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plus ou moins philo - Page 28

  • La pensée de Descartes

    La pensée d'Aristote s'étant imposée pendant près de deux millénaires, il a fallu Descartes pour remettre en question l'autorité, la tradition aristotéliciennes. En doutant de tout, le philosophe français se situe dans le courant du scepticisme de Pyrrhon.
    « Le scepticisme, c'est la faculté d'opposer les apparences (ou phénomènes) et les concepts de toutes les manières possibles ; de là nous en arriverons à cause de la force égale des choses et des raisons opposées d'abord à la retenue du jugement, puis à l'ataraxie ». Descartes suspend donc son jugement (épochè) mais à la différence du scepticisme pour rechercher la certitude.
    Husserl aura une démarche semblable.
    De son doute méthodique, hyperbolique, il met entre parenthèses le monde sensible, notre entendement et tout ce qu'ont légué nos prédécesseurs. De façon toute platonicienne, il existe pour lui un monde intelligible dont la langue est celle des mathématiques comme l'avait postulé Galilée. Il donnera aussi une méthode pour accéder à la Vérité en faisant l'apologie de la Raison dont les deux vecteurs principaux seront l'intuition et la déduction. Cette raison mathématico-scientifique qui ramène la nature à une étendue géométrique inerte sera pour Heidegger un appauvrissement de l’Être.
    « La métaphysique moderne entière, Nietzsche y compris, se maintiendra dorénavant à l'interprétation de l'étant et de la vérité initiée par Descartes. » (Heidegger, Chemins qui ne mènent nulle part)
    Le discours de la méthode
    Ce livre est le plus connu de toute l'œuvre de Descartes. Il a été écrit en français, alors que le latin était le langage des clercs. Le philosophe a fait ce choix pour qu'il soit accessible au plus grand nombre (même les femmes). Il commence par cette phrase devenue célébrissime : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils n'en ont. »
    Si chacun possède le bon sens, tous les hommes doivent donc penser par eux-mêmes.
    Descartes se soumet à l'évidence. Le philosophe prônera l'unité de sciences.
    « Il faut bien se convaincre que toutes les sciences sont tellement liées ensemble qu'il est plus facile de les apprendre toutes à la fois que d'en isoler une des autres. Si quelqu'un veut chercher sérieusement la vérité, il ne doit donc pas choisir l'étude de quelque science particulière ... »
    On a là une attaque contre la scolastique inspirée d'Aristote. Descartes énonce les préceptes pour connaître la Vérité :
    « Le premier était de ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; ... »
    « Le second de diviser chacune des difficultés que j'examinerais en autant de parcelles qu'il se pourrait et qu 'il serait requis pour les mieux résoudre. »
    « Le troisième de conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaître, pour monter peu à peu comme par degrés, jusqu 'à la connaissance des plus composés ; .... »
    « Et le dernier, de faire partout des dénombrements si entiers, et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre. »
    Si Descartes a écrit « larvatus prodeo » (j'avance masqué), phrase liée à un contexte de pensée réprimée par le pouvoir, son projet pratique sera de développer des « connaissances utiles à la vie » et nous rendre « comme maitres et possesseurs de la nature ».
    Les méditations
    Le titre du livre est quasiment religieux. Husserl reprendra ce terme pour écrire : « Méditations cartésiennes ».
    Dans les méditations, le doute cartésien est porté au paroxysme. Descartes doute de tout pour arriver à la certitude. Le philosophe suppose qu'un être tout puissant chercherait à le tromper (le malin génie). « Il est de la prudence de ne se fier jamais entièrement à ceux qui nous ont une fois trompés. ».
    Du doute, Descartes en déduit le cogito. « Je doute, je pense donc je suis » (Ego cogito, ergo sum).
    « Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n'y a donc point de doute que je suis, s'il me trompe ; et qu'il me trompe tant qu'il voudra, il ne saurait faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu'après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure et tenir pour constant cette proposition : je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je le prononce, ou que je la conçois en mon esprit. » (Méditations)
    Le morceau de cire
    Ce passage très célèbre de Descartes dans les méditations a donné cours à de nombreux commentaires parfois très critiques. L'étendue constitue l'essence de tout corps.
    « Prenons pour exemple ce morceau de cire qui vient d'être tiré de la ruche : il n'a pas encore perdu la douceur du miel qu'il contenait ; il retient encore quelque chose de l'odeur des fleurs dont il a été recueilli ; sa couleur, sa figure, sa grandeur sont apparentes ; .... Mais voici que, cependant que je parle, on l'approche du feu : ce qui y restait de saveur s'exhale, l'odeur s'évanouit, sa couleur se change, sa figure se perd... La même cire demeure-t-elle après ce changement ? Il faut avouer qu'elle demeure, et personne ne peut le nier. »
    Les qualités sensibles ont disparu pour ne laisser place qu'à l'étendue (idée intellectuelle).
    Cette séparation entre nature spatiale et qualités sensibles sera différemment interprétée. L'entendement dépasserait l'imagination et les sensations. La phénoménologie critiquera fortement cette vision cartésienne.
    Le langage
    Pour Descartes, le langage est le propre de l'homme. L'homme possède le langage car il pense et raisonne. Cela le distingue donc des autres animaux.
    « Ainsi toutes les choses qu'on fait faire aux chiens, aux chevaux et aux singes, ne sont que des mouvements de leur crainte, de leur espérance, ou de leur joie, en sorte qu'ils les peuvent faire sans aucune pensée. Or il est, ce me semble fort remarquable que la parole étant ainsi définie, ne convient qu'à l’homme seul. » (Descartes)
    De plus, les mots ne ressemblent pas aux choses.
    « Vous savez bien que les paroles, n'ayant aucune ressemblance avec les choses qu'elles signifient, ne laissent pas de nous les faire concevoir, et souvent même sans que nous prenions garde au son des mots, ni à leurs syllabes, en sorte qu'il peut arriver qu'après avoir oui un discours, dont nous aurons fort bien compris le sens, nous ne pourrions pas dire en quelle langue il aura été prononcé. »
    La morale
    Si Descartes remet tout en question sur la connaissance de la nature, il sera très prudent sur la morale à la différence d'un Spinoza ou encore plus d'un Nietzsche qui n'hésitera pas à écrire « Je suis une dynamite ». Le philosophe français ne cherchait pas à réformer la société. S'attaquer à la morale, donc à la religion, n'était pas sans risque. Il s'en tiendra donc à une morale « par provision » semblable à celle de Montaigne.
    « Je me formai une morale par provision qui ne consistait qu'en trois ou quatre maximes dont je veux bien vous faire part.
    La première était d'obéir aux lois et aux coutumes de mon pays, retenant constamment la religion en laquelle Dieu m'a fait la grâce d'être instruit dès mon enfance...
    Ma seconde maxime était d'être le plus ferme et le plus résolu en mes actions que je pouvais...
    Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l'ordre du monde... »
    Il y a presque un fatalisme social chez Descartes. Sur le plan politique et social, Descartes accepte l'ordre établi.
    Au delà du cartésianisme
    « Descartes inutile et incertain » a écrit Pascal. Contre la raison à laquelle on associe le qualitatif desséchante, Pascal a réintroduit le cœur.
    « Le cartésianisme a été dans l'histoire moderne le péché français. » (J. Maritain)
    Il est vrai que la philosophie moderne a versé dans l'anti cartésianisme. La croyance en l'objectivité semble de nos jours bien naïve. Tout jugement est lié à un contexte, des attentes, des intérêts plus ou moins masqués. La psychologie, l'historicité sont indissociables à toute compréhension du monde. D'une Vérité Unique on est passé à des vérités multiples jusqu'à même une méfiance envers l'idée de Vérité, surtout lorsqu'elle se veut politique ou religieuse. L'adéquation entre clarté et vérité s'appelle de nos jours simplisme. La domination de la nature par l'homme sera critiquée par des philosophes aussi différents que Heidegger ou Feyerabend et par toute une pensée écologiste.
    Patrice GROS-SUAUDEAU

  • Critique de l’individualisme

    Si l’’idée de société semble encore une abstraction de notre intelligence, c’’est surtout en vertu de l’’ancien régime philosophique ; car, à vrai dire, c’’est à l’’idée d’’individu qu’’appartient un tel caractère, du moins chez notre espèce. L’’ensemble de la nouvelle philosophie tendra toujours à faire ressortir, aussi bien dans la vie active que dans la vie spéculative, la liaison de chacun à tous, sous une foule d’’aspects divers, de manière à rendre involontairement familier le sentiment intime de la solidarité sociale, convenablement étendue à tous les temps et à tous les lieux. Non seulement l’’active recherche du bien public sera sans cesse représentée comme le mode le plus propre à assurer communément le bonheur privé : mais, par une influence à la fois plus directe et plus pure, finalement plus efficace, le plus complet exercice possible des penchants généreux deviendra la principale source de fait de la félicité personnelle, quand même il ne devrait procurer exceptionnellement d’’autre récompense qu’’une inévitable satisfaction intérieure.
    Auguste COMTE, Discours sur l’’esprit positif (1844)
    Auguste Comte aura été l’’un des grands inspirateurs de Charles Maurras et d’’autres penseurs de l’’Action française au premier rang desquels on trouve Léon de Montesquiou. Le premier lui a consacré un long et beau et portrait (1) ; le second, plusieurs ouvrages (2) reprenant des conférences données à l’’Institut d’’Action française. Le texte ici introduit permettra d’’expliquer une des raisons majeures de l’’influence qu’’aura exercée le fondateur du positivisme sur la pensée nationale : sa critique de l’’individualisme. Mais on s’’interrogera aussi pour savoir si l’’ample projet comtien, qui affleure dans ce même texte, ne dépasse pas les visées, sans doute plus modestes et mesurées, de l’’Action française.
    Le christianisme individualiste ?
    Commençons par quelques précisions de vocabulaire et de doctrine, l’’un et l’’autre très précis chez Comte. “ « L’’ancien régime philosophique »” désigne soit l’”’état théologique”, propre au Moyen-Âge, soit l’” « ’état métaphysique »” dont les penseurs des Lumières furent l’’acmé –- qui en constitua la dissolution “mentale” et “sociale”. Sachons que Comte valorise toujours fortement le premier par rapport au second (3), considéré comme anarchique et destructeur de la société organique. Cependant, il n’’en affirme pas moins qu’’en dernière instance, la pensée théologique est “essentiellement individuelle, et jamais directement collective”.
    En effet, ajoute-t-il dans le même Discours : « Aux yeux de la foi, surtout monothéïque (sic), la vie sociale n’’existe pas, à défaut d’’un but qui lui soit propre ; la société humaine ne peut alors offrir immédiatement qu’’une simple agglomération d’’individus, dont la réunion est presque aussi fortuite que passagère et qui, occupés chacun de son seul salut, ne conçoivent la participation à celui d’’autrui que comme un puissant moyen de mieux mériter le leur, en obéissant aux prescriptions suprêmes qui en ont imposé l’’obligation. »
    La critique de Comte est pour le moins excessive et trouve son origine probable dans son absence totale de foi personnelle et d’’expérience proprement ecclésiale ; or, l’’Église – l’’ekklesia – n’’est-elle pas, par nature, une communauté et n’’en acquiert-elle pas dès lors et le sens (sensus societatis) et, si l’’on peut dire, la logique ? Le Royaume de Dieu” n’’est-il pas lui-même une société céleste ? Il reste cependant que, pour l’’Église, chacun homme a bien une âme (à sauver) et que, sous ce rapport, tout individu existe concrètement et est détenteur d’une valeur insigne.
    Favoriser la sociabilité
    Pour autant, Comte a raison d’’affirmer que, d’un point de vue proprement politique, ce dernier serait plutôt une abstraction par rapport à la “société”. Maurras reprochera de même à l’’individualisme libéral, non pas tant finalement de valoriser l’’individu (les dirigeants d’’Action française n’’étaient-ils pas de belles et fortes personnalités, libres et créatrices !) que d’’ignorer le fait que ce “sujet autonome” et souvent plein d’’enflure est un héritier ; que son efflorescence a pour condition le capital d’’une civilisation qui, par nature, présente un caractère collectif ; et qu’’il est dès lors interdit à ce même individu qui voudrait se faire la mesure de tout de se privilégier absolument – tant pour son propre intérêt bien compris que pour des raisons d’’ordre moral.
    Mais revenons à Comte : sa “nouvelle philosophie” politique consistera, mieux que le catholicisme pense-t-il, à favoriser ce qu’’il appelle ailleurs les « sentiments sympathiques » et ici les “ « penchants généreux »”. Comment ? En montrant de façon “systématique à quel point les hommes sont liés” aussi bien dans “tous les lieux” (c’’est-à-dire dans les différents groupes humains) que dans le “temps”, c’’est-à-dire à travers l’’Histoire. D’’où son concept majeur d’”’Humanité” (ou “Grand Être") qui, loin d’’être celui, abstrait, d’’une essence (cf. Aristote) ou de "droits" postulés ou reconnus dans tous les individus humains, affirme le grand fait “social”, aussi essentiel que méconnu à ses yeux, d’une liaison organique et prolongée entre les générations successives, dont les inévitables progrès mentaux ou sociaux sont communs et affectent tous les “individus” : des individus que l’’on peut, mais dans un second temps seulement, abstraire en son sein.
    Ceci étant compris et popularisé, Comte pense et espère que chacun trouvera effectivement son bonheur privé” dans la « “recherche du bien public »” et sa “félicité personnelle” dans l’”’exercice des penchants généreux”.
    Pour une religion de l’’Humanité ?
    Admirable vision ! Noble projet ! Nous avons dit combien nos maîtres y ont été sensibles. Leur intelligence nationale y a trouvé de nouvelles ou d’’autres raisons d’”’apprécier” (au sens comtien du terme) un patrimoine commun, de dépasser la fausse évidence libérale du primat absolu de l’’individu, et de chercher les moyens de garantir le premier en lui donnant le régime propre à le conserver et à l’’accroître d’avantage. Et leur cœœur a été ému de la belle âme d’’Auguste Comte. Mais il reste que les moyens trouvés par l’”’empirisme organisateur” n’’étaient pas ceux de ce dernier : nulle “ « nouvelle philosophie »”, prétendument “finale”, n’’était proposée -– tout juste une nouvelle manière de considérer organiquement la “société” et les lois de sa prospérité, d’’une part, et une fidélité maintenue à l’”’Église de l’’ordre” et à sa doctrine sociale, d’’autre part.
    De même, le royalisme d’’Action française ne cherche-t-il pas à promouvoir d’’emblée une “ « régénération »”, laquelle doit plutôt résulter d’’un régime enfin remis à l’’endroit et d’’institutions adéquates que du magistère d’’un nouveau principe spirituel dont Comte lui-même serait le “Grand Prêtre”...
    Francis Venant L’’Action Française 2000– du 18 au 31 janvier 2007
    (1) Paru dans la seconde partie de L’’avenir de l’’intelligence ; repris dans L’’allée des philosophes (Œœuvres capitales, 1954, vol. III, pp. 459-504).
    (2) Notamment : Le système politique d’’Auguste Comte (Paris, 1910) dont nous avons fait état dans le Trésor de l’’Action française, Paris, 2006, pp.113-115 ; Auguste Comte : Quelques principes de conservation sociale (Paris, 1911) ; Les consécrations positivistes de la vie humaine (Paris, 1913).
    (3) Pour autant, Comte estimait que l’’état théologique, historiquement nécessaire mais actuellement dépassé devait disparaître. La Révolution accomplit cette bonne œœuvre dans une première phase ; depuis, elle prolonge un état critique abusif, incapable de rien fonder, et “inorganique”. Sous ce rapport, la société du Moyen-Âge est un meilleur modèle pour la société future.

  • Cancer de l’assistanat ? Non, de la pauvreté

    Bonnets rouges des Bretons en colère, plans sociaux en rafale, palinodies fiscales en cascade, cafouillages gouvernementaux, plans sur la comète d’un éventuel remaniement, sondages toujours plus abyssaux pour le chef de l’État (21% de confiance dans le dernier baromètre de TNS-Sofres), sans parler des ignobles injures racistes à l’encontre de la ministre de la justice, Christiane Taubira : l’actualité nationale est plongée dans un maelström que plus personne ne semble capable de maîtriser.

    Au point d’effacer, dans l’instant même où elles apparaissent, les images les plus fortes. Celle par exemple – c’était le 10 octobre… autant dire une éternité -, de cette chômeuse mulhousienne, Isabelle Maurer, qui cloua littéralement sur son siège Jean-François Copé, lors de l’émission « Des paroles et des actes » de France 2. En dix minutes – avec l’énergie non pas du désespoir mais de la dignité -, elle raconta cinquante ans de galères, de précarité, de rage de s’en sortir avec les 470 euros par mois du RSA et de maigres petits boulots. En dix minutes saisissantes, elle fit entendre la voix des « pauvres », contre tous ceux qui les accusent de vivre en assistés, aux crochets des aides publiques : « On survit avec le peu qu’on ose nous donner. Bientôt, on pourra plus se payer un morceau de savon pour se laver, et faut encore que je dise merci ! »

    Les pauvres ? L’Observatoire des inégalités vient de leur consacrer une note qui, derrière la sécheresse des chiffres, dresse le profil de cette France taraudée par l’angoisse du lendemain.

    En 2011, l’on comptait 4,9 millions de pauvres, soit 8 % de la population, si l’on retient le seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian (soit 814 euros mensuels pour une personne seule ou 1 709 euros pour un couple avec deux enfants). Mais ce chiffre double pratiquement quand on retient le seuil de 60 % du revenu médian (977 euros de revenus mensuels pour une personne seule, 2 052 euros pour un couple avec deux enfants) : dans ce cas, l’on compte 8,8 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, soit 14,4 % de la population.

     

    Quel que soit le seuil retenu, ces chiffres confirment, selon cet observatoire, le « changement historique » enregistré depuis une dizaine d’années : si la pauvreté avait baissé entre les années 1970 et la fin des années 1990, elle est nettement repartie à la hausse depuis, et en particulier depuis 2008 : « Entre 2002 et 2011, le nombre de personnes pauvres au seuil de 50 % a augmenté de 1,2 million (+ 31 %) et le nombre au seuil de 60 % a progressé de 1,3 million (+ 18 %). »

    Encore ces chiffres ne couvrent-ils pas les années 2012 et 2013. Or, elles n’ont pu qu’accentuer la tendance si l’on tient compte de la forte crue du chômage depuis deux ans. A titre indicatif, le nombre des chômeurs de longue durée (plus d’un an) qui viennent le plus souvent grossir les rangs des pauvres, a dépassé 2,1 millions de personnes en septembre 2013, en progression de 14 % en un an…

    Double peine

    Tel est l’état des lieux, accablant dans un pays certes en sérieuse difficulté, mais qui reste l’un des plus riches du monde. D’autant plus accablant même qu’il n’empêche pas certains à droite (et des médias prompts à leur emboîter le pas) de dénoncer le « cancer de l’assistanat », voire les pauvres eux-mêmes.

    C’est tout l’intérêt d’un petit ouvrage réalisé par ATD Quart Monde (En finir avec les idées fausses sur les pauvres et la pauvreté, Les Éditions de l’Atelier, 188 p., 5 €) de répliquer aux dizaines de poncifs en vogue.

    « Les pauvres font tout pour profiter au maximum des aides » ? Faux. Un grand nombre des personnes éligibles aux différentes aides n’en font pas la demande : 50 % pour le RSA, 68 % pour le tarif de première nécessité d’EDF, 50 % à 70 % pour les tarifs sociaux dans les transports urbains… « Les pauvres sont des fraudeurs ». Faux.

    Pour 60 millions d’euros de fraude au RSA détectés en 2009, l’on comptait plus de 200 millions de travail non déclaré par les entreprises, 370 millions de fraude douanière et 2,5 milliards de fraude fiscale détectée… « Les pauvres ne paient pas d’impôts ». Encore faux. S’ils échappent à l’impôt sur le revenu, ils sont soumis à la plupart des autres, notamment la TVA et la CSG ; le taux d’imposition des 10 % de Français les moins riches est d’environ 40 %. « On peut gagner plus avec le RSA qu’avec le SMIC ». Toujours faux. Exemples précis à l’appui, ATD Quart Monde démontre que « si l’on galère avec le SMIC, on galère encore plus avec le RSA ».

    Dans son dernier ouvrage (Cela devient cher d’être pauvre, Stock, 212 p., 12,5 €), Martin Hirsch y ajoute une autre dimension. L’ancien haut-commissaire aux solidarités actives démonte minutieusement le mécanisme de la « double peine » dont sont victimes les plus modestes : non seulement la part de leur budget consacrée aux dépenses contraintes (logement, chauffage, téléphone, assurance…) a pratiquement doublé en vingt-cinq ans, mais ils payent ces dépenses plus cher que la majorité de la population ; le montant de ces surcoûts, particulièrement marqués pour la santé et le crédit, « représente 6 % à 8 % des revenus des ménages les plus pauvres », selon M. Hirsch.

    Et il conclut : « Au-delà de la question morale que posent les conditions de vie des plus modestes, l’aggravation de la pauvreté est une menace pour la cohésion de la société tout entière. Les signes avant-coureurs du point de rupture sont le populisme, le pessimisme et l’intolérance. » Nous n’en sommes pas loin.

    Le Monde

    http://fortune.fdesouche.com/332231-cancer-de-lassistanat-non-de-la-pauvrete#more-332231

  • « L’Immigration coûte cher à la France. Qu’en pensent les économistes ? » de Xavier Chojnicki et de Lionel Ragot

    Coût de l’immigration : les mensonges des « experts »
    « Qu’en pensent les économistes ? » est une collection de livres publiés par le journal « Les Echos », propriété de l’oligarque Bernard Arnault (LVMH). L’objectif est simple : défendre un point de vue politiquement correct (et correspondant aux intérêts financiers) en lui donnant les couleurs de « l’expertise ». « L’immigration coûte cher à la France. Qu’en pensent les économistes ? » de Xavier Chojnicki et de Lionel Ragot illustre à merveille cette méthode. Le livre, devenu référence des milieux médiatiques, sous-estime systématiquement le nombre des immigrés et le surcoût de l’immigration, en particulier en matière d’insécurité et de fraude sociale. Il ne prend pas non plus correctement en compte les charges que l’immigration impose aux collectivités territoriales et que les départements d’accueil des familles Dibrani sont en mesure d’apprécier. Expert-comptable, consultant de Polémia, André Posokhow se livre à une analyse serrée de l’étude de Xavier Chojnicki. Nous en publions une brève présentation ainsi qu’une version plus complète en PDF.
    Polémia
    Les ambiguïtés et les erreurs de la gloire médiatique du livre de Xavier Chojnicki  et de Lionel Ragot :
    « L’Immigration coûte cher à la France. Qu’en pensent les économistes ? »
    Un livre qui annonce que l’immigration rapporte à la France et qui a fait le miel des médias.
    Les auteurs n’ont pas traité leur sujet
    En 2012, Xavier Chojnicki et Lionel Ragot ont fait paraître un livre L’Immigration coûte cher à la France. Qu’en pensent les économistes ? à la suite de plusieurs études sur l’immigration dont une, en 2010, qui leur a été commandée par trois ministères.
    Après avoir rappelé leurs conceptions arithmétiques de l’immigration,  Xavier Chojnicki et son équipe répondent à l’idée que les immigrés tirent les salaires vers le bas et prennent l’emploi des Français. Ils évaluent leur contribution nette budgétaire positive sur une base statique et selon la méthode dynamique de la « comptabilité générationnelle ». Enfin, ils réfutent le concept de politique d’immigration.
    Les médias ont d’abord accueilli avec enthousiasme le résultat chiffré de l’étude de 2010 qui annonçait une contribution budgétaire nette positive de 12Md€. Or, deux ans après, le livre réduisait ce solde positif à 3,9Md€ sans qu’une explication claire soit donnée. Les médias se sont faits beaucoup plus discrets sur cette correction majeure des travaux de l’équipe de Lille.
    Ce livre a eu un retentissement certain. Depuis, la simple évocation du problème du poids financier que pourrait représenter l’immigration sur les finances publiques provoque une réaction immédiate du type « toutes les analyses économiques redémontrent une évidence : l’immigration rapporte plus qu’elle ne coûte. L’immigration n’est pas un poids (…) ».
    Pourtant, des protestations se sont exprimées. Notamment Jean-Paul Gourévitch et Yves-Marie Laulan sont intervenus dans les médias et sur le site de Polémia pour présenter des arguments contraires. Rappelons également que l’étude Polémia de mai 2013 a abouti à un coût annuel de l’immigration de 84Md€ pour les finances publiques.
    Des conclusions du livre ont été dédaignées par des médias partiaux et politiquement corrects
    D’une manière symptomatique les médias se sont abstenus de relever que les auteurs ont confirmé un certain nombre de constats bien connus.
    Ils reconnaissent qu’en plus de la perspective de revenus « la protection sociale doit dans tous les cas être intégrée à l’analyse des motifs de migration ». Celle-ci constitue une sécurité face aux risques d’un projet de migration et un élément d’attraction.
    Ils soulignent la surreprésentation des immigrés pour certains risques de la protection sociale : RMI puis RSA, chômage, logement, famille.
    Ils se trouvent en phase avec Michèle Tribalat  pour noter que l’intégration de nouvelles générations d’immigrés « rencontre aujourd’hui de réelles difficultés qui ne doivent pas être occultées ».
    Enfin, ils s’élèvent contre la loi de 2006 relative à une politique d’immigration guidée par les besoins économiques de la France et étendent leur propos à une démonstration généralisée de l’inanité de toute politique d’immigration. Indirectement c’est un jugement très négatif qui est porté sur l’immigration telle que nous la vivons et que les auteurs remettent en cause.
    Des choix de méthodes contestables
    • Les médias ont oublié les prudences de Xavier Chojnicki.
    Xavier Chojnicki écrit : « Cela dit, ne nous trompons pas sur le résultat obtenu (contribution nette positive de 3,9Md€). Certes, il montre que l’immigration ne constitue pas un coût pour le budget des administrations publiques mais il ne nous autorise pas pour autant à affirmer que l’immigration constitue une aubaine. Le solde est bien positif pour 2005, mais d’un montant extrêmement faible (moins de 0,5% de PIB). De plus, rien ne nous empêche d’envisager que la même méthode appliquée à des données d’une autre année puisse aboutir à un solde légèrement négatif. »
    Il est regrettable que les commentateurs des médias n’aient pas tenu compte de ces lignes restrictives du livre de Xavier Chojnicki.
    • Un Français qui sort et un immigré qui entre ce n’est pas la même chose.
    Affirmer que la France est un pays d’immigration relativement modérée sur la base d’un solde migratoire de 75.000 personnes revient à assimiler l’émigration des Français autochtones aux flux de retour d’immigrés et à ne pas tenir compte de l’immigration irrégulière. Il s’agit, au moins, d’une erreur, au pire, d’une tromperie.
    • Une comparaison scandaleuse.
    Pour argumenter la faible influence de l’immigration sur le chômage, Xavier Chojnicki rappelle la flexibilité d’un marché théorique du travail mais oublie qu’avec 3 millions de chômeurs le marché du travail français est largement bloqué. Il établit d’une manière scandaleuse une comparaison entre l’immigration actuelle et l’arrivée au début des années 1960 des Pieds noirs qui, eux, étaient des Français et s’intégrèrent rapidement au marché du travail qui à l’époque ne demandait que ça.
    • La sous-estimation ou l’oubli de nombreuses dépenses, dont celles de la sécurité et de la fraude sociale et fiscale.
    L’autre lacune, grave aux yeux de plusieurs observateurs, est d’avoir borné l’examen individualisé des dépenses aux prestations à caractère social dont certaines, comme la santé ou l’éducation, apparaissent comme significativement sous-évaluées. Les autres coûts budgétaires sont répartis au prorata de leur pourcentage de la population française, soit environ 8%, ce qui aboutit à une sous-estimation pour deux raisons : la faiblesse de ce taux, tout d’abord, et le poids de l’immigration dans certaines de ces dépenses, comme l’insécurité ou la fraude sociale, qui est proportionnellement nettement plus élevé.
    • Il existe d’énormes réserves d’activité dans la population française.
    Enfin, les auteurs reprennent le mantra répété ad nauseam des immigrés qui prennent les emplois dont les Français ne veulent pas. Or de nombreuses voix autorisées en France comme en Angleterre ou les Etats-Unis contestent ce point de vue. C’est le démographe Hervé Le Bras, pourtant peu réputé pour être un adversaire de l’immigration, qui s’interroge : « Est-ce que l’immigration est nécessaire à l’économie française dans les années à venir ? » « Réponse : non ! […] Parce qu’il y a d’énormes réserves d’activité dans la population française » : femmes, jeunes, chômeurs natifs, seniors, etc.
    • Des données statistiques anciennes.
    Les données statistiques auxquelles se réfèrent les auteurs ne sont dans l’ensemble pas récentes : à titre d’exemple, la date de référence des travaux est l’année 2005.
    • L’oubli de la deuxième génération et la sous-estimation du nombre d’immigrés.
    Les auteurs ne prennent en compte que les immigrés directs au nombre de 5,2 millions et écartent de leurs calculs leurs descendants, c’est-à-dire la deuxième génération et les immigrés clandestins dont le flux est pourtant significatif. Ainsi la population qui sert de base aux évaluations est nettement plus restreinte que la réalité de la présence de l’immigration en France qui est estimée généralement entre 10 et 12 millions de personnes. Pourtant Xavier Chojnicki n’ignore pas celle-ci puisqu’il l’estime dans son livre à 20% de la population vivant en France.
    L’ambiguïté entre l’immigration et une population immigrée est-elle volontaire ? En tout cas Xavier Chojnicki n’a pas traité le sujet de son livre.
    L’immigration, ce n’est pas seulement les immigrés tels que définis par Xavier Chojnicki, à savoir les individus étrangers nés à l’étranger et immigrant en France. C’est aussi les immigrés clandestins et les descendants de ceux-ci, nés en France. Or c’est là un point essentiel : les auteurs l’ignorent. C’est pourquoi, à titre d’exemple, ils n’accolent qu’un pourcentage dérisoire de 3,8% des dépenses d’éducation à leur population scolaire immigrée. Tout le livre repose sur une équivoque terminologique qu’exploitent à fond les médias. Xavier Chojnicki n’a traité le coût que d’une partie de la population immigrée et non celui de l’immigration qui est celui qui nous intéresse.
    Comme, à Polémia, nous sommes de bonne volonté nous avons examiné ce livre et étudié les arguments et les calculs de ses auteurs. Cependant cette cible restreinte, certaines méthodes employées et le choix de ne pas retenir une surreprésentation de l’immigration dans les autres dépenses que les prestations sociales conduisent à considérer le chiffre positif de 3,9Md€ ainsi que les conclusions de l’étude dynamique comme ne reflétant pas la réalité du poids de l’immigration sur nos finances publiques.
    André Posokhow, Expert-comptable diplômé, Consultant 24/10/2013
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    Xavier Chojnicki et Lionel Ragot, L’Immigration coûte cher à la France/ Qu’en pensent les économistes ?, édition Les Echos/Eyrolles, mars 2012, 128 pages.

    http://www.polemia.com/limmigration-coute-cher-a-la-france-quen-pensent-les-economistes-de-xavier-chojnicki-et-de-lionel-ragot/

  • ARISTOTE

    Aristote fut le premier génie universel. Il a écrit sur tout, c'est à dire tous les domaines du savoir de son époque : la physique, la biologie, la psychologie, la métaphysique, la logique, la politique, la morale... Élève de Platon, il s'est opposé à lui sur deux points essentiels : le rejet du monde des idées de Platon, c'est à dire la séparation du monde sensible et du monde intelligible, et le rejet du dualisme de l'âme et du corps. S'il s'est attaqué à la logique, les mathématiques ont eu moins d'importance que pour son ancien maître Platon et la physique d'Aristote a été qualitative, ce qu'on a appelé le paradigme aristotélicien qui a précédé le paradigme galiléo-newtonien et, pour finir, le paradigme einsteinien qui jouxte actuellement celui de la mécanique quantique. Son influence fut, comme Platon considérable, jusqu'au 17e siècle. Il a eu de nombreux commentateurs célèbres comme Avérroes ou le père de l'église St Thomas d'Aquin qui l'a incorporé dans la pensée du christianisme. De façon plus dogmatique, il a été le philosophe de toute la période scolastique à laquelle s'est opposé Descartes.
    La logique
    Aristote a écrit un traité appelé l’Organon (l’instrument) puisque le terme "logique" est apparu après. Le philosophe définit les règles du raisonnement. Ce discours adéquat sera appelé communément discours scientifique à la différence de la dialectique de Platon. Dans une démarche que l'on retrouvera pour la philosophie analytique, Aristote étudie le langage qui est l'outil de la connaissance et de la pensée. Si le traité s'appelle l'Organon (instrument), c'est que la logique n'est que l'outil des sciences, c'est à dire établir l'élaboration du raisonnement avec des principes comme, par exemple, la non-contradiction.
    Aristote a créé de nouveaux concepts comme les Catégories qui ne sont que la façon de dire l’Être. Le philosophe dénombre dix modes d'attribution : la substance (l'essence d'une chose), la quantité, la qualité, la relation, le lieu, la position, la possession, l'action, la passion, le temps.
    Ce questionnement sur l’Être se prolongera jusqu'à Heidegger « l’Être se prend en plusieurs acceptations, c'est toujours relativement un terme unique, à une seule nature déterminée ».
    Aristote distingue la méthode déductive, enchaînement de propositions ou démonstration. Cette méthode va de l'universel au particulier à la différence de l'induction : « Quant à l'induction, elle procède à partir des cas individuels pour accéder aux énoncés universels, par exemple, s'il est vrai que le meilleur pilote est celui qui s'y connaît, et qu'il en va de même du meilleur cocher, alors, d'une façon générale, le meilleur en tous domaines est celui qui s'y connaît. »
    Le syllogisme est un raisonnement déductif.
    « Tous les hommes sont mortels » (premier prémisse/majeur)
    « Or Socrate est un homme » (second prémisse/ mineur)
    « Donc Socrate est mortel » (conclusion)
    Ce raisonnement maintenant est une application de la théorie des ensembles.
    A inclus dans B      si X appartient à A, alors X appartient à B
    Aristote a fondé les bases de la logique jusqu'au 18e siècle qui va se renouveler avec Leibniz, Boole, Frege, et surtout Gödel. Le philosophe grec a posé le principe de non contradiction, fondement des mathématiques classiques. « Il est impossible que le même attribut appartienne et n'appartienne pas en même temps, au même sujet et sous le même rapport ».
    La connaissance
    Aristote rejette la théorie des Idées de Platon. « Les idées ne sont plus d'aucun secours pour la science des autres êtres pour expliquer leur existence, car elles ne sont, du moins, pas immanentes aux choses participantes. »
    Aristote définit la substance, (ousia en grec) qui est l'essence des choses. Si le philosophe rejette le dualisme platonicien entre l'idée et la chose, il considère la substance comme un composé de la matière et de la forme. L'être est donc composé de sensible qui correspond à la matière et l'intelligible lié à la forme.
    La physique est l'étude du mouvement ou de « l’être capable de se mouvoir » « les choses de la nature sont soumises au mouvement ».
    Puissance et acte :
    L'être est entre la puissance et l'acte. La puissance est la potentialité de réalisation, l'acte est l'accomplissement. Aristote donne l'exemple de la statue : le bloc de marbre possède en puissance autant de statues que le sculpteur peut créer. L'acte sera la réalisation.
    Tout homme est en puissance (ou en potentialité). Un être peut posséder un langage, mais l'enfant sauvage a montré qu'il ne s'agit que d'une potentialité. L'être parlant en acte est celui qui a appris une langue dans sa communauté.
    Les êtres, selon Aristote, sont constitués par quatre causes : la cause matérielle puisqu'il faut une matière pour exister, la cause formelle qui définit la forme de l'objet, la cause finale qui est la finalité de l'objet comme une maison pour habiter, la cause motrice : le travail de l'artiste.
    La philosophie morale
    La morale chez Aristote est une morale de l'action. Il ne sert à rien de réfléchir sur ce qu'est le courage ou la vertu. « En effet ce n'est pas savoir ce qu'est le courage que nous désirons, mais être courageux, ni ce qu'est la justice mais être juste. »
    Aristote sort donc du questionnement socratique le « qu’est-ce-que ? ».
    La philosophie morale du philosophe se trouve dans l'Ethique à Nicomaque.
    Le but de l'homme est le bonheur que l'on appelle l'eudémonisme. Si l'intellect est le summum de la faculté humaine, il existe aussi des facultés inférieures.
    L'action doit être conforme à la raison. Les vertus chez Aristote sont celles du juste milieu comme la prudence « le meilleur entre l'excès et le défaut par rapport à nous ». Le courage se situe entre la lâcheté et la témérité. La générosité se trouve entre l'avarice et la prodigalité. La modération entre la débauche et l'apathie.
    Une vertu importante est la justice qui a aussi une connotation politique puisqu'elle nous relie aux autres. L'amitié relie aussi l'homme à la communauté. La morale aristotélicienne est plus concrète que celle de Platon qui absolutisait le Vrai, le Bien, le Beau. « La nature humaine ne suffit pas pleinement à elle-même pour l'exercice de la contemplation. Le sage aura aussi besoin de la prospérité extérieure puisqu'il est homme. »
    La philosophie politique
    Aristote s'oppose, là encore, au communisme de Platon. Pour lui l'inégalité des biens est nécessaire et il défend la propriété : « car il y a dans l'homme deux mobiles prédominants de sollicitude et d'amour : le sentiment de la propriété et l'affection exclusive ». Il existe chez lui un certain sexisme lié sans doute à l'époque. Chez l'homme, le courage est une vertu de commandement et chez la femme une vertu de subordination. « À une femme le silence est un facteur de beauté. » La recherche illimitée de la richesse est, pour lui, un vice. On retrouve l'idée de la mesure du juste milieu de sa philosophie morale. Pour Aristote, l'homme a un corps. « On ne serait être parfaitement heureux si on est disgracié par la nature ».
    Sa pensée que l'on pourrait qualifier de conservatrice admet une hiérarchie entre les hommes. Pour lui, certains hommes diffèrent à peine des animaux et sont tout juste capables d'obéir. L'esclavage peut être justifié par l'infériorité naturelle de certains hommes. Pourtant, il nuance son propos. « La nature tend assurément aussi à faire les corps d'esclaves différents de ceux des hommes libres... pourtant le contraire arrive fréquemment : des esclaves ont des corps d'hommes libres et des hommes libres des âmes d’esclaves ».
    Aristote n'a donc pas les valeurs de l'égalité comme Platon pour les biens. Les individus étant inégaux, la véritable égalité consiste à donner davantage à celui qui mérite davantage.
    Sa philosophie politique est en correspondance avec une humanité d'une nature immuable selon lui.
    Pascal écrivait : « Il vaut mieux savoir une chose sur tout que tout sur une chose ». Aristote savait tout sur tout à son époque. Doté d'une culture encyclopédique, il a représenté un idéal d'homme jusqu'à la Renaissance. Ses réflexions qui semblent obsolètes sur la science ont laissé une empreinte sur la division des savoirs. Il a fallu attendre plus de 2000 ans pour, à nouveau, développer nos connaissances en logique. Sa philosophie morale du bonheur persiste à notre époque. Quant à sa philosophie politique, elle correspond toujours à un courant qui a perduré à travers les siècles : le courant conservateur.
    Sur le plan philosophique, il faudra attendre Descartes pour remettre en question le système Aristotélicien.
    Patrice Gros-Suaudeau

  • La métaphysique du chaos

    La philosophie moderne européenne a débuté avec le concept de Logos et d'ordre logique de l'existence. En plus de deux mille ans, cette vision du monde a été complétement épuisée. Toutes les potentialités et les principes issus de cette pensée logocentrique ont désormais été explorés de manière exhaustive, exposés puis abandonnés.
    La figure du Chaos et la problématique qu’il représente ont été négligées, mises de côté depuis la naissance de cette philosophie. L'unique philosophie que nous connaissons aujourd'hui est la philosophie du Logos. C’est un concept opposé à celui du Chaos, son alternative absolue.
    Depuis le XIXème siècle, par la voix des philosophes les plus importants et les plus brillants comme Friedrich Nietzsche, Martin Heidegger, jusqu'aux penseurs post-modernes contemporains, l'homme Européen s'est mis à affirmer que le Logos approchait de sa fin. Certains ont même avancé que nous vivions la fin de la philosophie logocentrique, que nous approchions maintenant autre chose.
    La philosophie Européenne, basée sur le logocentrisme, correspond aux principes d'exclusion, de différenciation, le dihairesis des grecs. Toutes ces attitudes sont strictement masculines, exprimant l'autorité, la verticalité, l'ordre hiérarchique de l'existence et de la connaissance.
    Cette approche masculine de la réalité impose partout un ordre et un principe d'exclusivité. Cela a été parfaitement exprimé dans la logique d'Aristote où principes d'identité et d'exclusion et façon de penser normative, sont placés au centre. A est égal à A, et non égal au non-A. L'identité exclut la non-identité (l'altérité) et vice-versa. C'est le règne du mâle, celui qui parle, pense, agit, combat, divise, commande.
    De nos jours, cette philosophie logocentrique tirant à sa fin, nous devrions réfléchir à une possibilité qui ne soit ni logocentrique, ni phallocentrique, ni hiérarchique et ni exclusive.
    Si le Logos ne nous satisfait , ne nous fascine, et ne nous mobilise plus, nous sommes amenés à essayer autre chose, à s'adresser au Chaos.
    Pour commencer, il existe deux concepts différents du Chaos. La physique moderne et la philosophie évoquent des systèmes complexes, des bifurcations ou équations et des processus différentiels, le concept de "chaos" désignant ces phénomènes. Ils entendent par-là, non pas l'absence d'organisation mais un type d'ordre qu'il est difficile de percevoir comme tel : il s'agit d'un ordre très complexe, qui n'en semble pas un, mais qui, en essence, en est un. Un tel "chaos", ou une telle "turbulence", est, dans la nature, prévisible par calcul, mais avec des moyens et procédures théoriques et mathématiques très sophistiqués comparés aux instruments utilisés par la science naturelle classique.
    Le terme "chaos" est employé ici comme métaphore. Dans la science moderne, nous explorons la réalité d'une manière essentiellement logocentrique. Ce "chaos"-là n'est rien de plus qu'une structure dissipée du Logos, le dernier produit de sa décadence, de sa chute, de sa décomposition. La science moderne est donc basée sur le Logos, mais une sorte de post-Logos, d'ex-Logos, de Logos à un stade ultime de dissolution et de régression. Le processus de destruction final et de dissipation du Logos est donc pris ici pour un "chaos".
    En réalité, cela n'a rien à voir avec le vrai Chaos, avec le Chaos au sens original grec du terme. C'est plutôt un genre de confusion extrême. René Guénon a appelé l'ère dans laquelle nous vivons jusqu'à maintenant, une ère de Confusion. La Confusion signifie la phase qui apparait juste après l'ordre et qui le précède également. Nous devons faire une distinction claire entre deux concepts différents. D'un côté, nous avons le concept moderne de chaos qui représente un post-ordre ou un mélange de fragments contradictoires d'éléments sans aucun ordre ou aucune unité, liés entre eux par des correspondances post-logiques hautement sophistiquées et des conflits. Gilles Deleuze a nommé ce phénomène un système non-compossible composé d'une multitude de monades (empruntant le concept de monades et de compossibilité introduit par Leibniz) qui deviendront avec Deleuze "les nomades". Deleuze décrit la postmodernité comme une somme de fragments non-compossible qui ne peuvent coexister. Ceci n'était pas possible dans la vision de la réalité de Leibniz basée sur le principe de compossibilité. Mais avec la postmodernité, nous constatons que des éléments s'excluant entre eux coexistent. Les bouillonnantes non-compossibles monades-nomades non-ordonnées peuvent paraitre chaotiques, et c'est dans ce sens que nous employons habituellement le mot chaos dans le langage courant. Mais à strictement parler, nous devrions faire une différence.
    Nous devons donc distinguer deux types de chaos : le "chaos" postmoderniste équivalant à une confusion, un genre de post-ordre, et un Chaos grec, comme pré-ordre, quelque chose qui existe avant que ne naisse la réalité ordonnée. Seul le deuxième peut être considéré comme Chaos au sens propre du mot. Ce second sens (en fait, l'original) devrait être examiné avec attention d'un point de vue métaphysique.
    La vision épique de l'avènement et de la chute du Logos au cours du développement de la philosophie et de l'histoire Occidentale a été exposée par Martin Heidegger ; celui-ci expliquait que dans le contexte de la culture Européenne, ou Occidentale, le Logos n'est pas seulement le principe philosophique principal mais aussi la base des attitudes religieuses formant le cœur du christianisme. Notons que le concept de kalam ou intellect est au centre de la philosophie et de la théologie islamiques. On retrouve aussi ce concept dans le Judaïsme (au moins chez Philon), dans la vision (du monde) juive et surtout dans le Judaïsme médiéval et la Kabbale. Ainsi, dans la haute modernité dans laquelle nous vivons, nous assistons à la chute du Logos, accompagnée naturellement par la chute de la culture gréco-romaine classique et de la religion monothéiste. On rencontre tous ces processus de décadence dans toute la culture Occidentale. Martin Heidegger en identifiait l'origine dans une erreur, difficilement perceptible, commise dans les premiers temps de la pensée grecque. Quelque chose n'allait pas dès la naissance de l'histoire occidentale et Martin Heidegger situe précisément ce point noir dans la mise en avant de la position exclusiviste du Logos. Ce point noir a été le fait d’Héraclite, Parménide mais surtout de Platon. L'erreur venait de ce qu'ils considéraient la philosophie comme l’instauration d'une vision du monde à deux niveaux où ce qui existe est perçu comme la manifestation du caché. Plus tard, ce « caché » fut reconnu comme le Logos lui-même, l'idée, le paradigme, l'exemple. C'est à ce moment-là que cette théorie fut élevée en vérité. Cette vérité consiste à dire qu'il y a correspondance entre le donné immédiat et cette essence présumée invisible ("La nature qui aime à se cacher" selon Héraclite). Les présocratiques sont les initiateurs de la philosophie. La formidable explosion de la technique moderne est son produit logique. Heidegger appelle cela le "Gestell" et considère que c'est la cause de la catastrophe, l’annihilation du genre humain qui approche inévitablement. Considérant que le seul concept de Logos était faux , il proposa donc de réviser radicalement notre attitude vis-à-vis de l'essence de cette philosophie, de ce processus de pensée et de trouver une autre voie qu'il a appelée "un autre commencement" .
    Le Logos apparut d'abord avec la naissance de la philosophie occidentale. La philosophie des premiers grecs naquit donc comme quelque chose qui déjà excluait le Chaos. Précisément au même moment, le Logos se développa, révélant une rude volonté de puissance et une absolutisation d'une attitude masculine devant de la réalité. Le développement de la culture logocentrique anéantit ontologiquement le pôle opposé au Logos lui-même - i.e. le Chaos féminin. Le Chaos étant quelque chose qui précède le Logos et qui est abolie par lui, la prééminence du Chaos se manifesta et fût chassée en même temps. Le Logos masculin a évincé le Chaos féminin, l'exclusivité et l'exclusion ont abattu l'inclusivité et l'inclusion. Ainsi le monde classique est né en étirant ses limites pendant deux mille cinq cent ans, jusqu'à la Modernité et l'ère scientifique rationaliste. Ce monde tend à sa fin. Nous vivons cependant encore dans sa périphérie. En même temps, dans le monde post moderne dissipant, toutes les structures ordonnantes se dégradent, se dispersent, deviennent confuses. C'est le crépuscule du Logos, la fin de l'ordre, le dernier souffle de la domination exclusiviste masculine. Mais nous sommes tout de même encore à l'intérieur de cette structure logique, et non à l'extérieur.
    Ayant établi cela, nous avons quelques solutions de base pour l’avenir. La première : le retour du règne du Logos, de la Révolution Conservatrice, la restauration de la domination totale du principe masculin dans tous les domaines de la vie – philosophie, religion, vie quotidienne. Cela peut être établi spirituellement et socialement, ou techniquement. Cette voie, où technique et ordre spirituel se rencontrent, a été explorée et étudiée par Ernst Jünger, un ami de Martin Heidegger. Le retour du classicisme faisant appel au progrès technique. C’est l’effort pour sauver le Logos déclinant, la restauration de la société traditionnelle. Le nouvel Ordre éternel.
    La seconde voie consiste à accepter les tendances actuelles et à suivre la direction de la Confusion, à s’impliquer davantage dans la dissipation des structures, dans le poststructuralisme, et tenter d’éprouver le plaisir d’un glissement confortable dans le rien. C’est l’option choisie par la gauche ou les représentants de la postmodernité. C’est le nihilisme moderne à son apogée – identifié pour la première fois par F. Nietzsche et exploré en profondeur par M. Heidegger. Le concept du rien, potentiellement présent dans le principe du Logos lui-même, n’est pas ici la limite du processus de la chute de l’ordre logique mais plutôt un domaine rationnellement construit sur l’expansion illimitée de la décomposition horizontale, l’incalculable multitude des fleurs de la putréfaction.
    Cependant, nous pourrions choisir une troisième voie : tenter de transcender les frontières du Logos et rester au-delà de la crise du monde post-moderne, le Post-Moderne, au-delà de la Modernité, où la dissipation du Logos atteint ses limites. La question de cette dernière limite est cruciale. Du point de vue du Logos en général, même le plus décomposé, il n'y rien au-delà du domaine de l’ordre. Traverser les frontières de l’être est donc ontologiquement impossible. Le rien n’est pas : voilà ce qu’affirme, à la suite de Parménide, toute l’ontologie logocentrique occidentale. Cette impossibilité révèle l’infinité de la périphérie du Logos et admet le déclin à l’intérieur du domaine de la continuité de l’ordre éternel. Rien ne se dresse au-delà des frontières de l’existence et le mouvement vers cette limite est analytiquement infini (l’aporie de Zénon d’Elée est ici pleinement valide). En fait, personne ne peut franchir la frontière vers le non-être non-existant, qui simplement n’est pas.
    Si nous insistons néanmoins pour franchir cette frontière, nous devrions faire appel au Chaos au sens original grec, quelque chose qui précède l’être et l’ordre, quelque chose de pré ontologique.
    Nous sommes face à un problème vraiment crucial. Beaucoup de gens aujourd’hui ne sont pas satisfaits de ce qui se passe autour d’eux ; de la crise absolue des valeurs, des religions, de la philosophie, de l’ordre politique et social, des conditions de la postmodernité, de la confusion et de la perversion, de cet âge d’extrême décadence.
    Mais si nous considérons aujourd'hui le sens essentiel du devenir de notre civilisation, on ne peut considérer les phases précédentes de l’ordre logocentrique et de ces structures implicites sans admettre que c’est précisément le Logos, portant en lui-même les germes de la présente décadence, qui nous a mené en l’état actuel des choses. Avec une grande crédibilité, Heidegger a identifié les racines de la technique dans la solution pré-socratique du problème de l’être (par les moyens du Logos) . En fait le Logos ne peut nous sauver des conditions instaurées par lui-même. Le Logos n’est plus maintenant d’aucune utilité.
    Seul le Chaos pré-ontologique peut nous indiquer la manière d'aller au-delà du piège de la post modernité ; ce Chaos mis de côté depuis la création de la structure logique de l’existence comme pierre angulaire. C'est maintenant à son tour d’entrer en jeu. Sans cela, nous serons condamnés à accepter cette Post-modernité post-logique dissipée qui, parce qu'elle annihile le temps, se prétend pour ainsi dire éternelle. La Modernité a tué l’éternité, la Post-Modernité est en train de tuer le temps. L’architecture du monde Post-Moderne est complétement fragmentée, perverse et confuse. C’est un genre de labyrinthe sans sortie, plié et entortillé comme le ruban de Möbius. Le Logos, qui garantissait la fermeté de l'ordre, sert désormais à dessiner les courbures du labyrinthe, alors qu’auparavant il préservait l’impossibilité, pour les intrus éventuels, de traverser la frontière ontologique.
    L’unique façon de nous sauver, de sortir l’humanité et la culture de ce piège est de faire un pas au-delà de la culture logocentrique et de s’adresser au Chaos.
    Nous ne pouvons pas restaurer le Logos et l’ordre en s’adressant à eux-mêmes, parce qu’ils sont porteurs de leur destruction éternelle. En d’autres termes, pour sauver le Logos exclusif, nous devrions en appeler à l’alternative inclusive, c'est à dire au Chaos.
    Mais comment user du concept de Chaos et en faire la base de notre philosophie si celle-ci a toujours été pour nous, par définition, quelque chose de logique ?
    Pour résoudre cette difficulté, je propose d'appréhender le Chaos non pas du point de vue du Logos mais du point de vue du Chaos lui-même. Cela peut être comparé à la vision féminine, à la compréhension féminine de la figure de l'autre ; non pas celle qui exclue mais celle qui, au contraire, inclut dans la dimension du même.
    Le Logos se considère lui-même par rapport à ce qui lui est égal ou pas. Il ne peut accepter les différences à l’intérieur de lui-même, il exclut l’autre à l’extérieur de lui. Il y a alors volonté de puissance. La loi de la souveraineté. Au-delà du Logos, de l’affirmation du Logos, il n’y a rien, rien n’existe. Donc le Logos excluant tout ce qui est autre que lui-même, exclut aussi le Chaos. Le Chaos utilise des stratégies différentes : il inclut en lui à la fois le même et le différent. Le Chaos inclusif accepte donc aussi ce qui n’est pas inclusif comme lui, et plus encore : ce qui exclut le Chaos. Le Chaos ne perçoit pas le Logos comme autre que lui ou n’existant pas. Le Logos en tant que principe d’exclusion est inclus dans le Chaos, présent en lui, enveloppé par lui et a sa place acquise à l’intérieur de lui. C’est comme la mère qui porte le bébé en elle. Le bébé est une part d’elle-même et en même temps il ne l’est pas. L’homme voit la femme comme un être extérieur et cherche à la pénétrer. La femme considère l’homme comme quelque chose d’interne et cherche à le mettre au monde.
    Le Chaos donne éternellement naissance à l’autre, et donc aussi au Logos.
    Pour résumer, la philosophie chaotique est possible puisque le Chaos inclut le Logos en tant que possibilité interne. Il peut librement l’identifier, l’entretenir et reconnaitre son exclusivité incluse dans sa vie éternelle. Nous en arrivons donc à la figure très particulière du Logos chaotique, un Logos complètement et absolument frais, éternellement revivifié par les eaux du Chaos. Ce Logos chaotique est à la fois exclusif (c’est pourquoi il est Logos), et inclusif (en étant chaotique). A la différence du Logos, il s'adapte au même et à l'autre.
    Le Chaos peut penser. Il pense. Nous devrions lui demander comment il pense. Nous avons demandé au Logos. C’est maintenant au tour du Chaos. Nous devrions apprendre à penser avec le Chaos, depuis l'intérieur du Chaos.
    Je pourrai suggérer, comme exemple, la philosophie du penseur japonais Kitaro Nishida, qui a élaboré « la logique de Basho » ou " logique du Lieu", à la place de la logique d’Aristote.
    Nous devrions explorer des cultures différentes de celles de l’Occident, pour essayer de trouver d'autres exemples de philosophie inclusive, de religions inclusives et ainsi de suite. Le Logos chaotique n’est pas qu’une construction abstraite. En cherchant bien, nous trouverons les formes authentiques d’une telle tradition intellectuelle. Dans les sociétés archaïques, la théologie orientale et les courants mystiques.
    En appeler au Chaos est la seule manière de sauver le Logos. Le Logos a besoin d’un sauveur, il ne peut se sauver lui-même ; dans la situation critique de la Post-Modernité, il a besoin de quelque chose d’opposé à lui pour être restauré . Nous ne pouvons transcender la Post-Modernité. Elle ne peut être surmontée qu'en faisant appel à quelque chose qui est antérieur à la raison de sa décadence. Nous devrions donc recourir à d’autres philosophies que celles de l’Occident.
    En conclusion, je voudrai dire qu’il n’est pas juste de considérer le Chaos comme appartenant au passé. Le Chaos est éternel, a éternellement coexisté avec le temps. Le Chaos est donc toujours absolument nouveau, frais et spontané. Il pourrait être vu comme la source de tout type d’invention et de fraîcheur parce que son éternité comprend toujours plus que ce qui a été, que ce qui est ou que ce qui sera. Le Logos lui-même ne peut exister sans le Chaos, comme un poisson ne peut vivre sans eau. Si l’on sort un poisson de l’eau, il meurt. Si le poisson insiste excessivement sur le fait qu’il est autre chose que l’eau autour de lui (même si c’est vrai), il s’échoue sur le rivage et y meurt. C’est une espèce de poisson fou. Puis si nous le remettons dans l’eau, il y sautera de nouveau. Alors laissons-le mourir s’il le veut. Il y a d’autres poissons dans les profondeurs. Suivons-les.
    L’ère astronomique qui tire à sa fin est l'ère de la constellation du poisson. Celle du poisson agonisant sur le rivage. Nous avons vraiment besoin d’eau.
    Seule une pensée complètement nouvelle, une nouvelle ontologie et une nouvelle gnoséologie peuvent sauver le Logos qui a quitté l’eau, qui est sur le rivage, dans le désert qui s’accroit (comme le prévoyait Nietzsche).
    Seul le Chaos et la philosophie alternative basée sur l’inclusivité pourraient sauver l’homme moderne et le monde des conséquences de la dégradation et de la décadence du principe exclusiviste appelé Logos. Le Logos a expiré et nous pouvons tous être ensevelis sous ses ruines si nous ne faisons pas appel au Chaos et à ses principes métaphysiques. Utilisons ces principes comme la base de quelque chose de nouveau. Voilà peut-être « l’autre commencement » dont parlait Heidegger.

    Alexandre Douguine http://www.voxnr.com/cc/d_douguine/EFlkFEuypuWeHLnByw.shtml

  • RELIGION ET PHILOSOPHIE

    La religion en Occident donne le sentiment de prendre de moins en moins de place. Même les Américains qui se disent croyants pour la plupart sont sans doute les plus matérialistes. Le Christianisme, religion de sortie de la religion selon certains crée donc un vide spirituel dans lequel s'engouffrent d'autres religions comme l'Islam ou le bouddhisme.
    Religion et Philosophie semblent deux mots contradictoires. Pourtant le christianisme a été cette synthèse étonnante. Benoit XVI dans sa conférence de Ratisbonne qui avait choqué certains avait insisté sur la raison qui existe dans le christianisme juxtaposée à la foi. Dans l'islam, il n'existerait que la foi, la vérité se trouvant entièrement dans le Coran, la philosophie devenant superfétatoire ou mécréante. La philosophie par son essence questionnante et même subversive s'oppose à la religion qui se veut la réponse permanente.
    La philosophie tout au moins l'occidentale remet sans cesse en question la tradition et sa transmission qui est une des caractéristiques de la religion.
    Pour Heidegger, la philosophie est a-religieuse et les religions des idéologies c'est-à-dire des représentations du monde. Son origine catholique d'Allemand du sud et sa formation théologique initiale qui le destinait à la prêtrise ont sans doute créé un trouble intérieur chez quelqu'un qui s'est détaché de sa religion.
    Les pères de l'Église comme Saint Augustin ou Saint Thomas d'Aquin avaient pourtant introduit les philosophies de Platon et d'Aristote dans la doctrine chrétienne. La scolastique a même mis la philosophie au service de la religion. Il y a eu de tout temps des mécréants et des esprits forts qui ont raillé la religion. La moquerie qui n'est qu'un sentiment de supériorité peut passer à côté de ce sentiment profond qui a existé chez la plupart des hommes.
    Le mot religion vient soit de religare, c'est-à-dire relier, un lien qui unit à la divinité, soit de religere qui signifie respecter. Le sociologue Durkheim donnera une définition de la religion : « Une religion est un système solidaire de croyances et de pratiques relatives à des choses sacrées, c'est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Église, tous ceux qui y adhèrent ».

    Pourquoi la religion ?
    Les fondements de la religion sont multiples, de l'angoisse de la mort, la peur due à l'ignorance selon Lucrèce, elle permet aussi la conservation sociale. Tous les tabous et interdits décrétés par la religion permettent aux hommes de cohabiter entre eux. Pour Kant la religion est : « la connaissance de tous nos devoirs en tant que commandements divins ».
    La religion « métaphysique du peuple » selon Schopenhauer permet d'offrir des certitudes et des explications dans un monde changeant et parfois hostile. Ce qui est fixe rassure comme ce qui est en mouvement fait peur. Le rite (répétitif par essence) élément de la religion tranquillise les âmes. Les catholiques traditionnalistes par exemple ne veulent pas que l'on change la messe en latin de leur enfance.
    Bergson distinguera la religion statique, celle qui est liée à la morale. Elle a un rôle de protection sociale et la religion dynamique de l'expérience religieuse. La religion statique fait contrepoids à l'intelligence qui a un rôle dissolvant.
    « C'est une réaction défensive de la nature contre ce qu'il pourrait y avoir de déprimant pour l'individu et de dissolvant pour la société, dans l'exercice de l'intelligence » (Bergson).
    La religion dynamique transporte l'âme et peut aller jusqu'au mysticisme. La religion pour un individu est structurante. L'éducation religieuse de l'enfance a ses prolongements même pour un individu qui s'en détache. En plus de la morale, elle crée une sensibilité. Les valeurs du Christianisme se sont sécularisées. Mais si la religion peut créer une certaine unité de ceux qui ont la même, elle divise aussi les hommes entre eux et peut même les opposer en fonction de leurs croyances. Les guerres religieuses ont existé à toutes les époques et continuent à exister. Samuel Huntington dans le choc des civilisations disait que les deux facteurs les plus importants qui déterminent un individu sont la religion et la race qui créent les solidarités et les oppositions. La certitude de posséder la vérité peut conduire à vouloir l'imposer, même par la violence, comme dans le Djihad. Les universalismes chrétien ou musulman s'opposent encore. Les religions donc divisent les hommes.

    Les critiques de la religion
    La philosophie en elle-même peut être une critique, une opposition à la religion. Elle valorise le raisonnement contre la révélation, la raison contre la foi. La science même si elle a aussi ses critiques a ébranlé nombre de certitudes religieuses passées. La science a toujours cherché des explications causales et non surnaturelles. Mais l'idolâtrie de la science peut devenir une nouvelle religion.

    Feuerbach et l'aliénation
    Ludwig Feuerbach a écrit l'essence du christianisme. Ce livre peut bien sûr se généraliser à d'autres religions. L'homme a créé un Dieu auquel il attribue toutes les qualités. Il ne fait que se projeter dans son Dieu. Ceci n'est pas sans conséquence sur l'homme puisqu'il ne devient rien face à son Dieu. Il ne faut pas oublier qu'Islam veut dire soumission et musulman esclave de Dieu.
    Dans la position à genoux, l'homme se rabaisse, comme le musulman se prosterne cinq fois par jour devant Allah tout puissant. « Pour enrichir Dieu, l'homme doit s'appauvrir, pour que Dieu soit tout, l'homme doit n'être rien... L'homme - tel est le mystère de la religion- objective son essence, puis à nouveau fait de lui-même l'objet de cet être objectivé, métamorphosé en un sujet, une personne » (Feuerbach, l'essence du christianisme).

    Marx
    Dans la religion, l'homme trouve ce qu'il n'a pas sur terre. L'homme dans la religion met tous ses rêves, ses espérances. Le paradis n'est que le monde tel qu'il voudrait qu'il soit. La religion sert les intérêts de la classe dominante en empêchant de se révolter contre elle, en acceptant l'ordre établi en maintenant le peuple dans une léthargie intellectuelle.
    « La détresse religieuse est, pour une part, l'expérience de la détresse réelle, et pour une autre la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple... ».

    Nietzsche
    Ce philosophe a particulièrement attaqué le christianisme mais aussi la religion en général. Celui qui ne peut plus rien faire prêche la vertu comme l'impuissant prône la chasteté. Le prêtre n'est qu'un malade qui cherche à jouir d'éprouver un sentiment de supériorité dans son ascétisme. Le corps, la vie sont rabaissés par la religion. Les notions de faute et de péché empoisonnent l'existence. On considère l'orgueil comme péché puisqu'on n'a plus la force de revendiquer sa fierté.
    Avant Freud, Nietzsche a parlé de névrose religieuse.
    Nietzsche annoncera la mort de Dieu, mais la religion ne se limite pas à la croyance. Le philosophe de Leipzig fut sans doute celui qui a écrit le plus durement sur la religion et le christianisme en particulier. Nietzsche distinguera quand même les religions affirmatives comme la religion des Grecs qui valorisent la vigueur, la jeunesse et les religions négatives comme le christianisme, religion du ressentiment qui dévalorisent tout ce qui est noble pour promouvoir ce qui est bas et vil, bref faire de tout ce qui est misérable vertu.

    Freud
    La religion n'est qu'une illusion qui a son origine dans la détresse infantile. Dieu n'est que la figure du père protecteur. La religion n'est qu'infantilisme.
    « Je suis en contradiction avec vous lorsque, poursuivant vos déductions, vous dites que l'homme ne saurait absolument pas se passer de la consolation que lui apporte l'illusion religieuse. Le stade de l'infantilisme n'est-il pas destiné à être dépassé ? L'homme ne peut éternellement demeurer un enfant, il lui faut s'aventurer dans l'univers hostile » (Freud).

    Conclusion
    Notre société occidentale n'est pas devenue anti-religieuse mais a-religieuse. Les combats laïcards de la fin du XIXeme siècle et du début du XXeme siècle contre la religion semblent de nos jours bien dérisoires. Le communisme avait voulu éradiquer la religion pour instituer un athéisme officiel. Cela a-t'il rendu l'homme meilleur ? « L'athéisme est aristocratique » disait Robespierre au XVIIIeme mais l'athéisme actuel est devenu misérabiliste ou de faiblesse comme l'avait entrevu Nietzsche « Dieu est mort » résonne surtout en Occident mais notre société a-religieuse est attaquée de toutes parts par des religions encore plus fanatiques et conquérantes. On a voulu remplacer la religion chrétienne par celles des droits de l'homme ou de la tolérance, mais qui n'auront jamais la même teneur. La religion ne transmettait pas que la morale comme le disait Kant mais aussi des valeurs culturelles comme l'Art.
    En économie, la loi de Gresham énonçait : « la mauvaise monnaie chasse la bonne ». En est-il de même des religions ?
    Patrice GROS-SUAUDEAU

  • RACE ET PHENOMENOLOGIE

    Une phrase souvent énoncée par "certains" scientifiques est celle-ci : « les races n'existent pas ». On peut être surpris lorsqu'on a pratiqué la philosophie par cette sentence. On définit ainsi une chose par sa non existence ? L'essence de la race serait de ne pas être ? On ne dit donc strictement rien puisque la chose "en soi", le noumène kantien n'a jamais existé, la race comme le reste. « La chose en soi ne mérite qu'un rire homérique » (Nietzsche). II n'y a plus que les scientifiques (excepté peut-être quelques physiciens modernes en mécanique quantique perpétuellement confrontés à des problèmes de fond sur l'existence de la matière) pour peut-être encore y croire, puisque leur formation suppose le monde comme donné par hypothèse et qu'on essaie d'atteindre par la connaissance de façon la plus rapprochée ; le monde réel étant une limite que l'on chercherait à dévoiler par les différents moyens et méthodes de la démarche scientifique.
    On a là la vision encore naïve de la science du XIXe siècle qui croyait être la vérité ou le réel alors que la science est une construction axiomatique de l'esprit qui se sur-ajoute au monde perçu qui est premier et dans le quel baignent tous les individus depuis leur naissance. La science même si elle le nie a comme fondements ultimes des postulats métaphysique.
    Pour la phénoménologie, stade ultime de la pensée philosophique occidentale, nouvelle science créée par Husserl et prolongée avec un biais par Heidegger, une chose est la somme de ses apparitions ou phénomènes. Tout n'existe en fin de compte que par la relation qu'entretient l'homme entre les choses et ses organes des sens du corps, c'est-à-dire sa perception.
    L'homme donc distingue des différences physiques entre les différents individus, et y voit des ressemblances pour certains. Un dénominateur commun pouvant être appelé race ou autre chose, tous les discours moraux égalitaristes ou autres ne pourront jamais s'opposer à cette donnée toute simple que l'homme a des sens et distingue les formes, les couleurs ...
    Les ressemblances, différences et leur perception étant profondément enracinées dans l'inconscient collectif des peuples.
    Une autre question qui se pose bien sûr, étant la conséquence morale ou politique à donner à cette constatation. Être attaché affectivement, esthétiquement, culturellement à certains groupes plus qu'à d'autres sera considéré par l'idéologie dominante actuelle comme répréhensible. Ceci n'a de sens que dans une certaine représentation culturelle du bien et du mal qui n'est pas partagée par tous. On a là une des causes du conflit majeur qui pointe à l'aube du XXIème siècle avec les différences de taux démographiques sur la planète et les nouvelles migrations massives de population qui vont en résulter.
    Patrice GROS-SUAUDEAU

  • Nietzsche ou Schopenhauer ?

    Nietzsche ou Schopenhauer ? Récemment furent mis en ligne deux documents traitant de Nietzsche et Schopenhauer. Ces deux philosophes, « iconoclastes », marquent l’un et l’autre une rupture dans l’histoire de la philosophie
    Il est de bon ton en philosophie de considérer que l’homme est avant tout un être pensant. Ce jugement m’apparaît erroné. Puisque tant de Français disposent désormais d’un ordinateur muni d’un abonnement internet, il serait intéressant de répertorier la proportion de pages mémorisées (favoris, marque-pages) qui ont trait à la pensée conceptuelle parmi toutes les autres. Le résultat serait alors édifiant. Le plus souvent donc, les philosophes se fourvoient en adoptant un point de vue qu’ils posent comme clef de voûte. Avec Schopenhauer puis Nietzsche, un monde nouveau se fait jour. Les deux penseurs considèrent que l’homme, contrairement à la grande tradition philosophique, est davantage un être vivant qu’un être pensant. Par « vivant », il faut comprendre que les hommes sont mus par des pulsions vitales majeures dont le néo-cortex se fait l’instrument.
    Il est une expérience que l’on a effectuée à de multiples reprises avec certains singes. Les enfermant dans une pièce presque vide, si ce n’est quelques caisses dans un des coins et une grappe de banane au plafond, on les laisse alors à tour de rôle agir comme bon leur semble. Et à chaque fois le résultat est le même : fixant la grappe avec envie, le singe finit par aller chercher les caisses, les empiler, puis obtenir leur gain. En ce sens, il s’agit bel et bien d’un raisonnement à part entière même si bien entendu, nous avons de solides raisons pour croire que les animaux n’ont pas accès à la pensée conceptuelle.
    La majorité des hommes, ne pensent que très peu. Plus exactement, chez eux, la pensée est instrumentalisée afin de résoudre un problème donné et n’est donc pas une finalité. Si les hommes disposent de capacités leur permettant d’avoir accès à la pensée pure comme à l’éthique, elles ne sont utilisées que très peu. L’éthique, tout comme la pensée conceptuelle, sont des conquêtes, bien souvent conséquence d’un dur labeur fourni tout au long de la vie. Ce que nous apprennent aussi les éthologues qui ont beaucoup progressé depuis un demi-siècle, c’est que la distance entre l’homme et l’animal est bien moins importante que ce que l’on croyait naguère. Les psychologues savent depuis fort longtemps que la majorité des hommes agissent selon leurs intérêts où ce qu’ils croient en être. En ce sens aussi, ils ne sont pas fondamentalement différents des animaux.
    Le courant auquel appartiennent et Schopenhauer et Nietzsche a pour nom « Lebensphilosophie » que l’on traduit en langue française par « philosophie de la vie ». Il s’insurge donc contre la réduction de l’homme à son seul cerveau, considérant que ce sont nos pulsions – Wille – qui nous définissent le mieux. Ce qui fait la distinction, pour ne pas écrire opposition, entre Schopenhauer et Nietzsche, c’est que le second vante le processus vital alors que le premier le réprouve. Il n’est qu’à lire Nietzsche, volontiers aphoriste – le crépuscule des idoles par exemple – pour savoir à quel point il célèbre la Vie et fustige les métaphysiciens. Réciproquement, Schopenhauer villipendera Hegel, considéré comme le plus métaphysicien de tous les penseurs, au motif – il en est d’autres – qu’il ignore la sphère du vivant. Il y a d’ailleurs dans le cadre de ce que l’on appelle en philosophie « idéalisme », toute une tradition visant à rejeter les sens, ne laissant la place qu’à la pensée.
    Dès lors où on admet, et désormais nous n’avons plus guère le choix puisque les spécialistes du vivant sont des scientifiques, l’omniprésence du vivant chez l’homme, il faudra d’un point de vue politique, faire un choix entre Schopenhauer et Nietzsche. Faut-il libérer l’homme – Nietzsche - et en un certain sens le célébrer, ou au contraire comme le souhaite Schopenhauer, lui octroyer le statut de liberté conditionnelle, pour ne pas écrire qu’il faille le menotter ?
    Ce qui rend la société dans laquelle nous vivons particulièrement consensuelle, c’est très probablement parce qu’elle privilégie les droits aux dépens des devoirs. Que les devoirs engendrent des droits (Chateaubriand), c’est un vieux thème en philosophie. On insiste assez en classe de terminale durant l’enseignement philosophique sur le fait que la liberté engendre souvent contraintes. Dans une société de type libéral, et c’est le cas pour la nôtre, « chacun fait ce qui lui plait ». En ce sens, le libéralisme flatte nos pulsions les plus animales là où la civilisation astreint l’homme à se maîtriser. Et il va dès lors de soi que si l’homme a un mode de fonctionnement semblable à celui des animaux, il est ravi de l’aubaine – tout au moins de prime abord – que constitue le libéralisme qui lui permet d’agir comme bon lui semble.
    Les exemples ne manquent pas. Si c’est la télévision dont on se préoccupe, on sait que la majorité des Français – non sans mauvaise foi souvent - la qualifie de « nulle ». Elle fonctionne pourtant à l’audimat qui n’est autre que le suffrage universel. Si d’aventure les Français venaient à se passionner pour l’astrophysique, nous aurions droit à des émissions, aux heures de grande écoute, sur le sujet. Si en revanche, nous imaginons un instant que ce soient des lettrés et érudits, soucieux de faire monter le niveau général, qui établissaient la grille des programmes, force est de constater alors, que les Français très probablement, se désintéresseraient du petit écran. Il en va de même des marchandises non consommables qui sont proposées aux clients. S’il y a embarras du choix, c’est justement pour que chacun soit satisfait, cultivant son Moi. Il ne s’agit pas de prétendre que tous étaient habillés de la même façon voici un demi-siècle, mais il existait naguère une homogénéité qui a disparu aujourd’hui. A bien des égards aussi, le fait identitaire qui touche aussi bien blancs qu’arabes – de djellabas voici trente ans, il n’y en avait presque pas – n’est autre que celui d’un Moi collectif partiel, qui vient s’opposer au Tout national.
    Reste donc le choix à effectuer entre la célébration du Moi et sa contestation. On peut d’ailleurs considérer que mai 68 fut le point de départ historique de ce que l’on appelle postmodernité. Mai 68 fut véritablement la revendication de droits aux dépens d’une cité longtemps bâtie sur le devoir. Je ne veux nullement prétendre que Nietzsche eut souhaité être récupéré, lui l’aristocrate, par la société libérale, mais je suis bien obligé de considérer qu’il a été en ce sens annexé malgré lui…
    A suivre.