Communiqué public du LEAP (Laboratoire Européen d’Anticipation Politique), 15 juin 2013
Le choc de 2008 a certes été violent, mais la réaction du système, des pays et des banques centrales, par leurs plans de sauvetage d’une ampleur sans précédent, a réussi à en camoufler les pires conséquences : déclassement de l’Occident en général et des États-Unis en particulier, assainissement forcé de l’économie, lourde chute d’un niveau de vie artificiel, chômage de masse, amorce de mouvements sociaux… ont pu être en partie négligés au profit d’espoirs de reprise entretenus par les politiques irresponsables de déversement de liquidités sur les systèmes bancaires et boursiers.
Malheureusement, pendant que la planète se dopait, les problèmes globaux n’étaient pas abordés… cinq ans de perdus : la solidité de l’édifice est encore plus faible qu’avant la crise ; la « solution » US orchestrée par la Fed, que tout le monde a laissé faire pour prendre le temps de panser ses propres plaies, a consisté à éteindre avec de l’essence l’incendie qu’ils avaient eux-mêmes allumé. Rien d’étonnant alors que ce soit encore eux, pilier du monde-d’avant refusant de rentrer dans le rang, avec leurs fidèles flotteurs japonais et britannique, qui enflamment à nouveau la situation mondiale.
Et cette fois, il ne faudra pas compter sur les pays en faillite pour sauver la situation : ils sont à genoux suite au premier choc de 2008. C’est donc pratiquement une seconde crise mondiale qui s’annonce, provoquée une nouvelle fois par les États-Unis. Cette période de cinq ans n’aura finalement consisté qu’à reculer pour sauter de beaucoup plus haut, ce que nous avions nommé « la crise au carré ».
Plan de l’article complet : 1. Une situation désormais hors de contrôle
2. Une seconde crise US
3. Les impacts du second choc
4. Stratégies des différents acteurs
5. Faillites des institutions internationales
6. Recommandations urgentes
Nous présentons dans ce communiqué public les parties 1 et 2.
Une situation désormais hors de contrôle
Les illusions qui aveuglaient encore les derniers optimistes sont en train de se dissiper. Nous avons déjà dressé le sombre bilan de l’économie mondiale dans les [numéros] précédents. La situation a encore empiré depuis. L’économie chinoise confirme son ralentissement (1) ainsi que l’Australie (2), les monnaies des pays émergents dévissent (3), les taux des obligations remontent, les salaires britanniques continuent de baisser (4), des émeutes touchent la Turquie et même la tranquille Suède (5), la zone euro est toujours en récession (6), les nouvelles qui parviennent à filtrer depuis les États-Unis ne sont pas plus réjouissantes (7)…
La fébrilité est maintenant clairement palpable sur tous les marchés financiers où la question n’est plus de savoir quel va être le prochain record mais de réussir à se dégager assez tôt avant la débandade. Le Nikkei a baissé de plus de 20% en trois semaines et a connu sur cette période 3 séances de pertes supérieures à 5%. La contagion atteint donc désormais les indicateurs « standard » comme les bourses, les taux d’intérêt, le taux de change des monnaies… derniers bastions encore contrôlés par les banques centrales, et donc jusqu’à présent totalement faussés, comme notre équipe l’a expliqué à maintes reprises.
Au Japon, cette situation est la conséquence du programme, délirant par son ampleur, d’assouplissement quantitatif entrepris par la banque centrale. La baisse du yen a provoqué une forte inflation sur les produits importés (notamment le pétrole). Les énormes mouvements de la bourse et de la monnaie japonaises déstabilisent toute la finance mondiale.
Mais la mise en place du programme de la Banque du Japon est si récente que ses conséquences sont encore bien moins marquées que celles du quantitative easing de la Fed. C’est principalement lui qui est responsable de toutes les bulles actuelles : immobilier aux États-Unis (8), records des bourses, bulle et déstabilisation des émergents (9), etc. C’est aussi grâce à lui, ou plutôt à cause de lui, que l’économie virtuelle est repartie de plus belle et que l’apurement nécessaire n’a pas eu lieu.
Les mêmes méthodes produisant les mêmes effets (10), une virtualisation accrue de l’économie nous amène à une seconde crise en 5 ans, dont les États-Unis sont donc à nouveau responsables. Les banques centrales ne pouvaient tenir indéfiniment l’économie mondiale, elles en perdent actuellement le contrôle.
Une seconde crise US
Si les mois d’avril-mai, à grand renfort de matraquage médiatique, ont semblé donner raison à la méthode US-UK-Japon d’assouplissement monétaire (un bel euphémisme) contre la méthode eurolandaise d’austérité raisonnée, depuis quelques semaines les chantres du tout-finance ont un peu plus de difficulté à clamer victoire. Le FMI, terrifié par les répercussions mondiales du ralentissement économique européen, ne sait plus quoi inventer pour obliger les Européens à continuer à dépenser et à refaire exploser les déficits : même à vide, la boutique-Monde doit continuer de donner l’impression de tourner et l’Europe ne joue pas le jeu.
Mais les effets toxiques des opérations des banques centrales au Japon, aux États-Unis et au Royaume-Uni démolissent désormais l’argumentation (ou plutôt la propagande) vantant le succès de l’ « autre méthode », supposée permettre la reprise japonaise, américaine et britannique (cette dernière n’a d’ailleurs même jamais pu être évoquée).
La seconde crise en développement actuellement aurait pu être évitée si le monde avait acté le fait que les États-Unis, structurellement incapables de se réformer eux-mêmes, ne pouvaient mettre en place d’autres méthodes que celles qui avaient conduit à la crise de 2008. Comme les banques « too big to fail » irresponsables, les pays « systémiques » irresponsables auraient dû être mis sous tutelle dès 2009, comme suggéré dès [notre numéro d'octobre 2008]. Malheureusement, les institutions de la gouvernance mondiale se sont révélées complètement inopérantes et impuissantes dans la gestion de la crise. Seules les logiques régionales ont pu se mettre en place ; les enceintes internationales ne produisant rien, chacun s’est mis à régler ses problèmes dans son coin.
L’autre réforme primordiale préconisée (11) dès 2009 par l’équipe du LEAP portait sur la remise à plat complète du système monétaire international. En 40 ans de déséquilibres commerciaux américains et de variations brutales de son cours, le dollar comme pilier du système monétaire international a été la courroie de transmission de tous les rhumes des États-Unis au reste du monde, et ce pilier déstabilisant est maintenant le cœur du problème mondial car les États-Unis ne souffrent plus d’un rhume mais de la peste bubonique. Faute d’avoir réformé le système monétaire international en 2009, une seconde crise arrive. Avec celle-ci s’ouvre une nouvelle fenêtre d’opportunité pour la réforme du système monétaire international au G20 de septembre (12) et on en vient presque à espérer que le choc intervienne d’ici-là pour forcer un accord à ce sujet, sinon le sommet risque d’arriver trop tôt pour emporter l’adhésion de tous.
Notes :
(1) Source : The New York Times, 08 juin 2013.
(2) Source : The Sydney Morning Herald, 05 juin 2013. Lire aussi Mish’s Global Economic, 10 juin 2013.
(3) Source : CNBC, 12 juin 2013.
(4) Source : The Guardian, 12 juin 2013.
(5) Lire Sweden’s riots, a blazing surprise, The Economist, 01 juin 2013.
(6) Source : BBC News, 06 juin 2013.
(7) Lire Economic dominos falling one by one, MarketWatch, 12 juin 2013.
(8) Une bulle dans les conditions économiques actuelles ; en temps normal ce serait considéré comme un frémissement. Lire par exemple Market Oracle, 10 juin 2013.
(9) Sur les conséquences des QE mondiaux en Inde : Reuters, 13 juin 2013.
(10) Le retour des produits financiers à l’origine de la crise de 2008 n’est pas anodin. Source : Le Monde, 11 juin 2013.
(11) Cf. [notre numéro] de novembre 2008.
(12) Source : Ria Novosti, 14 juin 2013.