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J'accuse... personne !

Le problème que pose la série d’attentats meurtriers à laquelle nous assistons, c’est que nous ne pouvons pas dire qui sont les coupables. Le crime demeure scandaleux en attendant le suivant, nous laissant dans l’impuissance.

Quand Polyphème se réveille en hurlant, un pieux planté dans l'œil, ses ennemis se cachent parmi les moutons et réussissent à sortir de Ulysse aux mille ruses, qui ourdit l'attaque, lui a dit s'appeler "Personne" : les autres cyclopes expliquent à Polyphème « Certes, nul ne peut te faire violence, puisque tu es seul. On ne peut échapper aux maux qu'envoie le grand Zeus. » On croirait voir la France, ensanglantée et endeuillée, hurlant sa douleur, incapable de nommer son bourreau cependant que les commentateurs glosent sur la fatalité historique (et les moutons ?).

Une France incapable de se défendre, agitant deux fétiches, droits de l'homme et État de droit, pour conjurer le mauvais sort mais surtout pour expliquer la soumission au destin. Manuel Valls déclarait, le 15 juin 2016, « D'autres innocents perdront leur vie. C'est très difficile à dire et on peut m'accuser de rendre la société encore plus anxiogène, mais malheureusement c'est la réalité, c'est l'affaire d'une génération » (France Inter). Le propos est récurrent chez lui d'un temps long et d'une fatalité aveugle. Au point même que mardi 19 juillet, pressé d'adopter une législation d'exception, Valls expliquait que défense, sécurité et justice pourraient évoluer « dans les dix ans qui viennent » (Le Figaro). Inexplicable attente, étrange délai mortifère.

Ou au contraire : devant la nature islamique de la guerre menée ici et là-bas, Hollande, Valls et consorts répugnent à nommer précisément un ennemi évident, et à adopter les lois qui permettraient, en l'espace d'une génération ? de le défaire, de l'école à la rue, dans les villes et aux frontières. Ils y répugnent car cela signifierait désigner l'islam comme bouc émissaire, ce moyen de toute politique cathartique. Mais l'islam est un bouc impossible : on ne peut pas faire des affaires avec l'Arabie Saoudite, applaudir les printemps arabes, laisser se développer l'islam des quartiers, dégainer l'islamophobie et brusquement se renier. L'islam ne peut pas être cet ennemi intérieur cher aux républicains pour qui toujours le complot explique l'échec.

Le seul bouc émissaire, c'est le Front National. Toute la république des élites se construit depuis 40 ans contre ce bouc domestiqué : pas moyen de se résoudre au changement de pied, il faut continuer à courir et accabler la même bête. On est dans un jeu rituel : dans l'arène médiatique, seul ce Minotaure a droit de parade, pourvu qu'il y reste enfermé et qu'on puisse le houspiller à l'abri des barrières. S'il paraît trop placide, on lui invente un rejeton inquiétant, l'ultra-droite, avec lequel Libération se donne de délectables frissons. Mais hélas, le FN ne joue plus le jeu : pas d'attentat, pas de Carpentras. Cependant que l'islam politique, populiste, voyou et guerrier insulte, caillasse, enfreint, attaque, blesse et tue.

Ce devrait être cet islam le parfait bouc émissaire réalisant l'union nationale. H la réalise déjà, d'ailleurs ! Les Français n'ont plus confiance dans le gouvernement pour assurer leur sécurité, ni dans les partis pour assurer la justice. Face à l'islam, le consensus populaire est là - mais c'est le FN qui en engrange le profit. Manuel Valls et François Hollande réclament une union sans pouvoir la cristalliser faute d'accepter cet ennemi évident et surtout consentant. Car, Girard nous le dit, le bouc est d'accord pour être sacrifié (comme l'était Jean-Marie Le Pen) ; et les islamistes proclament leur désir d'être ce bouc émissaire chargé de tous les péchés de l'occident, quand le FN n'accepte plus d'être chargé de ceux de la république. Les islamistes réclament d'être les purificateurs, les méchants, le danger mortel, se haussant par là-même à la hauteur du modèle qu'ils exècrent mais dont ils consacrent la supériorité. Ils sont le parfait mais innommable bouc émissaire. Les « J'accuse ! » zoliens des gouvernants tonnent dans un ciel vide. Nul fascisme en marche n'ensanglante nos campagnes. sinon celui des islamistes. C'est-à-dire personne puisque "ce n'est pas ça l'islam". Cette bête immonde-là n'est personne. Innommable et donc indécelable. L'élite ne veut pas la voir là où elle est, mais s'acharne à voir partout un FN qui n'existe plus tel qu'elle l'avait rêvé C'est Polyphème qui se plante lui-même un pieu dans l'œil, l'islam n'a même pas eu besoin de le durcir au feu.

Mais si le gouvernement est volontairement aveugle, les Français et l'État Islamique partagent le même diagnostic : il y a un ennemi, il a un nom, il le clame depuis assez longtemps, comme Ulysse, narquois, révèle son nom à Polyphème en quittant l'île. Qui implore alors son père : « Entends-moi, Poséidon aux cheveux bleus, qui contiens la terre ! Si je suis ton fils, et si tu te glorifies d'être mon père, fais que le dévastateur de citadelles, Ulysse, fils de Laè'rte, et qui habite dans Ithaque, ne retourne jamais dans sa patrie. »
Nous aussi nous pouvons implorer le père que ceux qui dévastent nos citadelles ne rejoignent pas la patrie qu'ils se sont donnée, et laissent la nôtre en paix.

Hubert Champrun monde&vie 22 juillet 2016

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