Le 16 avril dernier, près de 50.000 Croates se sont rassemblés sur la place Ban Jelacic, la plus grande de Zagreb, pour protester contre le verdict du Tribunal pénal international pour la Yougoslavie qui avait condamné, la veille, le « héros national » Ante Gotovina à 24 ans de prison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les manifestants, des anciens combattants, parfois en uniforme, des jeunes, parfois des familles entières, ont conspué le TPIY et l’Union européenne qui imposent leur loi à la Croatie et leur gouvernement qui trahit les intérêts nationaux.
De quoi était donc accusé Ante Gotovina ? Tout simplement d’avoir, en 1995, alors qu’il était général de division et commandant du district militaire de Split, organisé l’opération Tempête dont le but était de reprendre le contrôle de la région croate de Krajina au main de séparatistes Serbes depuis 1991. Cette « reconquête » militaire entraîna l’exil d’une partie de la population serbe, ainsi que de multiples destruction, quelques pillages et la mort de trente-deux civils… C’est pour ces « crimes », que dans d’autres circonstances on désigne sous l’appellation plus neutre de « dommages collatéraux », que Gotovina, qui n’était nullement sur le terrain mais qui supervisait les opérations depuis son état-major, fut poursuivi et vient d’être condamné.
Ceci serait tristement banal si l’affaire Ante Gotovina ne présentait pas une particularité singulière : ce Croate était aussi … Français, et qui plus est un discret serviteur de la France !
Pour comprendre ceci, un flash-back s’impose.
Nous sommes en 1973, Ante Gotovina a 18 ans et il choisit ce qu’il croit alors être la liberté : il quitte clandestinement la Yougoslavie communiste et « passe à l’Ouest ». Après quelques péripéties, il se retrouve en France où il décide de s’engager dans la Légion étrangère. Il est affecté au 2e REP et rejoint le groupe de commandos de recherche et d’action en profondeur. Après cinq ans de service, durant lesquels il participe à l’opération Kolwezi, son contrat avec la légion arrive à son terme. Il quitte donc l’uniforme, en 1979, et reçoit, en récompense de ses bons et loyaux services, la nationalité française.
Si, à partir de cette date, Gotovina n’appartient plus à l’armée française, il n’en continue pas moins de servir la France. Au REP, il s’est lié aux frères Erulin et donc à la DGSE pour laquelle il va travailler à l’international, assurant discrètement des missions de formation militaire en Amérique latine.
En 1990, c’est sans doute la DGSE qui lui demande de rentrer en Yougoslavie. Il y est « l’homme des Français » dans le camp croate. L’opération Tempête et la manière dont elle est menée, ne nuit d’ailleurs nullement à sa carrière et il est dans la foulée nommé général de corps d’armée, avant d’être de mars 1996 à septembre 2000 inspecteur général de l’armée croate.
Mais, en septembre 2000, le nouveau président de Croatie, Stjepan Mesic, pour favoriser l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne, demande la collaboration de l’armée avec le TPIY. Devant le refus d’Ante Gotovina, le président le raye des cadres et le met d’office à la retraite. Or Gotovina est alors très influent et très hostile à l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne. Chacun comprend qu’il peut jouer un rôle politique de premier plan et être le grain de sable dans la mécanique bien huilée de l’intégration de la Croatie. Il faut donc l’abattre. Tout d’abord, il est accusé de conspirer pour organiser un coup d’État, puis, en juin 2001, il est inculpé par le TPIY, accusé « de persécutions pour des motifs d’ordre politique, racial et religieux, de meurtre, de déplacement forcé de population, et de destructions sans motif de villes et villages »
Sentant que l’affaire tourne au vinaigre, l’ambassade de France à Zagreb s’empresse de fournir un passeport français au militaire, tandis que d’autres services se chargent de l’exfiltrer. De son côté, Interpol émet un mandat d’arrêt international en août et les États-Unis offrent une récompense de 5 millions de dollars pour sa capture. Une capture qui ne se produira que quatre ans plus tard, en Espagne, en décembre 2005. Entre temps, les frères d’armes de l’ombre de Gotovina auront organisé sa cavale.
L’émotion que soulève l’arrestation est grande en Croatie. 70.000 personnes manifestent à Split et un sondage d’opinion montre qu’Ante Gotovina a le soutien de 60 % de la population. Le cardinal-archevêque de Zagreb quant à lui accuse le TPIY d’être « politisé et à la solde des grandes puissances » et se dit convaincu de « l’innocence d’Ante Gotovina » alors que le Commissaire européen à l’élargissement, Olli Rehn, se félicite pour sa part de la capture et déclare qu’« un obstacle majeur a été levé à l’adhésion de la Croatie ».
Personne n’ayant intérêt à ce qu’elle fasse trop de remous trop tôt, l’instruction du procès Gotovina va durer cinq années pleines. Durant celle-ci, la France veilla soigneusement à faire oublier qu’elle avait tenté de mener une politique indépendante dans l’ex-Yougoslavie. En Croatie, par contre, Ante Gotovina n’a pas été oublié et il est devenu une figure de référence pour les mouvement nationalistes et anti-européens et la manifestation du 16 avril dernier montre bien son importance symbolique car elle équivaudrait en France, vu le rapport de population, à 650.000 personnes descendant dans les rues.
S’il est le plus célèbre des militaires ou civils, serbes ou croates, condamnés par le TPIY en raison des événement de Krajina, Ante Gotovina n’est pas le seul. Jugé en même temps que lui le général Mladen Markac a été lui-aussi lourdement condamné et cent soixante dix autres prévenus sont encore en attente de jugement pour la même affaire… Quand au fondateur de la République serbe de Krajina, Milan Babic, il s’est suicidé dans la cellule de La Haye où il attendait son procès. Quelque soit les actes que les uns et les autres, qu’ils soient Serbes ou Croates, aient commis ou ordonnés, on ne peut s’empêcher de penser que les humaniste de notre « justice internationale » leur font surtout payer le fait d’avoir été des hommes de conviction, animés par des valeurs qu’il faut faire disparaître - nationalisme, sens du devoir, virilité, engagement total, etc. – car elles sont incompatibles avec le monde que nous concocte l’Occident libéral.
C’est d’ailleurs ce qu’à très bien compris Ante Gotovina qui a été à l’initiative, après le décès de Slobodan Milosevic, d’une lettre de condoléances commune des prisonniers serbes et croates du TPIY de La Haye, une manière d’affirmer clairement que s’ils avaient été adversaires, ils n’avaient jamais été des ennemis.
Loic Baudoin http://www.voxnr.com/