupés et défendus. Il s'agit du plateau de la Serre et de ses versants.
Je sais qu'on m'a souvent fait un procès concernant le mot "collis" que je traduis par "versant". J'ai eu l'occasion de m'en expliquer de nombreuses fois ; je vous signale par ailleurs que le Gaffiot propose également de traduire le mot par "côteau", ce qui est un synonyme.
Vous évoquez également le mot "Girgoia" citée dans une énumération après Tallende. J'ai déjà dit que, dans le contexte de la charte, cela ne pouvait désigner que le village important du Crest et non le village insignifiant de Merdogne. Quant à la charte du XI ème siècle qui évoquerait un "mons Arvernus", je ne vois pas ce qu'on peut lui faire dire plus qu'elle ne dit.
Voici les quelques remarques que je me suis permis de faire suite à la parution de votre ouvrage. Il n'empêche que je mesure à sa juste valeur l'important travail, pas toujours récompensé, de vos collaborateurs et de vous-même. Un jour viendra, peut-être, où des responsables politiques comprendront l'intérêt qu'il y a à valoriser davantage notre patrimoine. Un jour viendra peut-être où une équipe de jeunes reconstruira "votre village gaulois".
Cordialement, malgré nos divergences.
E. Mourey http://www.agoravox.fr
Corent, voyage au coeur d'une ville gauloise, sous la direction de Matthieu Poux, éditions errance, Amazon 32euros30, broché.
Croquis de l'auteur. Plan de la bataille, par l'auteur, repris sur un site italien.
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CRITIQUE NATIONALE REVOLUTIONNAIRE DU CAPITALISME SPECULATIF, par Gottfried Feder
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XVIIe TABLE RONDE, intervention de Pierre Vial
XVIIe TABLE RONDE, intervention de Pierre Vial par terreetpeuple -
Non à l'a-culture américaine
La guerre économico-culturelle est d’abord une guerre de conquête financière. Menée au monde entier par les Etats-Unis, elle détruit les cultures petit à petit, en s’enrichissant de leur décomposition.
De toutes les guerres, celle-là nous semble la plus dangereuse car, insidieuse, elle détruit les peuples en corrompant leur culture. Elle les vide de leur identité pour en faire des colonisés, avides de leur boisson euphorisante.
Avoir conscience de l’importance de ce combat, c’est déjà organiser la résistance, malgré les collabos accros de l’américan way of life.
En dénonçant le désastre à venir. En refusant ce véritable ethnocide, Gilbert Sincyr fait œuvre de rébellion, et nous appelle à faire de même.
Il y va du devenir de notre identité, et donc de notre survie, tout simplement.
Quid faciant leges, ubi sola pecunia regnat ?
(Mais que peuvent les lois, quand c’est l’argent qui règne ?)
Caius Petronius Arbiter
INTRODUCTION
Tout un chacun constate, pour le déplorer, la forte baisse du niveau culturel de nos compatriotes. Mais la culture c’est quoi ?
La culture est un ensemble de valeurs, qui fondent l’identité d’un peuple qu’elles spécifient. Elle identifie les populations concernées, autour du concept de civilisation qui leur est commun. Elle leur donne sa cohérence, elle en est l’âme.
Aussi quand l’âme d’un peuple est attaquée et réduite, il y va de son avenir. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : La culture des européens est en danger, car elle est soumise, plus que jamais, à des forces extérieures qui veulent se substituer à elle, par intérêt financier.
C’est après la seconde guerre mondiale que le mal s’est attaqué à nous. Maintenant, avec les moyens modernes de communication, la vorace épidémie se propage, s’étend, sans connaître beaucoup de résistance. Nos anticorps intellectuels étant neutralisés par un matraquage idéologique et publicitaire, qui nous persuade que le mieux vivre c’est la vedette, l’objet, ou le produit, mis en avant, valorisé et embelli. D’où un mode vie de consommateurs massifiés, accros de promesses superficielles. Par contre, ce qui n’est pas superficiel, ce sont les profits gigantesques des multinationales à l’origine de ce matraquage euphorisant.
Par injections continuent, nous sommes devenus une masse de drogués à la consommation de masse. Et les nouveaux circuits internet, en rajoutent. C’est l’universalité de l’acculturation, l’abêtissement mondialisé, mais pour qui ? Pour le dieu « Dollar ».
BUSINESS IS BUSINESS
Il y a longtemps déjà, lorsque Clovis échangea Wotan contre Iawhé, il vendit la culture de son peuple pour un plus grand pouvoir politique. Au païen maître de son destin, il substitua un pêcheur quémandant le pardon. Dès lors la culture européenne étant rebelle à la culture moyen-orientale, une chasse impitoyable s’organisa pour la convertir à des valeurs étrangères. Et, quelques siècles après, le même scénario se reproduisait dans les trois Amériques. Bien entendu les choses ne sont plus les mêmes. Tout au moins l’objet a changé, car il s’agit maintenant d’économie et non de religion. Mais à bien y réfléchir, n’est ce pas comparable ? Le nouveau Dieu n’a pas le même nom, il a déménagé, mais il tire toujours les ficelles. C’est l’entreprise multinationale (bancaire, industrielle, commerciale ou autre) qui a pris la place du temple ou de l’autel, et c’est à elle que l’on va rendre des comptes. Son objet est plus simple, il vise à adapter notre mode de vie, à des productions de tous ordres, pour nous rendre plus heureux, mais aussi, et surtout, plus rentables. Car ses promoteurs ne cherchent pas à substituer leur Vue du monde à la nôtre, ils n’en ont pas. Ils veulent simplement la remplacer par le vide, neutre, disponible, malléable.
Que réclame maintenant le gallo-américain de quartier, dans son tee-shirt au nom d’une université new-yorkaise, lui qui, bien souvent, ne sait même pas lire ce qui est écrit en anglais ? Il n’attend que le plaisir de boire un coca, accompagné d’un hamburger au Mac Do du coin. Il a ainsi l’impression de faire partie du monde moderne. Comme un enfant il y trouve une forme de provocation, il affirme sa liberté, y compris de ne plus manger français. Cette simple manifestation, peu grave en elle même, traduit le glissement en cours de notre mode de vie traditionnel vers un autre, tout à fait superficiel, révélateur du changement culturel en train de se produire.
En fait, il dévoile la véritable guerre économique à laquelle notre pays fut soumis à partir de 1948. Le plan Marshall n’était évidemment pas aussi généreux que certains pouvaient le croire, car il servit de justification morale à la pénétration économique de l’Europe. Au chewing-gum et au jazz, symboles de la Libération, s’ajoutèrent matériels, produits et services. L’Europe étant ruinée, l’aider était une opportunité financièrement extraordinaire, chacun y gagnait. Sauf qu’il s’agissait d’une nouvelle occupation, industrielle et commerciale cette fois, assurant au dollar un véritable empire financier. Mais bien entendu, les américains sont nos amis et ne veulent que notre bien. (Oui, mais quel bien ?). Seulement maintenant, l’occupant ne veut pas s’arrêter en si bon chemin. Il veut franchir la dernière étape du défi (du challenge), et faire du consommateur acquit aux produits américains, un consommateur conquit au mode de vie à l’américaine. Ainsi, à la guerre économique vient s’ajouter une guerre culturelle. A partir de là, si nous ne réagissons pas, un jour nous vivrons, parlerons et penserons américain. La boucle sera bouclée, l’Europe sera devenue un marché intérieur américain. Qu’importe la culture, eux n’en ont pas, ce qui compte c’est de consommer encore et toujours plus: Business is business ! Et pour cela, la publicité va jouer à fond.
Heureusement, les jeux ne sont pas faits. Depuis soixante ans qu’elles sont attaquées, les cultures européennes résistent, essentiellement grâce à leur ruralité. Mais elles s’abîment chaque jour un peu plus, cela se voit et s’entend. Il ne faut donc pas attendre qu’il soit trop tard, pour réagir.
LA GUERRE ECONOMICO-CULTURELLE
Il convient de bien comprendre que la guerre économico-culturelle que mènent les USA en Europe, et dans le monde, n’a qu’un ressort : l’argent. Et que le seul objectif qui motive les multinationales c’est le Cash- flow.
On n’a pas idée des moyens colossaux dont peuvent disposer les multinationales. Ces moyens, réellement gigantesques, leur permettent d’imposer leurs produits manufacturés, indifférenciés, promouvant leur mode de vie standardisé dans une langue publicisée et uniformisée. Les peuples étant alors considérés comme des masses de consommateurs conditionnés. Bien entendu les apparences doivent être sauves, et chacun persuadé de son entière liberté, mais en réalité le rouleau uniformisateur fonctionne à plein, car toute différence est génératrice de coûts supplémentaires, réducteurs du Cash-flow.
Ainsi, notre gallo-américain se sent-il en totale liberté en jeans, un verre de coca à la main et écoutant du rock n’roll. Quant aux spectacles (feuilletons télévisés, stades, amphithéâtres…), ou aux matchs, ils offrent à nos applaudissements, corn-flakes sur les genoux, des vedettes internationales (et pour cause), interchangeables, achetées et vendues comme des produits.
Chacun le comprendra, sous l’influence américaine, le nouveau Dieu de la terre est l’argent, et tout se doit d’être fait pour en gagner le plus possible, voir d’en amasser à ne plus savoir qu’en faire. Et tous devront passer à la caisse, d’une façon ou d’une autre. C’est pourquoi cette nouvelle religion monothéiste, ressemble à bien y regarder aux autres, elles aussi monothéistes. Leurs adeptes sont persuadés de leur liberté totale, alors que c’est un Dieu étranger qui tire les ficelles. Il s’agit d’un schéma bien étudié, uniforme et utilitariste. Bien entendu, pour que la roue tourne sans ratés, il faut des sous papes et des soupapes. Les sous papes sont les hommes politiques qu’il convient de persuader que leur réélection dépend de l’huile financière, mise dans les rouages économiques. Quant aux soupapes ce sont les vacances au soleil attendues par tous les actifs, pour les rassurer sur le grand confort que la multinationale leur garantit. On va se recharger les batteries, et à son retour on va voir ce que l’on va voir, l’oncle Sam n’aura pas à se plaindre.
Tout le monde est content, nous vivons dans le meilleur des mondes.
« Pourvou qué ça doure ! »
C’est vrai, il arrive parfois que Dieu soit imprudent, qu’il ait les dents trop longues, et qu’il laisse la machine s’emballer. Alors elle dérape. Il y eut l’inquisition pour le Dieu des chrétiens, maintenant ce furent les subprimes pour le dieu américain, et il a fallut renflouer. Bien entendu ce sont des soubresauts qui font mal, mais quoi ? Il faut bien prendre quelques risques. On dit que certains peuples, comme les grecs, les espagnols, les italiens et quelques autres, ne sont pas contents de devoir rembourser trop vite leurs dettes considérables. Cela aussi fait parti de la casse accessoire. De toute façon, un stock de calumets de la paix, bourrés de la drogue à rendre heureux, a été préparé. On va les distribuer pour convaincre chacun de reprendre sa place, dans l’usine à fabriquer du bonheur. Et il est vrai que si l’on compare les conditions de vie d’un occidental à celles ailleurs dans le monde, il n’y a pas « photo ». L’un est gavé et doit suivre un régime, alors que pour l’autre, le régime c’est toute l’année. Mais qu’il ne pleure pas, les touristes viendront gentiment lui faire l’aumône, et l’assurer qu’il a bien de la chance de vivre dans un pays non pollué et ensoleillé. Que veut-il de plus ? Peut-être aurait-il envie que son pays puisse lui aussi produire et vendre différents objets, et y participer. Mais les multinationales veillent. Déjà elles ont racheté chez lui plusieurs usines, puis les ont fermées car pas assez rentables. Alors que faire ? Peut-être aller en France, ou ailleurs en Europe. Là-bas la multinationale fonctionne à plein paraît-il. Encore que…des bruits disent qu’elle va peut-être déménager, car les salaires y seraient trop élevés…Et si elle venait au bled ?…Et le rêve se transporte, et la roue tourne, et Big Brother réfléchit et calcule.
Si notre objectif dans la vie est de bien manger, d’avoir internet, un portable, une belle voiture, de faire l’amour dans la baignoire et d’envoyer nos enfants au patin à glace, nous pouvons être contents, nous vivons dans un monde (presque) de rêve. En effet, si vivre c’est surtout avoir les moyens de s’acheter du confort, alors la société américaine est (vue de loin), la société idéale, et sa présence chez nous nous berce de son rêve « consumériste ».
Aussi, ce n’est pas à ses adorateurs que ce message s’adresse.
NOUS, LES ENNEMIS DE BIG BROTHER
Nous, les autres, nous méfions beaucoup de cette admiration béate. Elle ressemble trop à celle du cochon, apparemment plus heureux que le sanglier, mais qui ignore dans quel but le dieu de la ferme l’engraisse. Et rien que d’un point de vue matériel, le danger est grand, car si demain la multinationale ferme ses portes, nous n’avons rien pour la remplacer, car elle a tout racheté et asséché, et laissera les locaux vides, pour aller ailleurs conforter sa rentabilité. Mais le vrai problème n’est pas là. Le vrai problème c’est notre jeunesse, déculturée, déstabilisée et quémandant du travail à ceux-là mêmes qui ont détruit nos économies, et qui nous abreuvent et nous assomment de leurs boissons énergisantes, de leur matériel « clean » et de leur langage universalisé.
Ce livre s’adresse donc aux ennemis de Big Brother ! A ceux qui sont conscients de leur identité, de leur héritage culturel, qui en sont fiers et qui veulent lutter pour leur survie.
Ce manifeste veut défendre nos identités. Il veut réveiller les assoupis et engager les réactifs. C’est un appel au combat, pour des rebelles. Pour ceux qui refusent la glue appétissante de l’américan way of life, qui nous assure que la mondialisation, dirigée par ses multinationales, nous garantie un avenir radieux. C’est un refus catégorique à leur société de l’hypnose et du gavage.
Non à l’acculturation américaine !
Les européens ne seront pas les porte-voix uni-linguistes, des trusts mondialistes américains. Ces faux amis, sont nos pires ennemis.
Les européens n’abandonneront jamais leurs valeurs, leurs langues, leur culture, leur identité contre les sourires flatteurs et intéressés des trust-men internationaux. Nous ne sommes pas à vendre, et voulons rester lucides.
Nous garderons notre culture, notre identité d’européens envers et contre tout. L’argent ne deviendra pas l’unique moteur de notre vie.
Nous avons deux combats à mener de front, qui se résument en une seule phrase: Lutter contre la globalisation culturelle et économique américaine.
Il nous faut refuser l’assujettissement de notre âme, à d’autres valeurs que celles de notre culture. Ils veulent remplacer notre identité par une autre, potiche, qui ne serait qu’un erzat, un substrat de ce que nous sommes. Dès lors nous deviendrions leur esclave ou leur clown, c’est à dire un autre eux mêmes.
En méprisant notre identité, ils nous insultent.
En perdant ses valeurs identitaires, l’européen ne serait plus un être libre. Il deviendrait un individu indivis, l’élément d’un groupe anonyme, encore plus facilement la proie de projets économico-mondialistes, américano-centrés. N’appartenant plus à une communauté de valeurs enracinées, il deviendrait un individu impersonnel et interchangeable, dénommé « consommateur ».
Or, la culture est l’acquit spécifique d’une communauté qui vit sur un territoire défini, et qui s’est fixé des normes de vie entre ses membres. Ces normes de vie se sont élaborées dans le temps avec cohérence, pour donner un ensemble civilisationnel.
Mais notre culture a déjà eu à souffrir d’attaques extérieures, qui l’ont gravement altérée. Nous n’en sommes sortis qu’avec peine, et pas encore complètement. Nous n’allons pas recommencer les mêmes erreurs. L’égalitarisme chrétien a réussi à imposer l’idée que tous les hommes étaient égaux, car naît d’un même père. Laïcisée, cette idéologie à donné le communisme et les Droits de l’Homme, avec ses O.N.G qui ne sont que les têtes chercheuses de l’OTAN, bras armé du dieu dollar. Quand on a conscience de cette manipulation, on est impardonnable de fermer les yeux. Alors de grâce, que l’on ne nous dise pas que de frères en ancienne religion, malgré nous, nous allons devenir frères en nouvelle religion, avec plaisir. Nous voulons garder nos différences.
Bien entendu Big Brother sera déçu que nous contrariions sa stratégie économique mondialisée. Mais tant pis, il faudra qu’il s’y fasse.
Nous ne voulons pas que nos traditions deviennent des manifestations locales folklorisées, où l’on se réunit une fois par an autour d’un cassoulet ou d’une choucroute, en écoutant un air d’accordéon comme s’il s’agissait d’une musique du néolithique. Nous ne voulons pas que l’Europe ne devienne qu’un site touristique, coincé entre ses valeurs passées et son présent américanisé. Déjà que l’on s’adresse presque exclusivement en Anglais à nos touristes, cela suffit à notre malheur, et il faudra d’ailleurs que cela change.
Au train où vont les choses, si elles continuent, bientôt à la tête de nos pays, nous n’élirons plus des Présidents mais des P.D.G., car ne s’occupant plus de la culture, ils n’auront qu’à gérer l’économie, et encore en étant prudents pour ne pas mécontenter l’Oncle Sam.
Bien entendu nous n’en sommes pas là, mais c’est aussi ce que devaient dire les anciens Grecs, Romains ou Egyptiens. Et où en sont-ils ? La culture est mortelle, comme tout le vivant. Si nous voulons continuer à être « de chez nous », il ne faut pas devenir » de chez eux ». L’américanisation n’est pas la modernité, elle n’en est que le copié-collé. C’est un conformisme de caméléon, qui incite à suivre des modes, par ce que c’est la mode. Alors qu’elles ne sont que l’application d’un asservissement culturel, savamment mis en place à des fins de rentabilité. Pour garder notre identité, il nous faut refuser la massification, l’uniformisation.
Alliés ne veut pas dire ralliés.
LE REVE AMERICAIN
Bien entendu, tout n’est pas mauvais dans le progrès, loin de là, et qu’il soit d’origine européenne, américaine ou autre, il apporte souvent des réponses très positives, et chacun en bénéficie. Ce n’est donc pas le progrès en lui-même que nous condamnons, nous ne sommes pas des amish, bien au contraire, à tous points de vue. Mais progrès et cultures doivent s’interpénétrer dans l’harmonie, afin de ne pas faire disparaître les identités.
Or, ce n’est pas cela le rêve américain. Pour eux la culture est plutôt une gêne, car la contourner coûte cher en monnaie et en temps, et … Time is monnaie ! Il s’agit pour les multinationales d’affirmer leur suprématie économique, à l’aune de la rentabilité, et seule l’uniformisation des productions les rentabilisent.
Mais alors qui suis-je si je vis partout de la même façon, avec les mêmes produits en parlant la même langue ? Je suis un enfant du monde, interchangeable à volonté. Je suis devenu le consommateur idéal, induisant une rentabilité maximum.
Or justement, plutôt que de devenir enfants du monde, nous préférons rester les enfants de l’Europe.
Respecter l’identité des autres et défendre la nôtre, voilà un programme qui nous plaît bien. Puisque nous comprenons les peuples colonisés qui ont voulu, par leur indépendance, affirmer leur identité, ce n’est pas pour, à notre tour, accepter de devenir une colonie des U.S.A.
Il y a quelques années, en parlant de l’Europe, un dirigeant russe évoquait l’idée de « maison commune ». Ce n’est pas faux. L’Europe est la maison commune des européens, et chaque peuple européen y a sa place. Mais que nous sachions, si les américains y sont invités, ce n’est pas pour qu’ils nous plient à leur mode vie. Echangeons recherches, produits et techniques. Commerçons ensemble, travaillons les uns avec, ou même chez, les autres, c’est normal. Mais respectons nos identités, car si non il y aura rejet de l’un par l’autre. Et sincèrement pour nous la coupe est déjà pleine !
En voulant substituer leur façon de vivre à notre culture, pour des impératifs de bénéfices financiers et industriels, les américains se conduisent en ennemis. Et nous nous levons face à eux. Il est possible que pour eux, mélange de peuples immigrés dans un pays neuf, les mots n’aient pas la même valeur que pour nous. Mais l’Europe n’est pas l’Amérique, notre civilisation est séculaire, et refuse le viol, même si leurs publicités cherchent à nous persuader qu’il y a consentement mutuel.
Pour ceux qui n’ont que l’argent comme critère, il est vrai que la culture est une gêne, car en effet elle n’est pas rentable. Aussi en entendant ce mot déplaisant pour eux, certains seront-ils tentés de sortir leur révolver. Pire, la culture exige des compromis, elle frêne la conquête planifiée, elle protège les peuples de la main mise sur leur pays, et coûte de nombreux investissements retardateurs. Comment les dirigeants des trusts mondialisés pourraient-ils l’apprécier ? Mais hélas pour eux, c’est comme ça. Il y a toujours dans les peuples des voix qui s’élèvent pour dénoncer leur colonisation en cours. C’est embêtant pour les « conquérants », ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent, mais désolés, nous refusons la mort par ethnocide où nous conduisent les multinationales américaines.
LES NOUVEAUX COLLABOS
Hélas, il y aura toujours des « collabos » ! Regardez l’attitude du bobo branché du hall de votre immeuble. Dès qu’il en a l’occasion, il se glorifie de parler la langue de son nouveau dieu. Il est moderne et cultivé car il baragouine LA langue universelle. Il est à l’avant garde de la culture internationale, d’ailleurs il travaille à l’international et cherche à épater par son apparent savoir anglo-saxon. Mais faudrait-il lui demander : De quel savoir vous glorifiez vous ? Si c’est celui de la pénétration consumériste des produits américains en Europe, dont vous semblez être enthousiaste, sachez qu’en fait vous n’êtes que le collabo de l’ennemi économique de votre pays. Vous vendez votre âme au diable par vanité, et faites de vos enfants les jouets du fric mondialisé. Vous faites de votre pays une colonie économique déculturée, aussi ce n’est pas vers vous que se tournent nos regards, mais vers votre maître Big Brother qui vous a transformé en marionnette à son service. Puisque c’est ce que vous vouliez, justement, lui aussi c’est ce qu’il voulait et il semble avoir réussi. Vous vous croyez libre ? Mais votre liberté est celle d’un cheval de bois sur un manège. En apparence vous êtes encore un européen, mais déjà vous dansez au son des ordres étrangers. Vous êtes au service de l’ennemi de votre pays, mais l’argent qu’il vous verse ne pourra jamais payer l’identité que vous lui bradez, car elle n’a pas de prix, elle ne vous appartient pas, elle appartient à votre peuple, elle est l’héritage de vos ancêtres. Et vous voulez la lui vendre ?
Mille exemples, partout en Europe, viennent à l’appui de notre destruction culturelle en cours. En voici deux, exemplaires, qui se tinrent au château de Versailles. Sous la direction de son président, M. Aillagon, se sont tenues dans ce temple de l’histoire et de la culture française des expositions d’» Art contemporain ». On a « décoré » le parc d’objets insolites, relevant plus du canul’art que de l’art, et choquant les visiteurs étrangers. Les « artistes », ainsi mis en lumière se nommaient Joana Vasconcelos, et Bernar Venet, et leurs « œuvres » étaient à la hauteur de celles des Koons, Murakami et autres pollueurs précédents. Alors pourquoi utiliser Versailles pour exposer ces horreurs? Pour illustrer notre décadence ? C’est possible, mais je crois plutôt que c’était pour faire du fric. A l’évidence, le président du château de Versailles a utilisé ses pouvoirs, pour rendre service à ses amis de l’art contemporain. Ainsi, les magnats de la finance ont-ils pu agrandir leur bulle spéculative avec ces provocations pseudo-artistiques, et conforter leurs collections de milliardaires. Mais ailleurs également, le même scénario a cours. Ainsi l’exposition du « Bouquet final » de Michel Blazy aux Bernardins, à Paris. Il s’agissait d’un échafaudage, duquel s’écoulait en continue une mixture mousseuse. Cette « œuvre » se voulant une « réflexion sur la fragilité et la brièveté de la vie ». Rien que ça ! Voilà des illustrations d’un soit disant art contemporain, nul et prétentieux, et qui se moque du monde en instituant la décadence comme beauté moderne. Mais en fait utilisé pour orienter le goût des jeunes générations, vers l’abaissement artistique à des fins spéculatives.
Parlons aussi de ces tenues débraillées à la mode, portées par de soit disant artistes qui veulent faire peuple, alors qu’ils encaissent dix mille fois les revenus d’un ouvrier. Ces gens ne nous éblouissent pas, ils nous écœurent. Par leur tenue « laisser- aller » (par exemple Yannick Noah, « la personnalité préférée des français », chantant en débraillé, mal rasé, cheveux ébouriffés et pieds nus), ils proclament leur décadence et leur vacuité. Leur contre-conformisme n’est qu’un conformisme à l’envers qui participe du débraillé des modes américano-mondialistes, comme le martèlement du rap, vulgaire et agressif, veut choquer en copiant le style afro- américain des bas-quartiers new- yorkais. Mais ils n’offrent qu’une caricature d’indépendance, car leur attitude démontre qu’ils sont en fait les agents de ceux qui les paient, tant qu’ils leurs rapportent. (Et n’oublions pas tous ces artistes, généreux donneurs de leçons sur la scène des Restos du cœur, mais qui placent leur argent dans des paradis fiscaux).
Dans d’autres domaines également, des scandales demandent à être redressés. Je n’en veux pour preuve que la publication exclusivement en anglais, des travaux universitaires. Le cursus obligatoire des élèves de nos grandes écoles (dont on dit qu’elles sont dorénavant la fabrique des cadres socialistes), ainsi que la baisse généralisée de la tenue et du niveau de nos enseignants et de leurs élèves (L’arbre se juge à ses fruits ! dit le proverbe). Sans oublier la police de la pensée qui, soutenue par la plupart des journalistes, libres mais dans le vent, étouffe l’expression populaire dans un carcan suspicieux, à chaque fois que l’on ose faire l’éloge de l’altérité, ou assurer que l’égalitarisme tuera l’égalité. Quand au danger multi culturaliste (1), c’est un thème interdit à ceux qui n’ont pas baisés les pieds des ayatollahs qui contrôlent nos médias, alors que, disait-on, la France était le pays de la Liberté. En fait elle l’était du temps où elle était un pays cultivé, car alors son peuple était libre dans sa pensée et son expression. Ce n’est plus le cas, chacun le sait, elle est devenue le pays de la pensée unique.
A l’origine de la décrépitude de notre autonomie intellectuelle, il y a la valorisation de la non-culture américaine, qui fait se tourner vers le drapeau étoilé nos élites admiratives de sa puissance mondiale. Leur rêve est de devenir américains, ici ou là-bas, eux ou leurs enfants. Ici on étouffe, là-bas tout est grand. Sans se rendre compte que cette grandeur c’est du vide, et qu’être attirés par ce vide, est plus révélateur de ce qu’il leur a déjà enlevé, que de ce qu’il peut leur apporter. A moins que, seul le fric ne les intéresse. Mais les années passant, ils se rendront compte que lorsque l’on a été élevé dans une culture certaine, l’absence de culture finit par peser en négatif. L’argent ne faisant pas tout. C’est pourquoi, conscients de l’importance de notre héritage culturel, nous voulons le défendre.
Dans son livre « l’Homme européen », Dominique de Villepin écrivait : »L’Europe est un carrefour, un lieu de passage pour des peuples venus d’horizons différents….L’islam a toute sa place en Europe, dores et déjà et davantage encore dans l’avenir ». Confirmant si besoin était sa déclaration faite au Sénat le 14 juin 2003 : »…La dimension islamique fait partie intégrante de l’Europe…Les musulmans européens, authentiques passeurs de culture, représentent une chance que nos sociétés doivent saisir… ».
SE BATTRE POUR VIVRE
Dans son livre « Au bord du gouffre », Alain de Benoist annonce la faillite du système de l’argent. Il est persuadé que «… la vie économique doit-être réorientée radicalement vers une autre perspective ». « Que le système capitaliste se heurte à la barrière de la réalisation du profit. Qu’il est soumis à la complète domination des marchés financiers, dont les actionnaires réclament la rentabilité maximum avec frénésie. Et qu’il va donc à son autodestruction. »
Je suis d’accord avec lui. J’ajoute simplement que dans la crise culturelle que nous vivons, il ne nous faut pas attendre pour réagir. Pendant que nous rêvons, l’Oncle Sam met au point ses stratégies. Compte tenu de ses moyens colossaux, il fera avaler ce qu’il voudra à nos peuples, servis sur un plateau à leur goût.
Il nous faut donc prendre conscience de ce que nous sommes, en tant qu’héritiers d’une culture européenne ancestrale. C’est cette conscience, et cette fierté, qui nous donnera envie de la défendre contre l’anomie universelle, qui va nous faire disparaître.
S’il est vrai que la vie est un combat, comme le disait Nietzsche, alors que ceux qui en parlent donnent l’exemple, dans leur discipline et dans leur vie. Nous avons besoin de combattants actifs, et non en chaise longue.
Voilà l’importance de la lutte qu’il nous faut mener ! Elle se résume en deux phrases : Dénoncer les Etats-Unis comme des Etats maudits et Refuser l’homogénéisation de nos peuples.
Il faut dire à nos gouvernants, que leur politique atlantiste sacrifie notre indépendance nationale. Sur ce plan le général De Gaulle, que j’ai pourtant combattu sur d’autres points, avait vu juste. Le monde anglo-saxon est notre adversaire, et l’OTAN son fer de lance.
Comme l’écrit Aymeric Chauprade : » Il faut refuser de se soumettre aux lois de l’Empire américain. Il faut trouver les chemins de la sortie du mondialisme américain, lequel ne peut mener qu’à un totalitarisme planétaire qui, en usant de nouvelles technologies, privera la personne humaine de ses libertés ».
Pour redevenir indépendants, il nous faut retrouver une pensée autonome.
C’est l’objet de cet appel, à la mobilisation générale. Gilbert Sincyr http://www.voxnr.comnotes :
(1)Cette idéologie universaliste a l’Islam comme fer de lance. Elle tend à une africanisation et une arabisation des nations européennes, sous le couvert bien manœuvré, de l’accueil de la diversité. Soutenue par les partis politiques communistes, socialistes, écologiques et sociaux-démocrates, elle eut comme promoteurs des dirigeants comme Jacques Chirac et Dominique de Villepin, adeptes de la repentance unilatérale, et obnubilés par le mélange des cultures. Relayée par la majorité du corps enseignant et des médias, elle vise à convertir les européens que seule la mixité, raciale, sociale et culturelle, est garante d’un avenir harmonieux. « Touche pas à mon pote, ou tu es un raciste ».
Références
- « Au bord du gouffre » Alain de Benoist Ed. Krisis
- « La fracture identitaire » Ivan Rioufol Ed. Fayard
- « La guerre culturelle » Henri Gobard Ed. Copernic
- « l’Homme européen » Dominique de Villepin et Jorge Semprun Ed. Plon
Gilbert Sincyr a déjà publié aux Editions Dualpha : « Aetius, le vainqueur d’Attila ». « André Fontès, héros de la guerre de l’ombre ». « Le Paganisme, recours spirituel et identitaire de l’Europe ». « L’Islam face à la Gaule, la chaussée des martyrs » -
Carlo Michelstaedter
Carlo Michelstaedter est l'un des auteurs qui ont affirmé, à l'époque moderne, la nécessité pour l'individu de s'élever à l'être, à une valeur absolue en mettant fin à tous les compromis sous lesquels se masque une ἀβίος βίος [abios bios, i.e. une vie non vivable, un vie qui n'est pas une vie pour reprendre Rabelais. M. Canto-Sperber traduit ce jeu de mot grec, au sein du corpus platonicien, par : « une vie pas vraiment vécue, une vie à laquelle manque une dimension fondamentale de l'existence »], une vie qui n'est pas vie, en acceptant ce dont l'homme a plus peur que de toute autre chose : se mettre en face de soi, prendre sa propre mesure en fonction, précisément, de l'“être”. L'état correspondant à l'être est appelé par Michelstaedter l'état de la “persuasion” ; il est défini essentiellement comme une négation des corrélations. Chaque fois que le Moi ne pose pas en soi-même mais dans l'“autre” le principe de sa propre consistance, chaque fois que sa vie est conditionnée par des choses et relations, chaque fois qu'il succombe à des dépendances et au besoin — il n'y a pas “persuasion”, mais privation de valeur. Il n'y a valeur que dans l'existence en soi-même, dans le fait de ne pas demander à l'“autre” le principe ultime et le sens de sa propre vie : dans l'“autarcie”, au sens grec du terme. Aussi bien l'ensemble d'une existence faite de besoins, d'affections, de “socialité”, d'oripeaux intellectualistes et autres, mais aussi l'organisme corporel et le système de la nature (lequel, en tant qu'expérience, est compris comme engendré, dans son développement spatio-temporel indéfini, par la gravitation incessante en quête de l'être, qu'on ne possédera cependant jamais tant qu'on le cherchera hors de soi) (1), rentrent-ils dans la sphère de la non-valeur.
Le Moi qui pense être en tant qu'il se continue, en tant qu'il ignore la pléntitude d'une possession actuelle et renvoie sa “persuasion” à un moment successif dont il devient par là dépendant ; le Moi qui dans chaque instant présent s'échappe à lui-même, le Moi qui ne se possède pas, mais qui se cherche et se désire, qui ne sera jamais dans un quelconque futur, celui-ci étant le symbole même de sa privation, l'ombre qui court en même temps que celui qui fuit, sur une distance entre le corps et sa réalité qui reste inchangée à chaque instant — tel est, pour Michelstaedter, la sens de la vie quotidienne, mais aussi la “non-valeur”, ce qui “ne-doit-pas-être”. Face à cette situation, le postulat de la “persuasion” est le suivant : l'autoconsistance, le fait de résister de toutes ses forces et à tout moment à la déficience existentielle, ne pas céder à la vie qui déchoit en cherchant hors de soi ou dans l'avenir — ne pas demander, mais tenir dans son poing l'“être” : ne pas “aller”, mais demeurer (2).
Alors que la déficience existentielle accélère le temps toujours anxieux du futur et remplace un présent vide par un présent successif, la stabilité de l'individu “pré-occupe” un tempf infini dans l'actualité et arrête le temps. Sa fermeté est une traînée vertigineuse pour les autres, qui sont dans le courant. Chacun de ses instants est un siècle de la vie des autres — « jusqu'à ce qu'il se fasse lui-même flamme et parvienne à se tenir dans le présent ultime » (3). Pour éclairer ce point, il est important de comprendre la nature de la corrélation qui est contenue dans les prémisses : étant donné que le monde est compris comme engendré par la direction propre à la déficience, dont il est comme l'incarnation tangible, c'est une illusion de penser que la “persuasion” puisse être réalisée au moyen d'une consistance abstraite et subjective dans une valeur qui, comme dans la stoïcisme, aurait contre elle un être (la nature expérimentée) dont on peut dire que, pourtant sans valeur, il est. Celui qui tend à la persuasion absolue devraint en fait s'élever à une responsabilité cosmique. Ce qui signifie : je ne dois pas fuir ma déficience — que le monde reflète —, mais la prendre sur moi, m'adapter à son poids et la racheter. C'est pourquoi Michelstaedter dit : « Tu ne peux pas te dire persuadé tant qu'il reste une chose qui n'a pas été persuadée ». Il renvoie à la persuasion comme « à l'extrême conscience de celui qui est un avec les choses, qui a en soi toutes les choses : έ ουνεχές [e ounekes] » (4).
Pour rendre plus intelligible le problème central de Michelstaedter, on peut rattacher le concept d'insuffisance au concept aristotélicien de l'acte imparfait. L'acte imparfait ou “impur” [ou inachevé, ne réalisant pas sa fin. L'être peut être dit en acte, c'est-à-dire accompli, ou en puissance, c'est-à-dire inachevé mais tendant vers l'achèvement], c'est l'acte des puissances qui ne passent pas d'elles-mêmes (καθ' αυτό [kath auto = par elles-mêmes]) à l'acte, mais qui pour cela ont besoin du concours de l'autre. Tel est par ex. le cas de la perception sensorielle : en elle, la puissance de perception n'étant pas autosuffisante, ne produit pas d'elle-même la perception, mais a pour ce faire besoin de la corrélation à l'objet. Or, le point fondamental dont dépend la position de Michelstaedter est le suivant : sur le plan transcendental, l'acte imparfait ne résout qu'en apparance la privation du Moi. En réalité, il la confirme de nouveau. À titre d'exemple, prenons une comparasion. Le Moi a soif ; tant qu'il boira, il confirmera l'état de celui qui ne suffit pas à sa propre vie, mais qui pour vivre a besoin de l'“autre” ; l'eau et le reste ne sont que les symboles de sa déficience (il importe de fixer l'attention sur ce point : on ne désire pas parce qu'il y a privation de l'être, mais il y a privation de l'être parce qu'on désire — en second lieu : il n'y a pas désir, par ex. celui de boire, parce qu'il y a certaines choses, par ex. l'eau, mais parce que les choses désirées, à l'instar de la privation de l'être qui pousse vers elles, sont créés au même moment par le désir qui s'y rapporte, lequel est donc le prius qui pose la corrélation et les deux termes de celle-ci, la privation et l'objet correspondant, dans notre exemple la soif et l'eau). En tant qu'il se nourrit de cette déficience et lui demande la vie, le Moi se repaît seulement de sa propre privation et demeure en elle, s'éloignant de l'“acte pur” ou parfait, de cette eau éternelle au sujet de laquelle on pourrait citer les paroles même du Christ (5), eau pour laquelle toute soif, et toute autre privation, seraient vaincues à jamais. Cette appétence, cette contrainte obscure qui entraîne le Moi vers l'extérieur — vers l'“autre” —, voilá ce qui engendre dans l'expérience le système des réalités finies et contingentes. La persuasion, qui va brûler dans l'état de l'absolue consistance, du pur être-en-soi — cet effort a donc aussi le sens d'une “consommation” du monde qui se révèle à moi.
Le sens de cette consommation, il faut, pour l'éclairer, aller jusqu'à des conséquences que Michelstaedter n'a pas complètement développées.
Tout d'abord, dire que je dois pas fuir ma déficience signifie notamment que je dois me reconnaître comme la fonction créatrice du monde expérimenté. De là pourrait suivre une justification de l'Idéalisme transcendental (à savoir du système philosophique selon lequel le monde est posé par le Moi) sur la base d'un impératif moral. Mais on a vu que, selon la prémisse, le monde est considéré comme une négation de la valeur. Du postulat général exigeant que le monde soit racheté, que sa déficience soit assumée, procède donc, toujours comme postulat moral, mais aussi sur le plan pratique, un second point : la négation même de la valeur doit être reconnue, d'une certaine façon, comme une valeur. Cela est important. En effet, si je considère l'impulsion qui a engendré le monde comme une donnée pure, irrationnelle, il est évident que la persuasion, en tant qu'elle est conçue comme la négation de cette impulsion, va en dépendre, donc qu'elle n'est pas absolument autosuffisante mais dépend d'un “autre”, dont la négation lui permet de s'affirmer. Dans ce cas, donc dans le cas où le désir même n'est pas réinséré dans l'ordre de l'affirmation de la valeur, mais reste intégralement une donnée, la persuasion ne serait donc pas du tout persuasion — le mystère initial en réduirait inévitablement la perfection à une illusion.
Il faut donc admettre comme postulat moral que l'antithèse même participe, d'une certain façon, de la valeur. Mais de quelle façon ? Ce problème amène à inclure dans le concept de persuasion un dynamisme. En effet, il est écident que si la persuasion ne réduit pas à une suffisance pure et autonome — donc à un état —, mais est suffisance en tant que négation d'une insuffisance — donc est un acte, une relation —, l'antithése a certainement une valeur et peut être expliquée ainsi : le Moi doit poser dans un premier moment la privation, la non-valeur, y compris sous la condition où la privation n'est posée que pour être niée, car cet acte de négation, et lui seul, engendre la valeur de la persuasion. Mais que signifie nier l'antithèse — qui en l'occurence revient à dire la nature ? On se rappelle que pour Michelstaedter la nature est non-valeur en tant que symbole et incarnation du renoncement du Moi à la possession actuelle de soi-même, en tant que corrélat d'un acte imparfait ou “impur” au sens défini plus haut. Il ne s'agit donc pas de nier telle ou telle détermination de l'existant, parce qu'on n'atteindrait par là que l'effet, la conséquence, non la racine transcendentale de la non-valeur ; il ne s'agit pas non plus d'éliminer en général toute action, car l'antithèse n'est pas l'action en général, mais l'action en tant que fuite de soi, “écoulement” — et il n'est pas dit que toute action ait nécessairement ce sens. Ce qu'il faut résoudre, c'est plutôt le mode — passif, hétéronome, extraverti — d'action. Or, la négation d'un tel mode est constitutée par le mode de l'action autosuffisante, laquelle est aussi puissance. Vivre chaque acte dans une possesion parfaite et transfigurer par conséquent l'ensemble des formes jusqu'à ce qu'elles n'expriment que le corps même d'une potestas — tel est donc le sens du rachat tout à la fois cosmique et existentiel. De même que la concrétisation de la “rhétorique” est le développement du monde de la dépendance et de la nécessité, ainsi la concrétisation de la persuasion est le développement d'un monde d'autarcie et de domination ; et le moment de la négation pure n'est que le moment neutre entre les deux phases.
Aussi bien le développement des vues de Michelstaedter dans ce qu'on pourrait appeler un “Idéalisme magique” [*] apparaît-il obéir à une continuité logique. En fait, Michelstaedter s'est d'une certaine façon arrêté à une négation indeterminée, et ce, en grande partie, pour n'avoir pas considéré suffisamment que le fini et l'infini ne doivent pas être rapportés à un objet particulier ou à une action particulière, mais sont deux modes de vivre n'importe quel objet ou n'importe quelle action. En général, le vrai Maître n'a pas besoin de nier (au sens d'annuler) et, sous le prétexte de la rendre absolue, de réduire la vie à une unité indifférenciée, comme, si l'on veut, dans une espèce de fulguration : l'acte de puissance — qui n'est pas acte de désir ou de violence —, loin de détruire la possession parfaite, l'atteste et la confirme. Le fait est que Michelstaedter, à cause de l'intensité même avec laquelle il vécut l'exigence de la valeur absolue, ne sut pas donner à cette exigence un corps concret, donc la développer dans la doctrine de la puissance ; ce qui pourrait avoir quelque relation avec la fin tragique de son existence mortelle.
Toutefois, c'est Michelstaedter qui a écrit : « Nous ne voulons pas savoir par rapport à quelles choses l'homme s'est déterminé, mais bien comment il s'est déterminé ». Au-delá de l'acte, il s'agit donc de la forme ou valeur sous laquelle cet acte est vecu par l'individu. De fait, toute relation logique est, d'une certaine façon, indéterminée, et la valeur est une dimension supérieure où elle se spécifie. L'un des mérites de Michelstaedter, c'est d'avoir réaffirmé la considération selon la valeur dans l'ordre métaphysique : en effet, la “rhétorique” et la “voie vers la persuasion” peuvent être distinguées non d'un point de vue purement logique, mais du point de vue de la valeur. Dans ce contexte, il est très important que Michelstaedter reconnaisse qu'il y a, d'une certaine manière, deux voies. Cette coexistence est elle-même une valeur : car l'affirmation de la persuasion ne peut valoir comme affirmation d'une liberté que si l'on a conscience de la possibilité de l'affirmation comme valeur de la non-valeur elle-même, selon l'indifférence : seul étant libre et infini le “Seigneur du Oui et du Non” (sur cette problématique, cf. notre Teoria dell'Individuo Assoluto, I, §§ 1-5) (6). L'autre justification de l'antithèse dont il a été question plus haut, a évidemment pour présupposé l'option positive pour la “persuasion”. http://www.archiveseroe.eu/
Julius Evola, in : Explorations. Hommes et problèmes, Puiseaux 1989. [tr. fr. : Philippe Baillet]
• notes :
- 1) C. Michelstaedter, La Persuasione e la Rettorica, p. 5.
- 2) C. Michelstaedter, Il dialogo della salute, Gênes, 1912, p. 57-58.
- 3) La Persuasione e la Rettorica, p. 56.
- 4) Ibid, p. 91.
- 5) Jean 4, 14 : « Quiconque boira de cette eau aura soif à nouveau ; mais qui boira de l'eau que je lui donnerai n'aura plus jamais soif : l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source d'eau jaillissant en vie éternelle ».
- 6) Edizioni Mediterranee, Rome, 1973.
• note en sus :
* : L'idéalisme magique, c'est-à-dire opératoire, désigne pour Novalis « un système qui admet que l'homme peut entrer avec l'univers dans le rapport de sympathie et d'action directe où il se trouve avec son propre corps » (d'apr. Lal. 1968). Quelque peu distinct de la captation surréaliste, ce système pourrait bien plutôt se rapprocher de celui de son ami Schlegel qui « s'intéresse beaucoup aux théories de l'idéalisme allemand et en particulier à celles de Fichte […] puis de Schelling. Pour Fichte, la philosophie est la doctrine de la science et est la base de tout savoir. Il énonce également que le moi (la force créatrice) forge le non-moi (l'environnement) grâce à l'imagination créatrice. Schlegel va essayer de dépasser cette théorie en la rendant plus flexible car Fichte voit tout à travers le spectre de la philosophie. Pour Schlegel, la philosophie n'est pas à dissocier des autres domaines. Tout comme l'énonce Schleiermacher : savoir et foi, science et art, philosophie et religion ne forment qu'un. C'est ce que Schlegel appellera l'Universalpoesie. Vers 1797, Schlegel se tournera vers Schelling pour qui la nature et le moi, donc l'art, ne forment qu'un » (entrée Schlegel sur wikipedia).
Toutefois ce qu'entend Evola, lors sa période philosophique qui va de 1923 à 1927, par “Idéalisme magique” est de portée différente : « On le sait, le premier terme [idéalisme magique] avait déjà été employé par Novalis. Mais bien que Novalis fût un de mes auteurs préférés et bien que certaines de ses intuitions eussent pris pour moi une valeur essentielle, l’orientation de mon système fut très différente » (Chemin du cinabre). Ce dernier se trouve précisé dans son article L’individu et le devenir du monde (1925), « présentation de l’essence solipsistique d'Essais sur l'idéalisme magique et de Théorie et phénoménologie de l’individu absolu, que l’auteur proposait comme une solution spiritualo-existentialiste audacieuse aux problèmes de l’âme européenne en ces temps de décadence. La ligne radicalement solipsistique de la philosophie évolienne à cette période cherchait un développement pratique et théorique dans la religion, l’initiation et la magie. C’est dans cette optique que doivent être vues ses travaux sur le taoïsme et le tantrisme. Nous savons aujourd’hui comment cet itinéraire se termina avec un Evola arrivant à sa maturité à une position théorique très proche de celle du traditionalisme intégral de René Guénon. [...] Dans un essai intitulé Le chemin de la réalisation du moi selon les mystères de Mithra, Evola distingua clairement son chemin spirituel magique, initiatique, masculin, d’auto-réalisation et de construction individuelle de celui qu’il considérait comme inférieur prôné par les écoles se référant au Védanta qui tendaient essentiellement à réduire l’individu à un non-individu » (Société Julius Evola, « Julius Evola et la Société Théosophique Indépendante de Rome », d'après un article de Marc Rossi).
Par ailleurs, cet article sur Michelstaedter est autant une étude littéraire qu'une lecture personnelle car non sans résonance avec le parcours d'Evola. En effet, démobilisé après la Grande Guerre, il traverse une crise grave (« le sentiment de l’inconsistante et de la vanité des buts qui engagent normalement les activités humaines »), se livre à diverses expériences (mescaline) augmentant encore son malaise intérieur, au point même de lui faire envisager le suicide. Il a 25 ans. C’est à la lecture d’« un texte du bouddhisme des origines » qu’il comprend que « ce désir d’en finir, de me dissoudre, était un lien, une “ignorance”, opposée à la vraie liberté. À ce moment là doivent s’être produits en moi un retournement et l’apparition d’une fermeté capable de résister à toute crise ».
♦ De Carlo Michelstaeder aux éditions de l'Éclat :
- La Persuasion et la Rhétorique, augmentée d'appendices critiques, 1998 (il s'agit d'une édition refondue qui réunit ces 2 titres parus séparément dans la collection “philosophie imaginaire”).
- Le Dialogue de la santé et autres textes, 2004.
- Épistolaire, 1992.
♦ Études sur l'auteur :
- « Interprétation de Michelstaedter », M. Cacciari, in : Drân : Méridiens de la décision dans la pensée contemporaine, éd de l'Éclat, 1992
- Une autre mer, Claudio Magris, L'Arpenteur, 1993 : C'est peu de dire que ses amis lui vouaient un culte. Enrico Mreule, son plus proche disciple et le plus dissemblable, alla jusqu'à écrire : “Carlo est le Bouddha de l'Occident. Le grand éveillé”. Carlo Michelstaedter, qui se tira une balle dans la tête à 23 ans (le 16 octobre 1910), après avoir écrit les derniers mots d'un mémoire de philo, La Persuasion et la Rhétorique, où Nietzsche et Schopenhauer flirtent avec Aristote et Platon. C'est l'un des livres mythiques de la culture triestine. La vie d'Enrico, dont Magris réinvente le roman, des plages de l'Istrie à la Pampa et d'une guerre l'autre, est l'incarnation même du concept de persuasion de son maître (“possession au présent de sa propre vie”), l'évangile non écrit d'un apôtre réticent, le silence amoureux, à l'écoute de la nuit où “ses” mots pleuvent comme des étoiles filantes. (L'Express, 10/06/1993)
- “La guerre aux mots avec les mots” (Une interprétation de Carlo Michelstaedter), (thèse de doctorat), Nathalie Combe, ANRT, 1997
- La vie obscure, (biographie romancée), Patrizia Farazzi, éd. de l'Éclat, 1999
- C. Michelstaedter : Persuasion and Rhetoric, Massimiliano Moschetta, thèse, 2007
- Le tombeau de Michelstaedter, Jacques Beaudry, Montréal, Liber, 2010.