Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Crise au PS : le FN va-t-il remplacer la gauche ?

Alors que la crise d'identité du Parti Socialiste se poursuit, le FN est en embuscade. Christophe Bouillaud décrypte la stratégie de «gauchisation» de Marine le Pen.

Dans son interview à l'Obs, le Premier ministre a semblé entériner la mort du PS en se refusant notamment à employer le mot «socialiste». Qui profite de cette nouvelle crise au PS? Plus encore que la droite traditionnelle, le Front National est-il le grand vainqueur ?

Christophe BOUILLAUD: La droite comme le Front National vont en profiter. L'UMP apparaît du coup plus unie, face à un PS divisé et à une UDI qui élit actuellement son président. Le FN, quant à lui, voit cette crise comme la preuve de la validité de leur thèse sur l'UMPS. Manuel Valls, qui veut ôter à la gauche son label socialiste, se déclare progressiste et propose une grande fédération qui mordrait sur le centre, semble confirmer la vision du FN. De plus, les politiques économique et sociale de l'UMP et du PS, sous la direction du Premier ministre, présentent de nombreuses similitudes, et proposent une orientation résolument libérale. L'extrême-droite ne peut que profiter de ces ressemblances. 

Marine le Pen a beaucoup «gauchisé» le discours économique du FN. La situation actuelle vient-elle valider sa stratégie ?

Elle le pense. Il y a longtemps, le programme du FN proposait une politique néolibérale très marquée par l'exemple de Reagan aux Etats-Unis ou de Thatcher en Angleterre. Ces dernières années, toutefois, le discours du FN se centre plutôt sur la protection des Français contre l'Europe, la crise, et contre la mère de tous les maux: l'immigration.

Toutefois, on ne peut pas encore parler d'un programme économique et social gauchisé, ne serait-ce que parce que la protection sociale est fondamentalement liée à la longue histoire de la gauche démocratique. Le FN aura du mal à récupérer ce thème à son avantage, malgré ses tentatives: dans toute l'Europe, les partis d'extrême-droite empruntent cette ligne, et cherchent à récupérer le thème d'une protection sociale pour leurs ressortissants. Ainsi, pour eux, refuser l'immigration est d'emblée une forme de protection sociale, dans la mesure où cela empêchera des étrangers de s'introduire sur le marché du travail, et conservera les emplois disponibles pour les nationaux. On parle alors de welfare chauvinism, autrement dit d'une protection sociale réservée aux citoyens du pays en question.

Le Front National peut-il prendre la place qu'occupait autrefois le Parti Communiste, voire même le Parti Socialiste des années 1970-1980 ?

On peut distinguer deux niveaux d'analyse. A l'échelle nationale, le FN essaie d'ores et déjà de reprendre les thèmes de gauche à son avantage, comme on l'a vu dans le cas de la protection sociale. A l'échelle locale, toutefois, les choses se compliquent.

Avant tout, l'enracinement local du FN, même après ses victoires aux dernières élections municipales, est infiniment plus faible que celui du PC après sa création, dans les années 1920, ou du PS refondé dans les années 1970. Le FN n'est en réalité pas porté par un groupe social en ascension ; autrement dit, il s'adresse aux «perdants de la mondialisation» et le revendique. Ce faisant, il se coupe des classes sociales supérieures, et ce choix explique qu'il n'arrive à conquérir que des villes où la situation économique et sociale est déjà mauvaise, comme Béziers, par exemple. Le FN n'arrive donc à s'installer que dans des endroits plongés dans le marasme socio-économique, dont la situation sera très difficile à améliorer, et n'est pas porté par une dynamique positive.

La situation du FN est en cela très différente de celles du PS ou du PC dans leurs belles années: les deux parvenaient à conquérir des villes dynamiques par leur industrie ou leurs services et à s'inscrire ainsi dans des dynamiques sociales et économiques locales qui les dépassaient. L'extrême-droite n'a quant à elle pas un discours accrocheur. Sa vision défensive, décliniste, manque d'idéal à atteindre et d'exemple à suivre. Elle n'a aucun modèle à montrer dans le monde d'aujourd'hui pour prouver la justesse de ses idées ; le PC, quant à lui, pouvait se référer à l'URSS, et le PS au modèle socio-démocrate suédois. Ce manque de rêve, d'entrain, explique notamment pourquoi Marine le Pen, qui caracole pourtant en tête dans les sondages, reste une personnalité peu aimée des Français. Elle reste sur l'idée de l'échec de la France, d'une longue descente aux enfers de notre pays, au contraire du Parti Socialiste, dont le slogan des années 1970 était «Changer la vie» !

Plus largement, sommes-nous en train d'assister à une recomposition du paysage politique ? Le clivage droite-gauche laisse-t-il la place à un clivage libéraux, favorables à l'ouverture des frontières, contre étatistes protectionnistes ?

Il est vrai que le rapprochement entre les politiques économiques et sociales de la gauche et de la droite est de plus en plus nettement perçu par nos concitoyens. Un sondage récent, ainsi, révélait qu'une majorité de Français considérait que la politique menée par le Président n'était pas de gauche. Le clivage a donc perdu en force.

Toutefois, si les électeurs le sentent, les responsables politiques, eux, et derrière eux, les militants de chaque camp, ne l'acceptent pas, et se considèrent encore comme très différents. De plus, le mode de scrutin instauré par lors du passage à la Vème République en 1958 rend très difficile toute recomposition du paysage politique, de sorte que je ne pense pas qu'une transformation soit possible si le scrutin n'est pas modifié auparavant. Mais je ne vois pas pourquoi l'UMP et le PS s'accorderaient sur un tel changement de mode de scrutin, qui risquerait de les priver de leur rente de position.

Les deux grands blocs, dirigé par l'UMP d'un côté, par le PS de l'autre, vont donc à mon sens persister. Valls n'arrivera probablement pas à appliquer son rêve d'un grand rassemblement entre le centre et la gauche. L'opposition droite/gauche reste structurelle: les Français ont beau critiquer les responsables politiques et clamer haut et fort qu'ils n'ont plus confiance en eux, au moment du vote, une très grande majorité d'entre eux continuera de soutenir les partis dits de gouvernement ou préfèreront s'abstenir, par habitude, par tradition ou par peur de l'inconnu. L'électorat, en France, est visqueux: il se déplace très lentement, au contraire de l'Europe de l'est, où les habitudes de vote changent très vite et radicalement.

Wladimir Garcin

Notes :  

Christophe Bouillaud est professeur agrégé de science politique à l'Institut d'Études politiques de Grenoble depuis 1999, agrégé de sciences sociales (1988), ancien élève de l'Ecole normale supérieure.

Source : Le Figaro

http://www.voxnr.com/cc/d_france/EuEuFEFVAElpDSqhQZ.shtml

Les commentaires sont fermés.