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Dispute à trois voix autour de nos églises

C'est une dispute non pas à deux, mais à trois voix qui s'est engagée à la suite du vœu formulé par Dalil Boubakeur, recteur de la Grande mosquée de Paris et président du Conseil français du culte musulman, de transformer des églises « désertes » en mosquées. Dans Valeurs actuelles, l'écrivain Denis Tillinac lui a répondu par un appel à « préserver ces sentinelles de l'âme française » que sont nos églises, dans un style qui évoque Barrés : « Croyants, agnostiques ou athées, les Français savent de la science la plus sûre, celle du cœur, ce qu'incarnent les dizaines de milliers de clochers semés sur notre sol par la piété de nos ancêtres : la haute mémoire de notre pays. Ses noces compliquées avec la catholicité romaine. Ses riches heures et ses sombres aussi, quand le peuple se récapitulait sous les voûtes à l'appel du tocsin. Son âme pour tout dire. (...) Inscrits au plus profond de notre paysage intérieur, les églises, les cathédrales, les calvaires et autres lieux de pèlerinage donnent sens et forme à notre patriotisme. »

Il n'y a pas trace de haine, ni de racisme dans ces lignes. Tout au plus, en réponse aux propos tenus par Dalil Boubakeur, qui, interviouvé par Jean-Pierre Elkabbach sur Europe 1, le 15 juin, avait déclaré « C'est le même Dieu, ce sont des rites qui sont voisins, qui sont fraternels, je pense que musulmans et chrétiens peuvent coexister ensemble », Denis Tillinac observe qu'« une église n'est pas une mosquée, et prétendre que les rites sont les mêmes relève d'un déni de réalité scandaleux. »

C'est alors que s'élève la troisième voix, qui n'est pas celle des musulmans, mais de la confrérie laïque des Flagellants, dont les adeptes n'ont de cesse de dénigrer l'héritage qu'ils ont reçu et de cultiver la détestation de soi - étant entendu qu'il s'agit du soi collectif, jamais de leurs aigrelettes petites personnes. Avouerai-je que je leur préfère le musulman Boubakeur ? Celui-là avance son idée ça passe ou ça casse , s'il rencontre une opposition, il en sera quitte pour un recul tactique et déclarera, dans le numéro de Valeurs actuelles du 16 juillet, qu'il n'a « jamais eu les intentions qu'on [lui]prête », qu'« il n'est pas question pour [lui] de transformer les églises en mosquées », qu'en évoquant ce sujet dans son dernier livre, Lettre ouverte aux Français, il a simplement rapporté la suggestion d'un député , et même, tiens, qu'il aurait pu « signer des deux mains » l'appel de Tillinac - mais que, cela dit, la France manque décidément de mosquées... Hélas, le message passe et l'idée fera son chemin.

Nos flagellants, eux, n'envisageraient certainement pas de signer l'appel de Tillinac, fût-ce du bout des doigts. Ils s'avancent et le mot « haine » leur pend au bec comme le clope à la lèvre du fumeur impénitent. Ils en ont fait leur principal argument, la sempiternelle accusation dont ils accablent leurs contradicteurs.

Démagogie ou pas, Boubakeur professe son amour de la France traditionnelle. Eux, la vomissent. La nation, c'est « la haine », affirment ces haineux. L'amour de la patrie n'est que le déguisement de la détestation et de la peur de l'autre - en l’occurrence, de l'islam - et ceux qui confessent ce sentiment sont des salauds et des imbéciles méprisables. Le flagellant Bruno Roger-Petit ne voit ainsi, parmi les signataires de la pétition de Tillinac, que « le ban et l'arrière ban du réac bien de chez nous, baguette, béret et saucisson. Ce n'est plus une pétition, c'est le train fantôme de la ringardise franchouillarde, le grand huit des Bidochon, le Space moutain des Super-Dupont ». Dans son éditorial de Libération, le flagellant Laurent Joffrin, veut « Des mosquées dans les églises, n'en déplaise aux prêcheurs de haine ». Et sur le site internet Slate, le très progressistement correct Henri Tincq, qui tint longtemps la chronique religieuse du Monde, même s'il convient que Tillinac « n'a rien d'un réactionnaire », soupçonne qu'il « se trouve aujourd'hui emporté, plus qu'il ne le voulait, dans un tourbillon où dominent les vents mauvais de la droite décomplexée et extrême », après avoir trop légèrement rédigé un texte qui « joue sur la menace de l'islam ».

La haine de la France traditionnelle

Les confrères auraient toutefois intérêt à mettre leurs lamentations au diapason. Ainsi, lorsque Tincq déclare que nul ne pense à transformer les églises en mosquées, Joffrin ne voit pas « quel scandale [il y aurait ] à les voir cédés à d'autres cultes présents en France, comme le protestantisme ou l'islam »... Quand le directeur de Libération, néo-théologien diplômé par le Café du commerce, déclare qu'« après tout, il s'agit du même Dieu, croit-on savoir », l'ex-chroniqueur du Monde, qui connaît mieux sa matière, répond qu'en l'occurrence son bon confrère croit mal et que, « Non, musulmans et chrétiens ne prient pas le même Dieu ». Il pourrait ajouter, pour achever de détromper son confrère qui glose sur les « religions du Livre », qu'il ne s'agit pas non plus du même Livre et que les personnages d'Ibrahim ou d'issa tels qu'ils sont dépeints dans le Coran n'ont que peu de choses à voir avec ce que la Bible dit d'Abraham, dans l'ancien Testament, et de Jésus, dans le Nouveau.

Henri Tincq, répudiant la « confusion de type syncrétiste », contredit même Mgr Dubost, révoque d'Evry, qui a déclaré dans La Croix du 9 juillet « J'aime mieux qu'une ancienne chapelle devienne un lieu de prière musulman qu'un lieu de débauche », sans vraiment imaginer, j'espère, le spectacle qu'offriraient nos églises de campagne si le croissant y remplaçait la croix, et sans non plus envisager qu'elle pourrait tout simplement rester une chapelle catholique, pour peu que les évêques catholiques, y compris celui d'Evry, s'attachent à remplir leur mission - qui consiste à remplir leurs églises, pas à les fermer.

 

Eric Letty monde&vie juillet 2015

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