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La guerre des trois aura lieu par Georges FELTIN-TRACOL

À seize mois de l’échéance présidentielle, le résultat final des élections régionales de décembre 2015 rend compte de l’état du rapport de forces politiques à moins que François Hollande décide de réviser par référendum la Constitution sur certains points précis (réforme du Conseil supérieur de la magistrature, inscription de l’état d’urgence, peut-être droit de vote des étrangers aux élections locales) ou démissionne et se représente aussitôt, créant une surprise certaine qui déstabiliserait l’opposition de droite – centre-droit. Les Républicains (LR) affûtent déjà leurs couteaux pour la fameuse primaire à l’automne 2016. 

La récente élection hivernale confirme la vive conflictualité entre trois pôles de poids à peu près équivalents que la collusion, réclamée par les sociaux-libéraux du PS et les progressistes du centre, ne peut être que factuelle et provisoire. Les régionales entérinent la tendance enregistrée lors des législatives partielles de 2013 – 2014, des européennes de mai 2014 et des départementales de mars 2015, unetripolarisation de la vie politique hexagonale. 

Le premier ensemble coïncide avec la majorité présidentielle édifiée en 2012 grâce à une entente de fer entre le PS et les radicaux de gauche qui sut bon an mal an intégrer les Verts, l’inaudible Front de Gauche et les ultimes adhérents du MRC. Or ce pôle se trouve maintenant désuni avec les tenants d’une politique progressiste sociale-libérale autoritaire (Valls, Macron, Cazeneuve, Placé) et les partisans d’une autre politique anti-austérité qu’on retrouve chez les Verts, le Front de Gauche et les frondeurs du PS. Aucune réconciliation n’est possible surtout si les opposants de gauche parviennent à se donner un candidat commun (Cécile Duflot ? Clémentine Autain ? Jean-Luc Mélenchon ? Pierre Laurent ?) capable d’empêcher François Hollande d’accéder au second tour de la présidentielle. 

Le deuxième pôle correspond à l’attelage LR – UDI ainsi qu’aux divers-droite et même au MoDem. Or, outre des rivalités personnelles entre François Bayrou et Jean-Christophe Lagarde qui n’arrive d’ailleurs pas sur le plan intellectuel à la cheville du premier, le parti LR entre dans une longue période de turbulence du fait de la primaire. Nicolas Sarközy entend se venger de sa défaite méritée en 2012, mais face à lui se dressent déjà le cheval de retour Alain Juppé, Bruno Le Maire, l’égérie d’une gauche morale bo-bo Nathalie Kosciusko-Morizet ou Christian Estrosi dit la « Girouette niçoise », Jean-François Copé, François Fillon, le libéral-conservateur Hervé Mariton. Cacophonie et zizanie restent les mamelles nourricières d’une formation qui ne vise qu’à sauver ses prébendes. 

Le troisième pôle concerne les forces « protestataires » qualifiées de « populistes ». À côté du FN, vainqueur paradoxal des trois derniers scrutins puisqu’il n’a remporté aucune collectivité territoriale tout en dépassant en nombre de voix le résultat de Marine Le Pen en 2012, et les autres listes souverainistes tellesDebout la France de Nicolas Dupont-Aignan, l’Union populaire républicaine (UPR) de François Asselineau, ou droitistes de Jacques Bompard et Jean-Claude Martinez. On doit aussi y inclure les listes régionalistes du divers-gauche pro-« Bonnets rouges » Christian Troadec, « Oui la Bretagne » (6,71 %), et présentées en Corse. Même si le mouvement frontiste ne se déchire pas comme le font le PS, le Front de Gauche, les Vertset LR, il n’en demeure pas moins tiraillé entre une ligne étatiste nationale-républicaine anti-euro défendue par Florian Philippot, et une ligne nationale-conservatrice libérale décomplexée représentée par Marion Maréchal – Le Pen. Les électeurs frontistes se fichent bien de ces dissonances parce qu’ils expriment surtout leur refus de l’immigration et de la mondialisation et que les discours frontistes correspondent aux attentes locales.

Les deux premiers pôles (PS et LR) se composent de la même homogénéité géo-sociologique (les fonctionnaires, les cadres moyens et supérieurs, les retraités vivant dans des aires métropolitaines connectées aux flux mondialisés marchands). Le troisième pôle — revendicatif – populiste — se caractérise en revanche par une très forte hétérogénéité sociologique qui en fait le seul « bloc » vraiment « inter-classiste », d’où la nature complexe du néo-FN qui est passé du nationalisme des origines (1972 – 1986) et du national-populisme tribunicien (1986 – 2011) à un populisme assumé depuis 2011, année de l’accession de Marine Le Pen à la tête du parti.

Une terrible guerre des trois se jouera donc en 2017, quand bien même les principaux auteurs ne sont pas encore totalement connus (Hollande ou Valls ? Sarközy, Juppé, Le Maire, Copé ? Marine Le Pen ou Marion Maréchal – Le Pen ?). Cependant, ce conflit politique en préparation ne doit pas occulter une autre rivalité, d’ordre moins politicien, opposant trois sensibilités de l’« anti-gauche ». Entre le conglomérat LR – UDI et le FN tente en effet d’émerger une tierce droite qui rassemblerait des tendances de l’ex-UMP (Droite sociale de Laurent Wauquiez, Droite forte de Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, Droite populaire de Thierry Mariani, Lionnel Luca et Jacques Myard), quelques éléments nationaux-chrétiens épars, rescapés du villiérisme et de La Manif pour Tous ainsi que, peut-être, certains proches (des éclaireurs ?) de Marion Maréchal – Le Pen. Cette ligne serait défendue par l’ancienne éminence grise de Sarközy, Patrick Buisson, et des journalistes à Valeurs actuelles parmi lesquels Geoffroy Lejeune, auteur d’un roman de politique-fiction,Une élection ordinaire (Ring, 2015), qui installe à l’Élysée Éric Zemmour ! Or, Éric Zemmour a gardé de ces lectures de Marx un point de vue marxien anti-libéral guère compatible à long terme avec le national-conservatisme libéral promu par cette mouvance droitière… En parallèle s’agitent dans le champ para-politique des experts de la récupération droitarde d’un catholicisme politique éculé, étriqué et épuisé via des « boîtes à idées », L’Avant-Garde et Phénix, dont les références sont l’ordo-libéralisme et une admiration pour le néo-thomisme de Jacques Maritain. Les parrains de cette initiative seraient ainsi Charles Millon qui dirigea un temps une Droite libérale-chrétienne (tout un programme !), son épouse, la philosophe catholique libérale néo-conservatrice et signataire en 2003 d’une pétition approuvant l’agression yankee contre l’Irak baasiste du Président Saddam Hussein, ou l’avocat Jacques Trémolet de Villers. La parution de la revue d’écologie intégrale (Maritain publiait en 1936 Humanisme intégral), Limite, s’inscrit volontiers dans ce projet qui écarte les questions identitaires fondamentales (l’ethnie et les races au sens de Julius Evola) et la légitime transformation des rapports sociaux dans l’entreprise en rompant avec le système capitaliste libéral au profit d’une coopérative cogérée.

Mais ces sordides considérations politiciennes ne doivent pas oublier une troisième guerre tripolaire, plus sociologiques celle-là que les actuelles tendances politiques auraient tort de négliger, de sous-estimer ou de mépriser parce que la tripolarisation n’atteint en réalité que la moitié environ des électeurs. Cet autre « bloc » anti-politique hautement composite, est l’abstention. Si le bloc contestataire populiste, potentiellement révolutionnaire, exprime une dissidence politique assumée, l’abstentionnisme signifie toujours une sécession civique radicale. Toutes les études politologiques évoquent néanmoins d’évidentes proximités géographiquement et sociologiquement marginalisées entre la masse abstentionniste et les électeurs mécontents et prêts à renverser la table. L’abstentionniste est un électeur FN en puissance ou, plus exactement, l’électeur frontiste est un abstentionniste repenti par intermittence. Par delà cette abstention structurelle massive s’ajoutent les quelques centaines de milliers de personnes non inscrites sur les listes électorales qui marquent leur complète indifférence envers une vie politique sclérosée. Cette remarque ouvre au pôle populiste – contestataire des perspectives réjouissantes si les nombreux abstentionnistes décident de se mobiliser en faveur d’une véritable rupture politique.

Entre ces deux manières d’exprimer une défiance légitime s’intercale un tiers pôle, plus mineur, qui regroupe les votes blancs (2,41 %, puis 2,80 %) et nuls (1,58 %, puis 2,07 %). Ces deux votes traduisent aussi l’exaspération d’électeurs insatisfaits qui refusent d’apporter leurs voix aux listes sarközystes ou qui devinent la vacuité du pouvoir politique

Loin de la simple actualité politicienne, la triple « guerre des trois » démontre le désenchantement des citoyens. L’action politique seule ne suffit pas. Celle-ci s’agence par symbiose avec le travail social, caritatif, écologique, syndical, culturel et militaire. Pour preuve, la victoire de la coalition régionaliste – autonomiste – indépendantiste à l’Assemblée territoriale de Corse. Seule bonne nouvelle de cette élection régionale.

Georges Feltin-Tracol

http://www.europemaxima.com/

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