Dans l'incertitude que comporte le nouveau pontificat, une chose au moins semble certaine. On sait qu'aucun des deux disparus encensés ces jours-ci à Paris ne sera canonisé demain à Rome, ni Chavez ni Hessel.
Dans l'Hexagone, certains sont allés jusqu'à suggérer la "panthéonisation" de Hessel. Une pétition circule, et sans préjuger de son échec souhaitable, cette impudente initiative devrait à elle seule nous instruire de l'état de déliquescence de l'esprit public.
La glorification du caudillo vénézuélien Chavez, d'autre part, a donné à notre ministre de l'Outremer l'occasion de se faire connaître en Métropole. En même temps, Victorin Lurel ridiculisait un peu plus le gouvernement Ayrault. Le 28 janvier l'intellocratie parisienne avait pris les devant. Un colloque où le parti socialiste trônait en bonne place avait déjà jeté les bases de la reconnaissance du culte "chaviste" dont on peut espérer pourtant qu'il ne durera pas à Caracas.
Premier constat par conséquent : il est aboli le temps où l'on saluait la France comme le lieu "où se cuisait le pain intellectuel de la chrétienté." Le pape Paul VI évoquait encore la formule. Elle remonte à saint Thomas d'Aquin. Mais beaucoup d'eau a coulé depuis sous les ponts de la Seine comme du Tibre.
Sur le terrain de l'évaluation des mérites le grand écart continue de s'accentuer entre la capitale du jacobinisme et ce qui demeure de la civilisation européenne.
Ainsi Stéphane Hessel aura-t-il connu, au soir de sa vie, une sorte de gloire littéraire parisienne et même hexagonale incroyable. Absolument imméritée, elle fut orchestrée autour d'un petit opuscule intitulé "Indignez-vous". D'une étroitesse affligeante, ce texte fut diffusé à des centaines de milliers d'exemplaires. Il s'agit, sur quelques pages d'un véritable bréviaire de l'imbécillité et de l'inquiétante immaturité de nos contemporains. Si la mode qui l'a propulsé devait perdurer en Europe on pourrait y voir le signe que notre continent, nos sociétés gavées et leurs enfants gâtés sont devenus gâteux.
Très probablement pourtant Hessel échappera à toute hypothèse de canonisation par l'Église romaine.
Un obstacle majeur s'opposera bientôt à la perpétuation de ces louanges imméritées. Car en vue de sa canonisation Hessel souffre d'un handicap plus grave encore que le fait d'être soutenu par Éva Joly (1)⇓.. En juillet 2012, en effet, il s'attirait les foudres d'une chronique qu'on peut lire sur le Huffington Post (2)⇓.. Rédigée par Jacques Tarnero elle souligne un certain nombre de zones d'ombres dans les prises de position du grand homme. Outre une surestimation systématique de son propre rôle dans certaines circonstances, quand il prétend par exemple être un des corédacteurs de la Déclaration dite "universelle" des droits de l'Homme, il a osé dans un entretien publié par la Frankfurter Allgemeine Zeitung en janvier 2011, prétendre revoir à la baisse les duretés de l'occupation allemande en France. Plus grave encore il les met en parallèle avec les mesures israéliennes dans les territoires occupés. S'il n'avait été déporté lui-même, si le texte de son entretien n'était surtout consacré à "Comment j'ai survécu à Buchenwald et autres camps", s'il avait été supposé lié à "l'extrême-droite" Hessel aurait certainement passé un sale quart d'heure judiciaire. Heureusement, la polémique peut s'éteindre avec la disparition de l'intéressé.
Sur Chavez, le portrait se résume à ceci : 96 % des exportations du pays sont assurées par le pétrole. La capitale est une des plus dangereuses du monde. La corruption bat tous les records. Le ministre français Lurel a fait scandale en assimilant Chavez à De Gaulle et à Léon Blum. (3)⇓.
Le New York Times aurait laissé entendre que le maître du Venezuela aurait amassé une fortune personnelle de 2 milliards de dollars : nous n'en croyons rien : il semblerait plutôt que tout a été dilapidé ;
Disparu le 5 mars, son successeur par intérim Maduro annonçait le 8 mars qu'il serait embaumé "pour l'éternité (...) comme Lénine, Ho Chi Minh ou Mao Tse-Toung". Le 13 l'opération se révélait techniquement impossible. On respire.
Tout le monde le sait, ou du moins chacun pourrait l'apprendre : tout ce que le caudillo de Caracas a pu distribuer à ses partisans n'est jamais venu que de la rente pétrolière. De celle-ci la Venezuela aurait pu tirer un outil de développement économique national. La démagogie l'a seulement utilisé en vue de son clientélisme politique, des dépenses économiquement stériles pour l'avenir du pays.
Or, puisque tous les médiats même de gauche ont pu repérer l'imposture de cette prétendue politique "sociale", on aurait pu imaginer que les Français se seraient détournés de cette fausse gloire.
Sur un site dérivé du quotidien Le Monde on a pu lire, parmi tant d'autre, cette réaction approuvant la présence d'un Ahmadinejad éploré aux funérailles de son camarade : "L’important est d’être à ces funérailles d’un grand chrétien de gauche qu’est Chavez… la honte c’est notre lâcheté et nos commentaires sur ce grand homme qui a gagné 13 élections sur 14 et que la presse et TV française accuse d’être dictateur…"
"Ce grand chrétien de gauche qu’est Chavez" : voilà quand même qui laisse rêveur.
Fait-il répondre que ce grand homme a gagné presque autant de victoires électorales que Joseph Staline. Mais à l'époque la Constitution soviétique était la plus démocratique du monde. La perfection "bolivarienne" n'est plus de ce monde. Tant pis. Déjà Milton écrivait, dans "Lost paradise" en nostalgique de Cromwell et de l'Utopie "mieux vaut régner en enfer que servir en paradis".
À la samba pour les funérailles de Chavez, Ahmadinejad aurait, dit-on "scandalisé les conservateurs iraniens" en embrassant la mère de Ugo Chavez, attouchement impudique au regard de l'islamisme. (4)⇓.
Pour le successeur désigné de Fidel Castro : il y a en avait pour tous les goûts, tous les dingues de la Planète, ceux de Paris comme ceux de La Havane ou de Téhéran.
Au moment où la messe d'intronisation du Pape François se déroule en présence des hiérarques de l'Église orthodoxe, saluons sincèrement ce beau symbole et remercions d'avance les autorités spirituelles de l'occident de ne pas entrer dans cette danse.
JG Malliarakis http://www.insolent.fr/
Apostilles
- cf. BFM le 27 février à 18h28 . ⇑
- Sous le titre "Stéphane Hessel, l'indigné", elle est datée du 3 juillet sur ce site elle figure aussi sur le site du CRIF en date du 29 juin.⇑
- Certains risqueraient d'ailleurs de se demander un jour si la double comparaison ne mérite pas d'être explorée, horresco referens.⇑
- cf. Blog Le Monde du 11 mars 2013.