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plus ou moins philo - Page 25

  • Schopenhauer, philosophe de la volonté et archétype du solitaire méprisant la politique

    Il y a 150 ans mourrait Arthur Schopenhauer

    « L’absence d’esprit prend toutes les formes pour se dissimuler : elle se camoufle en pathos, en emphase ; elle prend le ton de la supériorité et se donne des grands airs et tout cela de cent autres façons » 

    La philosophie allemande classique du 19ème siècle peut se subdiviser, grosso modo, en deux courants majeurs qui, tous deux, commencent avec Kant. Celui-ci avait accompli dans sa « Critique de la raison pure » une « révolution copernicienne » passant ainsi de l’ontologie à la théorie de la connaissance ; il avait aussi affirmé que la capacité humaine de connaître était intrinsèquement liée aux formes de la représentation que sont le temps et l’espace, d’une part, les douze catégories de la raison, d’autre part, parmi lesquelles le principe de causalité. Pour faire en sorte que la raison ne produise pas elle-même ces propres objets, Kant s’était vu contraint d’accepter une « chose en soi » transcendantale, qui, pour le sujet connaissant, n’était pas connaissable au-delà de cet appareil fonctionnel.

    Côté subjectif de ce monde coupé en deux par Kant, nous trouvons vers 1800 la philosophie idéaliste, qui culminera dans les grands systèmes de Hegel et de Schelling, puis, sous le signe du matérialisme, sera poursuivie par Marx et Engels. L’autre courant est moins visible, il est plutôt souterrain et cherche à saisir la face objective, en dépit de la césure kantienne. Ce courant-là commence avec Arthur Schopenhauer et nous amène, au-delà de Nietzsche, vers la modernité, une modernité qui n’est pas seulement philosophique.

    Schopenhauer, né le 22 février 1788 à Danzig dans le foyer d’un négociant, est un penseur et une personnalité de la transition. Selon la tradition philosophique allemande, et surtout selon cet idéalisme allemand contre lequel il engage la polémique, Schopenhauer participe lui aussi à cette volonté de systématiser, c’est-à-dire de chercher à expliquer les principes métaphysiques du monde en un seul ouvrage : en effet, c’est ce qu’il tentera de faire dans son ouvrage principal, « Die Welt als Wille und Vorstellung » (= « Le monde comme volonté et comme représentation »), dont le premier volume paraît dès 1819 et dont le second ne paraitra qu’en 1844. Il amorce ses réflexions au départ du principe fondamental de Kant, celui de la subjectivité de la faculté de connaître, et le soumet à une métaphysique volontariste, dans la mesure où il identifie la « chose en soi » avec la volonté, qu’il interprète comme une pulsion d’existence, agissant derrière tous les phénomènes. Contrairement à l’usage habituel, il entend la volonté comme un principe irrationnel, que l’on n’expérimente pas seulement lorsque l’on procède à une analyse introspective de soi et, partant, comme une pulsion vitale et sexuelle, mais qui se manifeste, compénétrante, à travers la nature toute entière voire aussi dans le déroulement causal non vivant.

    En dépit du caractère universel de la volonté qui se combat elle-même éternellement par le truchement des phénomènes qu’elle génère et qui détermine ainsi tout élan individuel de volonté, comme l’explique Schopenhauer dans un écrit de 1839, qui lui vaut un prix de la Société Royale Norvégienne des Sciences, et qui a pour titre « Über die Freiheit des menschlichen Willens » (= « De la liberté de la volonté humaine »), eh bien, en dépit de cela, il existe tout de même deux portes dérobées par lesquelles l’homme peut se dégager de la souffrance que lui inflige le monde : l’une est constituée par la morale, l’autre par l’esthétique. Par empathie avec les autres créatures souffrantes, l’homme peut dépasser son isolement apparent et reconnaître la même volonté de vivre (et en fin de compte se reconnaître lui-même) en tous les autres êtres, ce que Schopenhauer exprime par les mots « tat twam asi » (« cela, tu es »), empruntés aux Upanishads de l’Inde ancienne. Dans son éthique de la compassion, qu’il explicite dans « Über das Fundament der Moral » (= « Du fondement de la morale »), il se tourne, de manière radicale, contre l’impératif catégorique de son maître Kant, dont il mésinterprète l’appel à toujours penser aux conséquences de sa propre action pour l’universalité (pour la chose publique), comme une obligation à se soumettre à une pensée obéissante à l’autorité. Tout anti-étatiste pourrait, en se soumettant à une telle pensée, considérer que les lois ne sont que contraintes et non par autant de formules dont la validité est universelle.

    L’autre échappatoire vers le paradis (toutefois sans Dieu) est la « contemplation détachée de tout intérêt » qu’offre la contemplation esthétique : en jouissant d’une œuvre d’art, surtout une œuvre musicale, l’homme peut aussi dépasser le « principium individuationis » et s’unir au fond cosmique de l’univers.

    Schopenhauer comme précurseur de la psychanalyse freudienne

    Aujourd’hui on ne juge pas tant l’importance de Schopenhauer à la teneur de ses principales idées philosophiques qu’à ses multiples influences postérieures. De son vivant, son ouvrage principal n’a quasiment pas été pris en considération. Il a fallu attendre le dernier tiers du 19ème siècle, donc après la mort de Schopenhauer, pour assister à une réception de son œuvre d’une rare intensité. Schopenhauer a amorcé ses réflexions philosophiques à l’époque dite des « Biedermeier » en Allemagne ; dans sa jeunesse, il a encore connu Goethe. Sa mère, Johanna Schopenhauer, écrivait des romans et tenait un salon littéraire à Weimar. Sa célébrité posthume, Schopenhauer la doit au fait qu’il fut un contemporain de Richard Wagner, dont « L’Anneau des Nibelungen » avait été fortement imprégné par la pensée de notre philosophe. Il la doit également à Friedrich Nietzsche qui, dans ses « Considérations inactuelles », évoque « Schopenhauer comme éducateur » et fait l’éloge de sa « volonté de vérité » et de son pessimisme héroïque. C’est justement au départ de cette réflexion nietzschéenne sur Schopenhauer qu’un filon s’amorce en direction de la critique révolutionnaire/conservatrice du vingtième siècle. En effet, l’archétype du solitaire et du précepteur oisif, méprisant la politique, se repère dans le philosophe grognon des « Considération d’un apolitique » de Thomas Mann. Celui-ci reconnaît encore sa dette à l’endroit de Schopenhauer dans quelques-uns de ces récits, dont la nouvelle « Tobias Mindernickel », où il traite de l’éthique de notre philosophe.

    L’œuvre de Schopenhauer a eu un impact considérable sur des écrivains aussi importants que Hermann Hesse, Samuel Beckett et Thomas Bernhard. Dans l’univers des philosophes, l’impact a d’abord été moindre et ce sont, dans un premier temps, des figures marginales du monde universitaire du début du 20ème siècle qui se sont intéressées à lui : songeons à Georg Simmel et à Max Scheler qui, tous deux, font démarrer leurs réflexions à la suite de Schopenhauer. La plupart du temps, les philosophes universitaires l’ont considéré d’abord, et souvent à raison, comme un disciple original de Kant ou comme un précurseur de Nietzsche. Certes, il fut l’un des principaux précurseurs de Nietzsche mais il fut surtout l’une des principales figures anticipatrices de la psychanalyse. La réduction freudienne de la vie sentimentale à la pulsion sexuelle se retrouve, bien avant Freud, dans l’œuvre de Schopenhauer, et sans la moindre ambiguïté. Dans la conception schopenhauerienne de la volonté comme une puissance irrationnelle dépassant la conscience individuelle, nous trouvons les prémisses essentielles de l’inconscient collectif de Carl Gustav Jung.

    Schopenhauer nous a transmis aussi la sagesse indienne, ce qui ne fut pas le moindre de ses mérites. Le premier contact qu’il a eu avec l’univers mental indien date de 1813, lorsqu’il séjournait à Weimar et qu’il y rencontra pour la première fois l’orientaliste Friedrich Majer, disciple de Herder. Sous l’influence des études de Majer, Schopenhauer finit par se considérer comme « le premier bouddhiste d’Europe ». Ainsi débuta l’histoire d’une méprise créatrice, comparable à l’interprétation quiétiste de l’antiquité classique, dont on vantait « la noble simplicité et la grandeur tranquille ». Les conséquences de cette méprise résident surtout dans une interprétation fausse du bouddhisme comme nihilisme, un nihilisme qui reposerait sur une rétention vis-à-vis de tout agir et verrait le but le plus élevé de l’existence dans une immersion dans le « néant ». On a vu l’effet de cette mésinterprétation du bouddhisme sévir dans la décennie qui suivit la Grande Guerre, où régnait une ambiance de déclin, comme, plus tard, dans la vogue bouddhiste qui se retrouve en Occident jusque aujourd’hui.

    Petit bourgeois réactionnaire et ennemi des bourgeois étriqués

    Schopenhauer est lié à son temps quand il exprime son système philosophique basé sur la volonté ; il l’est également dans l’insouciance relative dont il fait montre à l’endroit de toute recherche empirique, ainsi que dans sa prétention à pouvoir présenter une interprétation générale du monde qui sera à jamais irréfutable. Mais les impulsions qui partent de son œuvre pour aboutir à notre temps sont fort nombreuses. Parmi elles : son « habitus » non académique de philosophe artiste et de littérateur. Il y a aussi son attitude ambivalente face à la classe bourgeoise : d’une part, Schopenhauer est très nettement un petit bourgeois réactionnaire qui méprise la période prérévolutionnaire d’avant 1848, le « Vormärz » ; d’autre part, en tant que demi bohémien, il est un ennemi de la mentalité bourgeoise étriquée (le « Spiessertum »), qui se manifeste surtout dans l’institution du mariage, cible de sarcasmes perpétuels pour ce misogyne grognon et animé par ses pulsions. Pour s’assurer un certain équilibre émotionnel, notre célibataire endurci s’est flanqué pendant toute sa vie d’un compagnon canin, un caniche : dès que l’un de ces animaux favoris mourrait, il s’en procurait un nouveau qu’il baptisait invariablement « Atman », comme tous ses prédécesseurs. Ce nom signifiait en sanskrit « souffle de vie » ou « âme individuelle », car, croyait-il, il y avait, actif, dans chaque caniche un seul et même principe de vie, le « Pudels Kern », le « noyau du caniche ».

    Arthur Schopenhauer meurt le 21 septembre 1860, comme un vieil original, peu célèbre et bizarre, à Francfort sur le Main, ville où, après ses années de pérégrination et d’études, il s’était fixé pour y passer la seconde moitié de sa vie. Quelques années après son passage de vie à trépas, Léon Tolstoï le nomme « le plus génial de tous les hommes ».

    Baal MÜLLER.

    (article paru dans « Junge Freiheit », Berlin, n°38/2010 ; http://www.jungefreiheit.de/ ).

    http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2010/10/01/schopenhauer-philosophe-de-la-volonte.html

  • Philosophie : un nouveau livre bienvenu

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    Celui qui s’intéresse aux changements de notre monde, qui nous affectent tous, doit s’intéresser à la politique.
    Celui qui s’intéresse à la politique doit s’intéresser à la philosophie car de celle-ci découle celle-là.
    Cet ouvrage d’initiation, complet et synthétique, mérite donc d’être signalé et sa sortie est une heureuse nouvelle.
    254 p. 20 €, Ed. des Cimes, disponible ici.

    4e de couverture :

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  • Le jugement

    Juger revient à établir un rapport entre deux notions. On peut par exemple juger les autres, ce qui peut paraître insupportable pour certains : « Un tel est un minable », « Telle femme est belle ou laide », « Un tel est un psychopathe ».

    Dans tout jugement il y a une part de création de vérité, d'affirmation de soi, d'engagement, ce qui peut s'opposer à l'humilité judéo-chrétienne : « Qui suis-je pour juger ? » (Pape François). On ne juge pas uniquement les autres, mais aussi tout objet, tout acte. En plus des jugements de valeurs et de faits (« le toit est gris »), existent les jugements de goûts (« telle œuvre est belle ou réussie »). Juger est en fin de compte lié à l'activité de penser. Penser, c'est juger. Penser est aussi dominer, car juger est aussi s'approprier le monde ou les autres.

    Kant

    Dans la critique du jugement (Urteil) Kant analyse le terme. En logique, tout énoncé relie deux concepts : le sujet et le prédicat. « Le mur est blanc » (S est P). Ce jugement peut être vrai ou faux. La critique du jugement analyse la raison en tant qu'elle a la faculté de porter des jugements.

    Dès que nous parlons nous jugeons. Le philosophe distingue les jugements analytiques et les jugements synthétiques.

    Il y a aussi les jugements a priori nécessaires et universels. Ils ne viennent pas de l'expérience. Ils conditionnent notre pensée comme les énoncés mathématiques. Les jugements empiriques viennent de l'expérience « la mer est bleue ».

    Un jugement est analytique lorsque le prédicat ne fait que dire ce qui est déjà dans sujet (« les corps sont étendus »). Dans la notion de corps se trouve déjà l'étendue.

    Dans le jugement synthétique, le prédicat ajoute quelque chose au sujet (« les corps sont pesants »).

    Pour Kant seuls les jugements synthétiques a priori sont « scientifiques ». Ils nous apprennent quelque chose tout en étant nécessaires et universels.

    Le philosophe dans « Critique de la raison pure » se pose la question : comment les jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? Il verra dans le sujet les formes a priori qui constituent l'objet.

    Les deux sources de la connaissance sont la sensibilité par laquelle les impressions sont reçues et l'entendement qui permet de les penser. Sans résumer ici la critique de la raison pure, l'espace et le temps sont les formes a priori de la sensibilité.

    La sensibilité est passive, l'entendement est une fonction active.

    Les formes a priori de la pensée sont appelées par Kant catégories de l'entendement. La catégorie capitale est celle de la causalité. Elle est a priori et ne provient pas de l'habitude à la différence de Hume. Les catégories a priori viendraient sans qu'il le dise de la structure de notre cerveau.

    Descartes - Spinoza

    Pour Descartes, le jugement est l'expression de ma liberté. C'est décider en face de l'existant en engageant sa responsabilité. Juger est prendre parti dans un monde qui peut sembler sans signification.

    Spinoza qui a critiqué l'idée de la liberté ne voit bien sûr dans le jugement aucun acte libre. Si j'ai l'idée d'un triangle et que je vois une forme géométrique qui a l'aspect d'un triangle, comment pourrais-je juger autrement ?

    « Nul, ayant une idée vraie, n 'ignore que l'idée vraie enveloppe la plus haute certitude ; avoir une idée vraie, en effet ne signifie rien, sinon connaître une chose parfaitement ou le mieux possible ; et certes, personne ne peut en douter, à moins de croire que l'idée est quelque chose de muet comme une peinture sur un panneau et non un mode de penser, savoir l'acte même de connaître ». (Spinoza - Ethique)

    L'erreur n'est qu'une connaissance mutilée et imparfaite pour Spinoza, à la différence de Descartes pour qui l'erreur nait d'un acte de volonté. On accorde son assentiment alors qu'il n'y a pas lieu de la donner à une idée confuse. À la différence de Descartes, Spinoza ne voit pas l'engagement du sujet dans le jugement.

    Jugement et croyance

    Saint Augustin avait déjà remarqué que la foi n'est pas limitée au religieux. Toute connaissance est aussi une croyance. Dans toute connaissance, il y a un pari, comme dans le pari de Pascal sur la foi.

    « Savoir, c 'est toujours engager le sujet dans l'objet, risquer une hypothèse, une idée dans les faits et y croire d'autant plus qu'elle explique davantage. Toute connaissance est un mixte de science et de foi, une croyance : croire est le propre de l'homme » (Jean Lacroix).

    « J'ai donc du supprimer le savoir pour y substituer la croyance » (Kant, Critique de la raison pure).

    L'acte de juger ne se limite pas au monde des idées. Juger est un acte social qui agit sur les êtres. Le psychiatre qui jugeant qu'un tel est fou, quels que soient les termes techniques à sa disposition, décide l'enfermement. Le juge au tribunal déclare un tel « coupable » ou « irresponsable ». Tel jugement sur une œuvre peut faire la gloire ou la ruine d'un artiste. L'homme politique juge parfois l'adversaire ou même l'ennemi. « Le Front National est le mal absolu » (Pierre Mauroy). Quelle métaphysique de la politique !

    Juger établit des relations entre les représentations, mais parfois à quel prix et avec quelle violence ? Le jugement des hommes avec ses effets autoréalisateurs peut parfois à juste titre faire peur.

     

    Patrice GROS-SUAUDEAU

  • Julius Evola : "Le troisième sexe"

    Nous avons précédemment considéré la constitution des individus à l’égard du sexe (leur « sexualisation », le degré différent de leur qualité homme ou femme) comme quelque chose de préformé et de stable. Or, il faut faire entrer en question le cas où, au contraire, certains changements deviennent possibles sous l’effet de processus régressifs, favorisés éventuellement par les conditions générales du milieu, de la société et de la civilisation.

    A titre de prémisse, il importe d’avoir une idée plus exacte du sexe, dans les termes suivants. Le fait qu’exceptionnellement seulement on soit homme ou femme à cent pour cent et qu’en chaque individu subsistent des résidus de l’autre sexe est en relation avec un autre fait, bien connu en biologie, à savoir que l’embryon n’est pas sexuellement différencié au début, qu’il présente à l’origine les caractéristiques des deux sexes. C’est un processus plus tardif (à ce qu’il paraît, il commence à partir du cinquième ou du sixième mois de la gestation) qui produit la « sexualisation » : alors les caractéristiques d’un sexe vont prévaloir et se développer toujours plus, celles de l’autre sexe s’atrophiant ou passant à l’état latent (dans le domaine purement somatique, on a comme résidus de l’autre sexe les mamelons chez l’homme, et le clitoris chez la femme). Ainsi, lorsque le développement est accompli, le sexe d’un individu masculin ou féminin doit être considéré comme l’effet d’une force prédominante qui imprime son propre sceau, tandis qu’elle neutralise et exclut les possibilités originellement coexistantes de l’autre sexe, spécialement dans le domaine corporel, physiologique (dans le domaine psychique, la marge d’oscillation peut être beaucoup plus grande). Or, il est permis de penser que ce pouvoir dominant dont dépend la sexualisation s’affaiblisse par régression. Alors, de même que politiquement, par suite de l’affaiblissement dans la société de toute autorité centrale, les forces d’en bas, jusqu’alors freinées, peuvent se libérer et réapparaître, de même on peut vérifier chez l’individu une émergence des caractères latents de l’autre sexe et, par conséquent, une bisexualité tendancielle. On se trouvera donc de nouveau face à la condition du « troisième sexe », et il est évident qu’un terrain particulièrement favorable au phénomène homosexuel sera présent. La condition, c’est un fléchissement intérieur, un affaiblissement de la « forme intérieure » ou, mieux, du pouvoir qui donne forme et qui ne se manifeste pas seulement dans la sexualité, mais aussi dans le caractère, dans la personnalité, dans le fait d’avoir, en règle générale, un « visage précis ». On peut alors comprendre pourquoi le développement de l’homosexualité même parmi les couches populaires et éventuellement sous des formes endémiques est un signe des temps, un phénomène qui rentre logiquement dans l’ensemble des phénomènes qui font que le monde moderne se présente comme un monde régressif.

    Dans une société égalitaire et démocratisée (au sens large du terme), dans une société où n’existent plus ni castes, ni classes fonctionnelles organiques, ni Ordres ; dans une société où la « culture » est quelque chose de nivelé, d’extrinsèque, d’utilitaire, et où la tradition a cessé d’être une force formatrice et vivante ; dans une société où le pindarique « Sois toi-même » est devenu une phrase vide de sens ; dans une société où avoir du caractère vaut comme un luxe que seul l’imbécile peut se permettre, tandis que la faiblesse intérieure est la norme ; dans une société, enfin, où l’on a confondu ce qui peut être audessus des différences de race, de peuple et de nation avec ce qui est effectivement en dessous de tout cela et qui a donc un caractère informel et hybride – dans une telle société agissent des forces qui, à la longue, ne peuvent pas ne pas avoir d’incidence sur la constitution même des individus, avec pour effet de frapper tout ce qui est typique et différencié, jusque dans le domaine psychophysique. La « démocratie » n’est pas un simple état de fart politique et -social ; c’est un climat général qui finit pas avoir des conséquences régressives sur le plan existentiel. Dans le domaine particulier des sexes, peut sans doute être favorisé ce fléchissement inférieur, cet affaiblissement du pouvoir intérieur sexualisateur qui, nous l’avons dit est la condition de la formation et de la propagation du « troisième sexe » et, avec lui, de nombreux cas d’homosexualité, selon ce que les moeurs actuelles nous présentent d’une façon qui ne peut pas ne pas frapper. D’un autre côté, on a pour conséquence la banalisation et la barbarisation visibles des relations sexuelles normales entre les jeunes des dernières Générations (à cause de la tension moindre due à une polarité amoindrie). Même certains phénomènes étranges qui, à ce qu’il semble, étaient très rares précédemment, ceux du changement de sexe sur le plan physique – des hommes qui deviennent somatiquement des femmes, ou vice-versa -, nous sommes portés à les considérer selon la même grille et à les ramener à des causes identiques : c’est comme si les potentialités de l’autre sexe contenues en chacun avaient acquis, dans le climat général actuel, une exceptionnelle possibilité de réapparition et d’activation à cause de l’affaiblissement de la force centrale qui, même sur le plan biologique, définit le « type », jusqu’à saper et à changer le sexe de la naissance.

    Dans tout ce que nous avons pu dire de convaincant jusqu’ici, il faut seulement enregistrer un signe des temps et reconnaître l’inanité complète de toute mesure répressive à base sociale, moraliste et conformiste. On ne peut pas retenir du sable qui glisse entre les doigts, quelle que soit la peine qu’on veuille se donner. Il faudrait plutôt revenir au plan des causes premières, d’où tout le reste, dans les différents domaines, y compris celui des phénomènes considérés ici, n’est qu’une conséquence et agir sur ce plan, y produire un changement essentiel. Mais cela revient à dire que le commencement de tout devrait être le dépassement de la civilisation et de la société actuelles, la restauration d’un type d’organisation sociale différencié, organique, bien articulé grâce à l’intervention d’une force centrale vivante et formatrice. Or une perspective de ce genre ressemble toujours plus à une pure utopie, parce que c’est dans la direction exactement opposée que va aujourd’hui le « progrès », dans tous les domaines. A ceux qui, intérieurement, n’appartiennent pas et ne veulent pas appartenir à ce monde il reste donc seulement à constater des rapports généraux de cause à effet qui échappent à la bêtise de nos contemporains et à contempler avec tranquillité toutes les excroissances qui, selon une logique bien reconnaissable, fleurissent sur le sol d’un monde en pleine décomposition.

    Julius Evola, L’Arc et la Massue, chapitre III (1968).

    http://la-dissidence.org/2014/04/03/julius-evola-le-troisieme-sexe/

  • Jean-François Mattéi : la philosophie en deuil

    par Hilaire de Crémiers

    Né en 1941 à Oran, en Algérie, ancien élève de Pierre Boutang, philosophe de haute volée, notre ami Jean-François Mattéi est décédé le 24 mars dernier à Marseille.

     

    La philosophie est en deuil. Jean-François Mattéi est décédé. Il a été enlevé à cette terre soudainement le 24 mars dernier. Nous ne verrons plus son visage si fin qui respirait l’intelligence. Ce pied-noir qui n’avait rien renié de ses origines, aimait le soleil et détenait dans le secret de son être quelque mystère solaire. Pudique et discret, seuls ses amis qui étaient favorisés de sa lumineuse conversation décelaient dans sa personnalité une transcendance qui l’apparentait à ces sortes de demi-dieux de l’Antiquité qu’étaient les philosophes. Il en était un ; il avait une longue familiarité avec eux, ce qui ne l’empêchait pas d’aimer la musique, le piano, le jazz et la vie.

    Il côtoyait Platon qu’il lisait dans le texte. La philosophie grecque, la vraie, pas celle des sophistes, dès les pré-socratiques s’est posée, en quelque sorte définie, par rapport à l’Être et donc au Non-Être. Abîme de pensée dont toute pensée est sortie, de même que dans la Bible Dieu se définit comme Celui qui est, source de tout être. [...]

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