La libération de quatre Français captifs des Barbaresques ne peut que réjouir leurs familles et rassurer les cœurs sensibles. Bon public on ne saurait s'en inquiéter sans passer pour un monstre, un odieux caillou dans l'omelette.
Pourtant le devoir civique du chroniqueur l'oblige à s'interroger. Et dans notre époque de surinformation immédiate, on se trouve dès lors contraint à un exercice désagréable, avant même que le joyeux soufflé soit retombé.
Nos maîtres classiques nous avaient appris à nous défier, peut-être même à rire, du "commentaire de commentaire" dans lequel sombrait la pensée scolastique. Il est devenu hélas impossible de ne pas s'y investir aujourd'hui.
Ainsi les sondages en rafale façonnent-ils l'opinion qu'ils prétendent décrire. Ils nous disent ce que les Français pensent : gare à vous par conséquent mauvais citoyens si vous ne partagez pas l'avis des majoritaires.
De la sorte l'équation "otages libérés" = "joie dans les chaumières" ne saurait souffrir de contestation.
La cote de nos gouvernants continue-t-elle de baisser ? Aucun rapport bien sûr. Et le petit peuple refuserait de se faire berner par les "bonnes nouvelles" d'un soir au journal télévisé de 20 heures ?
Allons donc : avec de tels sous-entendus vous allez faire baisser le prix des annonces publicitaires aux heures de grande écoute. Vous risquez inquiéter les marchés. Vous vous employez à retarder l'arrivée de la reprise : la croissance n'est-elle pas supposée franchir demain les frontières que le nuage de Tchernobyl n'a jamais pu surmonter ?
La vérité, nous la connaissions déjà : le pouvoir recule sur tous les fronts, sauf sur l'esbroufe, sur le mariage pour-tous-sauf-pour-le-couple-présidentiel ou sur les taxations symboliques inventées le 27 février 2012 et qu'aucun économiste ne prenait alors au sérieux.
Et puis voila qu'un énorme pavé a été lancé dans cette mare. Pas par le "Canard Enchaîné", pas par "Minute", mais par "Le Monde". Le quotidien de référence affirme à l'indicatif qu'une rançon a bel et bien été versée. Elle se monterait à quelque 20 millions d'euros. De quoi acheter aux mafieux albanais un bon paquet de kalachnikov A-47 pour le petit noël des ravisseurs. Un très bon outil de travail, un investissement fructueux, une promesse de dividendes qui sera sans doute tenue.
À ce stade, les démentis ne servent plus à rien, sauf à enfoncer un peu plus les dé-menteurs.
Gros malin, Fabius affirme le 30 octobre "qu'aucun argent public" n'a été déboursé. Seul le groupe Areva semble dès lors susceptible d'avoir ainsi subventionné les islamo-terroristes, soudoyé les intermédiaires et succombé au chantage. Mais enfin qu'est-ce qu'Areva sinon une filiale à 69 % du Commissariat à l'Énergie Atomique, 14 % à l'État, 2 % à EDF, soit un capital public à 85 %.
Pis encore Mme Guigou, élue en Seine-Saint-Denis, présidente socialiste de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale déclarait ce 31 octobre (1)⇓ : "Nous pensons que c'est logique qu'il y ait des secrets d'État."
Mais Fabius, comme Guigou, comme Hollande, jurent la main sur le cœur, comme les chiites iraniens et les francs-maçons du Lot-et-Garonne : "pas de rançon", "la France bla-bla-bla" etc.
Qui donc peut les croire ? Leurs nez remuent.
Remercions Guigou d'avoir, sans l'avoir voulu, lâché le morceau. Elle admet qu'en négociant avec les ravisseurs, on a nécessairement dû concéder une "contrepartie."
Or, quelles que puissent se révéler ces "contreparties", elles se valent toutes, non seulement dans la lâcheté, mais dans l'encouragement à de futurs enlèvements.
Si on sait que les dirigeants parisiens, par pure veulerie, cèdent toujours, pourquoi se gêner.
Il convient donc de rendre hommage à Diane Lazarevic, fille d'un otage qui, lui, n'a pas été récupéré. Elle intervenait ce 30 octobre. (2)⇓ Certains ont cherché à mettre en exergue et ne retenir seulement que la distinction entre ceux qui bénéficient d'une "grosse société" et les petits, dans le cas de son père un modeste entrepreneur que personne ne soutient. Encore une manière de laisser entendre que "c'est la faute au capitalisme", etc. On aurait pu dire aussi dans le cas d'Areva qu'il s'agit d'un groupe de l'État, etc. Polémiques éventuellement stériles.
Son propos le plus courageux se situait sur un autre terrain. Il consistait à dénoncer le scandale des négociations en elles-mêmes, de dire qu'elle ne voulait ni du paiement d'une rançon, ni de la libération d'autres terroristes, pour les raisons exposées plus haut.
Mais cela ne sera certainement pas mis en valeur dans les archives.
On comprenait d'ailleurs un peu mieux à l'entendre combien il ne faut pas plus croire un fonctionnaire du quai d'Orsay, qu'un ministre de la république sur paroles, pas plus qu'il ne faut céder au chantage.
Les islamo-terroristes le savent : certains pays cèdent et payent pratiquement toujours. D'autres jamais.
Il vaut donc mieux enlever les gens les plus innocents possibles dès lors que l'on sait que leur gouvernement s'aplatira comme une grosse crêpe.
Un passeport français loin de se révéler une garantie de protection, voire de vengeance, loin de représenter le Civis romanus sum de l'Antiquité, devient dès lors un facteur aggravant du danger. Merci qui ?
JG Malliarakishttp://www.insolent.fr/
Apostilles
1 sur Radio classique à 8 h 20.⇑
2 dans l'émission "C dans l'air".⇑