C'est un livre (La Chasse), publié en 2008 par Caria Del Monte, ex-procureur au TPIY(1) qui a incité Dick Marty membre du Conseil de l'Europe à enquêter sur le Traitement inhumain de personnes et trafic illicite d'organes humains au Kossovo. En est résulté, en décembre 2010, un rapport édifiant, qui pointe les connexions « entre criminalité, corruption et politique ».
Au Kossovo, des crimes de guerre ont été perpétrés à la fin des années 1990 sur des prisonniers serbes et albanais, sous la responsabilité de dirigeants de l'UÇK et en particulier d'un groupe auto-baptisé le « Groupe de Drenica » ayant pour « parrain » l'actuel Premier ministre, Hashim Thaçi.
L'armée de libération nationale paraît en effet avoir été étroitement liée aux réseaux criminels : « Nous avons constaté que les principales unités de l'UÇK et leurs zones de commandement opérationnel respectives étaient la copie presque conforme des structures qui contrôlaient les diverses formes de criminalité organisée dans les territoires où opérait l'UÇK », écrit Dick Marty, qui laisse entendre que la guérilla contre les Serbes n'était pas la préoccupation principale de ses dirigeants. Les membres du Groupe de Drenica auraient ainsi : « pris le contrôle des fonds substantiels mis à la disposition de l'UÇK pour financer l'effort de guerre » et « passé avec les réseaux internationaux bien établis de la criminalité organisée plusieurs accords qui lui auraient permis de s'étendre et de se diversifier dans de nouveaux domaines d'activités, tout en lui ouvrant de nouvelles voies de contrebande vers d'autres pays d'Europe. »
Selon Dick Marty, Thaçi lui-même agissait « avec le soutien et la complicité non seulement des structures de gouvernance officielles de l'Albanie, et notamment du gouvernement socialiste au pouvoir à ce moment-là, mais également des services secrets albanais et delà redoutable mafia albanaise. Les services chargés de-la lutte contre le trafic de drogue de cinq pays au moins précisent, dans des rapports confidentiels qui s'étendent sur plus de 10 ans, que le commerce de l'héroïne et d'autres narcotiques était contrôlé de façon violente par Hashim Thaçi et d'autres membres du " Groupe de Drenica " ».
Ces derniers ne s'en tenaient pas au trafic de stupéfiants. Le rapport fait également état d'« un grand nombre de femmes et de jeunes filles victimes de la traite des êtres humains » organisée par l'UÇK, et le Groupe de Drenica serait au cœur du trafic d'organes dont furent victimes des captifs serbes, conduits en Albanie pour y subir une ablation des reins.(2)
Enfin, le rapport fait état de la disparition de plusieurs centaines de prisonniers serbes et d'Albanais considérés comme des « collaborateurs » des Serbes, ces violences semblant « avoir été coordonnées et couvertes par une stratégie globale, préméditée et évolutive, décidée par les dirigeants du Groupe de Drenica ».
On comprend les réticences que montrent les autorités albanaises à collaborer aux enquêtes ouvertes par la mission EULEX de l'Union européenne : « Le manque de coopération des autorités kosovares et albanaises pour rechercher des personnes disparues serbes, et même kosovares de souche albanaise, qui pourraient s'avérer être des victimes de crimes commis par des membres de l'UÇK, suscite de sérieux doutes quant à la volonté politique des autorités actuelles défaire toute la vérité sur ces événements. »
Thaçi, partenaire favori des États-Unis
Mais les instances internationales ne se montrent pas plus pressées d'agir, en dépit des « informations accablantes » transmises sur Thaçi et ses séides par les services de renseignements.
« Il est particulièrement déconcertant, écrit Dick Marty, de constater que l'ensemble de la communauté internationale au Kosovo - depuis les gouvernements des États-Unis et des autres puissances occidentales alliées, jusqu'aux autorités judiciaires qui exercent leurs activités sous la tutelle de l'Union européenne - possèdent sans doute les mêmes informations accablantes sur toute l'étendue des crimes commis par le "Groupe de Drenica", mais qu 'aucune d'elles ne semble prête à réagir face à une telle situation et à en poursuivre les responsables. »
Le rapport du député européen apporte un début d'explication : l'UCK n'a pris l'ascendant sur les formations politiques albanaises rivales que grâce à l'appui des Américains. Et Thaçi lui-même « doit sans aucun doute son ascension personnelle au soutien politique et diplomatique des États-Unis et d'autres puissances occidentales, qui le considéraient comme le partenaire local favori de leur projet de politique étrangère pour le Kosovo. »
La politique a ses raisons, que l'éthique démocratique ne connaît pas.
Eric Letty monde & vie. 29 octobre 2011
(1) TPI Y .Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie.
(2) Le trafic d'organes se poursuivrait toujours au Kossovo, où s'est ouvert le 4 octobre un procès impliquant des médecins d'une clinique de Pristina.