Arnaud Guyot-Jeannin est directeur de la collection Vu autrement aux éditions de l’Âge dHomme. Auteur lui-même notamment de trois ouvrages : Aux sources de lerreur libérale, Aux sources de la droite, Aux sources de l’éternel féminin, il collabore à plusieurs revues. Il s’intéresse depuis longtemps au modèle américain et à ses répercussions dans le monde.
L’ACTION FRANÇAISE 2000. Qu’est-ce qui pour vous rend le message atlantiste si attractif pour une partie des élites françaises ?
ARNAUD GUYOT-JEANNIN. Le modèle américain a été profondément intériorisé par une partie des « élites françaises » sans qu’elles s’en rendent comptent obligatoirement. L’Amérique est en nous pourrait leur faire office de slogan. Elles souhaiteraient que la France devienne un gigantesque marché sans racines ni histoire. Fer de lance de l’Occident libéral moderne, les États-Unis exercent une vraie fascination sur les patrons de multinationales, les décideurs économiques, le monde du spectacle, les milieux de la publicité et la jeune génération d’hommes politiques.
On le voit avec « Sarkozy l’Américain » accompagné de ses deux principaux conseillers Pierre Lellouche et Patrick Wasjman qui revendiquent un atlantisme forcené. Le mythe du grand frère libérateur, du rêve consumériste et dun néoconservatisme sûr de lui et dominateur, explique la séduction des nouveaux collabos à l’endroit de l’hyperpuissance.
Un projet messianique
A.F. 2000. L’Amérique se conçoit comme un modèle politique et culturel à destination du monde entier. Pensez-vous que cela conduit nécessairement à la guerre permanente contre les cultures qui refusent de céder aux exigences de Washington ?
A.G.J. La colonisation de l’imaginaire symbolique et de la vie quotidienne des peuples par la diffusion du modèle américain ouvre la voie à l’Amérique-monde. Mais cette américanosphère est laboutissement logique du projet messianique américain à travers la Destinée-Manifeste des origines.
Visant à conquérir la Terre en se prenant pour la « Jérusalem terrestre », les États-Unis véhiculent -dans leur Constitution et dans la philosophie des Pères fondateurs - un puritanisme d’essence protestante où le salut personnel sobtient grâce à la prospérité matérielle. Ce salutisme marchand abrité derrière la religion est propre au Nouveau Monde qui ne comprend pas la Vieille Europe que nous représentons. Ses catégories morales et économiques l’incitent à vouloir convertir tous les peuples du monde aux bienfaits de la démocratie libérale, des droits de l’homme abstraits et du progrès techno-économique continuel. Ils se considèrent comme les dépositaires du Bien universel et croient devoir l’apporter, au besoin l’imposer, aux autres peuples. Plus ils s’étendent géographiquement et gagnent des marchés économiquement, plus ils remplissent leur mission providentielle.
Voilà, à gros traits, la logique intrinsèque du paradigme américaniste. Pas étonnant, dans ces conditions qu’une bande de fondamentalistes illuminés, de criminels de guerre et d’affairistes douteux se retrouvent aujourd’hui aux manettes de commande de l’administration Bush.
On constate depuis la première agression de l’Irak par les États-Unis en 1991 suivis en cela à l’époque par la France et l’Europe que les États-Unis veulent prendre leur revanche sur la défaite mal digérée de la guerre du Vietnam. Ensuite, ils ont mis l’Irak sous embargo après lavoir frappé une première fois - entraînant plus d’un million de morts -, puis une deuxième fois en 2003. Entretemps, ils ont bombardé la Serbie et sont intervenus en Afghanistan. Le 11 septembre 2001, Ben Laden et la nébuleuse islamiste Al Qäida servent toujours de prétextes à exercer le devoir dingérence en soumettant les peuples et les pays concernés à la sujétion, à la destruction et au désordre. La situation en Irak en est la parfaite illustration.
La Syrie de Bachar el-Assad et l’Iran de Mahmoud Ahmadinejad sont maintenant dans la ligne de mire de Washington tout comme l’Argentine du péroniste Nestor Kirchner, le Venezuela du populiste Hugo Chavez et la Bolivie de l’ethniste Evo Moralès. Quant à la Russie de Vladimir Poutine, elle prend beaucoup de distance avec les États-Unis en privilégiant comme partenaires l’axe Paris-Berlin et Téhéran-Pékin-New-Delhi. Si tous ces États et dautres encore sont stigmatisés et identifiés par la Maison-Blanche comme des États-voyous, c’est parce qu’ils refusent l’alignement sur la politique américaine. Si l’on y ajoute les nombreux peuples hostiles à l’impérialisme américain, on saperçoit que les États-Unis sont impopulaires et très isolés diplomatiquement. La résistance ethno-populaire à l’ordre états-unien va peut-être inciter le Pentagone à parler maintenant des « peuples voyous »…
Le déclin de l’hyperpuissance
A.F. 2000. Les réseaux qui portent l’américanisation de la vie politique et culturelle demeurent toutefois assez faibles. Présenter l’Europe de Bruxelles comme un contre-modèle ne risque-t-il pas de détourner une partie des Français d’un danger plus redoutable encore ?
A.G.J. Je ne suis pas de votre avis. L’invasion culturelle, économique et militaire des États-Unis se combine - fait nouveau - à une chute en qualité de leur modèle de civilisation (sous-produits culinaires et vestimentaires, technique numérisée de plus en plus froide et folle, images réelles et virtuelles représentant la banalisation de l’argent facile, de la violence déchaînée et du sexe formaté) toujours très présent en France par exemple. En revanche, leur crise économique, diplomatique et climatique les affaiblit néanmoins considérablement. Le 11 septembre 2001, la présence désastreuse de l’US Army en Irak et l’ouragan ravageur Katrina sont les trois derniers événements extrêmement délétères pour les États-Unis.
On peut émettre le souhait que le déclin de l’hyperpuissance annonce une prise de conscience identitaire en Europe notamment afin de retrouver le statut de grande puissance libre et indépendante. L’Europe de Bruxelles ne va pas dans ce sens pour l’instant. Elle fait le lit du libéralisme financier, de l’atlantisme otanien et d’un jacobinisme ravalé au rang de mondialisme. Le principal danger réside dans cette dernière approche systémique à l’échelle globale. Pensons notamment au poids que pèse l’Organisation Mondiale du Commerce dans les relations économico- financières...
Mégalomanie
A.F. 2000. Comment faut-il interpréter la vague danti-américanisme populaire qui traverse l’Europe depuis la guerre en Irak ?
A.G.J. L’impérialisme américain se conjugue à une mégalomanie délirante dont les deux tours jumelles détruites le 11 septembre sont le symbole ! Rationalité instrumentale et irrationalité totalitaire définissent bien l’américanité.
Avant-garde de l’hypermodernité, lhémisphère nord-américain étend son messianisme puritain et marchand à l’ensemble du globe. Quant à ses expéditions militaires qui relèvent de la morale et du droit, elles aboutissent à chaque fois à un fiasco. La colonisation américaine des esprits, des modes de vie et des territoires provoquent un rejet instinctif ou rationnel chez les peuples vivants et bien décidés à ne pas mourir. Pour se refaire une virginité, se rendre indispensable et dominer la planète, les États-Unis et Israël aidés de leurs relais d’opinions dans le monde entier attisent la haine dans le monde arabo-musulman afin de provoquer un choc des civilisations. D’où toutes une série de manipulations à prévoir….
Déjà, à propos de laffaire des caricatures de Mahomet publiées le 30 septembre 2005 par le quotidien danois Jyllands-Postden, sait-on que l’un des directeurs, Flemming Rose, est très proche du néo-conservateur Daniel Pipes ? Quant au récent discours d’ordre théologique de BenoîtXVI, pourquoi ne sest-on pas interrogé sur ses propos rapportés en premier lieu par le Pakistan, pays vassal des États-Unis ? Les faucons américains souhaitaient faire réagir violemment les musulmans à l’allocution du Pape et susciter en retour l’islamophobie chez les chrétiens. Opération provisoirement réussie ! J’observe que Benoît XVI a proclamé qu’il regrettait de ne pas avoir été compris et d’avoir ainsi choqué pour ses propos forts orthodoxes et minoratifs, tenus dans un séminaire universitaire. Ce n’est pas un hasard si cette polémique entre chrétienté et islam a éclaté au lendemain de l’affaire israëlo-libanaise où contre toute attente historique une alliance entre chrétiens et musulmans avait été scellée face à l’agression sioniste.
La libération salvatrice
A.F. 2000. Il sagit pour vous de regagner les intelligences et les cœurs des Français. Comment faut-il sy prendre ?
A.G.J. Le rêve américain est fini. Il a été conjugué, puis supplanté par le cauchemar des agressions et de luniformité génocidaire. Nous sommes passés de l’American way of life à l’American way of death. Fortement démonétisé, il peut néanmoins encore séduire à défaut, en agitant la menace islamiste. À cet égard, j’observe que les islamophobes, de tous bords, refont la même erreur qu’à l’époque du défunt danger communiste en identifiant lIslam comme ennemi unique.
En réalité, au risque de me répéter, les États-Unis instrumentalisent un illusoire danger islamiste unifié pour mieux imposer leur hégémonie. Il faut donc en finir avec le matérialisme et l’unilatéralisme américain dans tous les domaines. Une chance inespérée s’offre à nous : connaissant une crise sans précédent, les États-Unis deviennent de plus en plus vulnérables. C’est donc le moment pour que la France, mais aussi l’Europe et les peuples non-alignés du monde entier résistent, fassent entendre leur voix et connaître leurs différences afin d’assumer leur destin et dobtenir la libération salvatrice.
Propos recueillis par Pierre CARVIN LAction Française 2000 du 5 au 18 octobre 2006
Arnaud Guyot-Jeannin Derrière "la démocratie US", toujours l’impérialisme
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