Pour tenter de se dédouaner de leur impuissance à conjurer la crise, les socialistes français ont trouvé un bouc émissaire : Angela Merkel.
Quelle mouche a donc piqué le PS ? Voulant soulager François Hollande des sueurs froides que lui provoque la crise, les sbires de Solférino, et particulièrement Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national du PS à l'Europe, se sont fendus d'un texte appelant à la « bataille de la réorientation » en faveur de la croissance, et à « la fin de l'austérité » ; le tout, face à l'« Europe de droite » - dont le spectre, manifestement, les empêche de dormir... - incarnée tout spécialement par Angela Merkel, « chancelière de l'austérité », et son « intransigeance égoïste ». Un égoïsme très clairement montré du doigt, puisque, est-il écrit, elle « ne songe à rien d'autre qu'à l'épargne des déposants outre-Rhin, à la balance commerciale enregistrée par Berlin et à son avenir électoral ». On aimerait, au moins pour la première partie, que les socialistes français en fassent parfois autant !
Les réactions ont été vives. Et la panique dans le landerneau socialiste immédiate.
Il y a de quoi ! Car, même si François Hollande a distendu, depuis son arrivée au pouvoir, et sous les arcanes d'une politique mystérieuse, les liens du moteur franco-allemand, même s'il évoque volontiers une « tension amicale » - le poète aime les oxymores - à l'intérieur dudit couple, rien ne justifiait cette violence verbale et cette atteinte grave, à la limite de l'impolitesse, à la diplomatie.
D'autant qu'elle a été doublée, dans les colonnes du Monde, de cette remarque acerbe de Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale : « Pour moi, c'est la tension tout court et, s'il faut, la confrontation. »
C'est peu dire que, à l’Élysée, on s'est étranglé. François Hollande affirme à qui veut l'entendre qu'il travaille avec l'Allemagne. Et croit drôle d'observer qu'il n'est pas le premier secrétaire du Parti socialiste...
Matignon a donc été chargé de donner de la voix auprès dudit Parti socialiste, histoire que Solférino ne prenne pas son Désir pour une réalité... Se souvenant qu'il a été professeur d'allemand, Jean-Marc Ayrault s'est même fendu de deux tweet. « L'amitié franco-allemande est indispensable pour redonner un nouvel élan au projet européen et trouver les voies du retour de la croissance », écrit-il, en allemand, dans le premier. « On ne résoudra pas les problèmes de l'Europe sans un dialogue intense et sincère entre la France et l'Allemagne », affirme le second.
Ce qui lui permet, croit-il, de dénier aujourd'hui à l'opposition tout droit d'évoquer un problème entre Paris et Berlin.
Aussitôt, Jean-Christophe Cambadélis de promettre, et de présenter au bureau politique, non plus un « brouillon », mais une nouvelle mouture du texte, expurgée de « toutes les références à Mme Merkel ». « Il s'agit d'un combat politique, pas de stigmatiser telle ou telle personne », affirme-t-il. Il a été bien long à s'en convaincre. Pour finir, le PS a accouché d'un texte « totalement et profondément pro-européen ».
Toujours de la faute des autres
Mais l'opposition n'entend pas s'en laisser conter. Les ténors de l'UMP, notamment. « On a rarement eu des relations aussi mauvaises », dénonce François Fillon, pour qui François Hollande fait une « erreur gravissime » en pariant sur une défaite électorale d'Angela Merkel à l'automne. Il est vrai que si les socialistes manquent de cohérence en souhaitant rester dans l'Europe tout en critiquant, pour des motifs idéologiques, le pays de l'Union qui réussit le mieux, ou le moins mal, Nicolas Sarkozy et François Fillon, quant à eux, ne voyaient guère d'objection, lorsqu'ils étaient au gouvernement, à la vassalisation de la France par sa bien-portante voisine...
Reste que, comme l'observe Gérard Longuet, « pour la gauche, ce sont toujours les autres qui ont tort. » Cela s'explique sans doute, en l'occurrence, par le fait que les socialistes, de Solférino, de Matignon, ou de l'Elysée, ne savent plus comment faire face à la crise, ni répondre à l'impatience grandissante de nos concitoyens. Or, ce n'est pas en cherchant des responsables, voire des coupables, dans le temps ou dans l'espace que François Hollande pourra résoudre nos difficultés. Comme le lui a écrit Jean-Louis Borloo, elles « ne dépendent que de nous, ni de l'Europe, ni de l'Allemagne ».
Une déclaration que Berlin est prête à cosigner. Le ministère allemand de l’Économie vient de publier un rapport interne (destiné à l'analyse de la zone euro) très critique de la situation économique de la France. La conclusion, au vitriol, en est simple : la France « menace de devenir l'homme malade de l'Europe ». Certes les Allemands ne sont pas tendres, mais on ne peut se contenter de leur répondre par l'insulte, tout en prétendant demeurer dans l'Europe. Et surtout, en fermant les yeux...
Olivier Figueras monde & vie 21 mai 2013