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Des frontières contre Schengen : Patrick Louis salue un retour au réel archive 2011

Devant l'afflux toujours plus important de migrants, le Danemark a décidé de reprendre le contrôle de ses frontières, provoquant le hoquet de Bruxelles qui y voit un risque pour l'espace Schengen. L'Europe a cependant décidé de lâcher un peu de mou, et examine l'idée de contrôles temporaires en cas de situation exceptionnelle...
Patrick Louis, député honoraire du Parlement européen et secrétaire général du Mouvement pour la France, décrypte pour nous cette confrontation au réel. - O.F.

Est-ce une remise en cause du traité de Lisbonne ?
Le traité de Lisbonne a pour but de mettre en place le pouvoir central du futur État fédéral, et donc la fin des États-nations. Mais le principe de réalité revient à la vitesse grand V, car l'Union européenne n'est capable de prendre des décisions que pour parler de choses creuses. Elle ne peut pas prendre de vraie décision. Il faut bien distinguer le conseil des ministres et le conseil des chefs d'État qui peuvent rendre des comptes à la réalité, c'est-à-dire à un électorat, et une Commission et un Parlement qui sont un peu « hors sol ». Le traité de Lisbonne est passé en force, mais sans que les opinions publiques en aient vraiment conscience, et aujourd'hui nous sommes dans le retour du réel qui s'impose aux États. Cela prouve que l'architecture européenne est mal pensée. On a fabriqué une barque pour aller sur un lac, et cette barque se retrouve en haute mer. On se demande pourquoi cela ne va pas : mais c'est simplement le bateau qui n'est pas adapté.
Aujourd'hui l'Europe est coincée entre deux tendances : soit elle reconnaît officiellement qu'elle est une confédération des États-nations, et alors elle pourra organiser des coopérations libres entre les nations ; soit il lui faut devenir despotique pour être efficace. Elle se retrouve face à ses mauvais fondements et à son inefficacité. Je viens d'entendre Michel Rocard lors d'une conférence être d'un euro-pessimisme qui dépasse mon euro-scepticisme. Les États aujourd'hui réagissent, les Danois les premiers, et même la France ! C'est tout de même le gouvernement Sarkozy qui a fait passer le traité de Lisbonne et c'est lui qui d'une certaine manière le met en cause.
Mais ces États peuvent-ils le faire après avoir cédé leurs pouvoirs à Bruxelles ?
Il y a eu un débat à Strasbourg sur cette question. Et c'était sidérant de voir que l'idéologie sans frontières était telle dans l'assemblée parlementaire qu'on considérait que contrôler l'accès dans un pays était une atteinte aux libertés. Ce qui montre que la pensée trotskyste internationaliste, qui nie les communautés naturelles comme les nations, considère que les frontières sont des murs, alors que les frontières sont des portes. Ce sont des lieux d'exclusion parce que c'est comme la porte d'une maison qui empêche d'entrer, mais ce sont également des lieux d'inclusion, qui permettent à une communauté d'exister. Quand Régis Debray écrit un livre d'éloge de la frontière, il commence à comprendre qu'il n'y a de communauté que si il y a frontières. L'Europe ne l'a toujours pas compris. En revanche, si vous voulez entrer au Parlement européen, vous devez présenter votre badge, passer à travers des systèmes de contrôle, une frontière en quelque sorte. Alors pourquoi ne serait-ce pas possible au niveau de l'espace européen ? Et au niveau des nations qui le désirent ? Il est bien évident que l'on est pour la liberté d'aller et venir, mais tous les pays ne font pas partie de Schengen. Parce que la vraie liberté d'aller et venir n'est pas contradictoire avec les frontières. On a donc besoin de réhabiliter les frontières, peut-être de nouvelles frontières, mais on ne sera jamais dans un monde sans frontières. Pour qu'il y ait du politique, il faut qu'il y ait un territoire ; pour qu'il y ait un territoire il faut qu'il y ait des frontières. En supprimant les frontières, ils sont en train de tuer les communautés, donc ils sont en train de tuer le politique au profit de la gestion.
Se prennent-ils pour des citoyens de première catégorie ?
Ils vivent en dehors du réel. Les anarcho-trotskystes, d'un côté, sont contre tous les mécanismes de frontières, donc contre toute forme d'organisation politique ; et certains libéraux sont contre les frontières au nom d'une conception mal pensée de la liberté économique. Il y a des conjonctions intellectuelles. Aujourd'hui, face à la mondialisation, nous allons cependant plutôt vers un monde de fragmentations, qui permettent aux communautés d'exister, donc d'avoir une régulation, donc une mutualisation des risques, parce que pour penser une sécurité sociale, par exemple, il faut bien définir un territoire, pour savoir qui y a droit et qui n'y a pas droit, qui est citoyen et qui ne l'est pas. Et ça pose nécessaire la question des frontières.
Donc l'opération du Danemark vous rend optimiste ?
Non parce que c'est un pas en arrière, pour trois pas en avant. L'Union européenne est tellement coincée dans ses contradictions qu'ils en sont même à réhabiliter le protectionnisme. Certains socialistes redéveloppent ainsi un protectionnisme qu'ils appellent sectoriel et temporaire tant ils se rendent compte des contradictions dans lesquelles ils ont mis les pays d'Europe. Comme ils sont quelque part, et qu'ils veulent garder le pouvoir, ils savent faire un pas en arrière pour revenir en avant, mais ils ne lâcheront pas. Ils se rendent bien compte qu'il y a un vrai problème parce que les opinions publiques ne sont pas d'accord avec eux, donc ils lâchent du mou, mais ils ne lâcheront pas l'essentiel. La fracture aujourd'hui est entre ces Européens et les populistes, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas initiés, qui ne comprennent pas la grande sagesse de Bruxelles. Les partisans de l'UE n'ont pas gagné un référendum. Leur crainte est donc que les décisions européennes deviennent prétextes à des référendums nationaux qui rendraient plus évident encore la critique de l'UE par les peuples. La crise financière aussi est révélatrice de l'absence d'enracinement dans le concret, dans le réel. La décision de l'Allemagne de ne pas payer davantage pour la Grèce en a été un autre signe. Les partisans de l'UE se rendent bien compte que la vraie subsidiarité, c'est-à-dire le sentiment national et la coopération des nations, est en train de reprendre le dessus sur leur état fédéral.
Propos recueillis par Olivier Figueras Présent du 14 mai 2011

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