Pendant que les médias distraient les Français avec les coucheries présidentielles, la séparation des pouvoirs passe à la trappe…
En droit constitutionnel français, une ordonnance est une mesure prise par le gouvernement dans des matières relevant normalement du domaine de la loi. Cette pratique était appelée “décret-loi” sous les IIIe et IVe Républiques.
Dans le cadre de la Cinquième République, le gouvernement ne peut prendre des ordonnances que s’il y a été habilité par le Parlement, conformément à l’article 38 de la Constitution (ou autorisé par la Constitution s’agissant de certaines dispositions relatives à l’outre-mer : article 74-1).
Cet article 38 de la Constitution de 1958 est ainsi rédigé :
« Le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Les ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis du Conseil d’État. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse. À l’expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif. »
Ce système des ordonnances est toujours très critiqué par les juristes et les démocrates car il contrevient à l’un des fondamentaux essentiels de la démocratie : le principe de la séparation des pouvoirs (entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire) tel qu’il fut théorisé par Montesquieu dans son célèbre ouvrage, paru en 1748, intitulé L’Esprit des Lois.
Ce système contestable a été imaginé pour des raisons qui tiennent à l’encombrement de l’ordre du jour législatif, ou à une volonté affichée d’efficacité et de rapidité, mais, beaucoup plus souvent, pour contourner l’impopularité des décisions à prendre. Elles sont notamment utilisées pour transposer en bloc en droit interne les directives européennes et dans des domaines touchant à l’essence du domaine de la loi. Ainsi des ordonnances ont été prises pour rédiger la partie législative de plusieurs Codes (de justice administrative, d’éducation…) ou pour « simplifier » la législation.
La loi d’habilitation doit fixer les domaines et la durée où le gouvernement pourra prendre des ordonnances, sous peine d’être sanctionnée par le Conseil constitutionnel français pour incompétence négative.
La première utilisation d’une ordonnance sur le fondement de l’article 38 de la Constitution remonte à la loi du 4 février 1960, qui permettait au Gouvernement de prendre des mesures de maintien de l’ordre en Algérie. C’est toutefois resté longtemps une pratique assez rare. L’ordonnance permettait par exemple à un Gouvernement de faire passer des mesures d’urgence plus rapidement, avec l’accord du parlement.
Ces périodes d’ordonnance, autorisées par le parlement, sont évidemment plus faciles à obtenir lorsque la majorité parlementaire est de la même couleur que celle de l’exécutif (gouvernement et président de la République). Le délai est fixé par le parlement et ce délai tend à devenir de plus en plus long. Fixés à quelques mois dans les débuts de la Ve République, ils sont désormais scandaleusement longs puisque le dernier délai, fixé en 2010, avait été… de 4 ans. Quatre ans de dessaisissement du Parlement sur des sujets de première importance, quelle dictature fait mieux ?
La procédure anti-démocratique des ordonnances, qui s’est considérablement accélérée depuis 2000, vient de franchir un nouveau pas en janvier 2014
Or, non seulement les délais accordés par le parlement à la demande du gouvernement sont devenus de plus en plus longs mais la pratique des ordonnances elle-même s’est considérablement accélérée depuis quelques années.
De 2000 à 2005, les gouvernements successifs ont ainsi pris 184 ordonnances, dont 83 pour la seule année 2005, contre 102 dans les quarante années précédentes (1960-1999). La plupart des ordonnances prises depuis 2003 avaient pour objet, selon le gouvernement, de “simplifier” la législation dans de nombreux domaines du droit.
En ce début 2014, un nouveau pas très important est franchi dans la marginalisation complète du Parlement, donc de la démocratie, avec le projet gouvernemental de réforme du Code Civil et du Code du Commerce par la voie d’ordonnances.
Après que l’Assemblée, dite “nationale”, française a avalisé cette procédure (avalisant la compétence non plus du pouvoir législatif, devenu inutile, mais de l’exécutif), c’est désormais au tour du Sénat de se prononcer : http://www.senat.fr/leg/pjl13-175.html
Certes, la procédure des ordonnances est ainsi encadrée par la Constitution, et limitée dans le temps. Mais elle n’en reste pas moins un coup de force du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif. Ce coup de force est d’autant plus caractérisé que la procédure législative accélérée a été mise en œuvre pour faire passer ce texte [1].
Où exactement se situe l’urgence politique à modifier les lois civiles concernant les contrats ou les voies d’exécution ?
Une dérive de plus en plus dictatoriale, dans le droit fil des institutions européennesCette manifestation d’autorité, tendant à confier à l’exécutif les pouvoirs du législatif, et à supprimer ainsi le principe même de la séparation des pouvoirs à l’origine de la démocratie, était somme toute prévisible : elle s’inscrit en droite ligne des institutions européennes où la Commission est à la fois détentrice du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif (puisqu’elle détient, seule, l’initiative des lois).
Les détenteurs du pouvoir exécutif en France ont tous, depuis de nombreuses décennies, grâce aux traités européens successifs, opté pour le dessaisissement de leur propre pouvoir de gouverner qui leur avait été confié par leur peuple. Ils l’ont fait au profit d’instances supranationales non élues, indépendantes des peuples mais pas de l’oligarchie détentrice de l’argent, oligarchie représentée par les grandes entreprises industrielles et commerciales et les grands établissements financiers.
C’est ainsi que le terme “gouverner” a insensiblement glissé vers celui, lointain, flou et inconsistant, de “gouvernance”. Le grand Traité transatlantique matérialisera prochainement cette prise de pouvoir des puissances économiques sur les peuples.
Cette fin annoncée de la séparation des pouvoirs et de la démocratie au profit de la toute puissance de l’oligarchie, se passe en catimini ces jours-ci en France.
Les esprits sont trop accaparés, par la grâce des médias, à décortiquer les rebondissements nauséabonds des amours en goguette d’un président discrédité, pour avoir le temps de s’intéresser à la fin de la démocratie. Du grand art !Le pouvoir politique national se cache ainsi derrière les jeux du « cirque » pour nous faire officieusement, mais de plus en plus réellement, entrer en dictature.
Les peuples doivent impérativement se réveiller, au premier rang desquels le peuple français.
Jamais le slogan de l’UPR (“L’union du peuple pour rétablir la démocratie”) ne s’est révélé aussi prémonitoire et aussi urgent.
Spartacus Gallicus